Suivre l'étoile
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Enseignante, formée à la psychanalyse et ouverte aux spiritualités, Floriane Gérardin explore des univers empreints de questionnements partagés par le plus grand nombre. Suivre l’étoile est son troisième livre après À ma place, paru en 2016 et Je t’ai revue et j’ai retrouvé le chemin de ma vie, paru en 2020.
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Aperçu du livre
Suivre l'étoile - Floriane Gérardin
Préface
L’écriture
Écrire est un acte de foi…
L’écriture en a tous les attributs.
Celle ou celui qui écrit se livre. Il se livre à cœur ouvert. Il va chercher en lui ce qui n’est parfois qu’une matière informe. Un peu comme cette boue qui se trouve dans la chrysalide lorsque la chenille entreprend son chemin vers le papillon. Dans l’intimité sombre de la chrysalide, elle n’est qu’une chose indéfinissable et sombre, de la boue.
Et pourtant, lorsqu’on analyse cette boue, on trouve ce que l’on appelle des « cellules imaginales » qui portent en elles tout ce qui sera plus tard, en pleine lumière, un papillon.
À nous qui ne voyons que la chenille ou le papillon, comment penser qu’entre les deux il y ait cette étape ?
L’écrivant, avant d’être possiblement reconnu par des lecteurs comme « écrivain », croit aussi que, par les mots, il transformera la chenille en papillon. Il espère qu’après avoir longtemps rampé, lentement, il pourra faire voler des mots et ainsi s’élever.
Aucun acte de foi ne s’accompagne pas de doute. « Je doute donc je crois » disais-je il y a peu à qui m’interrogeait sur mon espérance. Le doute est fertile, le doute est le signe d’une pensée en exercice, qui se confronte à elle-même, au temps, aux autres.
Celle ou celui qui écrit prend le risque d’abord de la rencontre avec lui-même avant, éventuellement, très rarement, que n’advienne la rencontre avec d’autres.
Et la rencontre avec soi est parfois cruelle. Y a-t-il quelqu’un derrière la porte que l’on pousse ? Ou, plus précisément, y a-t-il quelqu’un derrière la porte qui est derrière la porte, elle-même derrière la porte, qui donne sur un escalier menant à une autre porte d’un grenier ou d’une cave où se trouve, tapie dans l’ombre, la source des mots justes, sincères, parfois cruels, intransigeants, bouleversants, aimants ?
On a d’abord à se dire à soi-même avant de se dire au monde.
Celle ou celui qui écrit, porte en lui une espérance. Il croit encore que l’on peut changer le monde. En tout cas un monde, celui qui est là, pas loin de nous, à portée de mots, dans la ruelle d’à côté…
Les mots s’échappent quand ils deviennent un livre. Ils s’échappent comme les enfants s’échappent un jour de la maison pour vivre leur vie, aller à la rencontre d’autres lieux, d’autres visages, d’autres mots… À suivre leur propre étoile.
Ainsi, Floriane Gérardin s’est livrée avant que ses mots deviennent livre. Désormais ils sont papillons.
J’espère qu’ils se poseront entre vos mains, devant vos yeux.
Éric de Kermel
Estelle
Guérir une part de soi
En équilibre au-dessus de la baignoire, un pied posé sur chaque bord, en chaussettes, je veille à ne pas perdre l’équilibre et à ne pas glisser. Le pinceau dans une main, l’autre appuyée sur le mur, je lève le regard vers le plafond incliné et reproduis le même geste, poursuivant la ligne de l’angle du mur. La couleur s’étale devant mes yeux.
La colère ne me lâche pas. Je bous intérieurement depuis des heures. Rumine sans cesse les non-dits et son acte. Habituels. Il me prend pour une conne. Il me prend vraiment pour une conne. Il n’y a pas d’autre mot. Et soudain, je me vois sur cette baignoire, le pinceau à la main, et je me demande ce que je fais là. Une lucidité évidente et soudaine me saisit. Ici n’est pas ma place. Cette vie n’est pas celle que je veux. Cet homme n’est pas celui avec qui je veux vivre. La coupe est pleine. Il a choisi d’aller rendre service à cette autre, encore, au lieu de s’occuper de la peinture de la chambre de notre enfant. Il se moque de nous, de notre foyer, de sa fille et de moi. Malgré tous les changements intervenus dans sa vie, dans les nôtres respectives. Je me sens bafouée. Je n’en peux plus. Je ne veux plus !
J’ai terminé la première couche de peinture de la salle de bain depuis un moment. Il faut attendre qu’elle sèche maintenant. La suite, ce sera pour demain.
Alfred rentre épuisé de sa journée. Je suis assise sur le canapé. Je fixe la télé. Il s’approche. Je ne le regarde pas, ne lui dis pas un mot. Il se penche pour m’embrasser. Je détourne le visage.
— OK, sympa l’accueil, lâche-t-il avec dédain.
Je ne réagis toujours pas, les yeux tournés vers l’écran de télé. Je ne sais même pas ce qui y passe. Qu’importe. Il se dirige vers la cuisine, se sert un verre d’eau pétillante.
— Il n’y a rien à manger ?
J’hésite entre ignorer sa question et lui cracher à la figure. J’opte pour la première option. Il la répète, insistant. Je le regarde, immobile.
— J’ai déjà mangé avec Jade, tout à l’heure.
— Ça n’est pas ce que je demande. Où est mon repas ?
— Débrouille-toi pour ça.
Il repose son verre d’eau, un rictus au coin des lèvres. Son regard me toise. Il lâche :
— Merci beaucoup ! Je rentre, je suis fatigué de ma journée de travaux physiques, j’espérais un accueil plus agréable. Tu préfères faire la tête sans raison. Franchement, tu réagis vraiment comme une gamine.
Il monte les escaliers. Quelques instants plus tard, j’entends l’eau couler sous la douche. La pénombre s’installe. J’allume une lampe dans le salon. J’hésite : vais-je me coucher ou bien j’attends qu’il redescende ? Je suis tellement en colère, je ne pourrai pas dormir de toute façon.
Je vais plier et ranger du linge posé sur le lit de notre chambre. J’ai besoin d’occuper mes mains quelques minutes. Puis, je jette un œil à Jade, endormie dans son lit à barreaux, paisible, la respiration lente et bruyante. J’ai laissé la fenêtre et les volets entrouverts tout à l’heure, la soirée, à l’image de la journée, est particulièrement douce pour cette fin avril.
Alfred s’installe à table quand je reviens dans le salon. Il a changé le programme télé. Qu’importe, je ne regardais pas vraiment. Il mange sans me parler. Je me rassieds sur le canapé. Deux mètres nous séparent physiquement. Mais une telle distance existe désormais entre lui et moi.
— Je veux qu’on se sépare.
Les mots sont lâchés. Six mots clairs, nets, précis. Des mots qui disent la fin.
Je ne joue plus. Je ne joue plus le jeu pervers dans lequel je me suis perdue depuis trois ans. La partie est terminée. Je ne changerai pas d’avis, je le sais. Mon souhait de le quitter ne date pas d’hier, ni de cet après-midi. Ce qu’il s’est passé aujourd’hui est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Je ne suis pas dupe. Je sais que lui et moi ne sommes pas faits pour vivre ensemble. Je sais qu’il n’y a pas d’amour entre nous. Y en a-t-il jamais eu ?
Nous nous sommes rencontrés et avons donné vie à Jade qui grandit magnifiquement. Nous étions deux étrangers l’un pour l’autre, amants occasionnels, quand elle a été conçue. Lorsque j’ai appris ma grossesse, j’ai choisi d’accueillir cette vie qui s’invitait. Il a tout tenté pour m’en dissuader, passant par des promesses illusoires « Si dans deux ans on est toujours ensemble, on pourra faire un enfant », le reproche « Tu ne peux pas me faire ça, tu ne penses qu’à toi », la menace « Je ne te laisserai pas ruiner ma vie ».
Je ne lui demandais rien. Il a fini par choisir de rester avec moi. Et bien des rebondissements plus tard, nous avons commencé à vivre ensemble.
Il m’avait séduite progressivement, usant de tout son charme, déballant nombre d’atouts de séduction, si souvent disponible, à l’écoute, posant mille questions pour mieux me connaître, proposant des moments ensemble, cherchant à savoir tous les détails de ma personnalité. J’ai aimé que quelqu’un s’intéresse autant à moi. C’était ma faille. Je me sentais si peu intéressante, si rarement l’objet d’attentions de la part d’un homme qui avait du vécu.
Il m’a eue. Je suis tombée dans le filet qu’il tendait.
Très vite, le piège s’est refermé. Si subtilement. Je ne m’en rendais pas compte. Ses remarques, ses critiques, étaient toujours formulées pour me rendre service.
Au cours de l’été où j’étais enceinte, un jour, il m’a suggéré de ne plus m’attacher les cheveux en queue de cheval, j’étais bien plus jolie les cheveux détachés. Il disait ça pour mon bien, dans mon intérêt, parce qu’il savait reconnaître ce qui était beau. Il avait du goût, lui, pas comme ma famille qui ne montrait aucune qualité dans ce domaine. Étrange argument.
Je ne me suis pas laissé faire : j’aimais m’attacher les cheveux en queue de cheval, ça m’allait comme à bien d’autres. Et que venaient faire les goûts ou le style des membres de ma famille dans l’affaire ? Et puis, en été, avec la chaleur, la queue de cheval ou le chignon sont bien pratiques !
Quelque temps après l’accouchement, alors que j’observais mon profil dans un miroir, j’ai dit que j’étais contente de voir que mon ventre avait bien diminué. Prendre du poids n’avait pas été simple à gérer pour moi lors de la grossesse. Sans ménagement, il a asséné : « Quand même ! On dirait que tu as un ventre de femme enceinte de six mois ».
J’ai fondu en larmes. Six mois ! Je me souvenais de mon ventre à six mois de grossesse, il était bien plus gros ! Sous couvert de me rassurer, il a ajouté : « C’est pas pour te blesser, mais c’est la vérité. Tu as encore beaucoup de ventre. Mais tu vas le perdre. Dans deux mois tu auras retrouvé ta taille normale, non ? J’espère. C’est dans ton intérêt que je dis ça. »
Deuxième claque ! Au lieu de m’apaiser, il rejetait de l’huile sur le feu, il remuait le couteau dans la plaie. Indélicat ? Sous des airs de bienveillance, il balançait ses vérités et injonctions. Ma fragilité post accouchement était une aubaine pour lui.
Quelques mois plus tard, mon père est décédé subitement. J’ai été plongée dans un tel désarroi que la porte était ouverte à tous les reproches : je ne pensais pas à lui ; je ne m’occupais plus assez de notre fille ; je pourrais sourire plus souvent, son frère m’avait trouvé bien distante et peu bavarde lors de notre séjour chez lui et sa famille (une semaine après le décès de mon père !) ; je pourrais faire un effort pour être plus jolie quand nous sortions ou recevions des gens à dîner ; et le sport, je devrais m’y remettre sérieusement, car je n’avais toujours pas retrouvé la ligne un an après la naissance de Jade ; ma sœur était bien gentille, il l’aimait beaucoup, mais elle passait un peu trop souvent chez nous à l’improviste ; ma famille était trop intrusive, on la voyait trop souvent, avais-je vraiment besoin d’aller chez ma mère tous les week-ends ou presque ? Et mes amies, Léa était étrange, vraiment perchée, Flora se la jouait trop intello et Lucie, on ne pouvait pas s’y fier, si souriante, ça cachait quelque chose, mais heureusement pour elle, elle était très jolie quand même…
En société, devant les autres, il était toujours charmant, serviable, disponible. Jamais avare de compliments ou de bons mots. S’il émettait des critiques ou remarques, il les qualifiait toujours de « justifiées » et se targuait sans cesse de savoir de quoi il parlait, se voulait constructif. Il disait les choses dans l’intérêt et pour le bien des autres, s’entourait des meilleurs avis de ses amis ou connaissances qui maîtrisaient leur sujet, étaient diplômés ou experts – à ses yeux – dans leurs domaines. Ses décisions étaient toujours les meilleures, même si ses choix le menaient le plus souvent à des échecs. Il se gorgeait de la gloire et de la réussite de son entourage, inconscient de ce que cela n’avait rien à voir avec lui.
Mes amies n’étaient pas dupes de son manège. Ni de mon mal-être. Je m’en plaignais souvent auprès d’elles. Elles m’écoutaient. Attentives. Bienveillantes. Elles questionnaient, essayant de n’être pas intrusives. Je percevais bien qu’elles voulaient m’aider à ouvrir les yeux. Ils n’étaient pas fermés. J’avais cependant du mal à mettre fin à ce qui se jouait. J’en voulais à Alfred de ne pas être celui qu’il avait prétendu être lors de notre rencontre, mais je m’en voulais surtout de m’être laissée berner. Il m’était également difficile de reconnaître et d’accepter que la vie de famille idéale constituée du couple, de notre fille, du chien, du chat, de la maison, du jardin, et des deux voitures garées dehors n’était pas faite pour moi. Je voulais cette image idyllique pour réalité. Une réalité qui craquait de plus en plus, une image qui se distordait irrémédiablement, mais à laquelle je m’accrochais quand même. Trop de choses avaient changé dans ma vie en très peu de temps, j’avais besoin de stabilité. J’étais trop fragile pour tout quitter. Pour le quitter.
Au début du mois de janvier, l’année précédant l’épisode de la salle de bain, un soir, je suis rentrée tard du travail et j’ai trouvé la propriétaire de la maison et son fils dans le salon, avec Alfred et notre fille qui, à cette heure-là, aurait dû avoir déjà pris son bain et mangé afin d’être bientôt couchée. La propriétaire et son fils, un gaillard d’une trentaine d’années, venaient réclamer sa part de loyer non réglée, comme depuis plusieurs mois, à Alfred. Nous payions chacun la moitié du loyer. Il réglait le plus souvent hors délai, en plusieurs fois… La propriétaire en avait assez. Elle avait ramené son fils pour impressionner Alfred.
Très dérangée par cette intrusion, j’ai pris Jade dans mes bras et l’ai rapidement emmenée vers la salle de bain. Quand je suis redescendue avec elle, affamée et épuisée, la propriétaire et son fils étaient partis. Alfred pestait contre eux qui ne faisaient aucun effort, selon lui, pour comprendre sa situation. Il payait le loyer chaque mois, même avec du retard. Qu’est-ce que ça pouvait bien faire qu’elle n’ait pas son argent avant le dix du mois à chaque fois ? Elle n’avait pas de besoins ni d’impératifs. Quand on était propriétaire de deux maisons comme elle, on pouvait bien patienter un peu.
Alfred n’entendait pas que les autres aient des droits et lui des devoirs : payer son loyer à telle date, comme établi dans le contrat de bail. Ses difficultés financières grandissaient, son activité ne lui rapportait pas