À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Maurice Chambost se sert de sa carrière professionnelle riche en expériences pour nourrir son écriture. À travers ses œuvres, il partage des idées qui allient réflexion et imagination.
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Aperçu du livre
L’aubain - Maurice Chambost
Chapitre I
Guldur était fils de roi.
Il aimait à se promener dans la ville, son violon sous le bras, pour se remplir, disait-il, de l’énergie qui émanait de ces inconnus, travailleurs pressés, écoliers bruyants, oisifs, insouciants ou commerçants bonimenteurs. Il les imaginait tous convaincus, du moins se plaisait-il à le croire, que de leur vitalité et de leur foi en l’avenir, surgirait, tôt ou tard, un pays aux lendemains lumineux et producteur de nouveautés, toutes humainement surprenantes et universellement bonnes.
Il se mêlait souvent aux attroupements des passants qui, au coin d’une rue, écoutaient dans un silence recueilli, les petits diseurs de journaux débitant, sur un ton toujours outrageusement dramatique, les articles appris par cœur, le matin même, de la bouche des journalistes.
D’autres fois, il préférait laisser courir son chiouche le long du déambulatoire lorsqu’il avait comme aujourd’hui besoin de méditer ou de se sentir seul, loin du palais et de ses pesanteurs protocolaires.
Le déambulatoire, auquel on accédait par des passerelles, était un étroit couloir, réservé aux piétons, juste assez large pour permettre le passage de deux personnes de front. Il avait été aménagé au-dessus du fleuve à l’époque où on avait décidé de recouvrir celui-ci pour le reconvertir en voies expresses. Celles-ci sillonnaient la ville d’un bout à l’autre, en suivant l’ancien tracé naturel du cours d’eau.
Alors qu’autrefois ce lieu débordait de véhicules, offrant un perpétuel ballet bruyant, puant, affairé et toujours changeant, le trafic se réduisait désormais, à un maigre flux irrégulier et saccadé. Le royaume n’était qu’un grand corps malade, difficilement irrigué par des artères exsangues, ne parvenant qu’à maintenir un semblant de vie.
Parfois en tendant l’oreille, Guldur croyait percevoir le clapotis de l’eau qui coulait sous ses pieds. Il imaginait alors ce monde souterrain, effrayant et sombre, dont parlait la rumeur. Elle disait que des êtres y avaient trouvé refuge et y menaient une existence hors de la lumière solaire.
En frissonnant, il appela sa bête pour qu’elle le rassure de sa présence.
Le chiouche était issu d’un croisement inattendu et involontaire.
On avait longtemps cru qu’il était impossible de croiser des espèces différentes entre elles. Mais un jour, dans un laboratoire du G.E.N.E. (Génétique expérimentale nucléaire extensive), sans doute mal entretenu par un personnel de service en nombre insuffisant par suite de restrictions budgétaires, une mouche avait pondu ses œufs au fond d’un tube dans lequel marinaient des gamètes oubliés de chien.
Et hop ! Le chiouche était né !
Les spécialistes y allèrent tous de leurs communiqués définitifs.
Les uns pensaient que la mouche avait été irradiée, d’autres affirmant que des poussières auraient eu un rôle de catalyseur. Jusqu’au concierge du labo qui tenta d’inscrire son nom à la postérité en expliquant qu’ayant la charge de nettoyer les éprouvettes, il avait pris l’habitude, pour économiser les produits détergents, de crachoter sur son chiffon pour l’humidifier. Ainsi, y avait-il forcément des traces de son ADN qui barbotait dans le tube (?).
Ce fut ensuite un jeu d’enfant de développer et de diversifier la race par quelques manipulations cellulaires.
De taille variable, allant de la boîte d’allumettes au polochon, le chiouche clappait plus fort qu’une mouche, mais volait bien plus haut qu’un chien. D’où l’importance d’un très bon dressage dès les premiers mois d’existence de l’animal, car un chiouche qui n’a pas appris à obéir, s’envole et ne revient plus.
Le chiouche de Guldur, à la robe châtaigne parsemée de tachettes blanches, s’appelait Bibull. Il était de taille moyenne, de bonne composition et présentait un vol à la fois léger et puissant.
Le prince marchait sans but, absorbé par des pensées vivaces et désordonnées qu’il ne parvenait pas à domestiquer.
Depuis la veille, il tortillait dans sa tête un début de lettre qu’il désespérait de pouvoir mettre en forme. Ce qui le préoccupait était si difficile à exprimer qu’il se perdait dans des explications hors sujet, espérant plus ou moins consciemment que le destinataire du courrier comprendrait l’origine de son désarroi sans qu’il l’ait réellement abordé.
Sans compter qu’il lui fallait veiller à ne pas employer de mots à l’orthographe trop compliquée.
Levant la tête, il fut surpris de constater qu’il approchait du « Quartier Réservé aérien ». Le spectacle de ces taudis, de ces cabanes crasseuses, de ce cloaque où grouillait la vie comme les vers sur le cadavre d’un chiouche, le fascinait. Cette vision le révoltait, mais il savait qu’en ces temps de transition, personne ne pouvait rien pour modifier cette situation, et lui pas plus qu’un autre.
L’endroit était devenu une dangereuse cour des miracles depuis qu’aux victimes des guerres, estropiés ou enfants nés difformes, étaient venus se mêler ; tout ce que la région comptait en tricheurs, voleurs, abuseurs de toutes espèces et même criminels ou repris de justice. Ceux-là, intègres de corps et d’esprit, avaient eu beau jeu d’asservir cette populace de gueux et de malheureux, brisés par le destin.
Guldur fit prudemment demi-tour en se promettant que les premières décisions du « roi Guldur », quand un jour, il succéderait à son père, seraient pour nettoyer cet îlot de vices et de misères. Cette présence désespérait les sujets sains du royaume de recouvrer espoir et foi en l’homme.
C’est en tout cas ce qu’il pensait.
S’accroupissant, il laissa glisser lentement son instrument au sol, et extirpa de sa poche arrière un petit carnet qu’il plaça en équilibre sur ses genoux. À l’aide d’un morceau de fine craie enserré dedans, il nota d’une écriture appliquée, mais malhabile : « pansé o q r ».
Soudain, il aperçut dans les ruines qui bordaient les voies expresses, une silhouette familière. Les risques que représentait la proximité du « Quartier Réservé aérien » avaient transformé ces kilomètres carrés de maisons détruites en un lugubre no man’s land où jamais personne n’osait s’aventurer.
Aussi la surprise pour Guldur fut-elle de taille !
« Beau ? » murmura-t-il tout à la fois étonné et inquiet.
Il siffla Bibull qu’il tenait à garder près de lui et se précipita sur la première passerelle rouillée qui enjambait les voies tout en appelant, mais sans crier : « Mon Maître ! Oh ! Oh ! C’est moi Guldur… »
L’homme n’entendit rien, occupé à tenter de déplacer un énorme bloc de béton à l’aide d’une simple barre à mine. Ce rapport de forces inégales aurait rebuté n’importe quel prétentieux en mal d’exploit sportif. Mais Beau avait toute sa vie développé une énergie déconcertante et s’était forgé au fil des années un optimisme inoxydable. Il prétendait que la vie sur Terre avait passé son temps à démontrer le postulat selon lequel avec du temps et de la réflexion, l’imagination pouvait lever tous les obstacles (!). Si bien qu’il n’était pas loin de considérer que les capacités de l’être humain étaient sans limite. De fait, il se lançait allègrement dans des entreprises, parfois désespérées, qu’il menait pour la plupart à terme.
Il releva la tête à l’approche de Bibull et manifesta sa joie en apercevant le prince qui, pourtant, s’autorisait un ton de reproches :
« Mais que faites-vous ici, mon Maître… et tout seul ?
— Prince ! Quel bon vent vous amène ? »
Guldur serra respectueusement la main de celui qu’il appelait « mon Maître » et le salua de ces mots :
« Bien le bonjour Beau, je ne m’attendais pas à vous rencontrer dans cet endroit. Du coup, il me paraît presque hospitalier. »
Beau parti d’un grand rire sonore, effrayant Guldur qui aurait souhaité moins de tapage.
Beau, Beau Prexfou, affichait un nombre d’années déjà fort respectable.
Sa qualité d’historien donnait l’illusion qu’il était de tous les temps. Il fallait trois chiffres pour inscrire son âge ! Maigre et grand, il s’était voûté à force de baisser la tête pour franchir les portes ou se mettre à la portée de ses contemporains. Il aimait à caresser avec douceur le sommet brillant de son crâne chauve, ou à lisser du plat de la main les quelques beaux restes de sa chevelure, autrefois blonde, qu’il conservait sur la nuque. Il soignait également sa petite moustache blanche qu’il voulait discrète, ainsi que son cou qu’il protégeait en permanence d’un foulard de soie, noué.
« C’est terrible à avouer, dit-il en parcourant du regard le décor inerte qui les entourait, mais ce champ de ruines est une mine inépuisable pour un fouineur de mon espèce. En détruisant le présent, les bombes font resurgir le passé ! »
Ses yeux, d’un bleu distingué, reflétaient la malice de son esprit qui vous fouettait un auditoire autant qu’une badine sur des mollets. Son âme curieuse se tenait à l’écoute de toutes les choses humaines.
Il paraissait encore très jeune !
Bibull voletait autour de Beau et quémandait des caresses en lui servant des coups de tête sur ses mains rugueuses. Beau répliqua en lui flattant la truffe, puis se mit à le repousser de plus en plus haut comme on le ferait d’un gros ballon plus léger que l’air. Le chiouche, ravi, s’abandonnait, se contentant de quelques battements d’ailes afin de retomber juste à l’aplomb du vieil homme pour l’inciter à poursuivre ce jeu le plus longtemps possible.
« N’aviez-vous pas envisagé le port d’une prothèse ? » demanda Beau tout à son amusement.
Cet apparent détachement dissimulait mal la sincère compassion et le profond sentiment d’injustice qu’il éprouvait instantanément à chaque rencontre avec le prince. Celui-ci répondit avec la même désinvolture affectée :
« Ainsi je suis né, ainsi je reste ! La nature l’a voulu. »
Guldur ne souhaitait pas entamer une conversation de salon à deux pas du « Q. R. aérien ». Il redoutait à chaque instant de voir surgir un groupe de gueules cassées aux ordres de quelques gibiers de potence, capables d’ôter la vie pour une paire de chaussures même dépareillées ou un bijou fantaisie un peu trop brillant.
L’insouciance de Beau l’agaçait. Il s’en prit à son chiouche.
— Allons, Bibull cesse d’accaparer mon Maître !
— Guldur est le maître de Bibull et Beau est le maître de Guldur, ironisa le vieil homme en faisant mine de s’adresser à l’animal.
— Vous souhaitez sans doute rentrer en ville à présent ? fit le prince comme s’il n’avait pas entendu.
— Certainement pas ! dit Beau en délaissant le chiouche, je dois d’abord en terminer avec ce « caillou ». Je veux ce trésor qu’il refuse de me rendre depuis deux heures.
— Un trésor ! Ici ?
— Voyez vous-même.
Beau désigna du doigt la partie apparente d’un objet noir, bizarre, qu’un bloc de béton écrasait et déformait sans le briser.
Guldur n’avait jamais rien vu de semblable et se montra sceptique sur la valeur réelle de cette découverte.
« Ensemble, nous devrions en venir à bout, affirma Beau. Vous avez plus de force dans votre seul bras que bien des jeunes qui en possèdent le double. »
En riant, Beau avait saisi la barre à mine, recalé d’un vigoureux coup de pied le pavé qui servait de point d’appui et ordonna :
« Attrapez la barre, prince, le plus haut que vous le pouvez ainsi que je le fais, et à mon signal, vous tirerez avec l’énergie de l’espoir. »
Guldur déposa à l’écart et avec précaution, son instrument sur un morceau de planche grise et ridée, et prit position selon les directives de Beau.
« Tirons, prince ! »
Le bloc trembla sous l’assaut.
« Encore, encore… Il bouge ! »
— Bibull ! s’écria Guldur sans faiblir, prends la chose, prends…
La bête attentive à ce qui se déroulait sous ses yeux depuis que le jeu était fini, pensa qu’une nouvelle partie débutait. Prompte à obéir, elle se rua sur « la chose », l’enserra dans ses mâchoires et banda les muscles de son corps pour l’arracher au béton.
« Tous ensemble ! cria Beau. TIRONS ! »
Tout à coup, le bloc de béton lâcha prise, catapultant Bibull qui partit en roulade arrière, entraînant avec lui la chose noire.
Oubliant toute prudence, les deux hommes poussèrent un cri de joie et éclatèrent de rire en voyant le chiouche qui tentait désespérément de se dégager de l’objet entièrement rond qui enserrait son cou comme un énorme collier, lourd, épais et disgracieux.
Guldur délivra sans peine Bibull qui s’ébroua, puis se mit à grogner.
« Non, Bibull ! gronda Guldur, ceci n’est pas à toi…
— Il nous prévient d’un danger, rectifia Beau. Des gens approchent ! Vite, à ma monobile ! »
Il s’empara de l’objet, de crainte que le prince ne l’abandonne sur place, et entreprit de sauter de bloc en bloc, avec la souplesse d’un jeune homme.
« On va être terriblement serré ! fit remarquer Guldur.
— À votre convenance, répliqua Beau qui s’éloignait en bondissant. »
Bibull poussa alors un hurlement sinistre et, dans l’instant, une pièce métallique de plusieurs kilos, aux formes imprécises, vint s’abattre aux pieds de son maître dans un bruit sourd. Des silhouettes menaçantes apparurent à quelques dizaines de mètres de lui.
« Vole, Bibull ! cria Guldur en attrapant son violon, vole ! » Ce que la bête avait appris à traduire par il y a danger à rester ici !
Le prince prit la fuite au milieu d’une pluie de pierres, de bouts de bois et d’une multitude d’autres projectiles qu’il ne s’attarda pas à observer de près.
Quelques minutes plus tard, collés épaule contre épaule dans le minuscule habitacle de la monobile, les deux hommes savouraient le plaisir d’avoir échappé à un danger mortel, tandis que Bibull volait au-dessus d’eux, comme un ange protecteur.
« Vous m’avez épaté, assura Beau tout en pilotant, vous êtes parti bien trente secondes après moi et pourtant vous avez eu le temps de mettre l’appareil en marche avant que je n’arrive ! Même Bibull était derrière vous ! »
Ils partirent d’un rire gai et nerveux.
— Vous portiez « la chose », ça vous alourdissait, fit remarquer Guldur hilare. Ces gens ne pensent qu’au mal, commenta Guldur redevenu sérieux. C’est bien une sale manie ça d’agresser tout ce qui bouge, ne croyez-vous pas ?
— C’est une manie qui leur vient de la nuit des temps… et je crois que, fort heureusement, nos ancêtres, proches ou lointains, l’avaient aussi… Sinon, ni vous ni moi ne serions là !
— De quoi parlez-vous ?
— De l’obstination à vouloir survivre à tout prix ! Même dans les pires conditions : vivre coûte que coûte !
— Alors, vous pensez ça normal, mon Maître ?
— Crotte de chiouche ! dit Beau, il me donne encore du « maître » ! Pour votre punition, vous m’accompagnerez la prochaine fois !
— La prochaine fois ! s’écria Guldur, vous comptez revenir dans ce coin ?
— Certainement, affirma Beau, je pense être tombé sur un gisement.
— Un gisement de… de choses comme celle-ci ? fit Guldur l’air dégoûté. Et vous appelez ça comment ?
— Un pneumatique ! répondit Beau triomphalement. Celui-ci est intact et complet ! Une pièce magnifique ! Et il y en a d’autres !
— Un quoi ? fit le prince.
Chapitre II
Guldur était fils de roi parce qu’un jour, son père, « lassé d’être inactif », paraît-il, s’en était allé dans la campagne environnante en demandant aux gens : « Ça vous dirait d’avoir un roi… et que ça soye Moi ? » (sic)
C’était, en tout cas, la version courte que sa majesté Le-Crack-Roi-Blagard se plaisait à raconter les soirs de réception, au grand désespoir de son bio-conteur officiel, Tine Doul, homme à la mémoire prodigieuse, à qui bien au contraire, il ne fallait pas moins de trois heures pour relater en trois actes et douze tableaux « La Subtile, Prodigieuse Et Providentielle Prise Du Pouvoir Par Blagard-L’Indispensable ».
Et croyez-moi, il ne décrivait pas l’affaire comme une simple balade nonchalante au cœur d’un plat pays tout acquis d’avance !
Dans un style très diversifié, alternant des textes grandioses avec d’autres bavards et insipides, Doul contait la saga des épreuves de Blagard, qui l’amenèrent à lancer au premier acte « l’Appel du 18 juillet », pour au second former « L’Unité » et finir en apothéose au troisième avec « Le Salut ».
Blagard n’assistait jamais à cet interminable récit de Ses propres exploits et tout le monde y voyait une preuve de Sa grande modestie d’autant qu’Il n’en faisait non plus jamais aucun commentaire.
En fait, Blagard était monté sur le trône quelques mois après « la vraie Paix » alors que sur l’ensemble du globe, les rescapés, hébétés, erraient au milieu d’une désorganisation planétaire totale qui allait perdurer de très nombreuses années.
On disait aussi bien « les Guerres » que « les Paix », car ce fut durant des années, une alternance de conflits sévères et violents avec de longs épisodes de paix relatives et instables. Les deux dernières périodes (2952-2961 et surtout 2969-2973) ayant à elles seules, causé plus de morts et de dégâts que toutes les autres réunies !
Chacun notera que l’auteur ne s’étend pas sur les origines de ces conflagrations, les experts eux-mêmes ayant encore à ce jour d’âpres échanges de vues sur le sujet. Et puis, ça ne changerait rien à son récit, mais il est certain que la surpopulation généralisée avait déjà été par le passé, à l’origine de nombreuses et vilaines chamailleries plus ou moins étendues.
Dans les derniers mois de 2973, de petites communautés s’étaient formées dans les méga villes dévastées et y survivaient en fouillant les décombres, obligées de réapprendre à tâtons, les gestes ancestraux de la cueillette et de la chasse.
Ceux du combat n’ayant jamais été oubliés, l’habitude fut reprise de lancer des raids de pillage sur les groupes voisins que l’on croyait toujours plus riches, plus favorisés ou plus faibles !
Mais ça-et-là des hommes et des femmes s’étaient levés, clamant leur lassitude de guerroyer à coup de lance-pierres ou de gros bâtons, disant qu’il valait mieux s’entendre et s’entraider. Avaient alors fleuri des États, des Principautés, des Seigneuries, territoires plus ou moins vastes aux frontières parfois imprécises et l’on avait songé à tout reconstruire.
Après réflexion, la populace aurait répondu : « Un roi ? C’est bien, ça ferait chic ! Ça donnerait l’impression qu’on serait heureux. »
Sans doute ces petites gens s’imaginaient-elles confusément que la misère est plus supportable à l’ombre des fastes d’une cour royale, forcément rutilante, laquelle tirerait vers le haut, sinon leur pouvoir d’achat, du moins leurs espoirs et leurs rêves de grandeurs.
Et Blagard était devenu monarque sous le nom de Blagard III pour créer l’illusion d’une dynastie déjà longue.
Dans un premier temps, Il S’était attelé patiemment, avec l’aide de Tine Doul, à maîtriser la langue, à former correctement ses phrases et à employer des mots pourtant simples, dont il ne connaissait même pas la signification.
Puis Il avait essayé d’organiser, de remettre sur pied et de revitaliser Son royaume sans trop savoir jusqu’où il s’étendait. Ainsi, Il partait parfois en tournée droit devant Lui pour le simple plaisir d’être acclamé par Son peuple et lorsque les badauds n’applaudissaient plus, qu’Il lisait sur leur visage une expression étonnée, ou entendait des murmures :
« Mais on n’a pas de roi… on a un président ! » Il s’excusait et faisait demi-tour.
Issu d’une longue lignée de commerçants, Blagard aurait pu devenir un brave homme.
Son ancêtre, Erick Van Den Roulmoule, d’origine hollandaise, s’était installé en France au 22e siècle, suite à de très mauvaises affaires. Il avait éprouvé le besoin de franciser son nom en Eric Abdel-Roulmoul.
Promis à une petite vie sans histoire, les Guerres allaient donner à Blagard l’occasion de devenir héros par hasard, avant de coiffer presque sans coup férir, une gentille couronne qui, certains jours, cependant, pèsera bien lourd sur son crâne.
Adulé et respecté comme chef de guerre, Blagard en tant que roi, n’était ni cru ni craint.
Au lendemain de Son accession, Son tout premier gouvernement se renforçait chaque jour de ministres, de secrétaires, de hauts fonctionnaires dont Il ne connaissait ni le nom ni l’attribution. Toutes les semaines, on faisait état du passage ici ou là, d’individus se déclarant « roi Blagard » et levant pour leur compte personnel qui un impôt sur les habits neufs, qui une taxe sur les cheveux longs ou les moustaches, qui une redevance sur les bavards ! De même, on ne comptait plus les prétendus pères, mères ou frères du roi qui monnayaient frauduleusement d’hypothétiques faveurs royales.
Mais la reine Titi, Tinette de son prénom, qui ne souhaitait pas devenir un personnage d’opérette, fit comprendre à son époux que le pouvoir suprême se confisque ou s’abandonne et que si on veut le garder il faut s’en donner les moyens.
Descendante d’une famille de la haute bourgeoisie d’avant-guerres, celle qui allait devenir la reine Titi, avait rejoint dès 69 les « Forces Combattantes Libres » après s’être évadée des geôles où l’avait jetée un certain ignoble, Ness Grocule. Celui-ci s’était constitué un fameux trésor de guerre grâce aux fortes rançons qu’il réclamait en échange de la libération de ses prisonniers et plus souvent de ses prisonnières.
Après la soixantaine, la reine Titi s’était légèrement enveloppée, mais son visage conservait les traits réguliers de sa beauté d’autrefois. Les pattes d’oie qui prolongeaient l’amande de ses yeux, et qui avaient charmé tant de prétendants, nous donnaient à tous, l’impression d’un sourire permanent.
Blagard fit alors le ménage dans son entourage royal, donna priorité à la construction de prisons, constitua une machine policière musclée, institua le crime de lèse-confiance et décréta la confiscation des biens de tous ceux qui se laisseraient berner par méconnaissance de la généalogie des Abdel-Roulmoul.
« Être roi est un métier », répétera souvent Blagard grassement payé pour le savoir. Et d’ajouter, sûr de déclencher des bordées d’éclats de rires obséquieux : « Mais on est en examen tous les jours ! »
Après bien des années de règne, Il fera graver sur Son trône une paire de pantoufles, symbole naïf illustrant à Ses yeux le fait que tout choix implique des sacrifices et que, tôt ou tard, vient le moment où les regrets sautent à la gorge de votre orgueil.
Un jour, en plus d’être roi, Blagard devint papa. En 2981.
Mais il était trop tard !
Blagard avait pris goût à l’affaire : les priorités du monarque étranglèrent les velléités affectives du père.
Il afficha un mouvement de recul devant le berceau du bébé qu’Il se décida cependant à soulever à bout de bras, pour l’examiner comme on le ferait d’un bien de consommation.
Le descendant de la Société de Négoce Van Den Roulmoule et Cie fit la moue devant l’état de la marchandise.
Il reposa l’enfant.
Ce fut Son dernier contact corporel avec Son héritier.
La reine Titi reçut cette répulsion en plein visage, prenant pour elle, ce rejet du nourrisson par son géniteur.
Ce fils devint peu à peu pour elle, son unique raison de vivre, sa source d’oxygène, son présent et son avenir et la principale cause de ses insomnies.
Chapitre III
Guldur était né avec un seul bras, deux jambes, mais les pieds légèrement en dedans.
Un peu poitrinaire, de santé hésitante, craignant également les courants d’air et les coups de soleil, le prince se mit dès sa petite enfance à consommer des suppositoires comme d’autres des sucreries.
À sept ans, il commença à perdre ses cheveux, et son père, mi-taquin mi-cruel, lui disait : « Ils ne vont pas bien bas tes cheveux, mon prince, ils tombent sur tes oreilles ! »
Effectivement, Guldur avait les oreilles très recouvertes d’un duvet qui, en prenant de l’âge, ressemblait plutôt à de la fourrure que le coiffeur royal s’efforçait, régulièrement, de faire disparaître.
Mais l’enfant ne se vexait pas des moqueries paternelles, car il possédait en entier le sens de l’humour.
Pour vous dire à quel point il appréciait la plaisanterie et prouver que la rancune ne logeait pas chez lui, on rapporte qu’il menaçait parfois son royal géniteur en ces termes malicieux :
« Je vais Vous mordre ! » tout en montrant les mâchoires.
Ceci était fort drôle, car il présentait des dents toutes petites et ciselées, un peu voyez, comme s’il avait utilisé une râpe à fromage en guise de brosse à dents.
Cette particularité lui conférait un sourire de scie sauteuse dont il n’était pas avare.
Et chacun de ces sourires illuminait un regard tel que vous n’en avez jamais vu dans votre miroir le matin.
Oh ! Ces couleurs !
D’un côté, le bleu rosé des mers chaudes d’avant.
De l’autre, le tendre céladon du « Ciel d’hiver » suspendu dans le hall d’entrée du musée royal des Œuvres Sauvegardées.
Lorsque le prince posait sur vous ses yeux vairons, immanquablement vous songiez au génie du bijoutier qui avait ainsi placé ces deux pierres précieuses dans un pilulier de bazar.
Et il en jouait le bougre.
Comme il impressionnait avec ce regard fixe qui semblait refléter des rêves accessibles à nul autre que lui !
Guldur aimait peu les rencontres et les causeries mondaines, mais se pliait aux exigences de sa charge.
Étant loin d’être sot, il passait pour un garçon charmant, à la conversation agréable, ne laissant pas insensibles les jeunes filles.
On recherchait sa compagnie au grand dam de sa maman qui se plaignait de ne pas « voir » son fils assez souvent.
En vérité, la reine Titi avait cessé de le voir quelques mois après sa naissance.
La reine Titi était devenue aveugle des suites de « sa maladie », comme elle disait pudiquement, et ses orbites étaient désormais garnies de billes de verres, joliment polies, mais inertes. « Voir » son Guldur signifiait l’écouter, sentir la chaleur de son souffle et le frôler du bout des doigts. Combien de chagrins n’avait-elle pas décelés uniquement en caressant le visage de son fils ? Un tremblement de la joue, une larme mal séchée, un sentiment un peu trop à fleur de peau…
Guldur s’imposait une règle de vie, une seule !
Aucun protocole ni aucune exigence diplomatique n’avait jamais pu la remettre en cause : après s’être fait raser les oreilles (de temps en temps), il réservait chaque matin sa première visite à sa mère.
Souvent d’ailleurs son emploi du temps princier ne prévoyait rien d’autre pour la journée.
La reine Titi était petite pour une reine : 1m81.
Aussi veillait-elle à toujours se rehausser.
Par le bas à l’aide de semelles épaisses, et par le haut grâce à des chignons. Elle les montait avec délicatesse et habileté en piquant adroitement quelques épingles dans ses cheveux noirs après les avoir torsadés, spiralés puis ramenés sur le sommet du crâne en récupérant au passage une mèche-anguille qui aussitôt s’échappait à nouveau et venait barrer son regard éteint.
La reine entendait résonner longtemps à l’avance le pas de son fils dans les couloirs du palais. Lorsqu’elle l’avait suffisamment « observé », ce n’était alors entre eux que murmures complices, éclats de rires enfantins, mots chuchotés à l’oreille, allées et venues au bras l’un de l’autre. Ils faisaient ainsi quotidiennement provision de tendresse.
Après cela, la reine était prête à passer majestueusement une longue et pénible journée. Active malgré sa cécité, elle présidait de très nombreuses associations et s’obligeait à visiter tout ce que le royaume comptait en hospices, crèches et même prisons. Elle avait, par ailleurs, récupéré le ministère de la Famille et du Partage. Elle œuvrait au sein d’une petite équipe de fonctionnaires, à l’amélioration des conditions de vie de chacun des sujets de son mari, depuis leur procréation jusqu’à leur mort, ainsi qu’à une juste répartition des maigres richesses du royaume.
Autant dire qu’il n’y avait pas grand-chose à faire !
Le prince aurait aimé être plus près de son père, mais le roi n’avait jamais de temps à lui consacrer ne « vivant que pour Ses Sujets ».
Il n’était pas non plus le bienvenu dans la salle du trône dont l’accès était strictement réservé aux ministres et hautes personnalités.
Toutefois, Blagard tenait à avoir le dauphin à ses côtés lors d’événements mondains ou lorsqu’Il savait que
