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Pape juif Le
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Livre électronique443 pages5 heures

Pape juif Le

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À propos de ce livre électronique

Le Vatican, Les membres de la Curia, réunis d’urgence par le secrétaire d’État, sont sous le choc : au petit matin, en véritable coup de théâtre, des ravisseurs ont enlevé Sa Sainteté le pape Clément XXI de ses appartements pontificaux. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre et bientôt, la planète entière est dans un état de consternation. Les autorités italiennes et du Vatican sont débordées, et appellent Interpol à l’aide. L’inspecteur Thierry Dulac est envoyé immédiatement sur les lieux. L’enquête de Dulac le mènera du calme silencieux des couloirs du Vatican au charivari tumultueux des boulevards parisiens et du charme velouté des piazzas de Florence à la brutale désolation du désert de Libye. Dulac sait que le temps presse lorsque les ravisseurs, refusant l’offre de rançon du Vatican, envoient au secrétaire d’État un déroutant paquet. Avocat de formation, André K. Baby a été procureur de la Couronne et chef de contentieux d’une multinationale suisse. Il a publié son premier thriller intitulé La Danse des Évêques en 2010. Le présent roman est la traduction de The Chimera Sanction publié à Londres chez Robert Hale Publishing.
LangueFrançais
Date de sortie21 mai 2014
ISBN9782894856468
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    Aperçu du livre

    Pape juif Le - Baby André K.

    5, rue Sainte-Ursule

    Québec (Québec) G1R 4C7

    Téléphone : 418 692-0377

    Télécopieur : 418 692-0605

    www.michelbrule.com

    Distribution : Prologue

    1650, boul. Lionel-Bertrand

    Boisbriand (Québec) J7H 1N7

    Téléphone : 450 434-0306 / 1 800 363-2864

    Télécopieur : 450 434-2627 / 1 800 361-8088

    Impression « : Imprimerie Lebonfon inc.

    Mise en page et couverture « : Paul Brunet

    Révision « : Érika Fixot et Naïka Saint-Arnault

    Correction « : Érika Fixot

    Traduction de l'anglais (canadien) « : Hugo Vandal-Sirois

    Photographie de la couverture : Shutterstock - Alessandro Colle

    Les éditions Michel Brûlé bénéficient du soutien financier du gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion

    SODEC et sont inscrites au Programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour des activités de développement de notre entreprise.

    © André K. Baby, Les éditions Michel Brûlé, 2014

    Tous droits réservés pour tous pays

    Dépôt légal — 2014

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    ISBN : 978-2-89485-645-1

    978-2-89485-646-2 (ePUB)

    À Louise

    Remerciements

    Je tiens d’abord à remercier Michel Brûlé, mon éditeur. Sans son dynamisme et sa redoutable efficacité, ce roman n’aurait probablement jamais vu le jour. Un grand merci aussi aux autres membres de son équipe, et surtout à Érika Fixot pour son excellent travail de révision. J’exprime aussi ma gratitude à Hugo Vandal-Sirois notre traducteur, et aux personnes auxquelles j’ai fait subir la lecture de mon premier manuscrit, telles Denise Faille, Patricia Volstaedt et Karen Dunn-Skinner. Leurs commentaires et suggestions furent fort appréciés.

    Enfin ces quelques lignes ne sauraient suffire à exprimer toute ma reconnaissance envers ma chère conjointe Louise Devost, qui continue à m’encourager et à m’accompagner le long du chemin montagneux, et quelquefois rocailleux, de l’aventure littéraire.

    Prologue

    Château de Montségur, France, 16 mars 1244

    Dans le grand hall du château, le chevalier Jean de Combel, amaigri et courbé par des mois de famine, s’agenouilla d’un geste hésitant devant le Parfait et prononça le Consolamentum, le serment ultime des cathares. Assiégés et désespérés, les cathares s’apprêtaient à abandonner leur forteresse aux mains d’Hugues des Arcis et de ses six mille catholiques. La défaite et la mort planaient patiemment, leur odeur pénétrant les épais murs des pièces du château. De Combel fit le signe de la croix puis se releva, cherchant nerveusement son jeune fils Pierre dans la salle.

    Après un moment, de Combel le repéra aux côtés de deux jeunes hommes, les fils du Parfait. Il fit signe à Pierre de le rejoindre, pris son fils par la main pour le mener dans une pièce vide, puis verrouilla la porte derrière eux. Il regarda le garçon droit dans les yeux.

    — Pierre, tu dois t’échapper ! Fuis cette folie.

    Le garçon le fixa d’un regard abasourdi.

    — Je… je veux rester avec vous, père, dit-il, enlaçant ses bras chétifs autour de la taille de son père.

    Le chevalier leva son regard, ravalant des larmes de douleur et de chagrin. Des images du massacre à Béziers, Lavaur et Minerve défilaient devant ses yeux. La terre souillée de sang, les femmes violées qui criaient grâce, des têtes d’enfants… d’enfants, nom de Dieu… empalées sur les lances des soldats. Il se ressaisit. Non, pas Pierre, pas mon fils. Il se pencha, prit la tête du jeune garçon entre ses mains et lui donna un baiser.

    — Pierre, tu es petit. Tu peux passer en évitant les sentinelles. Elles…

    — Non, non. Je veux rester, insista le garçon qui s’agrippait à la taille de son père de toutes ses forces.

    De Combel s’arracha à l’étreinte puis se laissa tomber sur ses genoux. Il serra les épaules maigres de son fils et plongea son regard dans les petits yeux terrifiés qui le fixaient.

    — Écoute-moi bien, Pierre. Nous nous rendrons demain. Tu dois t’enfuir et préserver notre foi.

    Les épaules du garçon tremblèrent violemment alors qu’il commençait à pleurer.

    — Arrête ça. Tu es un homme maintenant. Tu dois partir et survivre. Me comprends-tu ?

    — Oui, père, répondit-il faiblement entre deux sanglots.

    — C’est mieux. Et maintenant, Pierre, fais-moi la promesse de ne jamais, jamais renier ta foi.

    — Je le promets.

    De Combel serra son fils un long moment, puis lui tendit une petite poche de cuir.

    — Prends ça, va au village et donne un écu à Godefroi. Garde le reste pour te payer de la nourriture et un abri. Dis à Godefroi de te conduire jusqu’à ta tante Jordane, à Gênes. Tu seras en sécurité là-bas. Maintenant, pars, dit-il, avant de le repousser.

    Les larmes aux yeux, le garçon se fraya un chemin au travers d’une mince ouverture dans un mur extérieur du château, évitant soigneusement les sentinelles catholiques dans cette nuit sans lune. Il descendit d’un pas prudent le sentier escarpé du sommet de la montagne jusqu’à la dense forêt, un refuge sûr qu’il adorait et connaissait si bien. Il se glissa sur la mousse qui entourait un vieux tronc pourri et sombra aussitôt dans un sommeil agité, sans cesse interrompu par le tiraillement de la peur et la douleur de la séparation.

    L’aube arriva enfin. Le crépitement d’un feu et l’odeur du bois brûlé le tirèrent de son sommeil tourmenté. Étourdi par la faim, le garçon se faufila dans une petite clairière aux abords de la forêt. Les catholiques y avaient construit un énorme bûcher.

    À côté de l’amoncellement de bois se trouvait un escalier aux planches couvertes de boue pour éviter qu’elles ne s’enflamment. La purification par le feu, pensa Pierre. Son père l’avait prévenu de l’horrible sort que réservaient les catholiques aux cathares impénitents. L’effroi s’empara du garçon. Il se tapit derrière un grand chêne pour épier les soldats qui nourrissaient le feu de longues branches de pin.

    Le feu raviva sa soif, maintenant si intense. Il regardait les catholiques, la hargne au cœur, lorsque des souvenirs refirent soudainement surface. Une voix douce qui chantonnait, des éclats de rire alors qu’elle jouait à la poupée dans la cour. Puis, sans avertissement aucun, le bruit sourd d’une pierre lancée par la catapulte des catholiques. Le chant se tut. Le garçon se précipita à l’extérieur, pour tomber sur un corps sans vie gisant dans une mare de sang. Sa petite sœur Anne…

    Il chassa l’horrible vision de son esprit. Les flammes s’étiraient de plus en plus haut, comme des langues orange qui léchaient les parois du bûcher jusqu’à son sommet. Assis en petits groupes autour du brasier, les mains liées, les cathares priaient en silence. Pierre chercha son père, en vain. Une lueur d’espoir le réconforta. Le chevalier s’était-il échappé ?

    Les branches brûlées craquaient sous le poids du bûcher, et même au loin dans la clairière, Pierre sentait la chaleur intense. À une centaine de mètres à sa gauche, une rangée de cavaliers attendait pendant que leurs écuyers, selle en main, tentaient de retenir les montures nerveuses. Un seul mouvement, un simple soubresaut dans la colonne, et un chevalier rompit le rang et s’avança en pointant de son épée un cathare assis près du bûcher. Le cathare se leva, et un soldat le mena au pied de l’escalier. Alors qu’il gravissait les marches, le cathare semblait calme, résigné et même déterminé, comme s’il était porté par sa foi. Au sommet de l’escalier, une rafale de vent fit danser les flammes autour de sa tunique, qui s’enflamma aussitôt. L’homme leva les yeux au ciel, hésita un court moment puis tomba dans le brasier.

    Un halètement partagé interrompit les prières des cathares, qui firent place à un lourd silence. Par quelques gestes autoritaires, le cavalier ordonna aux soldats de pousser les cathares les uns après les autres dans l’escalier, puis dans l’infernal tourbillon de feu.

    Le regard horrifié du garçon se posa ensuite sur son oncle Robert de Sasseville, dont le corps s’empala sur le tronc à moitié brûlé d’un grand pin avant que le bois embrasé ne cède, entraînant le cadavre dans le brasier. Pierre étouffa un sanglot et commença à trembler de tout son corps.

    La couleur de la fumée passa du gris au brun, et les flammes s’apaisèrent quelque peu, alors qu’elles consumaient la chair humaine. Une insoutenable odeur sucrée emplit l’air peu à peu. Le garçon se retourna et se pencha derrière l’arbre pour vomir jusqu’à ce que ses haut-le-cœur cessèrent, son estomac complètement vidé de sa bile. Il se leva faiblement et jeta un coup d’œil vers le bûcher, pétrifié par l’horrible spectacle des cathares qui continuaient de gravir l’escalier massif, comme s’ils étaient en état de transe. Les femmes suivaient leur mari, entraînant leurs enfants marche après marche vers une mort certaine. Soudainement, Pierre vit le cavalier pointer son épée vers un cathare assis, seul.

    — Père, murmura le garçon, ses épaules à nouveau prises de convulsions.

    Un soldat saisit le bras de De Combel, qui parvint à se libérer. De Combel se redressa et porta son regard sur les cathares, assis, attendant calmement leur sort.

    — Courage, mes amis, cria-t-il. Aujourd’hui, nous nous reverrons au paradis.

    Il monta l’escalier, s’arrêta fièrement à la dernière marche et hurla : « Longue vie à Montségur ! Longue vie aux cathares ! »

    De Combel se retourna et plongea tête première dans l’holocauste.

    Chapitre 1

    Mont Assiniboine, Rocheuses canadiennes, 22 mai 2013, au petit matin

    Bien au chaud dans le duvet de son sac de couchage, Thierry Dulac regarda sa montre : 6 h 25 du matin. La pluie avait enfin cessé de marteler le toit d’aluminium de l’abri alpin que l’on appelait « Hind Hut ». Les ronflements réguliers de Karen trahissaient son profond sommeil. Dulac se leva de son inconfortable lit de camp en bois, étira son corps long et mince, puis s’habilla en vitesse. Ils devraient attaquer leur ascension bientôt s’ils voulaient atteindre le sommet et redescendre avant la nuit. Il fouilla dans son sac à dos pour en tirer une petite radio VHF Icom, puis ouvrit discrètement la porte de la cahute. À l’extérieur, l’air était humide et lourd. La mince couche de brume qui enveloppait la vallée au loin commençait déjà à s’évaporer sous la chaleur des premiers rayons de soleil. Derrière la maison, l’impressionnante pyramide du mont Assiniboine s’étirait majestueusement dans le ciel violacé. Le mont Cervin des Rocheuses, clamait la brochure du gîte. Et tout aussi dangereux, pensa Dulac. Il prit une profonde respiration, savourant la pureté de l’air à cette altitude, puis jeta un coup d’œil au thermomètre fixé à la cabane : -3 degrés Celsius. Parfait pour une journée d’escalade.

    Dulac alluma sa radio VHF et pressa le petit bouton WX qui syntonisait le canal météo. Une voix électronique monocorde étouffée par des parasites s’échappa de l’appareil : « Voici le bulletin de 6 heures… pour la grande région de… incluant le mont Magog, le mont Assiniboine, le Marshall et… Une alerte météo est en vigueur de 11 heures à 16 heures aujourd’hui. Un important front froid est en mouvement… Des vents… jusqu’à 60 kilomètres à l’heure, avec des rafales de 80 kilomètres à l’heure. Une chute de neige abondante est prévue, jusqu’à 25 centimètres en haute altitude. Nous répétons… une alerte… »

    Bordel. Un blizzard de printemps. C’est bien notre chance. Il regarda la montagne et son sommet dégagé, invitant. Il pensa à la vitesse à laquelle la météo peut changer en montagne et devenir mortellement dangereuse, et un frisson parcourut sa colonne. Des souvenirs du mont Mercedario lui revinrent en tête, mais il fit l’effort de les repousser aussitôt au plus profond de son subconscient. Après un moment, Dulac retourna, abattu, dans la chaleur de la cabane préfabriquée, marcha jusqu’au lit et secoua doucement l’épaule de Karen.

    — Karen, réveille-toi.

    — Il est quelle heure ? demanda-t-elle, toujours somnolente.

    — L’heure de descendre de la montagne.

    — Quoi ?

    Karen se redressa, dégageant des mèches de cheveux de son visage.

    — Que veux-tu dire ?

    — La météo tourne au vinaigre. Un blizzard arrive, il faut redescendre.

    — Mais les prévisions de la nuit dernière étaient superbes.

    — Celles de ce matin sont vraiment pourries.

    — Merde ! Si seulement je pouvais attraper un de ces météorologistes, je lui…

    — On a assez de temps si on part maintenant. Le gîte est à cinq heures d’ici. On sera en bas et sur la Gmoser’s Highway avant l’arrivée de la tempête.

    — Et ensuite, on fait quoi ?

    — On attend au gîte et on réessaye plus tard. On a encore toute la semaine.

    — Mais nous sommes si près du sommet. Pourquoi ne pas attendre ici ?

    — Et risquer d’être pris au piège ? Non merci. Cette tempête peut durer une journée, peut-être une semaine. Je… Je…

    Des images du mont Mercedario défilaient en rafales devant ses yeux. Son jeune frère Éric…

    — Qu’est-ce qui ne va pas, Thierry ?

    — Rien. Ce n’est que… Rien. On doit y aller.

    Après un déjeuner composé d’un gruau tiède à la texture de mortier et de tasses de café âcre, ils finirent de préparer leurs bagages. Dulac ajusta ensuite la longueur de leurs bâtons de marche, alors que Karen rangeait l’intérieur de la cabane. Quelques instants plus tard, ils entamaient d’un pas vif et ferme leur descente vers le gîte Assiniboine, au son des bâtons qui cliquetaient contre les roches du sentier.

    Une heure plus tard, le sentier s’était élargi. Des deux côtés, le banal lichen vert avait fait place à des bourgeons de potentilles dorées et à des bouquets de benoîtes, qui parsemaient un lit luxuriant de saxifrages violettes. Dulac admirait les foisonnantes richesses de la nature lorsque quelque chose à l’horizon attira son attention. Il s’arrêta net. Karen, qui ne gardait que quelques pas de distance avec lui, se prit le sac à dos de Dulac en pleine figure.

    — Hé, attention, dit-elle, sur un ton irrité.

    — Regarde.

    Dulac indiqua un tout petit point au loin qui s’agrandissait rapidement. La forme particulière d’un hélicoptère apparut, avec sa bulle et ses patins d’atterrissage, et le vrombissement régulier des hélices parvint enfin aux oreilles des marcheurs. L’hélicoptère continua son approche, ralentit, puis fit du surplace, à une centaine de mètres. Dulac reconnut la feuille d’érable rouge canadienne sur la queue de l’appareil, accompagnée de grandes lettres de la même couleur : SAR, l’équipe de recherche et sauvetage. C’est étrange. Pourquoi… ? La sonnerie du téléphone satellite de Dulac retentit soudainement de son sac à dos. Il enleva le sac de ses épaules et attrapa le téléphone.

    — Dulac.

    — Ici l’hélicoptère de recherche et sauvetage Bravo Juliet Uniform. Êtes-vous l’inspecteur Thurley Doolake ?

    — Thierry Dulac, oui.

    — Nous atterrissons.

    — Pourquoi ? Nous n’avons pas demandé d’assistance !

    Dulac échangea un regard interrogateur avec Karen, puis haussa les épaules, déconcerté.

    Le pilote ne répondit pas et l’hélicoptère se posa au sol, dans un équilibre précaire à la droite du sentier. Les hélices tournoyaient toujours tranquillement lorsqu’un homme casqué sortit par la porte latérale et marcha jusqu’au couple.

    — Nous avons reçu l’ordre d’aller vous chercher, Mme Dawson et vous, dit l’homme en relevant la visière de son casque.

    Dulac regarda Karen, ébahi, puis se tourna à nouveau vers l’homme, qui s’affairait à frotter son œil gauche.

    — Un ordre de qui ?

    — Du colonel de notre base d’Edmonton. C’est urgent.

    — De quoi s’agit-il ?

    — Je ne sais pas, je ne fais qu’exécuter les ordres. C’est en rapport avec un secrétaire général ou un truc du genre.

    — Vous parlez du secrétaire général d’Interpol ?

    — C’est ça, oui.

    — C’est ce que nous allons voir, dit Dulac, furieux qu’Harris interrompe ses premières vacances en quatre ans.

    Il composa avec force le numéro d’Harris sur son téléphone. Après trois sonneries, la voix bien trop familière résonna :

    — Harris.

    — Dulac. On nous dit de monter dans un hélicoptère de sauvetage, apparemment selon vos ordres.

    — Ne parlez pas, votre téléphone est placé sur écoute. Ils ont piraté nos lignes. On se voit d’ici quelques heures.

    — Mais pourquoi… ?

    — Montez tout de suite dans ce putain d’hélicoptère !

    La communication coupa.

    Chapitre 2

    — Où allons-nous ? cria Karen à Dulac, cherchant un réconfort dans les profonds yeux bruns du Français.

    — Je vais demander au pilote, dit Dulac.

    Après un court moment, il revint vers Karen.

    — Sur une base des Forces canadiennes à Edmonton.

    — Mais toutes nos affaires sont au gîte Assiniboine.

    — Ils les ont déjà ramassées, répondit-il en pointant les valises à l’arrière. Karen lança un regard de stupéfaction à Dulac. Alors que le Griffon s’inclina fortement vers la gauche, elle aperçut une dernière fois le toit voûté de leur petite cabane, leur nid d’amour pour une nuit à peine. Le mont Assiniboine surgit alors de derrière la cahute, son sommet effilé perçant le ciel bleu sans nuages. Karen ressentait une fois de plus ce petit pincement au cœur qui se manifestait à chaque interruption précoce de vacances. Et tout allait si bien.

    La colère de Dulac empirait de minute en minute. On se voit en Europe dans quelques heures ? Il est saoul ou quoi ? Il faut au moins treize heures pour se rendre à Paris à partir d’Edmonton par la ligne transpolaire, encore plus si l’on vole vers l’est. Harris n’avait pas l’habitude d’être vague. Du moins pas lorsqu’il était sobre.

    Tandis que Dulac s’attachait à son siège étroit, les vibrations du rotor secouèrent l’hélicoptère, éveillant au passage de vieux démons. Dulac passa ses doigts agités sur les boucles épaisses de la ceinture. Il détestait les avions.

    — Voler, ce n’est bon que pour les oiseaux, affirma-t-il lors d’un dîner galant avec Rebecca, une pilote de ligne incapable du moindre humour qui lui avait récité dans les moindres détails son atterrissage réussi d’un Airbus 360 amputé d’un moteur.

    Il sentait la nausée s’emparer de lui lorsque Karen pointa par la fenêtre.

    — Regarde, le mont Magog. Magnifique, non ?

    — Si on veut…

    ***

    Une heure plus tard, le brouillard enveloppait le Griffon qui volait à basse altitude, alors que le pilote ajustait l’angle du rotor principal en vue de leur arrivée imminente. Une fois au sol, le vacarme assourdissant diminua et Dulac entendit Karen murmurer quelque chose au copilote. Il lui donna un petit coup sur l’épaule.

    — Je lui demande seulement pourquoi nous allons à Edmonton, dit-elle. Mais il n’en a aucune idée.

    Ils suivirent le pilote et le copilote sous une pluie diluvienne vers un petit édifice, et Dulac ne pouvait que constater le visage abattu et désapprobateur de Karen.

    — Inspecteur Dulac, madame Dawson, je présume, dit un homme chauve et moustachu dans le cadre de la porte de l’édifice, vêtu d’un uniforme beige et marron une taille trop petite pour son ventre proéminent. Je suis le colonel John Pettigrew, officier supérieur, BFC Edmonton. Je…

    — C’est quoi toutes ces conneries, colonel ? lança Dulac. Pourquoi autant de mystère ?

    — Je n’en sais pas plus que vous. On m’a dit d’aller vous chercher, Mme Dawson et vous.

    — Et pourquoi sommes-nous dans votre base, colonel ? répondit Dulac, dévisageant Pettigrew.

    — Vous verrez. Il devrait arriver d’un moment à l’autre, dit Pettigrew, d’un ton nonchalant.

    Il se rendit derrière un petit comptoir pour en sortir une tablette et un stylo.

    — Je vous demanderais à tous les deux de signer ici. Des formalités gouvernementales. En passant, monsieur Dulac, avez-vous passé un examen médical récemment ?

    — Mais en quoi, diable, est-ce que cela vous regarde ?

    — C’est juste par précaution, répondit Pettigrew, levant la main droite pour calmer les ardeurs.

    À ce moment, le grondement distinctif d’un moteur d’avion à réaction traversa l’épais brouillard. Dulac sentit son estomac se nouer, sans savoir exactement pourquoi.

    — Votre limousine est arrivée, monsieur, dit Pettigrew, en pointant la piste et en se courbant comme un chasseur d’hôtel obséquieux.

    La silhouette menaçante du F-16 Viper de chasse émergea soudainement du brouillard. Incrédule, Dulac regarda le menaçant appareil gris se déplacer lentement sur le de tarmac. À quelques dizaines de mètres du terminal, le Viper tourna son nez en forme de missile vers l’édifice puis s’arrêta net.

    — Merde, dit Dulac, écrasant sa cigarette sur le rebord d’un abreuvoir.

    — Nous avons réservé une place pour Mme Dawson sur le prochain vol commercial vers Paris, dit Pettigrew.

    Dulac observa un camion-citerne jaune et blanc se ranger aux côtés du Viper, puis l’homme qui en descendit pour aller saisir le boyau enroulé à l’arrière du camion. Au signal du pilote, l’homme relia le boyau au réservoir de l’avion, puis étancha la soif de kérosène JP-8 de l’oiseau gris. La verrière se déploya, et le pilote s’extirpa agilement de l’avion avant de se diriger vers l’édifice, combinaison de vol et casque supplémentaires en main.

    — Buongiorno. Je suis le capitaine Emilio Zegna, armée de l’Air italienne, base de Rome, dit le petit homme aux cheveux noirs et au nez recourbé alors qu’il franchissait le cadre de la porte. Il balaya la pièce du regard.

    — Je viens chercher l’inspecteur Thierry Dulac. Est-ce que… ?

    — C’est moi, dit Dulac, maintenant dos à la fenêtre.

    — Bonjour, inspecteur. C’est pour vous, dit le pilote en tendant la combinaison et le casque. Nous partons dès que le ravitaillement est terminé.

    Dulac secoua sa tête, renversé.

    — Vous voulez que je monte dans ça ? dit-il en pointant le F-16.

    — On nous attend dans cinq heures.

    Pettigrew regarda Zegna de travers.

    — Capitaine, l’Italie est à près de cinq mille kilomètres à partir d’ici si vous passez par l’Arctique. Vous faites le plein…

    — En vol, interrompit le pilote d’un ton condescendant, comme si c’était l’évidence même.

    — Vous auriez pu faire le plein à Resolute, dit Pettigrew.

    Il regarda Dulac.

    — Ils doivent avoir hâte que vous arriviez.

    — Vous croyez, répondit Dulac, d’une humeur massacrante, qui enfilait tant bien que mal la combinaison par-dessus sa chemise de laine synthétique.

    Il fixa Karen.

    — Aucun commentaire.

    — Mais je n’ai rien dit, répondit-elle, incapable d’étouffer un sourire. On se revoit à Paris, Thierry.

    Elle repoussa ses cheveux vers l’arrière, se pencha et lui donna un baiser.

    — Tu veux changer de place ? dit Dulac.

    — Non merci.

    Dulac suivait Zegna vers la porte alors que ce dernier lui indiqua le panneau des toilettes.

    — Vous feriez mieux d’y aller maintenant. On est un peu serré dans le cockpit.

    — Ça va.

    À chaque pas qu’il faisait en direction de l’avion, Dulac sentait son malaise le gagner davantage. Encore plus que le voyage en avion à venir, une question le tracassait. Qu’est-ce qui peut bien pousser Interpol à envoyer un F-16 ? Ça doit être catastrophique.

    — Est-ce qu’il s’est passé quelque chose de terrible dans le monde dernièrement ? demanda-t-il à Zegna.

    — Comme d’habitude, lança-t-il avec un haussement d’épaules indifférent. Deux attentats à la voiture piégée à Bagdad, un en Afghanistan.

    — Et en Italie ?

    — Les conducteurs d’autobus… Toujours et encore les conducteurs d’autobus. Une troisième grève en deux ans.

    Ils atteignirent le F-16 et Zegna aida Dulac à monter l’échelle jusqu’au minuscule siège arrière. Dulac s’y glissa, avant d’essayer de mettre son casque, non sans difficulté.

    — Attendez, laissez-moi vous aider, dit Zegna, alors qu’il ajusta le casque et serra la sangle sous le menton de Dulac.

    — Merci. Et maintenant je fais quoi ?

    — Rien. Ne touchez à rien. Détendez-vous et passez un bon voyage.

    — Ouais, bien sûr. Où allons-nous ?

    — À Rome.

    À la seule pensée du décollage, Dulac ressentit une décharge électrique dans son système nerveux. Zegna effectuait quant à lui sa petite routine dans le cockpit, activant quelques interrupteurs et leviers ici et là. Apparemment satisfait de la situation, il actionna une dernière commande, et l’immense moteur GE s’éveilla aussitôt, son grondement sourd laissant place peu à peu à un sifflement perçant. Zegna relâcha les freins et l’avion à réaction commença à se déplacer vers la piste de décollage.

    Les mains moites, Dulac respirait puis expirait profondément, pendant que le pilote orientait le F-16 le long des lignes blanches de la piste, avant d’attendre le feu vert de la tour de contrôle. Soudainement, le moteur GE laissa échapper un rugissement assourdissant, sa puissante poussée de trente-deux mille livres écrasant Dulac profondément dans son siège. Sa tête se renversa vers l’arrière comme celle d’une poupée de chiffon, la peau de son visage se compressa contre sa mâchoire et son crâne. Des larmes dans ses yeux brouillaient sa vision.

    Le Viper hurla et quitta le sol. Dulac sentit le ciel gris opaque l’envelopper, alors que l’appareil approchait déjà la vitesse du son. Il ressentit un frisson dans le dos, non pas de peur, mais de stupéfaction. Malgré sa phobie, il ne pouvait cacher son émerveillement pour le génie de l’Homme, qui avait créé une arme aussi compacte, efficace et impressionnante.

    Quelques instants plus tard, le Viper traversait les nuages puis filait dans un ciel cobalt d’une tranquillité parfaite. Zegna passa à la vitesse de croisière, et le sifflement furieux du moteur laissa place à un ronronnement monotone.

    — Bellissimo, eh ? demanda Zegna par le micro de son casque.

    — Je suppose, dit Dulac. Quand arrivons-nous à Rome ?

    — Pas de si tôt. Il faut d’abord refaire le plein.

    — Je ne vois pas de station-service.

    — Très drôle. On a encore mieux : elles viennent à nous.

    Dulac regarda autour de lui dans l’étroit cockpit et tenta de dégourdir ses longues jambes, écrasées par les parois de Kevlar de son siège dépourvu de tout rembourrage.

    — On manque d’espace, ici. Les Américains arrivent vraiment à entrer dans ces engins ?

    — Juste les petits minces. C’est-à-dire pas tant que ça.

    Contrairement à tous les Italiens, pensa Dulac.

    Après deux heures et demie de vol, Dulac essayait toujours de déchiffrer la fonction de chacun des leviers, commandes et touches du tableau de bord, lorsque Zegna lui fit signe de regarder vers l’avant.

    Le F-16 ralentit, et la silhouette d’un Boeing 707 apparut au-dessus de la verrière. Dulac aperçut un long appendice qui émergeait du ventre du Boeing.

    — C’est là que les choses se compliquent, dit Zegna dans le micro. Nous avons trois essais.

    — Pourquoi seulement trois ?

    — Parce que nous allons tomber en panne, répondit Zegna.

    — Vous rigolez ?

    — Je suis sérieux.

    — Nous n’avons pas de parachutes ?

    — Nous survolons l’océan Arctique. Il fait -80 degrés Celcius à l’extérieur. Nous serions congelés bien avant de frapper l’eau.

    — Génial. Tout simplement génial, murmura Dulac.

    Zegna alignait le F-16 vers l’entonnoir à l’extrémité du tuyau lorsqu’un soubresaut secoua l’appareil.

    — Une poche d’air, lança Zegna, alors que le nez du F-16 manquait de peu l’appendice du Boeing.

    Dulac retint son souffle, complètement paralysé sur son siège. Espèce de cowboy italien. Il doit conduire un taxi à Rome dans ses temps libres.

    Zegna attendit que le F-16 se stabilise, et tenta une nouvelle approche. Dulac le regardait manipuler le levier de commande et la manette des gaz avec soin, lorsque que le Boeing bifurqua violement vers le côté. L’entonnoir passa juste au-dessus

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