Deux ans au Mexique avec ma famille
Par Brown Robert
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Avis sur Deux ans au Mexique avec ma famille
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Aperçu du livre
Deux ans au Mexique avec ma famille - Brown Robert
Prologue
D epuis que nous nous étions rencontrés, voilà déjà quinze ans maintenant, Diane et moi discutions de notre intérêt à vivre quelque temps à l’étranger. Et plus nous en causions, plus nous en rêvions. Bien que j’aie toujours aimé voyager, je n’ai jamais habité une ville suffisamment longtemps pour connaître autre chose que ses temples, ses volcans et les images que le bureau du tourisme voulait bien me faire découvrir à travers sa série de cartes postales. Vivre à l’étranger était l’un de mes rêves. Vivre la vie au-delà de la Belle Province. Pas le restaurant, bien entendu !
Ma conjointe occupait un poste au sein d’une fondation de recherche sur les services de santé, laquelle n’avait toutefois pas de volet international qui lui aurait permis de travailler à l’étranger. Pendant un certain temps, ignorant si nous jonglions avec un rêve ou une utopie, nous nous sommes paresseusement fiés au destin. Malheureusement, il ne nous a jamais fait signe ; à moins qu’il eût souhaité que nous nous prenions en main. À trop tabler sur notre destin, on court le risque de rester sur notre faim.
Dans le cadre de son travail, Diane avait rencontré un directeur de l’Institut national de santé publique du Mexique (INSP), lequel s’était montré fort intéressé par l’expertise qu’elle avait à offrir. Cependant, même avec la meilleure volonté du monde, le salaire qu’il pouvait lui verser ne nous aurait pas permis de joindre les deux bouts : l’achat des billets d’avion, les assurances, l’entreposage des meubles au Québec ainsi que tous les coûts afférents nous auraient presque ruinés. Il était alors devenu évident, si nous voulions mener à terme notre projet, que nous avions besoin de trouver un organisme subventionnaire.
Eh bien, à partir du moment où nous avons décidé d’adopter une démarche proactive, dix-huit mois se sont écoulés avant de monter à bord de l’avion. À l’image des montagnes russes, nous avons vécu cinq cent quarante jours remplis de hauts et de bas, où la mauvaise nouvelle succédait toujours à la bonne, mis à part la dernière…
Ainsi, un jour, alors que nous avions le moral en berne et songions sérieusement à réévaluer notre stratégie, Diane apprenait que le Centre de recherche pour le développement international (CRDI) se montrait favorable à son projet-pilote. Déterminée alors comme jamais, le moral d’un coup gonflé comme la voile du bateau en plein ouragan, elle soumettait son précieux document à la société d’État, avant de signer, deux semaines plus tard, son premier contrat à titre de travailleuse autonome ! Nous allions donc vivre, avec notre grande fille Évelyne et notre petit bonhomme Manuel, âgés respectivement de cinq ans et de trois ans et demi, les deux prochaines années au Mexique !
Les seuls rêves que nous conservons jusqu’à la mort
seront ceux que nous n’aurons pas réalisés.
Tout débute à l’aéroport
On peut plier bagage, mais pas les valises
En plus d’un bagage à main, nous avons tous droit, nos deux enfants compris, à deux valises de vingt-trois kilogrammes. Un autre bagage très lourd à porter, qu’un bon psychologue prendrait plus de plaisir à fouiller qu’un agent des douanes zélé, est mon bagage héréditaire. En effet, j’angoisse toujours à l’idée de me faire avoir ou de ne pas en avoir pour mon argent. Ainsi, pour profiter du poids maximal autorisé par la compagnie aérienne, Diane et moi sommes ensevelis sous deux cents kilogrammes de nos effets personnels, et circulons dans l’aérogare le dos tellement courbé que nous nous demandons si nous ne ferions pas mieux de ramper. À une occasion, j’ai même cherché mon amoureuse pendant cinq bonnes minutes, avant de la deviner sous un tas de bagages suspect qui se déplaçait tout seul…
Durant ces deux longues heures d’attente, mon petit garçon a quand même réussi à m’arracher un léger sourire. Alors que j’attendais tranquillement en file pour commander le déjeuner, avec un plateau dans une main et cent kilogrammes de valises dans l’autre, j’entends Manuel me crier dans les oreilles : « Papa, tu me prends dans tes bras, s’il te plaît ? »
« Papa, on joue à un jeu ? Je te suis partout où tu vas.
— Manuel, t’es pas tanné ? Ça fait trois ans et demi que tu joues à ce jeu… »
Je préfère un bonheur avec nuages
Les parents ont toujours le geste fébrile au cours de ces précieuses journées où ils assistent en direct à l’une des premières de leur enfant. Ainsi, la seule idée de prendre l’avion avec les miens m’avait déjà fait monter au septième ciel. Certes, j’attendais avec impatience le décollage, mais j’étais encore plus impatient de voir apparaître dans le regard de mes tout-petits, l’émerveillement qu’allait susciter le spectacle grandeur nature des nuages.
Je me rappelle les jours de mon enfance où je contemplais avec admiration les nuages qui peuplaient les multiples ciels de mes mondes fantasmagoriques. Entraîné à l’aventure par ces visiteurs de passage, je me mettais à rêver, en faisant bien sûr attention de ne jamais perdre mon esprit afin d’empêcher le vol de mon identité… Je choisissais le plus vagabond, le pas trop pressé, celui un peu perdu ou le plus gêné. Il devenait ce que mon imagination effervescente avait décidé ce jour-là. Au fil des ans, aussi bien à travers les ciels rouges timides que les noirs enragés, les guerriers venus d’une autre planète ont fini par remplacer les gentils animaux de fermes. Cela dit, qu’importe leur apparence, je les traitais toujours comme des amis intimes, leur contais ma courte vie et un peu mes soucis. Ce n’était jamais banal, mais avoir un nuage comme compagnon de jeu, comment pouvait-il en être autrement ?
Eh bien, pour Évelyne et Manuel, les nuages ne se transformeront jamais en lieux secrets où se réunissent les lutins ; non plus en lits de ouate ; encore moins en des Martiens venus conquérir le monde. En fait, ils ne seront plus désormais que d’ordinaire amas de vapeur d’eau. Monotone. En plus d’avoir refroidi une partie de leur imagination, ce trajet en trop haute altitude a également fait disparaître la magie avant même qu’elle ne se manifeste. On devrait interdire les vols d’avion aux moins de dix ans ; en revanche, le fait d’avoir fait leur connaissance aussi tôt dans leur vie leur évitera peut-être de les pelleter à l’avenir...
Nous façonnons aujourd’hui les souvenirs
de notre nostalgie de demain.
Le paradis à 4000 kilomètres
du Québec
On s’installe, on déballe et on s’emballe
N ous atterrissons à l’aéroport de Mexico le 6 septembre 2007 et nous prenons aussitôt la route vers la ville de Cuernavaca, où nous louons une chambre dans une petite auberge. Le coût très élevé que nous devons débourser nous empêche toutefois de dormir paisiblement. De plus, la propriétaire, de nationalité canadienne, aussi pimbêche et coincée que terrifiante dans ses bonnes manières, nous fait regretter l’anonymat des grands hôtels, redoublant ainsi notre empressement à emménager dans le logement offert à bon prix par l’INSP¹.
Avec un logement situé à deux pas de l’Institut, Diane ne pourra prétexter des excuses d’embouteillage advenant une entrée tardive au bureau. Autre fait à noter, mis à part le four à gaz, il n’est pas meublé. Les premiers jours de notre arrivée se résument donc à une course folle pour acheter les meubles « indispensables » qui nous permettront de l’habiter. Bien entendu, nous devons d’abord définir quels sont ces biens « indispensables ». Ainsi, après réflexion, nous en trouvons trois : un réfrigérateur, une table de cuisine et des lits avec sommiers. Pour le moment, nous écartons l’idée de matelas posés directement au sol, car, avec ou sans raison, nous redoutons les… scorpions. Maintenant que nous avons déterminé l’essentiel, je me demande bien à quoi sert le reste…
La décoration d’une maison
ne meublerajamais notre vie intérieure.
Il ne faut pas faire trop de vagues si on ne veut pas se noyer
Bien que son employeur connaisse depuis belle lurette la date de son arrivée, Diane n’a pas d’ordinateur à sa première journée au bureau… ni au cours des deux semaines subséquentes. Tous les jours, on lui répond « ahorita ». Nous avons deux années pour nous accoutumer à ce mot de sept lettres qui signifie tout de suite, mais que le Mexicain confond souvent avec quand j’aurai le temps...
Et pendant que mon amoureuse apprend à conjuguer en espagnol sa patience à tous les temps, je me perds dans les rues de Cuernavaca à la recherche de chaises, de tables d’appoint et de canapés qui seront inévitablement transformés en trampoline et en planche à dessin par nos enfants à l’esprit parfois trop imaginatif. Nous achetons tout l’ameublement en bois rustique dans plusieurs petits magasins indépendants, lesquels sont surtout fréquentés par les villageois.
Nous privilégions l’achat local chez différents entrepreneurs pour stimuler l’économie du coin, contribuer à la bonne santé de nos écosystèmes et, soyons honnêtes, parce que c’est moins cher. Franchement, ma préoccupation pour l’environnement est assez récente : il n’y a pas si longtemps encore, ma seule revendication écologique était de me déclarer le père biologique de mes enfants…
Aujourd’hui, la science nous dit de parler aux plantes ;
demain, elle nous annoncera peut-être
qu’il eût fallu les écouter.
Ô pays, dépayse-moi !
Bien que j’ignore pour l’instant si j’aime vraiment conduire l’automobile au Mexique, je suis loin de trouver l’expérience ennuyeuse ; les imprévus garantis à tout moment de la journée obligent le conducteur à demeurer alerte à tout instant, en particulier s’il veut éviter que sa voiture, avec sa famille emprisonnée à l’intérieur, ne se transforme en une boîte de conserve de tomates broyées.
Si les ronds-points constituent une opération risquée de jour, et le sang chaud des Mexicains les rend carrément suicidaires aux heures achalandées. D’ailleurs, savoir bien conduire au Mexique se résume souvent à savoir bien éviter. En ce qui concerne les nombreuses rues étroites, et plutôt dangereuses, elles ont au moins le mérite de m’apprendre à évaluer avec une précision chirurgicale les dimensions de mon automobile. Du reste, on remarque peu de coudes qui dépassent à l’extérieur des véhicules ; en tout cas, nous gardons les nôtres bien à l’intérieur.
Doutant peut-être de l’aptitude des Mexicains à respecter les panneaux de limite de vitesse, le gouvernement multiplie les ralentisseurs dans les villes et villages du Mexique. Cette méthode, qui semble assez efficace, terrorise cependant les conducteurs distraits comme nous, qui craignent sans arrêt qu’un clignement d’yeux fasse disparaître l’espace vital qui existe entre leurs petites têtes fragiles et le plafond de la voiture...
Davantage pour ralentir la circulation que par besoin de sécurité, nous soupçonnons que certains villageois construisent eux-mêmes ces casse-suspensions afin de nous vendre avec plus de facilité des fruits frais, des ballons gonflables et de l’artisanat. Nous nous ennuierons d’un tas de trucs à notre retour au Canada, par contre je doute que les dos d’âne suscitent chez nous une quelconque nostalgie. En attendant, nous rongeons nos freins et jurons chaque fois où nous les ressentons avant de les voir. La suspension de la voiture souffre autant que l’humeur des passagers...
Qu’importe ce que la vie veut te faire voir,
il ne faut jamais la suivre les yeux fermés...
Objectifs un, deux, trois et quatre
Pour ce séjour au Mexique, je me suis assigné quatre objectifs personnels :
Maîtriser l’espagnol. Je serai satisfait si je comprends 90 % de ce que je lis, saisis le sens de ce que les autres me disent à 80 % et parviens à exprimer 70 % de ma pensée. Connaissant la rapidité d’apprentissage des enfants, nous espérons qu’ils reviennent au Québec avec une maîtrise de l’espagnol plus ou moins équivalente à leur langue maternelle.
Me mettre en bonne forme physique. Mon rêve de courir le marathon s’est endormi aussitôt après l’avoir couché sur papier, il y a de cela plus de vingt ans. Quarante-deux ans cette année, quarante-deux kilomètres au marathon, qui sait s’il n’y a pas un signe ? Le temps est peut-être venu de réveiller mon rêve...
Écrire un livre. Avant mon départ de Gatineau, je me suis inscrit à un cours d’écriture par correspondance. Écrire un livre est aussi l’un de mes rêves, néanmoins le publier est une autre histoire...
Cesser de fumer… pour la dernière fois. J’ai tété langoureusement ma dernière cigarette le 6 septembre 2007, le jour même où nous avons quitté le Québec pour le Mexique. J’ai toujours trouvé facile d’arrêter de fumer, maintenant j’aimerais bien ne pas recommencer...
La vie m’aide à décider
ce que je ferai de mon temps ;
la mort est là pour que je ne le perde pas.
Guadalupe ² n’est pas uniquement la sainte la plus adorée des Mexicains
Nous venons d’embaucher une femme de ménage du nom de Guadalupe, qui nous a assuré de garder notre logement d’une propreté immaculée. Je prévois profiter de ses visites hebdomadaires afin qu’elle m’enseigne quelques recettes mexicaines, autres que les banals nachos, tacos et enchiladas. J’espère l’accompagner aussi au marché afin de connaître les prix réels des aliments, de même que les us et coutumes dans les transactions avec les commerçants : les marchands de fruits et légumes y penseront deux fois avant de tenter de me presser comme un citron...
Diane et le désordre ne font pas bon ménage
Diane ne se lasse jamais de me répéter trois choses auxquelles elle tient beaucoup. Par manque d’originalité, et par paresse intellectuelle, je les nomme « les trois tu devrais » : Tu devrais arrêter de fumer ; tu devrais faire de l’exercice ; tu devrais te ramasser.
Si jamais les deux premiers se réalisent au cours de ce séjour, nul doute que ma santé physique s’améliorera. Mais alors, qu’adviendra-t-il de la santé morale de notre couple ? En effet, avec moins de reproches à m’adresser à sa disposition, je crains de frustrer mon amoureuse. Je m’inquiète aussi du surplus de temps qu’elle aura à sa disposition. Certes, elle pourrait transférer ses reproches au thème du désordre, mais ce gain de temps, trop important à mon avis, pose le risque qu’elle finisse par s’ennuyer. Par ailleurs, une fois mes derniers défauts éliminés, quelles seront les conséquences sur son estime de soi ? J’ai aussi peur qu’elle ne s’imagine un jour que j’ai suivi ses conseils uniquement pour la faire enrager…
Bien qu’à l’occasion je trouve ma tendre moitié, qui aimerait parfois être mes trois quarts, trop persévérante, il faut avouer que c’est grâce à cet acharnement qu’elle a obtenu son diplôme de doctorat. Évidemment, cette détermination se reflète partout : malgré le fait que nous vivions ensemble depuis presque douze ans maintenant, elle n’a jamais cessé de me répéter, et ce, depuis les tout premiers débuts : « Bob, quand commenceras-tu à te ramasser ? »
À cette interrogation, je garde toujours le silence. Le temps m’a effectivement appris à distinguer les questions qui exigent une réponse de celles qui me demandent plus… d’amour.
Soit dit en passant, nous n’avons pas encore réglé lequel de nos points de vue balaie le mieux la position de l’autre. Grosso modo, je résume notre débat à une notion de géométrie : alors que je range mes affaires horizontalement, mon amoureuse choisit de les ranger verticalement, c’est-à-dire que j’étends mes choses un peu partout dans le logement, tandis que Diane les plie pour les empiler ensuite dans des tiroirs et des garde-robes. Nous ne réussirons jamais à nous entendre. « À moins que je ne vieillisse », écrirait Diane… si elle était l’auteure de ce paragraphe.
Il est vrai que notre lune n’a pas toujours été de miel.
Toutefois, nous ne nous l’étions jamais promise et,
bien que nous ne l’ayons jamais demandée,
et aussi lourde qu’elle puisse paraître,
nous l’avons décrochée à plusieurs reprises
au cours de nos treize années vécues ensemble.
Esprit de routine
Vers les 6 heures, juste avant que l’astre du jour ne sorte ses pinceaux et peigne à coups de rayons orangés le ciel endormi, mon esprit plane quelques minutes au-dessus des contours flous de ma pensée, qui