Explorez plus de 1,5 million de livres audio et livres électroniques gratuitement pendant  jours.

À partir de $11.99/mois après l'essai. Annulez à tout moment.

Aube 2.0
Aube 2.0
Aube 2.0
Livre électronique608 pages7 heures

Aube 2.0

Par A. T.

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Le deuxième livre se poursuit sur Ir’ Dan : les enfants des trois couples viennent au monde. Un virus va leur attribuer d’étranges facultés...

LangueFrançais
ÉditeurA. T.
Date de sortie27 nov. 2024
ISBN9798223504405
Aube 2.0
Auteur

A. T.

A.T.Alain Tourpin was born on May 25, 1960, in Saint-Brieuc, France.After passing his scientific baccalaureate, he went on to study science at the University of Rennes.He works in business, retail, and then education.In 2010, he ventured into the world of writing beginning the saga "L’Âge des Anges."The seven-volume saga is self-published.The saga is rewritten and becomes "XXIV".

En savoir plus sur A. T.

Auteurs associés

Lié à Aube 2.0

Livres électroniques liés

Science-fiction pour vous

Voir plus

Catégories liées

Avis sur Aube 2.0

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Aube 2.0 - A. T.

    2.0.0

    Yves

    4 juin 2389

    Demain, cela fera cent jours que Tchéa nous a quittés. Cent jours sans nouvelles, sans trace, sans explication… Une absence qui, peu à peu, se mue en un vide étrange, s’insinuant dans les coins sombres de la base, telle une ombre persistante qui refuse de s’éclipser.

    Sous la direction de Mathias, nous avons réorganisé notre espace. La serre sud-ouest a été réduite des deux tiers pour permettre l’implantation d’une seconde serre, au sud-est, et de couvrir entièrement la partie sud de la base, jusqu’à la limite de la surface vitrifiée.

    Les deux espaces libres, entre la terrasse couverte et les serres, ont été réaménagés en appartements. Éria et Mathias ont pris possession de l’appartement sud-est, tandis que Perthie et moi avons pris celui du sud-ouest. Anna et Lewis, eux, ont hérité de nos anciens modules nuit, entièrement transformés pour devenir des espaces à la fois fonctionnels et réconfortants.

    Tout a été pensé, calculé, optimisé. Malgré ses limites, le bois récupéré en forêt s’est imposé comme un allié précieux. Chaque poutre, chaque planche reflète notre quête d’une amélioration de notre quotidien, d’un pas vers un meilleur confort.

    Nous avons écouté les conseils de Lepte, l’Éthaïre : « Profitez pleinement de ce que chaque jour vous apporte, de ces instants fugaces qui rendent la vie précieuse. Réfléchissez aux projets qui nourrissent votre cœur, qui donnent un sens à votre existence. Prenez votre temps, laissez-vous grandir. Soyez heureux », disait-elle.

    Alors, nous avons pris ces mots à cœur. Et une attitude zen s’est peu à peu imposée, tel un rempart face à l’imprévisible et aux échos tumultueux du passé. Entre maraîchage, construction et moments de récréation, nous aspirons à insuffler à nos journées du sens, ainsi qu’une douce légèreté.

    Anna s’est remise au piano. Un piano fait maison, que lui a fabriqué Éria. Nous vivons donc, à une distance respectueuse, ses notes hésitantes, ses doigts qui butent sur les accords, sans jamais s’arrêter. C’est presque une forme de silence, ce piano. Un silence de notes suspendues, qui nous rappelle que nous ne sommes pas seuls dans ce labyrinthe de verre et de métal.

    Lewis, comme à son habitude, est plongé dans ses réflexions. Il peaufine le plan de son roman policier avec une intensité qui frôle l’obsession. Il nous promet un scénario alambiqué à souhait, un enchevêtrement de mystères et de faux-semblants, mais le regard dans ses yeux trahit une concentration bien plus profonde que celle d’un simple écrivain en quête de sa prochaine intrigue.

    De son côté, Éria a aménagé un atelier de peinture, un espace où les couleurs prennent vie sous ses pinceaux, éclatant comme un hommage à la lumière éclatante du désert. Perthie et moi, de concert, avons mis nos compétences à profit pour créer des colorants et des pigments. Dans cette tâche simple, nous avons redécouvert un plaisir primitif, un retour aux sources, comme si la terre elle-même partageait un fragment de ses secrets.

    Mathias n’est pas du genre à céder à l’inertie. Il s’est donc plongé dans l’ébénisterie, laissant libre cours à son imagination foisonnante pour créer des meubles aux formes aussi audacieuses qu’improbables. Chaque pièce qu’il façonne s’impose comme une ode à la liberté créative et un défi lancé à la banalité.

    Perthie, guidée par la passion inébranlable pour son métier, poursuivait sans relâche l’inventaire exobiologique d’Ir' Dan, un projet qui lui apportait une certaine sérénité malgré les doutes et la fatigue. Toutefois, en raison d’une hypertension apparue début mai, elle a dû ralentir son rythme et se voit désormais contrainte à demeurer allongée le plus longtemps possible.

    Quant à moi… Si je suis honnête, je me laisse porter par l’instant. J’ai l’intention, dans un futur plus ou moins proche, de reprendre l’exploration d’Ir’ Dan. Les prospections géologiques m’attendent, de même que ces sites d’exception que j’aimerais immortaliser en tridimensionnel. Mais, pour l’instant, tout cela me semble si lointain. Je préfère savourer la tranquillité, cette paix relative qui enveloppe mon esprit et mon corps. Pourtant, je sais qu’il ne faut pas se laisser tromper : tout cela ne durera pas. Nos vies basculeront, et nous serons emportés dans un tourbillon d’événements bien plus grands que nous…

    Les trois grossesses arrivent à leur terme. Les heureux événements, comme on dit, sont imminents. Pourtant, l’angoisse commence à pointer le bout de son nez. Bien que Perthie ait pris plus de dix kilos, notre bébé a à peine pris du poids au cours du dernier mois. Les inquiétudes s’accumulent, mais Lewis, toujours prêt à intervenir, reste serein. Les trois bébés se sont retournés, et tout devrait se dérouler sans encombre. Pas de césarienne prévue, du moins c’est ce que nous espérons.

    Cet après-midi, je suis resté allongé près de Perthie, à l’ombre fraîche de la terrasse. Sa respiration est régulière, mais je perçois cette tension imperceptible, comme un écho au fond de ses yeux. Elle est pressée, trop pressée d’accoucher. Nous sommes prêts, ou du moins le croyons-nous. Mais cette sensation sourde de l’imprévisible, qui gronde sans bruit, demeure suspendue dans l’air. Et, au fond de moi, je sais que rien ne se déroulera comme prévu…

    *

    Perthie perdit les eaux ce soir-là, et tout sembla s’accélérer, comme si l’univers avait décidé que l’heure tant attendue était enfin venue…

    Ève devint ainsi le premier bébé humain à naître sur Ir’ Dan, à 4 h 50 du matin, ce 5 juin 2389. 54 cm pour 2 kg 970. Aussi chauve que Lepte, elle me faisait penser à une créature venue d’un autre monde…

    Ses cheveux roux ne firent leur apparition qu’au sixième mois, mais, dès son premier souffle, je devinai en elle quelque chose d’exceptionnel.

    Son premier cri ? Un hurlement puissant, un véritable cri de guerre ! Rien à voir avec ces vagissements timides qui émeuvent les cœurs. Non, ce cri était une proclamation ! Je revois encore Lewis la déposer délicatement sur le ventre de sa maman… Ève, toute violette de rage, se redressa sur ses bras, ses genoux appuyés sur la peau chaude de Perthie. Elle réussit à se mettre à quatre pattes, telle une petite furie prête à conquérir l’univers ! Puis, elle a tendu le cou et tourné lentement la tête, comme une créature énigmatique scrutant ses proies…

    Ses yeux scintillants nous ont dévisagés, un à un, avec un éclat plus qu’intimidant.

    J’exagère, sans doute… certainement même, mais c’est bien cette impression qui m’a traversé à cet instant : un mélange de stupéfaction et d’une belle pointe d’inquiétude. Cette petite fille, déjà, n’était pas comme les autres. Une petite âme pleine de caractère, et, si je ne m’abuse, d’un goût prononcé pour la provocation…

    Je me souviens de la moue étonnée d’Anna, qui observait la scène avec fascination.

    « Mademoiselle a du caractère ! Je crois bien que vous n’en avez pas fini avec elle ! » Ces mots, pleins de malice, me reviennent à l’esprit chaque fois que je vois Ève, déjà si déterminée, si implacable. Anna ne pouvait pas mieux dire…

    Et le surlendemain, le 7 juin, à 17 h 15, ce fut au tour d’Anna de donner naissance… à un garçon. Après Ève, comment ne pas l’appeler Adam ? Ce petit bout d’homme, 3 kg 480 pour 52 cm, semblait être la parfaite antithèse d’Ève.

    Un petit pépère tranquille, qui poussa à peine un léger cri, comme s’il voulait déjà nous murmurer : « Foutez-moi la paix, laissez-moi tranquille… » Un cri presque comme un soupir, un rejet du tumulte environnant.

    Adam avait la peau mate de ses parents, des cheveux noirs comme la nuit et des yeux en amande, où se mêlaient, dès le premier regard, indépendance et sagesse. Un petit garçon serein, déjà détaché des tourments du monde, à la manière d’un sage en attente de son heure. Le contraste parfait avec Ève, sa colère et sa rage.

    Dans la série Accouchements et Naissances, Éria clôtura cette première saison en mettant au monde, le 10 juin à 11 h 20, un garçon de 3 kg 250 pour 51 cm. Ses parents le prénommèrent Mel. Un bébé métis aux cheveux noirs, aux traits fins, à la peau dorée, cara… mel, et aux yeux bruns. Un petit être déjà plein de douceur, presque fragile dans sa quiétude.

    La première année d’Ève fut difficile… enfin, pour ses parents ! Perthie et moi… À douze mois passés, elle ne faisait toujours pas ses nuits, réclamant, à cor et à cri, sa pitance toutes les deux heures ! J’en perdis le sommeil. Perthie l’allaita les trois premiers mois, mais le volume de lait maternel ne suffisait pas à la demoiselle. Alors, je lui donnais du complément lacté, préparé par notre Grand Chef, le surnom affectueux de la machine qui s’occupe de nos repas.

    Elle avalait tout ce qu’elle pouvait, se goinfrait sans mesure, quitte à vomir pour en redemander. Je me disais qu’elle était sans doute marquée par le manque éprouvé pendant le dernier mois de grossesse, une soif insatiable qu’elle semblait vouloir combler à tout prix.

    En revanche, lorsqu’elle dormait, Ève affichait un visage angélique, ses traits fins et harmonieux, apaisés par le sommeil. De temps à autre, elle faisait des grimaces, esquissait de petits airs coquins, et ses sourires aux anges nous rappelaient qu’il y avait bien un être céleste derrière toute cette agitation. Le contraste entre ses comportements était saisissant, presque déroutant.

    Quant à son handicap de poids à la naissance, il fut rapidement comblé. Non seulement elle rattrapa son retard, mais elle finit par dépasser Adam et Mel en quelques mois.

    Nous commençâmes à diversifier l’alimentation des nourrissons en décembre. Pour Ève, cela fut une véritable révélation. Elle se délectait de tout ce que nous lui proposions, quelles que soient les saveurs ! Les aliments acides, amers, piquants ou âpres, lui arrachaient parfois des grimaces, mais elle en redemandait, implacable. C’est le biberon qu’elle rejeta très vite, contrairement à Adam, et Mel, qui restèrent attachés à cet ustensile rassurant, presque comme une extension de leur confort.

    Mel fut le premier à marcher, à l’âge de neuf mois d’Ir’ Dan, soit onze mois terrestres. Adam suivit, marchant trois semaines plus tard. Ève, fidèle à son caractère obstiné, attendit son tour. Ce fut autour de son premier anniversaire, soit à l’âge de treize, quatorze mois terrestres, qu’elle se décida enfin à faire ses premiers pas. Ce fut à peu près à cette époque que le second bébé d’Anna et de Lewis fut conçu.

    Quelques jours plus tard, le 4 juillet, selon Perthie, nous en faisions de même…

    Les trois enfants, en parfaite santé, ne furent pas vaccinés. Perthie s’y opposa fermement, arguant qu’elle avait rêvé, à plusieurs reprises, des conséquences néfastes d’une vaccination. Lepte, très certainement responsable de ces visions, semblait vouloir que les enfants n’échappent pas à la maladie infantile virale qui touche tous les êtres vivants d’Ir’ Dan. Une maladie qui, selon les Wa' Dans, développe une aptitude à la télépathie… Mais quels en seront les effets sur nos enfants ?

    Mystère et boule de gomme…

    Et la vie se poursuivit, comme un long fleuve… Pas toujours tranquille, certes, mais les aléas se limitaient à ces petits tracas quotidiens, aussi banals que les cris et les rires d’enfants en pleine exploration du monde.

    *

    24 décembre, 13 h 12

    Sarah, l’IA de notre vaisseau, Alpha Cent, vient tout juste de nous alerter. Elle a repéré quelque chose d’inhabituel qu’elle nous retransmet sur les écrans. Une trappe monumentale, à doubles vantaux, vient de s’ouvrir entre Taranis et Asadal, en pleine zone d’habitat Wa’ Dan. Une probable intervention dans un de leurs complexes enterrés.

    *

    Sarah nous a rappelés à 17 h 5, juste au moment où nous finissions de décorer la base avec l’aide de nos trois bambins. Une seconde trappe s’est ouverte au cœur du puits artificiel, et une plate-forme, portant un vaisseau blanc argenté, a commencé à remonter lentement. Le vaisseau, fuselé, présente un épi central étroit, à la pointe effilée, et deux sections latérales en forme d’obus allongé. Il scintille sous les rayons d’Ir’ Is, sa coque chromée renvoyant une lueur presque irréelle. La plate-forme s’immobilise enfin au niveau du plateau. Les regards fixés sur les écrans, nous restons suspendus, attendant que l’astronef décolle…

    *

    Une bonne vingtaine de minutes se sont écoulées… La scène est figée, les enfants commencent à s’impatienter, pressés de reprendre leurs jeux. Nous nous apprêtons à céder à leur demande, lorsque l’astronef se met enfin en mouvement. Il s’élève, vacille, tangue comme s’il hésitait sur sa trajectoire, oscillant dangereusement… avant de se stabiliser en vol stationnaire…

    Nous le voyons pivoter lentement, puis avancer…

    Sa vitesse et son cap changent par à-coups, d’abord hésitants, puis, soudainement, il accélère !

    Et Sarah confirme notre pressentiment : il fonce droit sur nous ! Sa vitesse, désormais stabilisée, atteint 4 800 km/h. Nous avons une heure pour nous préparer.

    Les Wa’ Dans ne pilotent pas, du moins, pas dans le sens où nous l’entendons, alors nous supposons que c’est bien la mystérieuse Lepte qui vient enfin nous retrouver. Elle nous l’avait promis, il y a déjà vingt mois. Le grand jour, celui que nous attendons depuis notre arrivée dans ce système, serait-il enfin arrivé ?

    Notre dernier face-à-face avec son hologramme nous a laissés dans un tel désarroi que, cette fois, nous sommes déterminés à obtenir des réponses. Mais sans, bien entendu, risquer de la contrarier. Nous avons appris à être prudents avec celle qui intervient à volonté dans nos rêves. D’autant plus que ses capacités restent un mystère, et nous savons, mieux que quiconque, qu’il ne faut jamais se fier aux apparences.

    Éria et Lewis se dirigent vers Orthos et Sphinx pour effectuer une dernière vérification.

    *

    Le vaisseau ne devrait plus tarder. Nous sommes dehors, installés près de la terrasse, profitant d’une brise douce en provenance du sud-est. Les enfants jouent à s’attraper, courant dans tous les sens, tandis que nous les surveillons discrètement. Le ciel, parsemé de quelques cirrus, reste encore d’un bleu limpide.

    « Contact », nous informe Sarah.

    Le vaisseau surgit soudainement au-dessus des crêtes sud, fonçant droit sur nous à toute allure ! Tout se passe à une vitesse folle. Trop vite. L’adrénaline nous frappe comme un coup de poing. En un geste instinctif, nous nous précipitons vers les enfants pour les protéger. Un rugissement terrible secoue l’air. L’appareil rase la base, frôlant les dômes de justesse ! À terre, nous nous accroupissons sur les enfants, puis nous nous relevons en un éclair. Ensemble, nous courons, sprintant sur quelques mètres, tentant de suivre le vaisseau qui file au-delà des serres…

    « Il va s’écraser contre la falaise ! » crie Anna, horrifiée.

    Mais le vaisseau, dans un ultime sursaut, redresse sa trajectoire de justesse, filant soudainement vers les cieux ! Il ralentit brusquement, s’ajuste en une assiette horizontale, puis reste suspendu un instant dans l’air… avant de redescendre, par à-coups !

    « Tous aux abris ! » lance Éria, d’une voix tendue, mais son ton révèle un humour noir inattendu, comme si la situation appelait une pointe de sarcasme. Nous n’avons pas d’abri, à part le ventre métallique d’Héliantis, notre navette de transport planétaire, trop éloigné pour nous protéger dans l’immédiat.

    La descente du vaisseau est lente, et d’une angoissante irrégularité. Puis, à un petit kilomètre de nous, l’atterrissage s’abat. Brutal ! Le choc élève un épais nuage de poussière et de sable, déclenchant un tourbillon de débris qui obscurcit l’horizon un instant.

    « Y a comme un souci, s’inquiète Anna en fronçant les sourcils, l’inquiétude perçant dans sa voix.

    — Je les aurais imaginés meilleurs pilotes, s’étonne Lewis, sa surprise teintée d’une note de frustration.

    — Orthos ! Transmets les images », ordonne Anna, son regard fixé sur l’écran.

    Une vidéo s’affiche instantanément dans le rectangle de notre vision augmentée. Le nuage de poussière se dissipe lentement, révélant un spectacle inattendu. Une trappe se soulève sur le flanc bâbord de l’appareil, et six plaques métalliques émergent de la coque, s’agençant en un escalier. Une silhouette se découpe dans l’embrasure, accentuant le mystère…

    « Non ! J’le crois pas ! s’exclame Lewis, la voix étranglée par la stupéfaction.

    — Tchéa ! » crie Éria, la surprise mêlée d’une émotion indicible.

    Tchéa descend lentement l’escalier, ses cheveux tirés en un topknot. Sa silhouette a pris de l’assurance, ses traits affinés reflétant le passage du temps. Les années écoulées ont transformé l’adolescente qu’elle était en une jeune Wa’ Dan que l’on redécouvre. Tchéa a grandi. Métamorphosée, mais de façon naturelle et évidente.

    « Et Kidan ! » ajoute Anna, l’air abasourdie. Le jeune représentant de Talin suit Tchéa, sa démarche calme et assurée. Il porte toujours sa queue de cheval, mais son regard, empli d’une sagesse nouvelle, semble avoir mûri. Ses épaules, désormais plus larges, témoignent des épreuves traversées, et son allure reflète une meilleure assurance ainsi qu’une nouvelle maturité.

    Tous deux sont habillés de cuir : Tchéa porte une veste somptueusement brodée aux teintes beige et bordeaux, tandis que Kidan arbore une tenue plus sobre, dans des nuances de brun et vert. Malgré tout, leur allure reste résolument guindée.

    « Je reviens, annonce Éria d’un ton résolu. Je vais chercher un traducteur. »

    Elle se détourne, et ses pas résonnent dans le silence pesant qui s’est installé autour de nous.

    Les deux Wa' Dans s’avancent vers nous, leurs gestes amples et enthousiastes trahissant leur joie. Tchéa, rayonnante, agite vigoureusement les bras de gauche à droite tout en sautillant, débordant d’énergie contagieuse. Pourtant, une question reste en suspens : qui les accompagne ? Et surtout, qui a piloté le vaisseau ?

    Éria revient prestement, un air entendu sur le visage, hochant la tête pour indiquer qu’elle a trouvé ce qu’elle cherchait. À son signal, Anna demande à Orthos d’interrompre la transmission. Sans perdre de temps, nous avançons pour accueillir nos visiteurs, les enfants trottinant joyeusement à nos côtés.

    « Hello ! Hou ! Hou ! s’exclame Tchéa d’une voix éclatante. Bonjour à tous ! Je vous avais promis de revenir, alors me voici ! traduit l’interface.

    — Em’ Tah, vous deux ! s’exclame Lewis, un sourire éclatant aux lèvres. Ça fait plaisir de vous revoir ! Depuis le temps ! Mais… dites au pilote de venir, allez ! »

    Tchéa ouvre de grands yeux, feignant la surprise avec un talent presque théâtral. « Pilote ? répète-t-elle avant qu’un sourire radieux n’illumine son visage. Il y en a deux ! Et ils sont juste devant toi ! »

    Anna, visiblement décontenancée, bafouille : « Comment ça ? C’est… c’est vous… qui… qui pilotiez ? »

    Lewis reste figé, bouche bée, les yeux grands ouverts d’incrédulité.

    « Eh oui ! répond Tchéa en hochant fièrement la tête. Une grande première ! Il fallait bien essayer un jour !

    — On a vu ! grimace Éria, avec un mélange de sarcasme et d’amusement. Vous avez carrément foncé sur nous !

    — J’ai essayé de m’inspirer de ce que je vous ai vu faire, mais… comment dire… le résultat est loin d’être concluant. Peut-être pourriez-vous nous donner quelques conseils ? Nous apprendre à piloter correctement l’engin ?

    — Eh bien, si c’est sur nous que vous comptez, ce sera avec grand plaisir, répond Lewis avec un sourire en coin. Mais, entre nous, je ne suis pas certain que nous soyons vraiment à la hauteur pour maîtriser un tel engin ! »

    Mathias, intrigué, intervient : « Mais comment avez-vous fait pour mettre la main sur un vaisseau pareil ? C’est un astronef Wa’ Dan ?

    — Oh, Mathias ! répond Tchéa avec un geste léger et amusé de la main. C’est une longue histoire, crois-moi ! Mais avant que je vous la raconte, présentez-nous donc vos merveilleux bambins ! »

    Son regard s’attarde sur notre fille, et son visage s’illumine d’un sourire sincère. « Votre fille, ajoute-t-elle en s’adressant à Perthie et moi, c’est le portrait craché de sa maman ! »

    Perthie, d’une voix douce, déclare : « Ep’ Tchéa, je te présente Ève. » Puis, se tournant vers notre fille, elle ajoute avec tendresse : « Ève, voici Tchéa et Kidan. »

    Sans la moindre hésitation, Ève fixe intensément les deux étrangers de ses yeux verts perçants. Une intensité désarmante émane de son regard, comme si elle tentait de sonder leurs âmes et de percer à jour leurs secrets les plus enfouis… Un silence chargé de mystère s’installe, et l’éloquence de ce moment dépasse tout ce que les mots pourraient exprimer…

    Mel, présenté par Éria, semble captivé par le motif en forme de calice étoilé qui orne la veste de Tchéa. Lorsque cette dernière s’accroupit pour mieux lui parler, le petit garçon avance timidement, tendant sa main potelée pour effleurer ces éclats scintillants. Une curiosité bien naturelle chez Mel. Les vêtements Wa’ Dans, si éclatants et raffinés, tranchent radicalement avec ce que nos enfants connaissent. Depuis leur naissance, ils ne nous ont vus que vêtus de nos combinaisons gris-vert marquées du logo de la Confédération. Nous avons même fabriqué des versions miniatures de ces tenues, légères et adaptées à leur taille. Nos enfants : de vrais modèles réduits, toujours assortis à leurs parents.

    Adam, quant à lui, s’accroche fermement à la jambe gauche de sa maman, son visage mi-curieux, mi-intimidé, à demi dissimulé. Lorsque Perthie le présente, le plus timide des trois recule brusquement, cédant à sa réserve. Il file se cacher derrière Lewis, cherchant auprès de son papa cette protection rassurante contre ces visages inconnus qu’il n’ose pas encore affronter.

    « Voici donc ces trois petits anges… promis à un grand avenir ! s’exclame Kidan avec un sourire bienveillant.

    — Pourquoi dis-tu ça ? » réplique Anna, son regard faussement surpris trahissant une curiosité sincère.

    Kidan marque un temps d’hésitation, visiblement mal à l’aise.

    « Mmm… eh bien…

    — Parce que c’est moi qui le lui ai dit, intervient Tchéa en souriant. Je vous avais déjà laissé entendre quelque chose à ce sujet… Et je constate que vous avez remis le couvert, ajoute-t-elle avec une moue admirative, son regard s’attardant sur les ventres arrondis d’Anna et de Perthie.

    — Eh oui, Ep, répond Lewis avec un air malicieux. On a remis ça. On n’a pas traîné ! Et toi, et vous ? Quelles nouvelles ?

    — Ne restons pas ici, coupe Anna, qui s’agenouille en tendant les bras vers Adam. Vous allez nous raconter ce que vous avez fait durant tout ce temps, et surtout… ce qui vous amène ici. »

    Tchéa s’enthousiasme pour les nouvelles plantations et l’évolution de nos cultures sous les serres, admirant les changements avec un regard émerveillé. Elle ne manque pas non plus de remarquer l’agrandissement et la réorganisation de notre espace de vie, qui lui semblent tout aussi impressionnants. Son intérêt sincère illumine nos visages d’un sourire, même si elle semble parfois chercher les mots justes pour exprimer ce qu’elle ressent. Installés sur la terrasse, nous savourons un instant de sérénité. Tandis que nous veillons sur les enfants, rieurs et absorbés dans leurs jeux, nous écoutons avec attention le récit captivant de la Wa’ Dan.

    Tchéa commence par évoquer son réveil, après sa perte de conscience lors de notre éjection de la structure éthaïre. Elle n’avait pas entendu de voix, comme son arrière-grand-mère, mais elle avait reçu un véritable raz-de-marée de données : une quantité astronomique d’informations, incluant les coordonnées exactes de sites enfouis d’Ir’ Dan, accompagnées de descriptions détaillées de leur contenu et de leurs codes d’accès. La plupart de ces sites, oubliés depuis un millénaire, étaient totalement inconnus du peuple Wa’ Dan d’aujourd’hui.

    De retour à Zilin, Tchéa avait insisté auprès de son grand-père pour qu’il convoque un Conseil des Sages. Avec une conviction mêlée d’une appréhension palpable, elle leur avait exposé la mission que Lepte lui avait confiée : réconcilier son peuple avec les technologies avancées des Anciens. Une tâche en complète opposition avec leurs traditions et leurs valeurs.

    Selon Lepte, retrouver un certain niveau technologique était une condition indispensable pour que les Wa’ Dans regagnent leur place aux côtés des Éthaïres.

    Mais cette perspective soulevait des questions troublantes : les Wa’ Dans voulaient-ils vraiment suivre cette voie ? Leur condition actuelle ne leur suffisait-elle pas ? Que pouvaient-ils réellement espérer en réintroduisant un tel niveau de technologie ? Ces interrogations semblaient hanter Tchéa autant que son auditoire, car elles remettaient en cause l’identité même de son peuple.

    Les anciens, pétris de la crainte de répéter les erreurs du passé, refusaient catégoriquement d’envisager un tel bouleversement. Pour eux, l’Histoire ne devait pas se répéter.

    Ce rejet intransigeant ouvrit une fracture au sein du peuple Wa’ Dan : les arriérés, fidèles à la voie traditionnelle, contre les modernes, désireux d’un renouveau technologique. Ce débat déchirait désormais le peuple, opposant les générations, les anciens aux jeunes, et faisait émerger une controverse lourde de conséquences sur l’avenir des Wa’ Dans.

    Et nous avions été, bien malgré nous, la mèche qui avait allumé cette poudrière. Comme nous l’avions redouté, nous étions l’élément déclencheur de cette révolte silencieuse qui germait dans la jeune génération Wa’ Dan… Était-ce là notre véritable mission ? Servir le dessein des Éthaïres dans une partie d’échecs qui nous échappe totalement ? N’étions-nous que des pions manipulés par des forces qui nous dépassent ? Peut-être n’étions-nous, au final, que des figurants, des seconds rôles dans cette farce cosmique, spectateurs impuissants d’un drame dont nous ne comprenions pas encore les enjeux…

    Tchéa qualifie son entreprise de révolution pacifique, un projet aussi ambitieux qu’utopique. Elle affirme vouloir mener sa croisade avec patience et sérénité, assurant qu’elle respectera le rythme propre à chacun pour permettre à son peuple de faire ses choix en pleine conscience. Elle promet également de contenir les ardeurs des plus fervents de ses partisans. Pourtant, à mes yeux, Tchéa minimise les immenses défis à venir. Ce type de transformation, aussi noble soit-elle, est rarement empreinte de sérénité.

    Cependant, nous choisissons de ne pas refroidir son enthousiasme. À quoi bon ajouter au poids qu’elle porte déjà ? Alors, nous nous efforçons de rester optimistes, d’encourager ses résolutions.

    Anna lui demande si, comme son arrière-grand-mère, elle s’était mise à prédire l’avenir ou à se découvrir des dons de guérison. Rien de cela, juste la banque de données et la lourde mission qu’elle portait.

    Piqué par la curiosité, je lui demande des nouvelles d’Ob’ Dan, leur ancienne colonie. Le mystère, cependant, reste entier. Pour Tchéa, cette page du passé Wa’ Dan demeure entièrement obscure.

    Ce n’était pas le hasard qui les avait menés à nous aujourd’hui. Tchéa, fidèle à sa mémoire infaillible, avait choisi ce jour en connaissance de cause. Elle avait pensé aux enfants et était arrivée les bras chargés de présents, soigneusement entreposés à bord de leur vaisseau.

    Nous entreprenons ensuite de leur faire visiter la base, un lieu qu’ils explorent, mêlant curiosité et respect. Tchéa ne manque pas de sourire en voyant notre décoration du jour. Elle reconnaît sans mal nos accessoires festifs, toujours les mêmes que nous ressortons inlassablement à chaque grande occasion.

    Sur la terrasse, selon notre rituel, nous déposons chacun une paire de chaussures : des sandales simples pour nous, et des bottines à doigts pour nos invités Wa’ Dans. Une scène à la fois singulière et empreinte de familiarité, témoignant de cet équilibre fragile entre nos deux mondes.

    Une fois les enfants couchés, Lewis, Mathias et moi, avec Sphinx sur nos talons, accompagnons Tchéa et Kidan jusqu’à leur vaisseau. L’appareil, baigné dans les dernières lueurs du couchant, a une allure impressionnante, presque irréelle. Son fuselage lisse semble absorber la lumière ambiante, et le cockpit, s’il existe, ne laisse entrevoir aucune vitre. Sans que les Wa’ Dans ne fassent le moindre geste, une trappe s’élève silencieusement sur le flanc bâbord, révélant six marches qui s’alignent, comme par magie, dans un mouvement fluide.

    Lewis s’approche du fuselage. Il pose une main attentive sur la coque, la caresse un instant, puis ferme le poing pour en tester la résistance. Le bruit sourd qui en résulte semble l’intriguer davantage.

    « Un matériau composite », murmure-t-il, les sourcils froncés. Puis, il me lance : « Nanotubes et matières synthétiques ? T’en penses quoi ?

    — Il faudrait que j’l’analyse pour en être sûr », répondis-je, tout aussi perplexe.

    Mathias, songeur, contourne lentement l’appareil et l’observe sous un autre angle.

    « Une idée sur son système de propulsion ? » finit par demander Lewis.

    Mathias hausse légèrement les épaules, puis réfléchit à voix haute : « Mmm… Peut-être le plasma d’hydrogène ? Mais ce n’est qu’une possibilité. »

    Kidan gravit les marches avec agilité, suivi de près par Tchéa, qui nous invite d’un geste à entrer. Lewis ne se fait pas prier, et je le suis sans tarder. L’accès est étroit, m’obligeant à baisser la tête pour pénétrer dans une soute exiguë, encombrée de sacs, de bagages et de provisions. Une odeur sucrée et fruitée flotte dans l’air, émanant de trois piles de caisses débordant de fruits et de légumes. Pas de doute, Kidan et Tchéa ont fait le plein de vivres. Une rampe lumineuse rouge-orangé serpente le long du plafond arrondi, diffusant une lueur douce, mais un peu irréelle.

    Tchéa nous fait signe de la suivre vers l’avant de l’appareil. Après la soute, nous pénétrons dans un compartiment équipé de douze sièges baquets, d’un jaune beige passé, répartis en trois rangées séparées par un couloir étroit. L’ensemble évoque un petit vaisseau de transport, remarquablement bien conservé. La cabine de pilotage, située juste après le compartiment, est minuscule : à peine trois mètres sur deux, avec une hauteur sous plafond qui ne dépasse pas un mètre soixante. Une lueur rougeâtre y baigne l’espace. En son centre trône un unique fauteuil, bas et en position semi-allongée.

    Le cockpit est, à première vue, déconcertant : aucun tableau de bord, aucune commande apparente, et aucune vitre permettant de voir l’extérieur.

    « Voici le cockpit ! » annonce fièrement Tchéa, désignant le fauteuil d’un geste ample.

    Lewis arque un sourcil, visiblement sceptique. « Euh… c’est tout ? hésite-t-il, jetant un regard interrogatif à Kidan.

    — Oui ! C’est tout ! » répond ce dernier avec un sourire assuré, n’attendant même pas la traduction.

    Lewis se frotte le menton, l’air dubitatif. « Alors là… je n’sais pas comment j’vais pouvoir vous aider. »

    Tchéa esquisse un sourire énigmatique. « Attends. »

    Elle avance vers le fauteuil, remue légèrement la tête comme pour délier les tensions dans son cou, puis s’installe avec une aisance étudiée.

    « O.K. ? Vous êtes prêts ? » demande-t-elle après une profonde inspiration.

    Elle ferme les yeux, pose délicatement ses avant-bras sur les accoudoirs, et, tout à coup, la lumière diminue… Et, sous nos yeux ébahis, la cloison du cockpit se transforme : sa surface mate se liquéfie, se gélifie, pour devenir progressivement transparente. Le même phénomène étrange que nous avions observé dans le complexe chimique.

    Tchéa ouvre lentement les paupières, et devant elle, une brume vaporeuse commence à se former… Le nuage s’agglomère, se contracte, jusqu’à prendre la forme d’un hologramme sphérique. C’est Ir’ Dan qui apparaît, fidèlement reproduite en trois dimensions. Un point rouge clignote à l’endroit où nous nous trouvons, tandis qu’un réseau dense de repères bleus maille la surface des continents… En scrutant la sphère, je remarque immédiatement l’absence des trois structures éthaïres et le fais remarquer à haute voix.

    Tchéa relève alors lentement les avant-bras, et l’hologramme s’efface comme une bulle qui éclate. La cloison retrouve son apparence solide, et la lumière s’intensifie à nouveau.

    « Voilà ! C’est tout, déclare Tchéa en se redressant avec un sourire tranquille.

    — Comment ça, c’est tout ? s’étonne Lewis, les sourcils froncés.

    — Je fixe un lieu, un repère, et je n’ai qu’à souhaiter y aller. »

    Lewis secoue la tête, incrédule. « C’est tout ? répète-t-il.

    — Oui. » Tchéa le regarde avec assurance. « La seule leçon que j’ai tirée de mon premier vol, c’est que je dois avoir les idées claires et bien me concentrer. Si je pense à autre chose… ou si j’hésite, le vaisseau hésite aussi. »

    Lewis croise les bras. « Tu n’as pas d’autres vérifications à faire ? La pressurisation, les moteurs, le carburant ? D’ailleurs, quel carburant utilise le vaisseau ? »

    Tchéa écarquille les yeux, surprise, puis hausse les épaules avec une désarmante sincérité. « Aucune idée. »

    Un sourire se dessine sur les lèvres de Lewis. « Alors j’aimerais beaucoup assister à ton prochain vol.

    — Super ! s’enthousiasme Tchéa. Tu m’as montré comment piloter tes engins… alors je serais ravie d’en faire de même ! Mais demain… c’est Noël, alors non, plutôt après-demain ? Ça te va ? »

    Lewis hoche la tête, ravi. « Parfait ! Rendez-vous pris pour après-demain ! »

    Kidan intervient, son ton plus pragmatique. « Il faudrait vider la soute avant la nuit, grimace-t-il.

    — Vider la soute ? répète Lewis, intrigué.

    — Tout est pour vous ! » s’exclame Tchéa, souriante.

    Lewis semble hésiter. « Pour nous ?

    — Bien sûr ! Un jour comme aujourd’hui, on n’allait quand même pas arriver les mains vides ! répond-elle avec un clin d’œil.

    — O.K. ! acquiesce Lewis en se tournant vers Kidan. On te suit ! »

    Nous remontons le vaisseau jusqu’à la soute, où Kidan nous désigne les marchandises entassées. « C’est pour vous », confirme-t-il.

    Tchéa ajoute en riant : « Je me suis dit que des fruits et légumes frais vous feraient plaisir. Je ne pensais pas que vos cultures sous serres avaient autant progressé.

    — Un grand merci ! Et ne t’inquiète pas, répond Mathias avec enthousiasme. Rien ne sera perdu ! »

    Grâce à Sphinx et au renfort d’Orthos, nous parvenons à transporter la cargaison des Wa’ Dans jusqu’à la base sans difficulté. Sur la terrasse, Tchéa et Kidan déposent soigneusement leurs cadeaux près de nos chaussures, tandis que nous plaçons les nôtres à côté de leurs bottines. Enfin, nous réorganisons l’espace pour installer deux couchages supplémentaires, offrant un accueil chaleureux à nos invités.

    *

    Il n’est pas tout à fait huit heures, mais le thermomètre affiche déjà 28° ! Un soleil éclatant inonde l’horizon, et le ciel, d’un bleu azur profond, semble sans limite. Toute l’équipe est debout, impatiente, prête à vivre ce moment unique : le tout premier véritable Noël des enfants. Bien qu’ils n’aient que vingt-et-un mois terrestres, Ève et Adam débordent d’une excitation communicative, sautillant d’impatience devant la verrière.

    Pour ménager le suspense, un rideau a été tendu sur la partie basse, masquant soigneusement… la surprise ! Leurs petits nez collés à la vitre, ils trépignent, les yeux pétillants d’anticipation.

    Enfin, l’instant tant attendu arrive : Mathias, solennel, tire lentement le rideau… La lumière éclatante qui inonde la pièce les éblouit un bref instant. Ils clignent des yeux, puis se dévisagent, bouche bée, le sourire aux lèvres, comme s’ils venaient de découvrir un monde merveilleux…

    « Maman ! Tu ouvres ! exige Ève d’un ton sec, avec la candeur d’une enfant qui ne connaît pas encore la patience.

    — S’il te plaît, intervient Perthie, en adoucissant sa voix.

    — Te plaît », corrige à contrecœur Ève, arrachant un sourire amusé à l’assemblée.

    Perthie feint un soupir résigné avant de céder : « Bon, allez-y ! »

    À peine la baie coulissante entrebâillée, les trois enfants se précipitent dehors, riant et se bousculant dans leur hâte. Devant eux, les cadeaux des Wa’ Dans : trois grands sacs en toile colorée, chacun garni à ras bord, et trois petits paquets. Nos présents, quant à eux, attendront une prochaine occasion.

    Ils se jettent aussitôt sur les sacs, qu’ils ouvrent avec une frénésie joyeuse. En jaillit un assortiment fascinant de pièces en bois aux couleurs vives : rouges, orangées, jaunes, vertes et bleues, dans des tons à la fois clairs et profonds. Il y a là des planchettes, des bâtonnets, des pyramides, des cônes, des cylindres, des sphères, des cubes et des pavés, dont certains percés d’orifices. Un fantastique jeu de construction, pensé avec une ingéniosité rare.

    Leur émerveillement est immédiat. Ils s’accroupissent, leurs petites mains fouillant avec avidité dans les sacs, examinant, empilant et alignant déjà les pièces… Des heures de jeux créatifs et d’échanges prometteurs se profilent à l’horizon.

    Tellement absorbés par leur découverte, ils en oublient les petits paquets à côté des sacs. Ce sont Tchéa et Kidan, que nous remercions chaleureusement, qui leur rappellent leur présence.

    Les paquets contiennent chacun une figurine Wa’ Dan, en poupée de chiffon, soigneusement enveloppée dans une feuille séchée. Ève, Adam et Mel déballent leur trésor avec des gestes maladroits, mais empreints d’excitation, avant de serrer leur nouvelle acquisition contre eux avec un émerveillement enfantin.

    La figurine de Mel porte un calice accompagné de demi-lunes d’or, brodées sur un tissu bleu et jaune. Celle d’Adam, vêtue d’un tissu bordeaux et beige, arbore un calice entouré des étoiles de Valène. Quant à la poupée d’Ève, ses broderies délicates, sur un tissu brun et vert, rappellent étrangement la tenue de Kidan.

    « C’est toi ? demande Ève en dévisageant Kidan, la tête légèrement inclinée.

    — Oui, Ève, c’est moi », répond-il avec un sourire bienveillant.

    Adam, hésitant, lève ses yeux sombres vers Tchéa, tenant fermement sa poupée contre lui : « Et ? C’est toi aussi ? »

    Tchéa hoche doucement la tête. « Oui, Adam, c’est moi. »

    Mel, quant à lui, reste silencieux un instant, scrutant les broderies de sa figurine. Puis, fronçant les sourcils, il tend la poupée, son visage empreint d’une étrange expression entre curiosité et défiance. « Et c’est qui, elle ? »

    Tchéa, avec une douceur mesurée, répond : « C’est Aélin, une cousine. »

    Mel inspire profondément, l’air perplexe. « Et c’est quoi, une cousine ? »

    Tchéa rit doucement avant de s’expliquer. « Un peu comme Ève pour toi. »

    Mel écarquille les yeux, visiblement surpris. Puis, dans un geste enfantin désarmant, il hausse les épaules avec une indifférence feinte, comme si la réponse ne suffisait pas à apaiser sa réflexion.

    Une gourde est posée devant chaque paire de sandales des adultes. Je prends la mienne, l’ouvre et la porte à mon nez. Une douce chaleur aromatique monte immédiatement : fruits secs grillés et muscat. L’odeur reconnaissable de l’olm. Je lève la gourde à mes lèvres, retrouvant l’onctuosité veloutée et les saveurs

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1