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Aube 1.0
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Livre électronique794 pages10 heures

Aube 1.0

Par A. T.

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À propos de ce livre électronique

Les origines :
Une sonde terrienne retransmet un message extraterrestre.
Un vaisseau spatial est conçu pour acheminer six scientifiques vers l’origine du signal...

Le commencement de la saga :
Dérouté par un trou de ver, le vaisseau se retrouve dans un autre univers.
Les humains débarquent sur une planète qu’ils vont explorer.
Trois couples vont se former...

LangueFrançais
ÉditeurA. T.
Date de sortie27 nov. 2024
ISBN9798224917501
Aube 1.0
Auteur

A. T.

A.T.Alain Tourpin was born on May 25, 1960, in Saint-Brieuc, France.After passing his scientific baccalaureate, he went on to study science at the University of Rennes.He works in business, retail, and then education.In 2010, he ventured into the world of writing beginning the saga "L’Âge des Anges."The seven-volume saga is self-published.The saga is rewritten and becomes "XXIV".

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    Aperçu du livre

    Aube 1.0 - A. T.

    A.T.

    XXIV

    AUBE 1.0

    Copyright © CNFED A. T., 2025

    Tous droits de traduction de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays

    Installez-vous confortablement… et préparez-vous pour un voyage dans l’espace et le temps !

    Nous quittons notre Terre, notre système solaire, notre galaxie, notre univers…

    Pour un nouvel univers : Aïné… et la galaxie Émi Wahé…

    Nous nous rapprochons d’une étoile double, un système de deux étoiles, Ir’ Is et Ob’ Is.

    1.0.0

    Univers Aïné

    Galaxie Émi Wahé

    Système stellaire binaire d’Ir’ Is — Ob’ Is

    Ir’ Dan est la troisième planète d’Ir’ Is. Une planète aux deux lunes, foisonnante de vie et d’activités. Une jumelle de la Terre avec une atmosphère nuageuse, des océans, des continents aux camaïeux de gris, de brun, de vert et des pôles recouverts de glace. Sa partie nocturne est constellée de lumières artificielles. L’espèce dominante, les Wa’ Dans, sont de petits hominidés à la peau brune.

    Trois ethnies, les Galads, les Libars et les Nourhs, vivent, ou plutôt vivaient, en parfaite harmonie. Ils ont conquis l’espace, et, depuis peu, colonisé Ob’ Dan, la première planète d’Ob’ Is, la seconde étoile du système.

    Nous sommes en 4 207 du calendrier d’Ir’ Dan, en 126 du calendrier d’Ob’ Dan, calendrier débuté à l’an zéro de la colonisation. La Terre est au Moyen Âge, au XIIe siècle de l’ère chrétienne.

    Cela fait huit ans que les Wa’ Dans ont été contactés par un peuple alien, les Éthaïres, un peuple ancien à l’allure de jeunes ados au teint très pâle et dépourvus de pilosité.

    Les Éthaïres ont débarqué avec de bonnes intentions, partager leurs savoirs, leurs connaissances, et proposer aux Wa’ Dans d’adhérer à leur Communauté, une association très fermée de douze espèces différentes. La relation, idyllique les premiers temps, s’est brusquement dégradée lors de l’arrivée d’une première délégation éthaïre sur Ob’ Dan. À peine débarqués, ils ont été pris de malaises, de vomissements, et sont décédés sans savoir ce qui leur arrivait. Une situation inédite, insolite et déstabilisante pour les Éthaïres.

    Les Wa’ Dans d’Ir’ Dan, ne souhaitant pas perdre leurs nouveaux alliés, ont aussitôt décrété une rupture brutale des relations entre Ir’ Dan et Ob’ Dan. Un embargo que les colons n’ont pas du tout apprécié. Depuis lors, un mouvement de protestation gagne du terrain et les Wa’ Dans s’entredéchirent. La situation, confuse, s’envenime et échappe aux Éthaïres, pris à partie par les différentes factions et complètement dépassés par la tournure que prennent les évènements.

    *

    Neïmah, première lune d’Ir’ Dan

    Dans les profondeurs d’un laboratoire souterrain dédié aux biotechnologies végétales, une enfilade de cuves, reliées entre elles par un réseau complexe de tuyaux enchevêtrés, est baignée d’une lumière bleutée. Le silence est oppressant. Sas de décontamination, portes hermétiques, armoires métalliques et vitrées débordant d’instruments et de récipients divers : tout semble figé dans une immobilité anormale. Le site est étrangement désert.

    Au poste central de sécurité, une silhouette trapue se glisse sur un siège devant un pupitre illuminé. Sa combinaison ample jaune olive brille faiblement sous les lueurs froides des écrans. Haute d’un mètre quarante-huit, la créature présente un visage d’hominidé au large front arrondi, encadré par une chevelure noire crépue tirée en queue-de-cheval basse. Sa peau brun foncé, presque terreuse, reflète les lumières artificielles, tandis que ses grands yeux noirs, ronds et fixes, scrutent les moniteurs.

    Son nez épaté et sa bouche aux lèvres épaisses accentuent l’étrangeté de son apparence, bien que ses expressions soient étonnamment humaines. Ses bras, légèrement plus longs que ceux d’un humain, se meuvent avec une lenteur calculée, conséquence de la faible gravité du lieu. Ses mains, puissantes, à cinq doigts, avec un pouce opposable, manipulent les commandes avec précision. Chaque geste semble pesé, chaque respiration amplifiée par le silence.

    Sualdan, tel est son nom. Sualdan, un Wa’ Dan d’Ob’ Dan en résistance contre le pouvoir d’Ir’ Dan.

    Sualdan — Neïmah

    Enfin ! Tous les voyants sont au vert, chaque pièce du puzzle est en place. Le moment est historique. Cette fois, nous y sommes : l’heure du châtiment a sonné.

    Il n’a pas fallu grand-chose pour réveiller les anciennes querelles. Un soupçon de manipulation. Un brin de mauvaise foi. Une dose de perfidie. Une once de rumeurs, une pincée de médisance… le tout assaisonné d’essence d’olonigal…

    L’olonigal est une plante d’Ob’ Dan, psychotrope, addictive, aux effets analgésiques et euphorisants.

    Et voilà le résultat : Galaden, Nourhad, Libarad, trois continents autrefois unis, désormais profondément divisés. Un même peuple éclaté en trois clans rivaux : les Galads, les Nourhs et les Libars. Chacun enfermé dans sa fierté, son arrogance, son mépris. Une unité brisée à cause de l’arrivée des Éthaïres et de leur maudit virus.

    Ces fouineurs de cervelle ! Ces arrogants qui se targuaient de nous offrir un avenir radieux, une explosion de connaissances… Mais qu’ont-ils fait au juste ? Nous avons perdu bien plus qu’ils ne nous ont donné : notre liberté de penser, notre liberté de mouvement, notre identité. Et pire encore, plusieurs des nôtres ont disparu. Des bruits courent. Des rumeurs horribles : on murmure qu’ils ont servi de cobayes pour d’atroces expérimentations.

    Une Communauté de peuples anciens qui aurait besoin de sang neuf ? Qu’ils ne comptent plus sur nous ! Qu’ils aillent chercher ailleurs leur précieuse vitalité. Ils vont payer, tous autant qu’ils sont. Pour leur arrogance, pour leurs crimes, pour nous avoir traités comme du bétail.

    Et ces puissants télépathes… incapables de deviner nos pensées profondes ? Incapables de prévoir ce qui se tramait sous leurs yeux ? À moins que… À moins que rien ne se passe comme prévu.

    Mes compagnons, mes frères d’armes, mes camarades de résistance… Ils sont tous partis. Le laboratoire est vide, le silence oppressant. Ils comptent sur moi, dernier des derniers, pour presser un simple bouton. Une tâche banale, insignifiante… en apparence ! Je sais ce que ce geste va déclencher, car je suis celui qui a tout planifié. Chaque étape, chaque mouvement, chaque mort…

    Une simple commande, et tout s’enchaînera. Un satellite de défense libar, armé d’une tête thermonucléaire, sera détourné de son orbite pour s’écraser sur le complexe Deagen, au cœur de Galaden. Dans le même instant, un missile balistique stratégique nourh décollera de la base de Maolin pour exploser dans la stratosphère, brouillant toutes les télécommunications libars. Un missile nucléaire tactique galad ripostera aussitôt en ciblant… Maolin. Trois clans. Trois représailles. La boucle sera bouclée.

    Un cercle infernal. Inimaginable. Et pourtant, nous misons tout sur une seule chose : l’aveuglement des Galads, des Nourhs et des Libars. Leurs rivalités les consumeront. La vengeance les guidera, et non la raison. À moins qu’ils ne s’arrêtent… Qu’ils réfléchissent. Qu’ils refusent l’escalade… Mais je sais que c’est peu probable.

    Alors, qu’est-ce que je déclenche vraiment ? Une guerre totale ? Une extinction ? Une renaissance ?

    Un holocauste… pour nous libérer enfin. Pour détruire ces aînés, briser nos chaînes. N’est-ce pas légitime ? N’est-ce pas le prix de la liberté ?

    Nous, les enfants d’Ob’ Dan, reviendrons triomphants. Nous bâtirons une nouvelle société, débarrassée de leurs querelles absurdes. Une civilisation unifiée. Une seule planète. Un seul peuple.

    C’était si clair, si évident, dans ma tête. Jusqu’à ce que ma main s’arrête.

    Appuyer sur ce bouton… n’est pas aussi simple que je l’avais imaginé.

    Sualdan sort un petit flacon d’une de ses poches. Un spray nasal. Il le porte à ses narines, appuie, puis incline la tête en arrière. Ses yeux se ferment lentement, sa bouche s’entrouvre, comme pour aspirer la brume qui envahit son esprit. Un frisson le parcourt, une vague glacée qui lui serre la gorge, mais il se reprend presque aussitôt, forçant ses muscles à se détendre, à retrouver leur contrôle.

    Olonigal… Et ils veulent t’interdire ! Finies les promesses suspectes, les expériences douteuses. Finis les sacrifices des nôtres, transformés en cobayes ! Fini le joug d’Ir’ Dan ! Ob’ Dan, ton règne commence !

    Je presse le bouton noir des deux mains, avec une force presque désespérée. Je me relève, m’étire lentement, et prends une profonde inspiration, remplissant mes poumons d’une satisfaction indicible, mais teintée d’une étrange appréhension.

    Et si… ? Et si rien ne s’était passé ?

    L’idée me glace un instant. Mais peu importe. Ma mission est accomplie. Je devais juste appuyer sur ce satané bouton noir, celui qui me narguait sans pitié, comme s’il savait quelque chose que j’ignore, quelque chose d’impitoyable.

    De toute manière, je vais très vite en avoir le cœur net. Plus rien n’a de sens, à part cette dernière étape. Je n’ai plus qu’à me changer.

    Bipède, la créature avance avec une lenteur déroutante, les bras ballants et le buste penché en avant. Ses pieds, longs et larges, au gros orteil opposable, frôlent à peine le sol. Chaque pas est mesuré, fluide. Son corps semble presque flotter, comme suspendu entre deux mondes, dans ce laboratoire où la gravité semble n’être qu’une suggestion.

    J’enfile d’abord le sous-vêtement équipé du collecteur d’urine, puis la combinaison pressurisée, avant de revêtir la protection externe. Je chausse les gants de pied, ajuste le casque souple et sa large visière transparente. En prenant les gants supplémentaires et le couvre-casque, je pénètre dans le sas de sortie. Le temps de la décontamination, je fixe le couvre-casque, abaisse la visière, ajuste les gants avec soin, puis active le magnétisme des gants de pied. Enfin, la porte blindée, aux doubles renforts croisés, s’ouvre dans un bruit sourd.

    nSimA 6 est inscrit en relief sur la porte blindée. Elle donne sur un vaste espace circulaire aux parois de roche taillée, éclairé par une corniche lumineuse blanche. Un petit vaisseau à la coque chromée repose sur un plancher de poutrelles métalliques. L’astronef présente un épi central terminé par un éperon, flanqué de deux parties latérales effilées. La trappe du flanc bâbord s’ouvre, dévoilant six marches.

    La créature les gravit d’un pas léger, presque flottant, et monte à bord du vaisseau. L’intérieur est baigné dans la lueur diffuse d’une rampe lumineuse rouge-orangé courant le long d’un plafond arrondi. Un étroit couloir central s’étire devant elle, bordé d’armoires métalliques. Au bout, une porte à double battant s’ouvre en silence, dévoilant une petite cabine. Un seul fauteuil bas, en position demi-allongée, occupe le cockpit. Aucun tableau de bord, aucune commande. La créature s’installe sur le fauteuil et repose les avant-bras sur les accoudoirs. La lumière faiblit. La cloison avant se métamorphose, elle perd son aspect mat, se gélifie, pour devenir transparente.

    Sualdan prend la parole, sa voix est grave et profonde :

    « Transmission sécurisée. Émetteur, Sualdan d’Alternia. Vaisseau Analug. Origine, Neïmah Six. Destination, Ob’ Dan, Orukan. Quartier général de l’état-major. L’aronor se mord la queue ! Je répète, l’aronor se mord la queue ! Fin de transmission. »

    L’aronor est un poisson serpentiforme d’Ob’ Dan.

    Je presse l’extrémité de l’accoudoir gauche, et une représentation holographique de Neïmah apparaît, ses sept sites marqués par des points bleus lumineux. « Destination, système d’Ob’ Is, Ob’ Dan ! » La sphère se contracte, dévoilant Ir’ Dan et Orshah, la seconde lune, avant qu’elles ne rétrécissent à leur tour. Le système d’Ir’ Is et ses cinq planètes s’éloigne progressivement. Ob’ Is prend forme, et l’hologramme zoome sur sa première planète. « Orukan ! » Une liste déroulante s’affiche, détaillant les paramètres du vol. Rien à modifier. Je desserre mon étreinte, laissant l’hologramme s’éteindre.

    Les propulseurs s’activent immédiatement, leurs pulsations rapides emplissant la cabine. Les faisceaux illuminent le puits tandis que le vaisseau s’élève à la verticale. Sur le cockpit vitré, des repères verts s’incrustent, affichant les positions des vaisseaux et satellites voisins, comme une danse ordonnée dans l’immensité.

    La surface de Neïmah, plongée dans une demi-obscurité, révèle des régions montagneuses entrecoupées de vastes mers sombres, marquées par une multitude de cratères d’impact météoritique. Plus loin, Ir’ Dan, gibbeuse et auréolée d’épaisses masses atmosphériques, se dévoile dans toute sa splendeur. Ses océans bleu profond côtoient des continents aux côtes découpées, parsemés de chaînes de montagnes, de déserts arides, de lacs scintillants et d’immenses forêts denses. Son pôle visible est une étendue blanche, figée sous un épais manteau de glace.

    Ir’ Dan s’impose à ma vue. De gigantesques nuages circulaires, annulaires ou lenticulaires, s’étendent dans sa zone équatoriale, en expansion constante. Leurs cœurs flamboyants brillent comme autant de mini soleils. L’escalade des représailles est en marche ! Tout se déroule exactement comme prévu ! Ces abrutis récoltent enfin ce qu’ils méritent pour nous avoir relégués au rang de parias, nous, leurs propres enfants ! L’hégémonie d’Ir’ Dan vacille, et elle n’est pas près de se relever !

    1.0.1

    Ir’ Dan, 1 091. Sur Terre, nous sommes en 2 386.

    Personnages Wa’ Dans : Éberdan, Korda et des enfants. Leur dimorphisme sexuel est semblable à celui des humains.

    Nous nous trouvons sur Galaden, galadSn, le continent, et plus précisément au cœur de Valène, valSn, un village arboricole niché dans une vaste forêt.

    Nous sommes devant l’entrée ouest de la salle commune, un grand chapiteau octogonal en bois, l’unique construction au sol. Ce bâtiment, qui dispose de quatre entrées couvertes, sert de lieu de rassemblement pour les habitants.

    Les autres structures du village sont suspendues dans les hauteurs, perchées autour de troncs titanesques d’arbres millénaires. Ces habitations sont solidement fixées par un système ingénieux de piliers de bois en étoile, ancrés à de larges anneaux métalliques entourant les troncs.

    Un réseau complexe de passerelles suspendues, d’escaliers sinueux, d’échelles de corde, de plateformes, de ponts de singe et de tyroliennes relie les différents bâtiments. Chaque structure est équipée d’une terrasse aérienne et d’un petit ascenseur à ciel ouvert qui longe les troncs imposants. Ce village suspendu est une merveille d’harmonie entre architecture et nature, baigné dans une lumière tamisée par les frondaisons.

    Éberdan est un mâle Wa’ Dan d’une quarantaine d’années, à la carrure imposante et à la prestance qui ne laissent personne indifférent. Ses longs cheveux épais, réunis en un topknot, contrastent avec la gravité de son regard. Ses yeux d’un vert étrange, perçants, semblent sonder l’âme de ceux qu’il croise. Sa voix, profonde et grave, porte une autorité naturelle, et tout en lui semble appeler au respect.

    Bien qu’il soit perçu comme intrépide et fougueux, fidèle à l’image du grand aventurier qui l’a propulsé au sommet de la légende, cette attitude n’est qu’une façade soigneusement entretenue. Sous cette image de héros se cache un homme plus complexe, joyeux et énergique, qui s’efforce de dissimuler ses doutes derrière un masque de bonne humeur. Son tempérament communicatif et son humour contagieux sont des traits qui lui permettent d’apaiser les tensions et d’alléger ses propres luttes intérieures. Cultivé et vif, il sait apporter une touche de légèreté même dans les moments les plus graves.

    Sous un long manteau bleu nuit, il porte une chemise bleu roi à laçage noir, avec un col remonté qui lui donne un air à la fois élégant et décontracté. Son pantalon ample, d’un bleu cobalt profond, est maintenu par un large ceinturon de cuir orné d’un fermoir à crochet doré. Ses mocassins à doigts noirs, originaux et imposants, complètent ce look distinctif qui ne manque pas d’attirer les regards.

    Korda, professeure de sciences, est une femelle de la cinquantaine, d’une corpulence généreuse. Ses cheveux noirs, crêpés sur le dessus et attachés en une queue-de-cheval basse, encadrent un visage rond et joufflu, marqué par un regard franc et un sourire délicat. Ces traits révèlent une personnalité ouverte, chaleureuse, et une grande capacité à créer des liens.

    Elle porte un tailleur en cuir brun, composé d’une veste à manches longues ornée d’un motif doré représentant un calice, encadré par six étoiles à cinq branches. Sa jupe plissée complète l’ensemble avec une touche de sophistication. Un bustier bordeaux met en valeur sa silhouette, soulignant sa généreuse poitrine avec une élégance discrète.

    Éberdan — Valène

    Il pleut ce soir sur Valène. Une pluie tiède, de grosses gouttes qui éclaboussent en tombant, créant un murmure régulier. L’air est lourd, saturé d’humidité, et l’odeur familière de terre mouillée se mêle à celle de l’huile d’azarin. Une huile qui brûle lentement dans le photophore circulaire suspendu au-dessus de nos têtes, projetant une lueur douce et vacillante. La chaleur enveloppe chaque respiration, rendant l’atmosphère presque palpable.

    L’azarin est un arbre de taille moyenne, aux feuilles vert foncé, brillantes, découpées en neuf lobes bien marqués, leur sommet acuminé. Son fruit, une grosse noix de la taille d’un œuf, renferme des graines huileuses en forme de croissant. Les Wa’ Dans décortiquent soigneusement ces noix pour en extraire les graines, qu’ils pressent pour obtenir une huile jaune orangé au parfum subtil d’amande. Cette huile est utilisée à la fois pour la cuisson et l’éclairage. La pulpe, quant à elle, est séchée, grillée, puis infusée pour préparer le faré, une boisson très populaire parmi les Wa’ Dans. Lorsqu’elle brûle, l’huile d’azarin dégage une fragrance d’amande, agissant comme un répulsif naturel contre les insectes.

    Korda et moi sommes abrités sous le porche de l’entrée ouest de la salle commune, une galerie dont le plafond est orné du calice aux étoiles, emblème de Valène. La semaine touche à sa fin, et cette soirée est ma dernière à Valène avant mon départ pour le village suivant. Une soirée spéciale, du moins je l’espère, car les enfants l’attendent avec impatience. C’est celle où je vais leur conter mon histoire.

    Mon intervention est bien rodée. Ce n’est pas un simple discours, mais une causerie, un moment d’échange vivant et ouvert, ponctué de nombreuses digressions. Plus qu’un récit, c’est un appel à la participation. Mon histoire, après tout, est aussi leur histoire. Notre histoire.

    Je m’appuie sur quelques-unes de mes aventures… ou devrais-je dire… mésaventures… pour leur transmettre des connaissances pratiques en géographie, botanique et histoire. Ces récits ne sont qu’un prétexte pour aiguiser leur curiosité, élargir leur esprit et les préparer à leur futur parcours initiatique. Mon message est essentiel : ces enfants représentent notre avenir, et les mentalités doivent évoluer.

    Notre peuple endormi doit se réveiller. Nous devons renaître de nos cendres et retrouver notre place au sein de…

    « Éberdan ? » La voix douce de Korda porte un léger accent chantant.

    Korda me sourit amicalement, posant une main chaleureuse sur mon épaule.

    « Pardon. Je…

    — Je t’en prie. » Elle tend la main dans un geste invitant à avancer.

    Je prends une inspiration profonde, passe les deux mains sur mon topknot pour m’assurer qu’il est bien en place, redescends un peu ma chemise, ajuste mon long manteau, et m’éclaircis la gorge. Un clin d’œil complice à Korda pour me donner du courage, et je m’avance dans l’arène…

    Ils ne sont qu’une petite trentaine, chahutant joyeusement sur les cinq rangées de gradins. En entrant, je baisse les yeux, adoptant un air recueilli, et joins mes mains sans que les paumes ne se touchent, un geste empreint de respect. Je monte lentement les trois marches menant à l’estrade…

    Le silence tombe comme une vague. Je m’avance jusqu’au bord de la tribune, plante mon regard dans le leur, et prends ma voix la plus grave et imposante :

    « Bonsoir, les enfants !

    — Bonsoir ! » Tous les regards sont braqués sur moi, pétillants de curiosité, d’intérêt, et d’excitation.

    « Je m’appelle… » Je marque une pause volontaire, scrutant leurs visages.

    « Au fait ? Quelqu’un ici sait comment je m’appelle ? »

    Un chœur enthousiaste s’élève : « Oui !

    — Tu t’appelles Éberdan ! » lance une jeune fille d’une voix claire, fière de sa réponse.

    Je souris.

    « Exact, jeune Wa’ Dan. Éberdan, de Dun Storène. Et toi, comment t’appelles-tu ? »

    Elle se redresse légèrement, flattée qu’on s’adresse directement à elle : « Tchéa ! Tchéa, de Valène ! »

    1.1.0

    Jeudi 15 septembre 2388

    Espace interstellaire entre le Soleil et Proxima Centauri.

    Au cœur de l’obscurité cosmique, un trou de ver déploie ses aberrations visuelles. Autour de son tourbillon annulaire, un halo d’images fantômes tournoie, reflétant des fragments d’espace et de lumière déformés par la gravité extrême.

    Dans cette immensité, le vaisseau interstellaire Alpha Cent fend l’espace, propulsé par des technologies d’avant-garde qui lui permettent de frôler la vitesse de la lumière.

    Caractéristiques techniques :

    Propulsion principale :

    Quatre moteurs à antimatière Centaure IV, optimisés pour les longs trajets interstellaires.

    Un propulseur central Meteor V, exploitant une combinaison de fusion par confinement inertiel par laser et d’antimatière pour une puissance inégalée.

    Voiles énergétiques :

    Quatre voiles, à la fois photoniques et protoniques, d’une longueur impressionnante de 440 mètres chacune. Elles se déploient perpendiculairement au corps de l’astronef.

    Ces structures souples et articulées, faites d’un matériau semi-organique ultrarésistant, se divisent en trois sections trapézoïdales qui s’élargissent progressivement vers l’extérieur, captant les flux de particules et de photons pour maximiser la propulsion.

    Dimensions :

    Longueur totale : 107 mètres, avec une architecture en trois segments.

    Une proue conique en pain de sucre, mesurant 30 mètres de diamètre pour 42 mètres de longueur.

    Un corps cylindrique compact de 25 mètres.

    Une poupe étendue de 40 mètres, abritant les systèmes de propulsion et d’énergie.

    Envergure totale : Lorsque les voiles sont déployées, Alpha Cent atteint une largeur majestueuse de 910 mètres, offrant un spectacle saisissant dans l’espace interstellaire.

    L’immatriculation du vaisseau, α 100, est gravée en lettres noires sur sa coque chromée, réfléchissant les éclats d’un espace ponctué d’étoiles lointaines. À côté, un emblème saisissant attire le regard : un griffon mythique, gris acier, dépourvu de pattes avant, figé dans une posture dynamique, prêt à bondir vers l’ouest. Ce symbole est entouré de cinq étoiles dorées à cinq branches, une pour chaque fédération terrienne : Afrique–Moyen-Orient, Amérique, Asie, Europe et Océanie.

    Le vaisseau est actuellement retourné, effectuant une phase de décélération constante. Sa vitesse, 69 850 km/s, décroît lentement tandis que les lasers collecteurs d’antimatière sont désactivés. Autour des moteurs Centaure IV, les anneaux magnétiques diffusent des halos d’un bleu intense, une signature lumineuse de la puissance titanesque qui propulse Alpha Cent à travers l’infini.

    Passagers : 6 humains en hypersommeil, plongés dans un état de stase pour supporter la durée d’un voyage interstellaire.

    À 10 heures et 14 heures, des points lumineux d’intensité croissante apparaissent dans l’espace, marquant l’entrée dans le trou de ver ! Un trou de ver qui fait la jonction entre trois univers : Aïné, Sété, et Fèch. Ce phénomène cosmique relie ces réalités parallèles, créant une zone de convergence vibrante et chaotique.

    Alpha Cent vire sur tribord et se dirige vers le point lumineux à 14 heures… Un point qui enfle rapidement pour devenir une galaxie en émergence, grandissant à mesure que le vaisseau s’en rapproche.

    L’autre point lumineux, celui situé initialement à 10 heures, commence à régresser, diminuant en taille, tandis qu’un astronef triangulaire noir en émerge.

    C’est un télapt, vaisseau éthaïre dont la coque noire et luisante, striée de motifs longitudinaux, reflète des éclats de lumière bleus, verts et violacés. Ce vaisseau, équipé d’un générateur de champ gravitationnel répulsif, file à une vitesse proche de celle de la lumière, atteignant 296 975 km/s.

    À bord, un Éthaïre, protégé dans une combinaison intégrale gris acier, flotte dans un gel thixotropique translucide rougeâtre.

    Un gel permettant de maintenir son intégrité physique à de telles vitesses.

    Le télapt dépasse rapidement Alpha Cent et disparaît dans l’immensité de l’espace, laissant derrière lui une traînée lumineuse qui s’éteint en un instant.

    Rappels historiques :

    2 novembre 2048 : L’intelligence artificielle prend le contrôle de l’Humanité, un tournant majeur dans l’évolution technologique et politique de la Terre.

    21 juin 2051 : Décollage de deux vaisseaux cargo à destination de Nili Fossae, quadrangle de Syrtis Major, sur Mars, marquant le début de l’exploration et de la colonisation martienne.

    15 août 2053 : Départ de la mission Mars One, projet ambitieux visant à établir une colonie humaine permanente sur Mars.

    21 février 2054 : Les premiers hommes posent le pied sur Mars, inaugurant une nouvelle ère dans l’histoire de l’Humanité, celle de la colonisation de la planète rouge.

    14 juillet 2055 : Départ de la mission Mars One de Mars vers la Terre, après avoir établi la première base martienne.

    17 janvier 2056 : Retour complet sur Terre de la mission Mars One : la première étape de la colonisation de Mars est achevée avec succès.

    2343 : Lancement de la sonde Alpha Explorer Huit, dont la destination est le système Alpha du Centaure : un projet d’exploration interstellaire.

    2356 : Alpha Explorer Huit se retrouve piégée en orbite de PXA 5760, une planète de Proxima Centauri nommée Niry. La sonde semble avoir rencontré un phénomène spatial inexpliqué.

    2357 : La sonde cesse de fonctionner. Les derniers rapports d’Alpha Explorer Huit parviennent en 2361, avant sa disparition.

    17 mars 2362 : Réception d’un signal d’Alpha Explorer Huit. Un message subséquent est joint au code d’identification. Il contient des modèles mathématiques scientifiques complexes qui ne peuvent provenir que d’une civilisation technologiquement plus avancée.

    Le contact avec une intelligence extraterrestre marque le début d’une nouvelle époque dans l’histoire de l’Humanité, ouvrant la voie à des découvertes majeures et une collaboration interstellaire inédite.

    2371 : Un deuxième message parvient à la Terre, incluant des modèles physiques qui révolutionnent la conception des vaisseaux spatiaux, notamment en matière de propulsion.

    2380 : Le dernier message reçu encourage la construction d’un vaisseau interstellaire pour entreprendre un voyage de reconnaissance, une mission de portée galactique.

    2381 : La Confédération vote les crédits nécessaires pour la construction d’un vaisseau interstellaire, utilisant des procédés de propulsion révolutionnaires issus des informations extraterrestres. Le vaisseau, assemblé en orbite martienne, est baptisé Alpha Cent.

    10 juin 2385 : Départ d’Alpha Cent avec six passagers à bord pour un voyage interstellaire vers une destination encore inconnue.

    9 juillet 2385 : Alpha Cent atteint sa vitesse de croisière, 297 000 km/s, et les six passagers entrent en hypersommeil pour le reste du voyage.

    1.1.1

    8 juin 2384

    Vaisseau porte-conteneurs et tanker Sidereus Nuncius Jovio.

    Propulsion : fusion deutérium-hélium 3.

    Vitesse de croisière : 300 km/s

    Cargaison : dioxyde de plutonium et hélium 3.

    88e jour de mission : maintenance de la flotte de sondes joviennes et des robots extracteurs de minerai. Récupération et stockage de dioxyde de plutonium et d’hélium 3.

    Trajet retour d’Io, satellite de Jupiter, vers Mars.

    Anna Zeed, commandante du Sidereus Nuncius Jovio, porte en elle l’héritage de deux fédérations. Née à Amsterdam le 2 février 2356, elle est la fille de Maarten Zeed, astropilote néerlandais au sang-froid légendaire, et de Chung-Ae Kim, physicienne coréenne dont les découvertes ont redéfini les lois de l’énergie spatiale. Eurasienne à la beauté austère, Anna affiche un teint mat, des yeux en amande marron et une chevelure lisse, châtain mi-longue, souvent attachée de manière pratique.

    À 28 ans, Anna incarne la nouvelle génération de commandants.

    Après avoir intégré l’A3 (Académie spatiale d’Addis-Abeba) à 18 ans, elle s’est distinguée dans des missions exigeantes, gravissant les échelons grâce à une combinaison rare de sang-froid, de discipline et d’une intuition aiguisée.

    Malgré une expérience encore relativement récente, Anna impose le respect par sa rigueur et son pragmatisme. Aujourd’hui, sa mission consiste à transporter une cargaison critique depuis les mines volcaniques d’Io jusqu’aux colonies martiennes, après avoir assuré la maintenance des sondes joviennes. Pourtant, même dans une routine bien rodée, l’espace garde ses mystères, et chaque manœuvre porte en elle une part de risque que seule une vigilance absolue permet de maîtriser.

    Anna

    C’est notre cinquième jour en vitesse de croisière, et nous entamons la traversée de la ceinture d’astéroïdes.

    La transition se fait en silence, un silence lourd, presque oppressant. Cette phase de la mission se déroule sous une microgravité générée par la rotation des conteneurs et des réservoirs, un effet mécanique auquel je suis habituée, mais qui n’en reste pas moins étrange. Les objets flottent autour de nous, dérivant comme des spectres. La moindre secousse, le plus petit ajustement de trajectoire, pourrait provoquer des réactions en chaîne incontrôlables.

    Nous avons quitté l’orbite martienne le 13 mars. Après 54 jours de trajet, nous avons atteint Io, satellite de Jupiter. 16 jours d’accélération, suivis de 22 jours en vitesse de croisière, puis encore 16 jours de décélération, le vaisseau retourné, pour amorcer la phase de ralentissement. Le 19 mai, nous avons quitté Io, entamant notre retour vers Mars, avec une arrivée prévue le 12 juillet.

    Je partage mon temps entre le sport, mes tours de garde et le peu de repos qu’il me reste. Ma cabine, spartiate, ne mesure guère plus de six mètres carrés. Une simple couchette, une niche pour les effets personnels et un cabinet de toilette : l’essentiel, ni plus ni moins. Ma fonction de commandante n’accorde aucun luxe, aucun privilège particulier. Les responsabilités, oui, mais aucun confort supplémentaire. Mes compagnons vivent dans les mêmes conditions. Nous sommes six : Kurt Shelter, mon second, un homme de confiance dont la sérénité implacable est un atout inestimable ; Élise Seghin, l’astronavigatrice, une virtuose du pilotage spatial ; Matteo Vosgueritchian et Kinsada Nakamura, les opérateurs de transbordement, efficaces et silencieux comme des ombres ; et Keshia Atassi, la médecin, dont le regard perçant semble toujours sonder plus profondément qu’il ne le faudrait.

    La vie à bord, rythmée par des horaires de travail bien définis, n’a guère de place pour le superflu. Nous ne sommes pas là pour chercher des plaisirs, mais pour exécuter la mission. Pourtant, dans ces silences de l’espace, même les gestes les plus anodins prennent un poids étrange. Le vide autour de nous n’est pas que celui de l’espace ; il est aussi celui qui s’installe entre les membres de l’équipage, imperceptible, mais présent.

    Le tour de garde terminé, je regagne ma cabine, et je me laisse tomber contre la couchette, m’étirant comme une bienheureuse.

    Un soupir m’échappe, lourd de soulagement.

    Je retire précautionneusement mes lentilles, des instruments à réalité augmentée, mes chaussons, et me débarrasse de la combinaison, de la brassière et de la culotte.

    J’aime être nue et profiter de ces moments d’intimité pour me détendre, me caresser, faire jouer mon imagination et me laisser aller au plaisir. Ces moments de solitude sont précieux, essentiels même, pour évacuer le stress de la mission et relâcher les tensions.

    Un cadre holographique, ma touche personnelle à la déco, projette un cliché tridimensionnel pris lors de mon dernier passage à Amsterdam, ma ville natale. Je suis avec mes parents. Papa, grand, blond, aux yeux bleus, qui sourit largement devant l’objectif, et Maman, petite et menue, qui me tient la main et sourit doucement. Nous sommes sur le pont de la Sint Jansbrug, côté Sint Jansstraat. Les ginkgos, jaune beurre, commencent à perdre leurs feuilles. Notre maison, avec ses fenêtres familières, se devine à l’arrière-plan. Un lieu chargé de souvenirs que je ne souhaite pas oublier.

    Je me détourne de l’hologramme et ouvre la porte coulissante de la niche, ma niche, un réduit matelassé qui me sert de sanctuaire. À l’intérieur se trouve un récipient en polycarbonate : une étonnante carafe éthiopienne, richement ornée de motifs africains rouges et orangés. Je la détache de son support, ainsi que l’ustensile enchâssé à sa droite, un verre arrondi, à fond concave, muni d’une paille rétractable. J’emboîte délicatement le verre sur le goulot de la carafe et appuie un peu, un peu plus, juste assez pour obtenir une mesure raisonnable du divin nectar contenu dans la carafe.

    Une liqueur éthiopienne, sirupeuse, à la couleur jaune verdâtre, au nom imprononçable, Kunymiungu

    Le Kunymiungu a un goût unique et un arôme gourmand que j’affectionne particulièrement, même si, en apesanteur, il perd un peu de sa richesse. Son goût évoque la mangue, l’ananas, le miel et le chocolat… Un mélange sucré et réconfortant, presque onirique. Je détache le verre, tire la paille et la porte aux lèvres. Une aspiration douce. Je ferme les yeux, savourant chaque seconde de ce plaisir simple…

    Mais le dong de l’interface de contrôle me ramène brusquement à la réalité.

    « Audio seul ! » Je choisis de ne pas perturber mon interlocuteur.

    « Anna ! » La voix posée de Kurt. « Désolé d’te déranger, mais j’ai besoin de toi.

    — Oui, qu’est-ce qui s’passe ?

    — Le taux de rayons X ! Le dérèglement solaire se confirme.

    — Mince ! J’arrive ! »

    Je termine la liqueur d’un trait, la douceur de l’arôme engloutie par l’urgence. Je replace la paille, réajuste verre et carafe à leurs places respectives, et ferme la niche en un mouvement précis. Puis, dans une hâte presque mécanique, je renfile la combinaison et les chaussons. Tant pis pour les lentilles connectées, les sous-vêtements resteront en suspens, et tant pis pour la fraîcheur du textile moulant qui marque mes seins, les mamelons pointant dans la précipitation du moment.

    *

    Salle de contrôle du Sidereus Nuncius Jovio.

    Anna est en compagnie d’Élise et de Kurt.

    Élise Seghin, une Caucasienne d’1 m 72 aux cheveux châtain clair, mi-longs, et aux yeux gris-vert, scrute l’holographe central.

    Kurt Shelter, un Martien d’origine américaine, se tient à ses côtés. Il est grand, 2 mètres 08, mince, avec un visage carré et osseux, marqué par une barbe qui accentue ses traits durs. Ses cheveux châtain, coupés court, font ressortir son regard concentré.

    Tous trois sont figés, l’air perplexe, face à l’holographe central qui présente le soleil en gros plan. Un compteur clignote : "36 : 27″. Les images datent de quelque 36 minutes. Le silence dans la pièce est lourd, comme si chaque seconde devenait plus précieuse, plus menaçante.

    Les tourbillons qui agitent la photosphère sont la source de nos inquiétudes depuis notre départ d’Io.

    « Aïe ! Vous pensez comme moi ?

    — Les tourbillons s’amplifient… » Élise me lance un regard lourd de sens, une grimace contrite « … ça ne présage rien de bon. »

    À peine a-t-elle terminé sa phrase qu’un phénomène spectaculaire se produit : de longs filaments de masse coronale sont soudainement éjectés du cœur de la couronne solaire ! Le mouvement est rapide, presque trop rapide pour qu’on puisse le saisir complètement.

    Je fixe l’écran, glacée, tandis qu’une notification apparaît sous l’holographe, me pétrifiant sur place : X27. Une éruption phénoménale. La plus intense du siècle. La tension dans la salle est palpable, l’air semble se figer autour de nous, comme si l’univers entier retenait son souffle.

    Lancé à pleine vitesse vers Mars, le vaisseau… une bombe thermonucléaire en puissance… ne pourra pas échapper au flux de particules de hautes énergies qui va croiser notre route. Et ce, en pleine ceinture d’astéroïdes !

    La proue du vaisseau est notre bouclier principal. Nous devons donc absolument faire face au soleil pour minimiser l’impact ! Le moindre écart nous exposerait aux effets dévastateurs des radiations. Il pourrait même être fatal.

    « L’angle de notre trajectoire par rapport au soleil ? »

    Kurt fixe son écran, les sourcils froncés. « 25,27 ! » Il hoche la tête, devinant immédiatement ma pensée. « Ivy ! Changement de cap ! Direction, l’origine de l’éruption ! »

    Ivy, l’IA de l’astronef, répond aussitôt d’une voix métallique parfaitement androgyne : « Engagement de correction de trajectoire »

    Un compte à rebours s’enclenche. Chaque seconde devient un défi, chaque chiffre une menace potentielle.

    « Ivy ? Combien de jours avant l’impact ?

    — Sept jours. Approximation, douze pour cent.

    — Matteo ? Kinsada ?

    — Anna ?

    — Venez nous rejoindre en salle de contrôle.

    — Qu’est-ce qui s’passe ?

    — Une éruption solaire. Le flux va croiser notre route…

    — On arrive.

    — Keshia ? Keshia ?

    — Mmh ? Anna ?

    — Je t’attends en salle de contrôle pour un nouveau briefing. »

    *

    15 juin 2384

    Les six membres de l’équipage, tous équipés de leur combinaison de sortie extravéhiculaire, sont assis en salle de contrôle. L’atmosphère est oppressante, saturée de silence, chaque respiration résonnant comme un écho dans l’espace clos. Le compte à rebours, implacable, s’étire devant eux, chaque seconde s’égrenant avec une lenteur presque insupportable : 180 secondes…

    « Élise ?

    — Magnétosphère à puissance maxi.

    — Ivy ?

    — Tous les systèmes auxiliaires vont être stoppés dans… quarante secondes. » Les lumières s’éteignent brutalement, et le compte à rebours disparaît à 120 secondes. Je poursuis le comptage… 119, 118, 117… À 10, j’inspire profondément et m’agrippe aux accoudoirs. Un léger soubresaut secoue le vaisseau, suivi de grésillements dans le casque. Je ferme les paupières, et pour la toute première fois, je perçois les flashs rétiniens…

    *

    Jeudi 15 septembre 2388

    Vaisseau Alpha Cent. Module d’hypersommeil.

    Les flashs rétiniens s’intensifient, un mal de crâne fulgurant me saisit. La douleur est sourde, profonde, et chaque respiration devient un combat. Le nez me brûle, ma gorge est en feu. Allongée, je me sens aspirée dans un tunnel, flottant dans un vide épais. Chaque mouvement est une torture. Mes épaules, mes genoux, mes articulations… tout me fait souffrir. Les troubles articulaires, les douleurs musculaires ! Bon sang… Io, l’éruption ! Je rêvais !

    Sarah, c’est elle… C’est Sarah qui vient de déclencher mon réveil…

    Sarah est l’intelligence artificielle du vaisseau Alpha Cent.

    L’éruption de juin 84 ! Deux mois avant que j’intègre le programme Alpha Cent.

    La magnétosphère avait parfaitement joué son rôle, et, malgré quelques dégâts mineurs, rien n’avait entravé notre trajectoire. Nous avions repris notre cap, et, après huit jours de retard, nous étions parvenus à destination. L’équipage et la cargaison étaient indemnes, mais la mémoire de l’incident restait ancrée, tenace.

    C’était un an avant de quitter Mars à bord d’Alpha Cent, cet extraordinaire vaisseau, premier astronef conçu pour le voyage et l’exploration interstellaires.

    Mon corps engourdi, mon esprit flottant entre rêve et réalité, je me réveille d’hypersommeil… Et si Sarah vient de me réveiller, c’est que nous avons franchi les limites du système d’Alpha du Centaure et que nous approchons de la naine rouge Proxima. Niry, notre destination, une planète lointaine et pleine de mystères, est désormais tout près, prête à dévoiler ses secrets.

    Nous sommes les premiers explorateurs de l’infini sidéral, les pionniers d’un avenir sans frontières. Nous héritons des audacieux, ces lointains ancêtres, des hommes armés de torches et de gourdins, qui s’aventuraient dans les profondeurs de grottes obscures. Cette insatiable curiosité, qui brûle en nous, nous pousse à dépasser nos limites, à repousser les frontières de l’inconnu. Après avoir conquis notre planète, exploré l’espace, foulé la Lune, et transformé Mars en un monde habitable, nous voilà en route, déterminés, vers l’au-delà du système solaire.

    Nous sommes les acteurs privilégiés des instants qui, pour l’éternité, bouleverseront l’Histoire de l’Humanité. Parfaitement conscients des risques et des dangers multiples qui nous attendent, et pourtant délibérément inconscients. La volonté de transcender nos limites, ce désir insatiable de nous surpasser, semble l’emporter sur la raison, plus puissant que la peur elle-même.

    Nous ne détectons rien autour de Niry. Alors qu’allons-nous découvrir ? Qui est à l’origine du contact ? Un peuple à la civilisation avancée ? Avancée à quel niveau ? Et quelles sont leurs motivations ? Sont-ils réellement pacifiques ? Allons-nous tomber dans un traquenard ? Tant de questions qui trouveront bientôt leurs réponses.

    Le sifflement s’est estompé, remplacé par le bruit apaisant de vagues venant mourir sur une plage, accompagné de quelques notes de piano. La Première Arabesque de Debussy flotte dans l’air, légère, comme un rêve suspendu… La capsule d’hypersommeil, sorte de tube articulé, s’incline lentement vers l’avant, me tirant doucement de ma torpeur.

    Un faible éclairage rouge s’allume, baignant la pièce d’une lueur tamisée et inquiétante. Six capsules d’hypersommeil sont alignées dans le silence métallique. Quatre restent à l’horizontale, immobiles, tandis que deux sont inclinées, signes d’une réactivation en cours. Anna, encore à demi engourdie, est bardée de fils, de sondes et de perfusions, son corps prisonnier d’un réseau technologique qui semble à la fois la maintenir en vie et l’enchaîner.

    Je perçois une lueur à travers mes paupières. Des paupières lourdes, collées, que je parviens à relever avec effort, juste assez pour distinguer un brouillard rougeâtre. Mon esprit lutte pour émerger, mais mon corps réclame du temps. Engourdi, il se réveille dans une tempête de fourmillements et de brûlures lancinantes. Chaque mouvement réveille une douleur sourde, comme si mes articulations étaient saturées d’aiguilles de verre, prêtes à se briser au moindre geste.

    Après quelques instants de répit, je rouvre les paupières. Le brouillard s’est dissipé, révélant un environnement encore flou, mais plus net. À ma droite, Lewis, incroyablement chevelu et barbu, s’éveille à son tour. Il m’adresse un clin d’œil maladroit, hésitant, mais cette simple expression suffit à briser l’isolement oppressant de l’instant. Un réconfort inattendu qui apaise, un peu, les douleurs, les malaises et les vertiges qui m’assaillent. Dans cette solitude pesante, ce geste, si humain, semble tout changer.

    Lewis Taylor, né à San Diego le 17 septembre 2351, est le fils de Yang Taylor, d’origine chinoise, et de Sakari Louie, d’ascendance amérindienne. Mesurant 1 m 73, avec une carrure trapue, il arbore une peau brun pâle, des cheveux noirs et des yeux en amande assortis, encadrant un visage ovale au nez fin. Second d’Anna, il veille avec rigueur sur la sécurité et l’armement embarqué, un rôle qu’il endosse avec une assurance discrète, mais inébranlable.

    « Bonjour Anna, bonjour Lewis. » La voix chaude et suave de Sarah résonne, enveloppante, presque maternelle. « Votre module de rafraîchissement vous attend. »

    Sarah, notre mère, notre déesse, omniprésente et bienveillante, assiste à la naissance d’une nouvelle ère. Nous sommes les premiers humains éveillés de ce système stellaire, les premiers à fouler ce territoire inconnu, à ouvrir les yeux sur l’infini d’Alpha du Centaure.

    D’un geste hésitant, je m’affranchis des branchements du tube, comme un nouveau-né qui quitte le cocon pour affronter un monde encore flou, mais rempli de promesses et de mystères.

    « Bonjour Sarah. » Ma voix est rauque, ma bouche affreusement pâteuse. « Intégrité du vaisseau ? Nous sommes tous sains et saufs ?

    — Intégrité de la coque, 100 %. Étanchéité, 100 %. Oui, Anna. » La réponse de Sarah, précise et rassurante, résonne dans l’air lourd.

    Lewis et moi nous relevons péniblement, nos mouvements encore gauches. Le champ gravitationnel artificiel est opérationnel, mais notre corps semble hésiter, comme s’il cherchait à réapprendre la simple action de se tenir debout.

    Ce champ est généré par un tronc central, une sorte d’arbre à cames géant composé de trois générateurs de champ couplés à des supraconducteurs rotatifs. Il exerce une force d’attraction vers le noyau du vaisseau, plutôt que vers l’extérieur. L’intensité du champ décroît rapidement à mesure qu’on s’en éloigne, créant une zone de gravité artificielle stable, mais fragile, en constante interaction avec les systèmes du vaisseau.

    Il me faut réapprendre à utiliser mon corps, chaque geste étant un défi pour me remettre d’aplomb, avant de m’accroupir pour reprendre une respiration haletante. Lewis, le premier à se lever, tend une main secourable pour m’aider. Qu’allons-nous découvrir, tous deux nus, main dans la main, tels Adam et Ève, prêts à explorer un monde vierge ? Le Paradis ? L’Enfer ? Le Bien ? Le Mal ? Et qui sont ces anges qui attendent notre arrivée ?

    Mais, en cet instant, ce n’est clairement pas le Paradis. Chaque mouvement est une épreuve. Les nausées me tenaillent, tandis que mes battements de cœur résonnent avec fracas dans mes tempes.

    Lewis jette un regard attentif aux capsules de nos quatre compagnons. Les tubes semblent fonctionner correctement, ils sont encore plongés dans le sommeil artificiel.

    « Sarah ? Tu n’as pas réveillé les autres ? s’étonne Lewis, une note d’inquiétude dans la voix.

    — Pas encore, Lewis. Vous pourrez choisir de les réveiller lorsque vous serez prêts.

    — Choisir ? Prêts ? Prêts à quoi, Sarah ?

    — Opérationnels. » La réponse tombe, claire, mais déstabilisante. Un silence lourd s’installe entre nous. Choisir… Prêts… De quoi parle-t-elle exactement ? L’incertitude s’installe, rendant chaque seconde plus pesante.

    La porte du module de rafraîchissement s’ouvre. Nous avançons de quelques pas, et une agréable tiédeur nous enveloppe. Je me positionne au centre d’un carré bleu lumineux, et les parois de la douche montent lentement autour de moi. Un brouillard de fines gouttelettes me baigne.

    Je reste immobile, les bras pendants, les paupières fermées, tandis que je laisse mon corps se réapproprier lentement ses mouvements. Mes mains effleurent ma peau, remontent doucement le long de mes jambes, de mon ventre, et se posent sur mes seins. Un frisson parcourt mon corps, et, d’un geste presque automatique, je passe les mains derrière mes oreilles pour ramener mes cheveux en arrière.

    Sous la caresse bienfaisante de l’eau tiède, je frissonne, chaque parcelle de ma peau vibrant d’un bien-être profond. Je rouvre les yeux au moment où la ventilation démarre. La vapeur se dissipe lentement, et les parois de la douche se transforment en miroirs. Mes cheveux ont sacrément poussé, mais j’ai conservé mon poids, ma taille, fine. Une cambrure qui met en valeur mon joli petit postérieur, des seins fermes aux tétons remontés, une peau douce couleur miel, une douceur de traits qui me rappelle Maman. Je me regarde, me trouve belle, un sourire effleurant mes lèvres.

    Les parois descendent lentement. Sous-vêtements, combinaison gris-vert et mocassins m’attendent dans mon casier vitré. Je remonte la fermeture de la combinaison lorsque les parois de la cabine de Lewis s’escamotent. Lewis est rasé de près, les cheveux en brosse, tout frais, tout beau, le Lewis d’avant. Je reste figée, incapable de détourner les yeux du corps nu de cet Apollon. Ses épaules carrées, son torse musclé et imberbe, son sexe prometteur, son fessier rebondi… tout en lui m’électrise. Un trouble m’envahit, inexplicable et soudain. Un trouble que je n’avais pas anticipé, étrange, déplacé. Effet secondaire de l’hypersommeil ?

    « Anna, Lewis, vous allez pouvoir vous restaurer. » Merci, Sarah, de venir à mon secours.

    « Le moment de vérité ! » lance Lewis, s’habillant à la hâte. Tout excité, un sourire d’enfant impatient étire ses lèvres.

    « Tu te rends compte ?!

    — Non. J’arrive pas à imaginer ce qui nous attend.

    — Allons déjà déjeuner. J’ai la dalle, j’avalerais n’importe quoi ! » Il ouvre de grands yeux, presque comme un gamin.

    « Moi j’ai les jambes en coton. Sarah ? La pesanteur ?

    — 2,4 m/s² au plancher. »

    Je m’attendais à plus… beaucoup plus.

    La porte des toilettes s’ouvre sur la droite. Nous traversons le module pour rejoindre la salle de restauration. Les odeurs, d’ordinaire alléchantes, devraient normalement me mettre en appétit, mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Pourtant, Sarah, qui connaît parfaitement nos goûts, m’a préparé une tasse de soupe de pois cassés… Une petite assiette avec une boulette de viande, deux frites et un soupçon de moutarde… Et pour finir, un dessert qui ressemble à un mini gâteau de crêpes avec une bille de compote. Un repas frugal, pensé pour nous réadapter doucement à la nourriture solide.

    Toute cette nourriture est synthétique, issue de notre Grand Chef, le surnom de la machine à repas. Cette dernière fonctionne grâce à des recharges de nutriments de base : protéines, lipides, glucides, mais aussi des cartouches de colorants alimentaires, de parfums, de fibres, de vitamines, de sels minéraux et d’oligo-éléments. Tous ces produits, ainsi que notre réserve d’eau, sont stockés au-dessus de nos têtes, autour du module de vie. Il nous suffit de choisir, sur un écran tactile ou simplement par commande vocale, le goût, l’arôme, la texture, le degré d’assaisonnement, puis la forme et la couleur. Grand Chef se charge du reste, veillant à respecter notre équilibre nutritionnel et nos besoins alimentaires.

    « Tout va bien Sarah ? demande innocemment Lewis, qui remplit un pichet d’eau.

    — Bon appétit, Anna. Bon appétit, Lewis. »

    Lewis me lance un regard surpris. L’IA n’a pas répondu à sa question, un phénomène pour le moins étrange.

    « Merci Sarah. » Je fais de mon mieux pour adopter un ton aussi naturel que possible. « Tout se passe euh, normalement ?

    — Anna, Lewis, mes données sont insuffisantes. »

    Sa phrase me frappe comme un électrochoc, un froid soudain dans la pièce.

    « Hein ?! proteste Lewis. Comment ça, données insuffisantes ?

    — Vous finissez votre repas, ensuite vous viendrez en salle de l’holographe. »

    Lewis, frappé de stupeur, reste bouche bée. Je repose ma tasse d’un geste brusque, un frisson glacé parcourant ma nuque. Sans un mot de plus, nous nous précipitons vers la salle de l’holographe, toute proche, nos pas précipités résonnant dans le silence du vaisseau.

    Située à l’avant du vaisseau, la salle de l’holographe est une sphère majestueuse, son plancher convexe reflétant la lumière tamisée. Six fauteuils pivotants sont disposés autour d’un vaste pupitre central. Le plafond, haut de quatre à cinq mètres, semble se déployer en une voûte imposante. Deux mains courantes mènent vers une ouverture en demi-cercle dans le plafond.

    Lewis, en bon second, attend, silencieux, que je prenne la parole. Ce moment de flottement est étrange, presque palpable. Il connaît bien la règle : c’est à moi de diriger, de poser les questions, de maintenir le cap. Mais là, quelque chose ne va pas. Je le sens. L’atmosphère est dense, tendue, comme si l’air lui-même hésitait à circuler. Le silence est insupportable.

    « Sarah, ton rapport ! » Mon ton est plus pressant, une pointe d’agacement perce sous ma voix. Mais c’est l’inquiétude qui domine, palpable, incontrôlable.

    « Le vaisseau est totalement opérationnel. »

    La réponse de Sarah est clinique, sans aucune émotion. Elle est là, simple, brute, inaltérable. Mais ça ne suffit pas. Pas cette fois. Pas dans cette situation. Rien n’est assez clair, tout est trop flou. Je fronce les sourcils, une sourde inquiétude commençant à m’envahir.

    « Oui, et ?

    — Je n’ai pas d’autres données. »

    La voix de Sarah reste impassible, mais l’absence de précision dans sa réponse nous frappe de plein fouet. Un froid glacial me parcourt. Comment ça, pas d’autres données ? Rien pour expliquer la situation ? Rien pour éclaircir ce silence pesant qui s’installe autour de nous ? Un frisson parcourant ma nuque, je sens la confusion se transformer en un vertige lourd, pressant.

    « Comment ça, pas d’autres données ? Nous sommes bien, euh, arrivés à destination ? »

    Mes mots me semblent étouffés, noyés dans l’incertitude. Une question bête, mais nécessaire. Mais l’angoisse commence à tordre mes entrailles. Et si… Un horrible doute m’envahit, et je n’arrive plus à le chasser. Une sensation glacée se répand dans tout mon corps, comme si l’inconnu, ce vide intersidéral autour de nous, nous engloutissait déjà.

    « Je n’ai pas de donnée. » Le couperet tombe. Cette réponse résonne dans ma tête comme une sentence. Les mots flottent dans l’air comme un écho, s’éteignant dans une chape de silence oppressant. Qu’est-ce que ça veut dire ? Je n’arrive pas à comprendre. Une IA aussi sophistiquée que Sarah… impossible. Elle ne peut pas se tromper, ce n’est même pas envisageable. Et pourtant, là, dans cet instant suspendu, je suis forcée de me demander si nous n’avons pas franchi un seuil où même l’intelligence artificielle se perd.

    Lewis se tourne vers moi. Son regard, d’abord perplexe, reflète une confusion qui s’alourdit chaque seconde. Puis, l’ironie, presque désespérée, perce dans sa voix.

    « Ben nous v’là bien ! » Le ton est mordant, mais son visage trahit l’inquiétude. Il est sur le fil du rasoir, à la frontière de l’ironie et de l’épuisement nerveux. Je ne peux plus attendre.

    « Sarah ! Où sommes-nous ? »

    Ma voix est tranchante, mue par une urgence que je ne tente même plus de masquer. Elle doit savoir. Elle DOIT savoir. C’est sa fonction. Son but.

    Mais la réponse de Sarah tombe à nouveau comme un coup de marteau : « Je n’ai aucune donnée. » Ces mots me frappent de plein fouet. Aucune donnée ? Mais alors… que se passe-t-il ? Comment avons-nous atterri dans cette situation absurde, cette dérive ?

    Lewis explose, la tension bouillonnant dans ses mots. « Pas d’autres données, pas d’donnée, aucune donnée ! » Il frappe du poing contre le pupitre central, comme si cela pouvait dénouer ce mystère. « J’le crois pas ! C’est pas possible !? »

    Je serre les poings, une brume de panique me gagnant, prête à déborder. Mais ce n’est pas possible ! Ce n’est pas… Je lutte contre ce qui monte en moi, ce tourbillon d’incertitude et d’angoisse. Mais il faut garder le contrôle. Pas question de céder. Je dois comprendre.

    « Sarah ! Affiche-nous l’espace environnant ! » Ma voix se fait plus incisive, mais une part de moi doute. Est-ce que cette demande changera quoi que ce soit ?

    Une vidéo holographique, nette et précise, s’affiche au centre de la pièce, projetant l’image de notre salle dans une réalité virtuelle aussi tangible qu’une vision réelle. Un zoom arrière dévoile l’immensité de l’espace autour de nous. Alpha Cent, majestueux, ses voiles déployées, apparaît en grande taille, flottant dans le vide stellaire. Puis l’image se contracte encore, et Alpha Cent disparaît au cœur de l’hologramme, laissant place à un système stellaire binaire.

    Mais soudain, quelque chose capte notre attention. Un frisson glacial me parcourt le dos, mes muscles se tendent. Lewis et moi restons pétrifiés, incapables de détourner le regard. L’espace autour de nous se déforme de manière alarmante. Une portion de l’univers semble s’être volatilisée, l’espace se tord sous l’effet d’une distorsion inimaginable. Et au centre de ce chaos émerge un phénomène terrifiant : un gigantesque trou noir ! Le vide s’élargit autour de lui, engloutissant tout sur son passage.

    Alpha Cent fonce droit dans cet abîme cosmique ! La peur me saisit !

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