La La chambre des ombres glacées
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Aperçu du livre
La La chambre des ombres glacées - Richard Pierre H.
1ère édition © 2006 • Éditions Pratiko
Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle sans le consentement de l’éditeur est interdite.
Révision linguistique : Chantal Lemay
Maquette de la couverture : Promopub Design & Marketing Inc.
Conversion ePub : Studio C1C4
ISBN : 9782922889710
Diffusion pour le Canada : DLL PRESSE DIFFUSION INC
1650, boul. Lionel-Bertrand Boisbriand (Québec) J7H 1N7
Dépôt légal : 2011 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada
Imprimé au Canada
La chambre des ombres glaçées
Jérémie regarda un instant son père, penché sur une caisse de vieux papiers qu’il examinait un à un à la lueur voilée d’une ampoule sale et nue qui pendait au bout d’un fil.
D’un geste nonchalant, son père envoya au panier une pile de documents.
Pour Jérémie, le temps paraissait long. Depuis le début de la matinée, ils n’avaient fait que cela : entasser de vieilles choses dans des sacs de poubelle qu’il faudrait ensuite aller mettre au chemin pour que les vidangeurs les ramassent.
Il frissonna un peu… La cave était humide et comme son père faisait la sélection, Jérémie n’avait qu’à tenir le sac. Regardant autour de lui, il constata avec une certaine satisfaction que le travail avançait. Déjà, une quinzaine de sacs s’entassaient près de la porte de la cave. Après, il faudrait probablement sortir les vieux meubles et les vieux outils. Jamais il n’avait pensé que son grand-père avait pu accumuler autant de choses. Surtout que bien peu de ces objets étaient récupérables. Il y avait des caisses de papier et de vieux livres, des commodes pleines de vieux lainages, des montagnes de magazines qui avaient été publiés bien avant qu’il naisse, des morceaux de vitre, des outils, etc.
Après l’enterrement du grand-père de Jérémie, ses parents s’étaient rendus chez le notaire et, en revenant à la maison, ils avaient fait une petite valise en lui disant que toute la famille s’installait chez grand-papa pour quelques jours, le temps de faire un peu de nettoyage avant de mettre la maison en vente.
Lors de la cérémonie, Jérémie avait pleuré. Des petites larmes comme il en avait quand il était enfant. À quatorze ans, il était arrivé au cimetière avec l’intention ferme de ne pas pleurer mais il n’avait pu s’en empêcher. Il n’avait pas été gêné, surtout après avoir constaté que son père et son oncle André avaient les yeux pleins d’eau. Quand la tombe avait été descendue dans la fosse, il avait eu un pincement au cœur. Il avait alors réalisé que cette fois, c’était vrai, il ne reverrait plus son grand-père… Finies les deux semaines d’été où il venait sur la ferme et s’amusait comme un fou dans la grange, même s’il n’y avait plus d’animaux.
Jérémie reporta son attention sur les gestes que posait son père. Celui-ci, très grand (il mesurait un mètre quatre-vingt-trois), devait travailler en petit bonhomme. Ça amusait Jérémie. Ainsi, il était plus grand que son père et il pouvait même lui voir le dessus de la tête, avec ses cheveux gris pâle très courts.
— Tiens, qu’est-ce que c’est ?
Monsieur Godbout se déplia et, une fois debout, il porta la main à son dos en tentant de se pencher vers l’arrière. Il tenait à la main une curieuse enveloppe de carton rouge où apparaissait l’inscription « Gardez fermée ».
Sans se préoccuper de cet ordre, son père la décacheta pour en sortir une pile d’images en noir et blanc, des dessins très étranges, comme des scènes de supplice. Il y avait des femmes chauves aux membres mutilés, des espèces de dragons noirs et effrayants qui avaient l’air furieux. Son père regarda rapidement les images, les glissa dans leur enveloppe et lança celle-ci dans le sac de déchets.
— Hé ! Une minute, protesta Jérémie, j’aimerais bien les voir…
— Tu peux les garder, si tu veux, lui répondit son père en souriant.
Monsieur Godbout se retourna et reprit son travail.
Délicatement, Jérémie sortit l’enveloppe rouge du sac de déchets.
— Tu as encore besoin de moi ?
Il avait posé la question mais il était déjà décidé à aller examiner ces images là-haut, à la lumière. Malgré cela, il fut content que son père lui permette de quitter la cave.
Quand il arriva à la cuisine, sa mère finissait de nettoyer le comptoir. Elle était toute petite et devait s’étirer et se hisser sur la pointe des pieds pour nettoyer l’angle du comptoir, juste derrière l’évier. Jérémie avait hérité de sa mère sa petite taille. À quatorze ans, presque toutes les filles de l’école le dépassaient et il était le sujet de plusieurs moqueries. Sa petite taille lui avait également nui quand il avait voulu jouer au hockey, de sorte qu’il s’était rabattu sur des sports individuels, comme le ski et le karaté, qu’il adorait.
Sa mère se tourna vers lui, souriante.
— Voilà, c’est presque fini… On va pouvoir rentrer chez nous.
Jérémie fit la moue.
— Je ne suis pas sûr, répondit-il, il reste pas mal de travail à la cave… Il y a encore plein de vieux meubles à sortir…
— Non, ça ne sera pas nécessaire… J’ai appelé un antiquaire et je lui ai offert de vider la cave. Il a accepté de le faire et il nous donne deux cents dollars pour tout ce qui s’y trouve. Il doit venir demain… Je reviendrai l’attendre… Qu’est-ce que tu as là ?
Elle désignait l’enveloppe.
— Un truc que papa allait jeter… Des affiches ou des images heavy metal… Pas mal spéciales… Mais je ne les voyais pas bien dans la cave.
Il décacheta l’enveloppe et étala les images devant lui. Il y en avait une dizaine, de différents formats.
Sa mère se pencha sur la table et y jeta un coup d’œil.
— Beurk ! Elles ne sont pas jolies tes images… Mais tu les regarderas ce soir à la maison… On va prendre une bouchée et on finira le travail après… J’ai hâte d’être chez nous.
D’un geste rapide, elle attrapa les images et les glissa de nouveau dans l’enveloppe, qu’elle déposa sur le frigo.
— Va aider ton père pendant que je prépare les sandwichs.
Jérémie retourna à la cave.
1
L’enveloppe était restée sur son bureau toute la semaine, Jérémie étant trop préoccupé par ses examens.
Le samedi soir, après avoir passé la journée à une compétition de karaté, il s’était enfermé dans sa chambre avec Michel Petit, un ami avec qui il pratiquait son sport favori. Les deux garçons, assis sur le lit, écoutaient de la musique heavy metal en discutant.
— Tu as vu Claude Lamarre, comment il parvient à faucher les jambes de ses adversaires ? Incroyable ! Il n’y en a pas un qui réussit à rester debout…
Michel s’emballait facilement. Grand, mince, il était très rapide et représentait un adversaire redoutable au karaté. Cependant, il était impatient et tentait constamment d’imiter Claude Lamarre, un des membres de l’équipe nationale. Évidemment, comme il utilisait des coups qu’il n’avait pas encore appris et qu’il contrôlait mal, il se retrouvait souvent dans l’embarras. Michel adorait particulièrement les coups de pied hauts, lancés en direction du visage. Pour Jérémie, cette technique était particulièrement intéressante. Étant petit, il parvenait chaque fois à esquiver les coups de son ami de sorte que celui-ci, déséquilibré de ne pas avoir rencontré d’obstacles, lui cédait fréquemment des points lors des compétitions. Mais malgré ces batailles bien sportives, ils demeuraient les meilleurs amis du monde.
La porte de la chambre s’ouvrit. La tête de Claude Godbout, le père de Jérémie, apparut dans l’encadrement. Souriant, il pointa du doigt les haut-parleurs qui hurlaient. Jérémie, d’un signe de tête, lui indiqua qu’il avait compris.
— Chez nous aussi, c’est la même chose, grogna Michel en regardant Jérémie baisser le son.
Jérémie haussa les épaules.
— Quand ce n’est pas assez fort à mon goût, je mets le casque d’écoute… Comme ça, tout le monde est satisfait…
L’enveloppe rouge était juste sous la chaîne stéréo. Il la prit et la montra à Michel.
— Je ne t’ai pas dit ce qu’on a trouvé dans la cave de mon grand-père, en faisant le ménage… Regarde ça, les images sont complètement pétées.
Jérémie lança le carton rouge, que Michel attrapa au vol.
— Chez ton grand-père… Ça ne doit pas être si pété que ça…
Il étala les gravures devant lui. Il y en avait une dizaine en tout. Michel laissa échapper un sifflement d’admiration.
— Ayoye ! Qu’est-ce qu’il avait pris, le gars qui a dessiné ça ? As-tu vu les tortures qu’il y a làdessus ? Et puis, c’est quoi, toutes ces machines, là, après lesquelles les corps sont attachés ?
Jérémie se pencha sur son épaule.
— Je ne sais pas… C’est très bizarre, on dirait que ce sont des scènes cosmiques de l’ancien temps… Tous les personnages ont l’air très vieux et ont l’air de souffrir beaucoup. Je n’ai pas eu le temps de demander à mon père ce que c’est… Ça serait peut-être le moment. Peut-être qu’il peut nous dire d’où viennent les gravures… Puis, tu as vu, la signature, on dirait que les lettres sont dessinées à l’envers. Viens, on va aller le voir.
Ils descendirent tous les deux au rez-dechaussée où monsieur Godbout remplaçait des fils dans un ordinateur. Quand il les vit arriver, il déposa son tournevis électrique.
— Papa, qu’est-ce que c’est que ces gravures ?
Jérémie lui tendait les petites images. Monsieur Godbout s’empara de la petite pile et examina rapidement les images une à une.
— C’est bizarre, finit-il enfin par dire… Où avez-vous pris ces gravures ?
— Tu te souviens, c’est quand on faisait le ménage dans la cave, chez grand-papa ? Tu voulais les jeter et tu me les as finalement données… Tu sais ce que c’est ?
— C’est justement ce qui m’intrigue… Ça ne me dit rien du tout… On dirait qu’il s’agit de scènes stylisées de l’Inquisition…
Michel regarda Jérémie, se demandant si celui-ci savait à quoi son père faisait allusion. Le coup d’œil que lui rendit Jérémie indiquait clairement son ignorance.
— Qu’est-ce que c’est l’Inquisition, monsieur Godbout ?
— L’Inquisition a été une période très troublée de l’histoire de la religion catholique… Probablement la période la plus malsaine de cette Église. Les papes avaient ordonné à certains moines de faire enquête dans les populations européennes afin de trouver ceux qui répandaient des idées contraires à la foi de l’Église catholique…
— Mais qu’est-ce que ça a à voir avec ces images, alors ?
Monsieur Godbout releva la tête, un petit sourire amusé aux lèvres.
— Bien, disons que certains moines et certains prêtres avaient des méthodes redoutables pour faire avouer les hérétiques ou, si vous préférez, faire avouer ceux qui ne se conformaient pas à la doctrine catholique. En fait, les prêtres ont, pendant cette période, torturé plusieurs personnes… Ils en ont aussi condamné beaucoup à être brûlés vifs mais surtout, ils ont jeté en prison un nombre impressionnant d’individus…
Les garçons avaient l’air sceptique.
Monsieur Godbout, constatant que son histoire était mise en doute, rajouta : « Évidemment, ça se passait il y a bien longtemps… »
— À l’époque de grand-père ? demanda Jérémie.
Son père éclata de rire…
— Non, bien avant cela… En fait, l’Inquisition a pris fin à peu près au moment où les Européens découvraient l’Amérique…
— Papa, tu as vu la signature ? On dirait que le type écrivait à l’envers.
Son père rapprocha une des images de son visage pour examiner attentivement les lettres qui apparaissaient dans le coin droit, au bas des gravures…
— Tiens, dit-il, c’est un artiste russe ou ukrainien qui a fait ça… Voyons si je me rappelle de mon grec ancien… Les alphabets russe et grec sont très semblables.
Lettre après lettre, monsieur Godbout finit par arriver à la fin de la courte écriture.
— C’est écrit « Polchak, Lviv, 82 ».
— Qu’est-ce que ça veut dire ? lança Michel. Monsieur Godbout hocha la tête, l’air songeur.
— Polchak, répondit-il enfin, ça ne me dit rien… Par contre, Lviv, ça me rappelle quelque chose… Attendez une seconde.
Monsieur Godbout s’éloigna rapidement pour revenir quelques secondes plus tard avec un des livres du dictionnaire encyclopédique qu’il entreprit de fouiller. Peu importe que l’ordinateur ait été ou non en panne, il se servait toujours de ces gros bouquins. Il tournait rapidement les pages. Enfin, il s’arrêta sur une colonne et son doigt se mit à descendre rapidement le long des lignes.
— Voilà… C’est une ville d’Ukraine… Que les Russes, les Polonais et les Ukrainiens se sont disputé au cours des siècles… Autrefois, on prononçait « Lviv » au lieu de « Lvov », comme on