Recueil de nouvelles d’un haltérophile
Par Silvio Catanoso
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après une pause de plusieurs années, Silvio Catanoso, ancien champion d’haltérophilie, fait un retour fulgurant dans le monde du sport en remportant plusieurs titres. Ses productions littéraires s’inspirent des légendes et cultures des nombreux pays qu’il a visités.
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Recueil de nouvelles d’un haltérophile - Silvio Catanoso
Héphaïstos
Assis sur un fauteuil de pierre, un coude sur une cuisse, le poing sous le menton, il méditait. Plus exactement, il réfléchissait, en maugréant. Il était le dernier dieu antique. Dans sa demeure, à mille cinq cents mètres sous l’Etna, il broyait du noir. Le monde avait tellement changé. Il se rappelait les temps anciens, quand les dieux de l’Olympe étaient adorés de la plupart des hommes en méditerranée et même au-delà. Enfin, presque tous les dieux. Son père, Zeus, sa mère Héra, ses frères, demi-frères et demi-sœurs, Apollon, Artémis, Arès, ses oncles et tantes, Déméter, Poséidon, Hadès, etc. Tous sauf lui. Il avait été le mal aimé, dès sa naissance. Lorsque sa mère l’avait enfanté, elle poussa un cri de colère. Son fils était d’une laideur épouvantable. De rage, elle le précipita du haut de l’Olympe. Le choc fut rude, même pour un dieu. Il en garda toujours les stigmates. On l’appelait le boiteux. Après une telle chute, c’était un moindre mal. Quand il fut admis à séjourner avec les autres dieux, on ne lui réserva jamais une bonne place à la table des convives. Sa conversation étant limitée, les déesses s’en détournaient et les autres dieux l’ignoraient. Cependant, ils lui reconnaissaient un talent certain : la fabrication des armes et des objets en métal. Son exil sur terre lui avait permis d’apprendre le métier de forgeron. Sur les conseils de son père adoptif, un mortel, il devint un excellent artisan. Il dépassa, en peu de temps, les meilleurs. Son géniteur, qui le suivait depuis de nombreuses années, fut enchanté de ses progrès. Zeus était ce qu’il était, mais on ne pouvait pas lui reprocher de ne pas aimer ses enfants.
Le problème c’était son épouse. Elle était colérique et rancunière. Il fallut toute la ruse du souverain des dieux pour lui faire accepter leur enfant. Ce ne fut pas facile. Zeus avait beau être le patron, il n’en menait pas large quand sa femme faisait une scène. Ces jours-là, l’ensemble des divinités était occupé ailleurs. Le ciel s’assombrissait et ça tonnait dur. Il faut dire que la pauvre femme avait de quoi se mettre en colère. C’est que son mari n’était pas un modèle de fidélité.
Zeus aimait l’amour, sous toutes ses formes. Les déesses comme les mortelles, les nymphes comme les magiciennes. Il aimait aussi les hommes, jeunes et beaux de préférence. Ses expériences sexuelles étaient multiples et parfois inattendues. Il ne dédaignait pas se métamorphoser en animal pour séduire l’objet de son désir. Un jour, il se changea même en pluie pour en venir à ses fins. En résumé, Zeus était volage et ses mœurs étaient douteuses. Elles allaient de la normalité à la pédophilie en passant par la zoophilie ! C’était une autre époque, se disait Héphaïstos. Il y avait eu de bons moments et puis de moins bons. Il se remémora le jour où il avait remis à son père les premières foudres. Zeus avait lancé celles-ci toute une journée sans s’en lasser. Il avait chaudement félicité son fils. Tous les dieux de l’Olympe s’étaient extasiés. Peu après, les commandes affluaient. Son oncle, Poséidon, lui demanda de lui fabriquer un trident, sa demi-sœur Athéna voulut une armure ainsi qu’Arès, le dieu de la guerre. Les commandes étaient si nombreuses qu’il ne pouvait y arriver seul. Il alla trouver son père pour obtenir une forge digne d’un dieu et des aides. Zeus lui offrit l’Etna et lui adjoint les Cyclopes et les Titans. Il lui fallut s’organiser.
Tout était à faire et les géants n’étaient pas dociles. Un jour qu’il s’absenta pour une courte période, ils en avaient profité pour se révolter. Ils avaient bien failli atteindre la demeure des dieux, eux-mêmes. Le combat fut terrible. Il fallut toutes les forces divines pour remporter la victoire. Les éclairs zébrèrent le ciel comme jamais auparavant. Zeus entra dans une colère folle. Une fois les Titans vaincus, il leur imposa des chaînes pour leur interdire éternellement la sortie des entrailles du volcan. Héphaïstos fut sermonné sans ménagement. Il n’avait pas beaucoup d’amis avant… alors, après ce jour, n’en parlons pas. Sa mère fit en sorte qu’il soit le moins possible invité sur l’Olympe.
Le temps comme toujours arrangea les choses. Quelques demi-dieux firent appel à lui. Persée lui commanda un bouclier, Hermès, un casque à ailes, Achille, une épée, etc. Bien sûr, on ne parla que de leurs exploits, pas de ce qui les avait rendus possibles : les armes.
Et puis il y eut l’affaire de son mariage. Ce fut un désastre, mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui seul. Héphaïstos, le plus laid des dieux, fut marié à la plus belle des déesses : Aphrodite. On ne pouvait trouver plus incongru. La déesse était d’une beauté exceptionnelle. Tous les dieux la désiraient, lui le premier. Certains avaient eu ses faveurs, comme Apollon. Qui pouvait bien résister à Apollon ? Héphaïstos le trouvait obséquieux et fat. Avec ses habits qui laissaient tout voir de son corps parfait et sa lyre ridicule qui ne le quittait jamais. Avec ses poésies et ses chants, il charmait toute la gent féminine. Il y avait eu aussi le beau ténébreux, Arès. Elle en était folle. Probablement le prestige de l’uniforme, se disait le forgeron. Sexuellement, Aphrodite était à la femme, ce que Zeus était à l’homme : insatiable. Les chiens ne font pas des chats, les membres d’une même famille se ressemblent !
Héphaïstos était une exception, parmi les dieux ; on ne lui connaissait pas de liaison, classique, incestueuse ou diverse comme ses semblables. Il était donc souvent l’objet de nombreuses railleries qui, il en était certain, avait pour origine sa propre mère.
Un jour, il en eut assez. Il n’était pas seulement un artisan de génie, il était aussi un créateur doublé d’un inventeur. Il imagina, en cachette, un fauteuil merveilleusement ouvragé. Imposant, magnifique et très confortable. Il l’installa en secret dans la chambre de sa mère. Quand celle-ci le vit, elle crut à un cadeau de son époux pour se faire excuser d’un de ses écarts. Elle s’y assit et ne put se relever. Impossible de se retirer du siège. Elle se mit à hurler si fort que les murs en tremblent encore. Tout l’Olympe accourut pour lui venir en aide. Personne n’arrivait à l’en sortir. Héraclès lui-même ne put y arriver. Il adorait Héra, et pour cause son nom ne signifiait-il pas qu’il était le fils d’Héra ? Il eut beau s’arc-bouter, rien n’y fit. Quand Zeus apparut, on pensa que le calvaire de la déesse prendrait fin. Tous se trompaient. Héra jura comme un charretier et tout roi des dieux qu’il était, il en prit plein son grade. Finalement, Dionysos, ivre, comme à son habitude, fit remarquer qu’Héphaïstos était absent. On lui confia la mission de ramener le dieu des forges au plus vite. Il revint presque aussitôt et dit que le charme ne serait rompu que si l’on donnait satisfaction à sa demande qui était de lui donner Aphrodite comme épouse. Arès et Apollon se portèrent immédiatement volontaires pour faire rendre gorge à ce grossier personnage. Héra, qui abhorrait la belle déesse, y consentit dans l’instant. Même un dieu ne peut se parjurer. Le fauteuil ensorcelé laissa libre sa victime, dès le dernier mot divin prononcé. La belle déesse ne pouvait que se soumettre. Les cérémonies du mariage eurent lieu peu de temps après. Le dîner qui s’en suivit fut triste et la nuit de noces encore plus en fait, personne ne sut jamais si le mariage fut consommé. Toujours est-il que la mariée se comporta comme si elle était célibataire et libre, et le marié, à cocufier à loisir.
Rien que d’évoquer ces souvenirs, Héphaïstos fulminait. Se redressant sur son siège, il tapa du poing sur les accoudoirs. La terre se mit à trembler. Un nuage s’échappa du cratère. Dans toute la Sicile, on se prépara à une éruption, mais il n’en fut rien. Le dieu se calmait aussi vite qu’il s’enflammait. De toute façon, il n’avait jamais aimé les honneurs et les mondanités l’ennuyaient. Il rendait rarement visite à ses semblables. Exception faite de son oncle Hadès, le dieu des enfers qui vivait sous terre. Il était le gardien des âmes. Celles-ci, en fonction de leur statut, se rejoignaient en différents endroits. Les champs Élysées étaient des plus prisés. Il y avait croisé, les grands guerriers hellènes : Ulysse, Ajax, Achille et Hector, maintenant amis. Il trouvait l’endroit reposant. Son oncle le recevait, sans cérémonie. Tout comme lui, il était un peu un paria. Lors du partage du monde, il n’avait pas hérité de la meilleure part. Zeus, son frère aîné s’était accaparé les cieux, Poséidon, la mer et pour, lui, les enfers. La terre n’appartenait à personne. Tous pouvaient l’utiliser comme il leur plaisait.
C’était un grand champ d’expérimentation. Souvent un champ de bataille. Lorsque les dieux étaient seuls dans l’univers, au tout début de l’histoire du monde, il n’y avait qu’eux. Un jour Zeus voulut créer un être mortel. Il a dû s’y reprendre à plusieurs fois. On frôla même la catastrophe. Il imagina un être moitié mâle, moitié femelle. Constitués de deux paires de pattes et d’autant de bras, ils avaient deux têtes. Les enfants qui naissaient étaient semblables à leurs parents qui n’en faisaient qu’un. Ils se multiplièrent. De temps en temps, les dieux les regardaient vivre et mourir. Ils étaient paisibles. Pourtant, sans savoir pourquoi, ils décidèrent de chasser leurs créateurs. Avec leurs quatre jambes et leurs quatre bras, ils étaient rapides et redoutables au combat. Zeus qui avait déjà eu maille à partir avec les Titans ne voulut prendre aucun risque. Dès le début de l’insurrection, il prit les devants. Du haut de l’Olympe, il lança ses foudres. Chaque projectile atteignit sa cible. Chaque être se vit coupé en deux. Les deux entités nouvellement créées se retrouvèrent séparées. Tous les humains, c’est ainsi qu’on les appela plus tard, se disséminèrent sur tous les continents. Les hommes et les femmes se mélangèrent sur toute la surface de la Terre. Ils n’étaient pas près de recommencer. Zeus avait bien vu les choses : le temps qu’une moitié retrouve l’autre moitié, il s’en passerait du temps. Les dieux pouvaient dormir tranquilles. Il est vrai que cela arrivait de temps à autre. C’était exceptionnel et suffisamment spectaculaire pour être remarqué. Lorsque deux personnes se rencontraient, et sans doute parce qu’il restait encore de l’électricité divine, il se produisait comme un coup de foudre. Les deux jeunes gens se sentaient attirés l’un vers l’autre et ils ne faisaient alors plus qu’un… comme avant.
— Ah, les hommes ! dit tout fort Héphaïstos. Zeus aurait mieux fait de rester un peu plus longtemps avec une de ses nombreuses maîtresses. C’est bien simple, depuis leur apparition, tout allait à vau-l’eau. Le pouvoir de destruction des dieux est manifeste, mais celui des hommes lui est bien supérieur. Pour en avoir discuté avec des divinités d’autres panthéons, tout le monde était d’accord : c’est la pire création de l’univers. On a beau leur infliger les pires catastrophes, ils trouvent le moyen d’en inventer de plus grandes encore. Leurs guerres sont bien plus dévastatrices que celles auxquelles nous avons participé. Leur cupidité, leur tendance à vouloir tout conquérir et leur avidité sont sans limite.
De toutes les façons, tout avait mal commencé, dès le premier homme et ne parlons pas de la première femme. Héphaïstos connaissait l’histoire d’Adam et Eve. Saint-Michel qui traquait un dragon près de ses forges la lui avait racontée. L’archange l’avait pris en pitié. Tous les deux ne faisaient pas partie du même monde, mais ils avaient quelques points en communs, alors ils se respectaient. Saint-Michel lui avait parlé du péché originel, Héphaïstos lui avait parlé de Pandore.
— C’est la première femme née sur terre, avait dit le forgeron. L’archange ne l’avait pas contredit… Eve était née au paradis. Zeus, dans son infinie bonté, lui avait remis une boîte dans laquelle il avait enfermé tous les maux de la terre et plus encore. Les hommes auraient pu vivre sans jamais souffrir. Il a fallu qu’elle l’ouvre. Ces êtres sont étonnants de curiosité et de bêtise, tu ne trouves pas mon collègue ?
Saint-Michel répondit :
— C’en est affligeant.
Il semblait blasé.
— Elle tenta bien de refermer la boîte, mais il était trop tard. En fait, il ne resta qu’une seule chose : l’espoir.
— Même si on peut prétendre à retourner quelques fâcheuses situations, tu avoueras que c’est bien peu.
Sur ce, Saint-Michel continua sa route et Héphaïstos ne le revit jamais.
Quelques