Dandysmes
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À propos de ce livre électronique
De l'origine de ce mouvement, le dandysme nous interpelle lorsqu'il reflète un mode de vie différent où le paraître n'est plus frivole, mais profond et extrêmement contagieux. On retrouve alors cette recherche d'une sophistication radicale, d'une nouvelle noblesse d'âme. Le dandy contemporain est redevenu un révolutionnaire par sa seule existence.
Ce livre n'a pas la prétention d'être définitif !
Qu'on veuille le prendre comme un modeste apport aux essais du genre, un autre point de vue, ou tout simplement une promenade de certaines élégances aux excentricités d'aujourd'hui.
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Aperçu du livre
Dandysmes - Massimiliano Mocchia di Coggiola
AlterPublishing
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Dessins de l’auteur : Tous droits réservés (dessins et portrait de couverture réalisés par Massimiliano Mocchia di Cogiola, sauf dessin page 314 réalisé par Sorrel Smith).
Projet graphique (1ère et 4ème de couverture) réalisé par Francesco Mocchia di Coggiola. Tous droits réservés.
Portrait photo de l’auteur (4ème de couverture) réalisé par Maxime Benjamin, 2020. Tous droits réservés.
© AlterPublishing ; 1ère édition 2017
© AlterPublishing ; 2ème édition 2020
Remerciements
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Merci à Yves Denis et à toute l’équipe de Dandy Magazine.
Merci à Julien Scavini et à notre éditeur, Pascal-Henri Poiget.
Merci à Xavier de Bascher pour son soutien, et à Aymeric Bergada du Cadet pour m’avoir transmis un peu de sa culture.
Merci à Raphael Ovyan Sagodira pour son aide dans la langue française !
Merci à Francesco pour son aide précieuse.
Merci encore à Sorrel et à tous ceux qui m’ont soutenu et supporté jusqu’ici.
Préface de Yann Kerninon
L’art de ne pas être ce que l’on croit
Comme tout ce que fait Massimiliano Mocchia di Coggiola (de son vrai nom Jérôme Pichu, né à Dunkerque), ce livre est une imposture. Alors même qu’il prétend définir le dandy, il se contente, en vérité, de dire ce que le dandysme n’est pas ou égraine à l’infini les exemples de personnages excentriques de toutes les époques qui sont, qui seraient, qui pourraient être, peut-être, éventuellement... l’incarnation du dandysme. Mais qu’est-ce vraiment qu’un dandy ? Et qu’est-ce exactement que le dandysme, son essence ? Tentons, en une courte préface, de répondre à ces questions et de compenser ainsi, un tant soit peu, les lacunes manifestes de ce livre.
Ce n’est pas sans raison, cher Massimiliano, que notre rencontre a eu lieu en deux temps. D’abord il y a dix ans, en 2010, sous la forme d’une non-rencontre. C’est notre amie commune, l’artiste et tatoueuse suisse Caroline Vitelli qui, pour la première fois, m’a parlé de toi. Sachant que j’avais, moi aussi, écrit sur le dandysme[1] et que ma façon d’être et de faire pouvait être qualifiée de « dandy », notre rencontre était pour elle une sorte d’évidence. Cette rencontre toutefois, à l’époque, n’eut tout simplement pas lieu. D’abord à cause du hasard et des circonstances. Ensuite, aussi, parce que les rares images que je voyais de toi, me suggéraient une certaine froideur distante qui m’empêchât sans doute de franchir le pas et de te faire signe, d’une façon ou d’une autre. Il aura donc fallu attendre presque dix ans, pour que nous nous croisions effectivement, lors de la soirée de lancement de la biographie du dandy suicidé Jacques Rigaut, à la Maison de la Poésie, à Paris en novembre 2019. Il n’aura en revanche pas fallu plus d’un demi-verre de vin pour que nous commencions à rigoler ensemble bêtement et que nous nous entendions sur l’immense malentendu qui règne autour de la question du dandysme, surtout quand c’est un journaliste qui se pique de la traiter maladroitement.
Nous avons vraiment bien ri ce soir-là. Et je me souviens être rentré chez moi avec la satisfaction rare d’avoir été surpris, d’avoir dû – pour le meilleur – changer d’avis. « Tu contrains beaucoup de gens à changer d’avis sur toi ; ils t’en veulent terriblement », dit Nietzsche[2]. Car il faut en effet une certaine tournure d’esprit pour accepter et apprécier avec sérénité de devoir changer d’avis. C’est à partir de cette rencontre en deux temps que je voudrais ici définir le fond même du dandysme : le dandy est un être qui n’est jamais ce que l’on croit.
Ce que l’On croit. Ce « on » est sans doute le point de départ même du dandysme et de son combat. « On, c’est à chaque fois pas moi » écrit Heidegger dans Ètre et Temps à propos de la confrontation à la mort. On dit « on », quand on a peur de dire « moi ». Le « on » est le commun, l’impersonnel, le plat. Le dandysme, au contraire, est un « culte du moi », mais pas exclusivement en un sens narcissique. Le dandy dit toujours « moi » pour conjurer l’enfer du « on », l’enfer de ceux qui « n’assument pas », de tous ceux qui veulent seulement tirer leur épingle du jeu, sans prendre de risque, sans s’exposer, en se fondant dans le décor – aussi sordide que le décor soit. Les serviteurs du « on » sont les protecteurs et les promoteurs du vulgaire sous toutes ses formes. Et le vulgaire est l’ennemi du dandysme.
Qu’est-ce que le dandy n’est pas ? Nous l’avons dit en plaisantant au début de ce texte, cette question est peut-être l’objet même de ce livre. Et il est finalement assez logique qu’il en soit ainsi. Puisque le dandy ne veut être réduit à aucun archétype et que tout authentique dandysme suppose même de trahir le dandysme. Au point que critiquer, dénoncer le dandysme, condamner le dandysme comme une pathologie est sans doute le sommet et l’aboutissement même de tout dandy digne de ce nom.
Le dandysme est une « vie comme œuvre d’art », dit-on généralement. Mais encore faudrait-il savoir ce qu’on entend par là, c'est-à-dire saisir, de l’intérieur, l’enjeu même de l’art. Je dis « de l’intérieur », car toute vision purement extérieure à l’art se trompe généralement sur l’art. De l’extérieur, on voudrait donner à l’art une « mission », une utilité sociale, une fonction. Or on sait à quoi ressemble en général l’art dont on voit la fonction. Tel peintre, tel photographe, tel chanteur est contre la guerre et pour la paix, pour la solidarité et contre le racisme. La belle affaire. Plus tendance, mais tout aussi soporifique, il y a des artistes dont la fonction quasi institutionnelle est d’être « trash » et systématiquement « provocateur rebelle », comme il est désormais obligatoire de l’être. Qu’il ait pour fonction de dire la norme ou de la transgresser démonstrativement, voilà un art banal dont la seule véritable fonction, en fin de compte, est de nous répéter en boucle tout ce que nous savions déjà. La formule de René Daumal est juste : « l’art n’a pas de mission, à tout prendre, il a une tâche ». Demandons-nous donc quelle est la tâche de l’art et donc quelle est la tâche du dandysme, puisqu’il consiste en une vie comme œuvre d’art.
La seule véritable tâche de l’art, comme la seule tâche de la philosophie, est d’être à la recherche de la vérité. Vérité des formes et des couleurs chez l’artiste, vérité du propos et des concepts chez le philosophe. Dans un cas comme dans l’autre : recherche de ce qui est vrai et quête hypothétique du sens de la vie même. Ainsi si le dandysme est une vie comme œuvre d’art, alors le dandy n’est rien d’autre qu’une tentative d’incarnation de la Vérité ou du moins un chemin tracé laborieusement dans la jungle du faux et du laid, pour parvenir au Vrai.
« On peut dire que pour nous l’art n’est pas un but en soi – cela demanderait une naïveté moins écorchée – mais nous y voyons l’occasion de formuler des critiques à l’égard de notre temps et de développer une véritable sensibilité pour cette époque, conditions préalables pour un style anodin et typique. [...] Pour cela, l’art ne nous fournit qu’une occasion, qu’une méthode ». C’est ainsi que s’exprimait le dadaïste Hugo Ball dans sa Fuite hors du temps. L’art comme méthode, voilà sans doute le fond même, à la fois du dadaïsme et du dandysme. Non pas l’art pour l’art, non pas l’art pour l’esthétique, non pas l’art comme métier ou comme fonction sociale, mais l’art comme méthode à suivre pour sa vie tout entière.
La méthode de l’artiste est en fin de compte simple, elle consiste à travailler sans cesse pour s’approcher d’une forme de vérité dont il est néanmoins certain qu’on ne la possèdera jamais de façon absolue ni définitive. Le dandysme est donc une quête plus qu’une posture figée, une manière de faire plus qu’un état de fait, une pratique funambulesque sur le fil du rasoir plus qu’une promenade de santé. Et la seule certitude du dandy est de vouloir éviter la chute. La chute, c’est là la pire des choses, quelle que soit la nature ou la raison de la chute. Chuter, cela veut dire arrêter de danser, arrêter de chercher, prétendre avoir trouvé, croire que l’on n’a plus besoin, ni d’équilibre, ni de déséquilibre. Chuter c’est être mort. C’est pourquoi le dandy est toujours à la croisée de tous les chemins et l’incarnation de tous les paradoxes.
Le dandy est un révolutionnaire, mais qu’on ne compte pas trop sur lui pour devenir le domestique docile d’un parti militant qui se prétend « rebelle ». Le dandy préfère largement incarner la révolution elle-même, ici et maintenant, que de rejoindre un groupe qui promet de la faire – la révolution - un jour, le grand jour, bientôt, peut-être, demain, vous allez voir... Le dandy est un progressiste, mais aussi un conservateur. Car il refuse de considérer que tout mouvement de masse est forcément un progrès, au même titre qu’il refuse de penser que l’abolition de la cravate n’a que des avantages. Le dandy est moderne et ancien, spectaculaire et discret, prétentieux et modeste. Le dandy s’inspire du passé mais pour mieux le trahir, le rejouer, le détourner. Le dandy est un aristocrate qui lutte avec les prolétaires. Ou un prolétaire dont la hauteur de vue est aristocratique. Le dandy sait aussi bien réciter par cœur un poème de Baudelaire ou un passage du Faust de Goethe qu’il sait chanter une chanson paillarde extrêmement grossière en rotant.
Par-delà le style vestimentaire et le mode de vie, par-delà son oisiveté ou ses métiers littéraires ou artistiques, par-delà son charme donjuanesque et ses diverses conquêtes, par-delà les excentricités remarquables ou anecdotiques, c’est dans cette incarnation d’un paradoxe aux mille facettes, que le dandy est authentiquement lui-même, c'est-à-dire négation du vulgaire. Car le vulgaire n’est finalement rien d’autre que l’absence de nuance et de paradoxe. Le vulgaire, c’est tout ce qui n’est plus en quête, tout ce qui pense bêtement avoir déjà trouvé. Et à l’époque du numérique, le tsunami de la vulgarité binaire nous saute à la figure et dévaste tout. Dans un infini déferlement de conneries protéiformes, nous sommes mis en demeure de choisir notre camp : zéro ou un, pour ou contre, blanc ou noir, progressiste ou réactionnaire, féministe radical ou misogynie pathétique, sale patron capitaliste ou gentil prolétaire, athée sautillant ou religieux fanatique, intellectuel soporifique ou imbécile heureux. Là sont les diverses formes de prêt-à-porter existentiel que refuse le dandy, lui qui consacre sa vie à tailler un costume sur mesure qui sera authen-tiquement le sien, rien que le sien : son dandy, son dandysme idiosyncrasique et inimitable.
Sur le chemin de la pensée, sur la voie escarpée et étroite qui mène chacun de nous vers