États dames
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Audrey Chaffard Moulin a toujours trouvé dans l’écriture un refuge, un plaisir et une nécessité. Pour cette hypersensible, les mots et les planches sont des canaux d’expression qui la libèrent, lui permettant de laisser libre cours à son imagination débordante et de partager des émotions infinies.
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Aperçu du livre
États dames - Audrey Chaffard Moulin
Coquille
Vous êtes maître de votre vie, et qu’importe votre prison, vous en avez les clefs.
Proverbe bouddhiste
La tête dans la cuvette. À genoux sur le carrelage froid, je vomis mon festin coupable. Mon estomac s’affole, mon nez se remplit et mes yeux se font larmoyants. Ça me fait du mal et du bien à la fois. J’enfonce encore mes doigts au fond de ma gorge pour laisser s’échapper ce trop-plein de bouffe qui m’oppresse tant. Enfin, je parviens à reprendre un peu ma respiration. Le tsunami de dégueulis semble s’être estompé. Pour l’instant. Je me répugne. Je tire la chasse d’eau et me cale contre le mur derrière moi. Une barre au creux du ventre me bloque le diaphragme. Si je ne connaissais pas par cœur cette sensation, j’aurais peur de mourir dans la seconde. Mais comme toujours, le manque d’air finit par disparaître et je file à la salle de bains me laver la bouche.
Chaque fois que je me sens contrariée ou stressée, le frigo et les placards sont ma planche de salut. Prise de pulsions, je ressens le besoin immédiat et irrépressible de me remplir. J’ingurgite des quantités de tout et de n’importe quoi, je fais des mélanges improbables qui me dégoûteraient en temps ordinaire. Je ne sens même plus le goût des aliments, ils ne sont pas là pour m’apporter du plaisir, mais du soulagement. Je me transforme en espèce de puits sans fonds jusqu’à ce que je me sente écoeurée et accoure aux toilettes pour me vider de toute cette orgie de nourriture. Pourquoi je fais ça ? Je ne sais pas. Sur le moment, ça me donne une impression d’apaisement. Mais très vite, c’est tout le contraire. Il ne me reste que du dégoût. C’est comme si je n’étais qu’une immense flaque de vomi et de gras.
Ça fait à peine un mois que j’ai quinze ans et quasiment toute une année que ma spirale infernale a commencé. Depuis petite, je me traîne ce physique de fille un peu boulotte, mais ma puberté a tout emballé comme du feu sur des braises. Mon poids est monté en flèche, mes boutons de pantalon n’y ont pas résisté et mon amour-propre non plus. J’ai une sœur, mais la nature ne nous a pas dotées d’une morphologie identique. Elle est grande et élancée, fine et gracieuse comme une gazelle. À se demander si nous avons été formées dans le même moule ! Elle peut manger tout ce qu’elle veut, elle ne prend pas un gramme. Moi, une poignée de chips correspond à un kilo supplémentaire, d’autant que je n’en mange jamais qu’une seule.
Au collège, la cruauté de mes camarades de classe s’est aiguisée de plus en plus pour devenir sans limite. Je suis la grosse vache, cette fille dégueulasse dont personne ne veut, on ne sait jamais, l’obésité peut s’avérer contagieuse. L’isolement des autres a rapidement évolué en véritable harcèlement, des gangs de filles populaires s’agglutinant autour de moi en gloussant, se moquant et me recouvrant de paroles fielleuses. Je prends continuellement des piques acérées en plein cœur, victime de ma laideur, je me laisse traiter comme une moins que rien. Combien de fois m’a-t-on humiliée, incitée au suicide ? Je ne compte même plus. Une fille comme moi ne mérite pas de vivre. Personne ne sait que je me tue chaque jour à petit feu. Les garçons prennent un air méprisant lorsqu’ils me croisent. Sortir avec moi ? Non, on n’embrasse pas la grosse, on ne lui prend pas la main, et surtout on ne la présente pas aux potes parce qu’elle ressemble à tout sauf à un trophée. Il faut surtout bien paraître et renvoyer une image qui fait rêver, un profil qu’on peut afficher sur sa page Instagram et faire baver d’envie tous les autres mecs. Alors, sortir avec moi, Violette la boule de graisse, ça ne risque pas !
À force de rejet et de mesquineries, je me suis repoussée moi-même. Mon corps et toute ma personne m’apparaissent comme des détritus, je me sens puante et infréquentable. Les autres ne peuvent pas m’aimer, d’ailleurs je ne m’aime pas davantage. Le désir de changer ne signifie pas forcément qu’on puisse y parvenir. Il est souvent très tentant de tout abandonner, de baisser les bras face à la montagne immense qu’il semble devoir gravir. Face à mes complexes, je ressens un curieux paradoxe. Je veux maigrir, mais d’un autre côté, il y a ce vide profond à l’intérieur de moi que je tente de combler. Alors je me remplis à ras bord de bonbons, de gâteaux, de chocolats… Et je me fais vomir, dans tous les sens du terme.
Alizée, ma sœur, a dû entendre mes salves gastriques, car elle m’interpelle :
« Ça ne va pas, Violette ?
— Si, ça va.
— Arrête ton char, Edgar ! Je t’ai entendu vomir. T’as la gastro ?
— Mais non ! J’ai dû manger un truc qui n’est pas passé. Je vais aller m’allonger, ça va passer.
— Tu veux que j’aille en parler à maman ?
— Ah non surtout pas ! Tu la connais, elle va limite vouloir appeler les urgences pour un petit vomi de rien du tout.
— C’est vrai t’as raison ! Elle abuse parfois. Si ça continue par contre, faudra lui dire.
— Oui oui, t’en fais pas.
— Tu sais pas qui j’ai vu aujourd’hui au collège ?
— Non.
— Loïc ! Punaise, il est trop beau ! J’ai failli m’évanouir.
— Il t’a parlé ?
— Oui, il est venu me voir et il m’a dit que j’étais super mignonne aujourd’hui. Je lui ai demandé si c’était juste aujourd’hui. Il a rougi, Violette ! Je te jure putain, il a rougi !
— Et il t’a répondu quoi ?
— Que j’étais toujours ravissante.
— Il a raison.
— Oh t’es trop gentille ma sœur, toi aussi t’es toute mimi.
— Je crois pas, non.
— Ben, pourquoi tu dis ça ?
— T’as des yeux pour me voir quand même ? Je suis grosse et moche. D’ailleurs, au collège, tout le monde se charge bien de me le rappeler.
— C’est des cons ! Faut pas les écouter, la plupart c’est rien que des pimbêches qui font leurs malines, mais franchement elles font grave pitié, et les mecs ils feraient mieux de se regarder, on est loin de la gravure de mode.
— T’es bête » !
Alizée me prend dans ses bras et ça me fait du bien. J’ai quand même de la chance d’avoir une sœur comme elle. De deux ans mon aînée, elle reste pour moi une sorte de modèle, pas simplement parce que je la trouve jolie, mais aussi et surtout pour ses qualités humaines et la prévenance dont elle fait preuve à mon égard. Elle me protège, me défend et me conseille quand je n’arrive pas à me sortir d’une situation compliquée. La seule chose qu’elle ne devine pas de moi, c’est mon problème avec la nourriture. Je suis très forte pour le cacher. Honnêtement, je crois qu’elle me passerait un beau savon si elle l’apprenait. Elle reste une personne précieuse à mes yeux, je ne ressens aucun jugement dans son regard et avec elle je me permets d’être enfin moi-même. Son Loïc, elle mérite de l’avoir enfin comme petit copain. Elle en pince vraiment pour lui et je pense que c’est réciproque. Cependant, je me méfie un peu de lui. C’est un coureur, il drague pas mal de filles et les jette comme de vieux mouchoirs une fois qu’il a obtenu ce qu’il voulait. Alizée n’est pas stupide, elle connaît sa réputation et possède suffisamment de répondant pour ne pas se laisser mener par le bout du nez. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de rester méfiante et de me faire du souci pour elle. Peur qu’elle souffre malgré sa force de caractère.
De mon côté, j’ai un faible pour le meilleur ami de Loïc, Simon. Alizée me pousse à me mettre plus en valeur pour oser tenter une approche, mais je crois qu’elle ne perçoit pas que Simon se fiche bien de moi. Avec Loïc, ils ont déjà eu des mots blessants à mon égard il y a quelque temps. Depuis que Loïc tourne autour de ma sœur, il la joue fine et ne me calcule plus trop histoire de ne pas se la mettre à dos, mais je sais qu’il n’en pense pas moins. Et Simon non plus, même si c’est plus pour faire comme son pote. Alors je ne tente rien. Je reste dans mon coin, isolée et triste. Dans ma coquille. À l’intérieur, je suis comme dans un cocon super protecteur loin de tout ce qui me fait du mal. Je me réfugie dans mes pensées et dans mes rêves. Parfois, j’écoute de la musique et je m’imagine dans la peau de ma chanteuse préférée : sûre de moi, belle et admirée par la foule scandant mon prénom. Je me sens aimée même si c’est pour de faux. L’espace d’un instant, j’y crois. Ma coquille me fait souvent l’effet de me blottir à nouveau dans le ventre de ma mère. Enveloppée, bercée, apaisée. J’entends les bruits alentour, mais ils sont lointains, je peux me recroqueviller, m’endormir ou donner des coups de pied dans mes idées noires. Je ne pense plus à manger sans faim, à vomir, ni à me détruire. Les battements de mon cœur se tranquillisent, mon nombril n’est plus que le centre de mes préoccupations, j’oublie les autres et leurs regards ciseaux. Mais comme toutes les coquilles, elle est fragile et peut se casser à tout moment sous un choc trop puissant pour pouvoir l’affronter. Pour une fille comme moi, le monde extérieur est intoxiqué. Alors, je la préserve du mieux possible par crainte qu’elle ne se brise en mille morceaux et de me retrouver ainsi sans aucune bulle d’oxygène. Je ne veux pas revenir à ce monde. Je préfère rester ici dans les entrailles chaudes et nourricières de cet abri de fortune. Ma coquille de noix de fille à la noix. Ma coquille d’huître sans perle à cultiver. Ma coquille d’œuf tombé trop loin du nid. Ma coquille. À moi rien qu’à moi.
Les jours passent et se ressemblent. Collège, brimades, maison, devoirs, pulsions, dégobiller en douce. Même si je suis régulièrement tentée, j’évite soigneusement les réseaux sociaux. Si j’avais un profil, sur n’importe lequel d’entre eux, le déferlement de haine m’éclaterait une fois de plus au visage et pénétrerait dans ma chambre, polluant ainsi ma coquille protectrice. Je me retiens de vivre comme une jeune fille de mon âge. Mon quotidien s’articule autour de mes petits et grands tracas, le tout agrémenté de cette boulimie maladive que je vis seule, inlassablement. Mes parents sentent bien que je ne suis pas très épanouie, mais ils n’imaginent pas un instant la profondeur de mon mal-être. Il faut bien que l’adolescence se passe ! Jusqu’au jour où mon corps décide de me trahir. Je suis à la cantine scolaire, je ramène mon plateau, je n’ai mangé qu’une pomme, même pas jusqu’au trognon. C’est rare, mais ça arrive : je n’ai pas d’appétit. Je me sens vaseuse, ma vue se brouille. Et puis le trou noir. Lorsque j’ouvre à nouveau les yeux, je distingue le plafond blanc de l’infirmerie. Ma mère est à mon chevet : l’école l’a prévenue. Je me suis évanouie. Tombée, déconnectée. Mes forces m’ont lâché. Je sais bien que mes petites séances vomitives n’y sont pas complètement étrangères, mais je ne veux pas en parler. Je ne peux pas en parler. Comment en parler ? Je suis prisonnière de mon secret.
« Qu’est-ce qui se passe, ma chérie ? »
Ma mère me pose cette question bien légitime, dans la voiture, sur le trajet de la maison.
« Je n’ai pas voulu te mettre mal à l’aise devant l’infirmière scolaire, mais je sens que quelque chose ne va pas. Ta santé commence à s’en ressentir et ça m’inquiète vraiment. Parle-moi, ma puce, s’il te plaît », renchérit-elle.
Que répondre ? Les mots restent cloués dans ma bouche. J’ai l’impression d’être à découvert pour la première fois, dans la nudité de ma médiocre méthode de survie. Me voici incapable de masquer mon malaise, créant davantage encore la suspicion.
— Je t’en prie dis-moi, implore maman.
— Rien.
Rien. Le seul mot échappé de mes lèvres pour fuir l’aveu de mes maux. Un silence s’installe, probablement court, mais qui me semble une éternité.
— Non, pas rien ! Ce n’est pas vrai, regarde-toi un peu ! Tu es toujours toute seule, effacée, chagrinée. Il n’y a qu’avec Alizée que tu retrouves le sourire, et encore pas toujours. Tu crois qu’on ne remarque rien avec ton père ? Je voudrais trouver une solution avec toi, mais il faut que tu t’ouvres enfin.
— Tu veux que je te dise quoi ?
— Ce qui te pèse autant.
— …
— Violette ?
— Oui ?
— Parle-moi.
— Tu vois bien.
— Qu’est-ce que je devrais voir ?
— Comme je suis.
— Comme tu es ? C’est-à-dire ?
— Grosse ! Moche ! Dégueulasse !
— Mais qu’est-ce que tu racontes ?
— Qu’est-ce que je raconte ? Tu le sais bien, ou alors tu es complètement aveugle !
