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La confrérie blanche
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Livre électronique507 pages6 heures

La confrérie blanche

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À propos de ce livre électronique

Qui s’en est pris à David Bertrand ? Qu’avait-il découvert de si précieux pour qu’on le crucifie sur la porte de sa cave ? La commandante Collins, avec sa pugnacité coutumière, devra démêler le vrai du faux pour résoudre cette enquête aux ramifications inattendues.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Jacques Delsol a consacré l'intégralité de sa carrière professionnelle à l'enseignement dans le Lot. Attiré tout particulièrement par les polars, il a décidé de se lancer dans l'écriture à sa retraite. En quête d'identité a inauguré une série de romans mettant en scène les enquêtes de la commandante Collins. "La confrérie blanche" constitue le deuxième volet de cette saga.
LangueFrançais
Date de sortie5 mars 2024
ISBN9791042218867
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    Aperçu du livre

    La confrérie blanche - Jacques Delsol

    Prologue 1

    Antoine Lubbéry buvait un café à la terrasse du café du commerce de Saint Fé, une petite bourgade du Lauragais. Il regardait sans les voir les gens qui passaient et le saluaient respectueusement. Son esprit était ailleurs, il se remémorait son parcours depuis son enfance jusqu’à aujourd’hui. Il était né dans une famille catholique modeste, d’un quartier défavorisé d’une ville minière du nord de la France. Sa mère, femme au foyer, participait à la vie de la paroisse en s’occupant du catéchisme pour des minots de huit à dix ans.

    Elle répétait à satiété que tous les événements bons ou mauvais que nous vivions, que nous subissions parfois, étaient déjà écrits et qu’il ne servait à rien de se révolter contre eux. Que notre destin était entre les mains de Dieu, nos existences prédestinées, tout ce qui nous arrivait ne pouvait pas être évité. Dans ses lubies, les péchés prenaient une part importante, les véniels que le curé avec deux « Notre Père » et un « Je vous salue Marie » nous pardonnait, et les péchés mortels qui nous menaient droit en enfer. Un endroit mythique de feux et de flammes qui, dans nos imaginaires d’enfant, nous faisait cauchemarder, car on ne savait pas où se situait la limite entre ces deux formes de péchés. Sans parler du purgatoire peuplé de pauvres pécheurs qui se flagellaient tous les jours afin d’obtenir un hypothétique billet pour le paradis, lieu de délices et de douceur.

    Cette éducation basée presque exclusivement sur la peur, sur des croyances simplistes, et une multitude de superstitions ridicules, l’avait enfermé dans une vie morne et sans espoir.

    Il ne savait pas dans quelle catégorie se situait l’adultère. Le curé du bourg, possédait en plus d’un gabarit impressionnant, un beau visage d’ange ; beaucoup de paroissiennes l’auraient bien accueilli (en se signant plusieurs fois) dans leur lit. Apparemment c’est sa mère qui remporta le pompon au grand dam de son mari qui peu à peu se détacha d’elle, puis de lui, qui ressemblait de plus en plus à l’ecclésiastique. Il se mit à boire plus que de raison, pour finalement mourir à quarante-cinq ans d’un cancer du foie. Il soupçonnait sûrement qu’il n’était pas le père d’Antoine, à la vue de leurs différences physiques qui au fil des ans se faisaient de plus en plus grandes.

    Il aurait pu devenir la risée de ses camarades, mais il avait hérité du curé, non seulement son gabarit, mais aussi sa force de persuasion, personne ne souhaitait se frotter à lui.

    Après le baccalauréat, il décida de s’évader du carcan familial et de toutes les bondieuseries qui avaient bridé son libre arbitre, il s’engagea dans l’armée. Ses aptitudes physiques largement au-dessus de la moyenne et le fait qu’il possédait le bac lui permirent d’intégrer l’école des officiers de réserve, par la suite les commandos marines.

    Toujours volontaire pour des missions au plus près des zones d’affrontement, sa témérité fut récompensée par son incorporation chez les Casques bleus de l’ONU. Son vrai baptême du feu, il le connut en Bosnie où il côtoya la mort, les exactions de tous ordres et l’indicible violence ordinaire de la guerre.

    La patrouille qu’il commandait fut prise dans une embuscade, pour se dégager, ils furent obligés de riposter. C’est à cette occasion qu’il tua un homme pour la première fois. Au contraire de certains de ses camarades, traumatisés d’avoir ôté la vie d’un autre être humain, il en éprouva une sorte de joie intense. Il se sentit délivré de ce fatalisme ancré en lui, il assumait enfin ses actes, il en ressentit même une certaine fierté. Il enchaîna par la suite des opérations au Sahel contre des djihadistes de l’état islamique, où son indifférence devant la douleur, et surtout son absence de compassion pour autrui, firent de lui un inquisiteur hors pair. Il était très doué pour ça, sans doute un peu trop, car ses supérieurs trouvèrent que ses interrogatoires s’apparentaient un peu trop à de la torture, qu’il dépassait trop souvent ses attributions. Ils craignirent de se retrouver devant un tribunal international pour crime de guerre, ils lui conseillèrent fortement de démissionner et de se faire oublier.

    À la suite de sa démobilisation, il rejoignit un groupe de mercenaires en Afrique centrale où après quelques missions réussies, il fut embauché comme garde du corps d’un ministre quelconque, d’une pseudodémocratie, un corrompu notoire qui trafiquait dans la vente d’objets rares et précieux de son pays. C’est à l’occasion d’un dîner à l’ambassade de France à Londres qu’il rencontra sa future épouse, une Irlandaise à la coiffure flamboyante qui accompagnait ce soir-là, son mari, un haut fonctionnaire du Foreign Office. À leur deuxième rencontre, il lui demanda de quitter son ennuyeux mari et de l’épouser. Contre toute attente elle accepta.

    Elle le suivit un temps en Afrique, au bout de quelques mois, elle eut le mal du pays, et voulut rentrer en Irlande, la pluie et les collines verdoyantes lui manquaient terriblement. Lors d’un nouveau déplacement en Angleterre, il obtint de ce ministre fantoche une autorisation exceptionnelle pour qu’elle fasse partie de leur délégation. Le ministre ne pouvant rien refuser à Antoine, qui mettait tant de zèle dans l’élimination de ses opposants politiques, que celui-ci ne craignait qu’une chose, le départ d’Antoine. Ce ministre reçut lors de ce séjour en Angleterre, une invitation à une chasse privée dans un domaine appartenant à un lord désireux d’acquérir des objets d’art africain.

    Antoine surveillait la terrasse où ces messieurs buvaient le thé quand une main se posa sur son épaule et un homme qu’il n’avait jamais vu auparavant lui demanda de le suivre. Il allait répliquer qu’il ne pouvait pas quitter son poste quand l’homme lui montra un point lumineux pointé sur le ministre. Il comprit immédiatement que sa mission de garde du corps prenait fin dès cet instant, et qu’il valait mieux ne pas se mêler de ce qui allait arriver à son bienfaiteur.

    Une fusillade éclata dans son dos. Il pressa le pas.

    L’homme qui s’avérait être le secrétaire particulier du ministre de l’Intérieur britannique récupéra son arme, puis Antoine fut introduit dans un bureau où se tenait un homme aux traits chevalins qu’il avait déjà rencontré et qui n’était autre que le secrétaire d’État à l’intérieur de sa Majesté Elisabeth II. L’homme s’avança vers lui, et lui tendit la main. »

    « Bonjour monsieur Mandon. Je crains fort que votre carrière de gorille africain ne soit terminée. Vous valez mieux que ça, ne croyez-vous pas ? »

    Antoine attendait la suite incapable de réprimer un sentiment de mépris pour ce type qui se voulait chaleureux, qui ne valait pas mieux que mon ancien employeur, mais qui avait le pouvoir de l’éliminer, il fit profil bas. Ce qu’ignorait le Britannique cependant, c’est que si le ministre qu’il protégeait était vénal, un euphémisme, il prenait des précautions dans ce genre de négociation, il enregistrait toutes les conversations. En général, Antoine récupérait la cassette dès que l’opportunité se présentait, dans le cas présent, il n’avait pas encore eu le temps de le faire. Il s’en félicita.

    « Ce que je vais vous proposer devra rester strictement entre nous trois : soit vous acceptez, soit vous finissez comme vos collègues. »

    Antoine ironisa.

    « Un questionnaire à choix unique, même pour un benêt comme moi c’est plutôt facile de trouver la bonne réponse. »

    « Trêve de plaisanterie, le temps presse. J’en ai par-dessus la tête des extrémistes irlandais, nos services secrets sont tellement bridés par l’obligation de règles ineptes et par une presse bienpensante qu’ils n’avancent guère sur le démantèlement des réseaux nationalistes. »

    Antoine répliqua.

    « Je n’ai aucune compétence pour ce genre de travail. À la limite, je peux participer à des interrogatoires, ça, c’est beaucoup plus dans mes cordes. »

    Le ministre sourit.

    « Nous connaissons vos compétences en ce domaine, c’est pour cette raison que nous vous avons choisi pour cette mission. Votre charmante épouse est la fille du chef de la plus importante cellule terroriste irlandaise, en revanche, on a beaucoup de mal à l’infiltrer, on a encore perdu deux hommes récemment, ça suffit. Vous allez nous servir de cheval de Troie. »

    Il n’était pas sûr de posséder les capacités nécessaires pour cette délicate mission, mais il voyait là, une opportunité de rebondir une nouvelle fois.

    « Qu’est-ce que cela va me rapporter en définitive ? »

    « D’abord la vie sauve, et si vous réussissez dans cette entreprise, une jolie prime à la sortie avec une nouvelle identité. »

    Tergiverser ne servait à rien, de toute façon, il n’avait pas trop le choix.

    « OK, comment puis-je vous contacter en cas de besoin ? »

    « Voilà un téléphone cellulaire indétectable que vous n’utiliserez qu’en cas de nécessité absolue, votre seul et unique correspondant en cas de problème sera sir James ici présent, mais surtout ne comptez que sur vous en cas de problèmes. Vous avez carte blanche quant aux méthodes employées pour remplir votre mission. Un dernier point, pas de prisonnier, vous ferez le ménage en grand. »

    Il observa le jeune homme que venait de désigner le politicien, il semblait imperturbable et totalement détaché, comme si cette situation pour le moins inhabituelle, voire saugrenue, ne le concernait pas. Une attitude so british qu’il avait souvent rencontrée chez les forces spéciales de sa majesté. Il ne faisait aucun doute que ce type en faisait partie ou en avait fait partie. Une information qu’il ne devait pas négliger pour sa sécurité future, s’il se sortait de ce guêpier.

    Le secrétaire d’État ajouta sans ironie aucune.

    « Aucun témoin, une précaution nécessaire pour nous et pour vous of course. »

    Il se retrouva seul sur la terrasse, il n’y avait plus aucune trace de ce qui venait de se passer. Une voiture se gara devant lui et la portière passager s’ouvrit. Il prétexta un besoin pressant pour se dépêcher de récupérer ce qui serait plus tard pour lui, une sorte d’assurance tout risque. Il n’avait aucune confiance dans ces types qui avaient éliminé un ministre comme un vulgaire étron. Il s’engouffra à l’intérieur du véhicule pour cette mission qui devait durer deux années, deux ans de violence où il donna libre cours à ses instincts les plus vils. Non seulement il abattit, ou fit abattre les principaux chefs de l’IRA, mais pour arriver à ses fins, il sacrifia son épouse qui devenait un peu trop curieuse sur son travail. Elle le soupçonnait d’appartenir à l’Intelligence Service, une faute qu’il ne pouvait pas laisser passer, l’éliminer fut un crève-cœur.

    Sachant qu’il devenait gênant pour ses employeurs, il envoya à Sir James, une copie des enregistrements réalisés lors de leur premier entretien. Il ne reçut aucune réponse, mais à la fin des pourparlers de paix entre les Britanniques et l’IRA, il trouva dans sa boîte aux lettres, un joli chèque, un nouveau passeport français au nom d’Antoine Lubbéry, et une carte professionnelle comme agent immobilier. Une agence était à vendre à Saint Fé, il saisit cette opportunité, depuis il travaille légalement ou presque comme marchand de biens dans la région.

    Prologue 2

    Le docteur Bosch dirigeait la clinique privée « Les Acacias », un bel établissement connu de tous les notables de la région, où le médecin et ses collaborateurs soignaient des dépressions plus ou moins sévères, des Parkinson et des Alzheimer précoces dans une confidentialité absolue.

    Depuis peu le médecin traitait pour un début de sénilité dégénérative, l’abbé Foulques, un curé qui se targuait d’être un descendant direct de l’évêque éponyme de Toulouse du temps de la croisade des albigeois au début du XIIIe siècle. Ennemi juré du comte Raymond VI, ce prélat avait combattu au côté de Simon de Montfort les hérétiques cathares d’Occitanie. Ce prélat les traquait même à Toulouse, aidé par une communauté catholique de Saint Sernin, la « confrérie blanche », connue pour son opposition au comte de la ville rose.

    L’abbé avait une obsession, qui le taraudait depuis la lecture d’une sirventès (un pamphlet), celle de réhabiliter cette confrérie, accusée par un certain Gavaudan troubadour et jongleur de son état, d’être « corrompue et hypocrite ». Dans sa satire, ce conteur iconoclaste relatait le destin de quatre frères pénitents blancs partis rejoindre le Macchabée (surnom de Simon de Montfort) au siège de La Vaur. Pour leur bravoure au combat, le chef des croisés leur confia la mission d’escorter Raymond de Salvagnac, bailleur de fonds de la croisade jusqu’à Cahors, puis de rapporter à Moissac le fruit de la vente du sac de la ville conquise. Personne ne les revit plus jamais, et le déshonneur s’abattit sur la confrérie blanche, soupçonnée d’avoir détourné à leur profit les fonds recueillis. Elle fut dissoute et ses membres excommuniés.

    Dans l’esprit tourmenté de l’abbé, l’histoire ne se serait pas passée du tout comme ça. Les quatre frères seraient tombés dans une embuscade entre Cahors et Moissac, assassinés et dépouillés par des hérétiques de la région de Montcuq. Interrogé sous la torture, Raymond de Salvagnac clama son innocence, il donna toujours la même version des faits ; les frères, déguisés en moine avaient quitté Cahors le premier juin au petit matin sur des mules avec des caisses remplies de sous et de deniers, depuis il n’avait plus eu de nouvelles ni d’eux, ni du trésor.

    L’abbé décida alors de recréer la confrérie blanche, mais dans un secret absolu, dont le but serait de retrouver coûte que coûte ce fameux trésor afin d’innocenter les membres injustement excommuniés de l’ancienne congrégation.

    Il recruta les futurs sociétaires de cette nouvelle secte grâce à un stratagème plus que contestable, mais qui fonctionna à la perfection. Dans le secret du confessionnal, il recueillait souvent des informations compromettantes de ses ouailles, qui s’épanchaient en toute sécurité auprès de leur confesseur tenu au secret professionnel. Il choisit les membres de sa future association parmi les personnalités les plus influentes de la région, afin de récolter des fonds pour sa quête maladive de cet hypothétique trésor, sûr de leur totale discrétion.

    Ils se réunissaient une fois par mois dans un lieu discret, à la manière des francs-maçons, habillés d’une toge blanche avec un écusson rouge gravé sur le devant en forme de lion à la queue fourchue. Si certains d’entre eux avaient trouvé au départ, cet accoutrement ridicule, aujourd’hui l’anonymat que leur conférait cette tenue, leur convenait parfaitement. Ces séances de travail sur ce pan d’histoire dont la plupart d’entre eux se moquaient totalement, s’étaient peu à peu transformées en rencontres où se traitaient, dans la plus grande discrétion des affaires de la région entre élus corrompus, hommes d’affaires véreux et influenceurs de toutes sortes.

    Le docteur Bosch faisait partie de cet aréopage d’hurluberlus bien malgré lui, il espérait bientôt se libérer de ce carcan moyenâgeux, et surtout, récupérer une part de son investissement personnel, car la cotisation annuelle que prélevait l’ecclésiastique devenait chaque année plus exorbitante. L’abbé avait accumulé une véritable fortune qui lui avait permis, entre autres, de racheter et de restaurer le presbytère du Vert, une très belle demeure du XIIIe siècle perchée sur un piton rocheux qui dominait la vallée du Coux.

    La tâche s’avérait plus complexe que prévu, car le vieux curé se méfiait de lui, et sous ses airs mielleux et conciliants, il refusait obstinément de l’écouter sur ce sujet. Bosch aurait pu le faire disparaître et falsifier son testament, mais il ne savait pas où ce fou cachait les enregistrements dont il se servait pour le faire chanter depuis tant d’années sur ses pratiques sexuelles dévoyées et son attirance pour les petits garçons.

    Le médecin était persuadé que les preuves de ses turpitudes et de celles de ses compagnons d’infortune se trouvaient quelque part dans la maison du Vert. Il désirait simplement mettre la main dessus, et peut-être également monnayer celles de ses comparses. Pourquoi ne pas prendre la place de Foulques, ce qui lui permettrait de dominer ses coreligionnaires, et d’assouvir ses fantasmes en toute discrétion ?

    Aujourd’hui, il attendait le marchand de biens de Saint Fé, réputé fin négociateur, dont il espérait qu’il obtienne de l’abbé, au plus une promesse de vente, au moins un mandat, et de là, récupérer les clés de cette bastide pour découvrir où le vieillard cachait les documents compromettants dont il avait besoin pour asseoir son autorité future sur la congrégation.

    Antoine Lubbéry, alias Jacques Mandon, arriva à la clinique vers onze heures du matin. Il demanda à l’accueil de rencontrer le directeur. L’ancien militaire avoisinait la cinquantaine, grand, athlétique, les tempes grisonnantes, un regard enjôleur aux yeux d’un vert profond, il savait flatter les ego de ses clients, des dames en particulier…

    Il fut conduit au bureau du médecin par une secrétaire dont le sourire déluré lui plut immédiatement.

    Au moment où elle retournait à l’accueil, il lui glissa sa carte de visite dans la poche de sa blouse. Elle lut à voix haute le bristol.

    « Antoine Lubbéry, agent immobilier et autres transactions. »

    Elle éclata de rire en lui rendant sa carte.

    « Désolée, mais je ne suis pas à vendre. »

    Elle ajouta devant l’attitude dubitative de Lubbéry.

    « Votre impertinence vous coûtera un repas aux chandelles à l’auberge des cœurs perdus à vingt heures demain soir, soyez ponctuel. »

    « Comptez sur moi mademoiselle… »

    « Delphine. »

    Il la regarda s’éloigner surpris. Cette jeune femme l’intriguait. Elle ne manquait ni de grâce, ni de culot, peut-être un peu trop, les aventures d’un soir lui suffisaient en général, il sentit inconsciemment que cette rencontre risquait de chambouler sa vie. En avait-il réellement envie ?

    Il pénétra dans le bureau du docteur un vague sourire aux lèvres, celui-ci se leva pour le saluer.

    La pièce était joliment meublée. Un bureau en hêtre blanc lasuré, fauteuils confortables aux lignes épurées de cuir gris, une lampe de Vianne posée sur une table basse du même bois éclairait la salle d’une douce lumière. Lubbéry pensa que le toubib était un homme raffiné, un peu trop pour lui qui avait des goûts moins sophistiqués en la matière de décoration.

    Le docteur devait lui aussi approcher de la cinquantaine, petit, le teint hâlé par un abus d’UV, des yeux anormalement écartés qui bougeaient sans arrêt. Il cachait une calvitie précoce, en ramenant ses cheveux vers l’avant du crâne, une précaution d’autant plus inutile que cette mèche retombait sur son visage dès qu’il baissait la tête. Il portait une blouse blanche ouverte qui laissait deviner un sérieux embonpoint. Son regard s’attarda sur son visiteur pour le jauger, une introspection silencieuse et désagréable.

    Antoine Lubbéry mit fin à cet examen qui commençait à l’agacer.

    « Que puis-je pour vous monsieur Bosch ? »

    Celui-ci rectifia :

    « Docteur Bosch s’il vous plaît. »

    Le marchand de biens serra les dents pour ne pas répondre.

    « Je souhaiterais que vous estimiez le prix d’une maison d’un de mes patients qui risque fort malheureusement de rester ici pour le restant de ses jours. »

    Il ajouta :

    « Je voudrais être sûr de sa solvabilité. »

    Antoine attendit la suite.

    « Vous devez sans doute connaître le presbytère du Vert, une ancienne bastide du XIIe siècle. »

    « En effet, belle demeure à l’écart du village avec un, comment dit-on chez vous, un jardin de curé je crois devant la bâtisse, et un bois qui descend jusqu’au ruisseau derrière. Pour pouvoir l’estimer exactement, il faudrait que je puisse visiter l’intérieur. »

    Il précisa :

    « Elle appartient à l’abbé Foulques si je ne me trompe pas. »

    Bosch observait Lubbéry pendant qu’il parlait. Cet homme lui déplaisait, trop grand, trop baraqué, cette allure désinvolte, et cette belle assurance qui se dégageait de toute sa personne. Il détestait se sentir inférieur, ça lui rappelait les moqueries et les sévices qu’il avait endurés au cours de sa scolarité par des types de son acabit.

    Il répondit, agacé.

    « Je suis un ami proche de l’abbé et il m’est très difficile de parler argent avec lui. Je suis son médecin traitant, mais je ne suis pas un philanthrope, j’ai du personnel à charge, vous comprenez. Si vous pouviez le convaincre de la nécessité de vendre sa maison, je saurais me montrer généreux. »

    Antoine Lubbéry trouva les explications du médecin un peu alambiquées. Il connaissait bien ses semblables et leurs mauvais travers, ce type dissimulait à n’en pas douter, des intentions inavouables.

    Il décida de jouer le jeu, la chandelle en valait la peine et malgré son attitude supérieure, ce genre de bonhomme ne l’impressionnait pas du tout.

    « Je veux bien essayer. Où puis je trouver l’abbé Foulques ? »

    « Je vous accompagne. »

    « Non, je préfère lui parler seul à seul, j’ai l’habitude de traiter avec des personnes âgées, en général j’inspire confiance.

    Bosch pensa que ce n’était pas la première qualité qu’il lui aurait trouvée, mais il devait se rendre à l’évidence, ce type lui foutait la trouille. Avait-il eu raison de lui confier cette délicate mission ? »

    Il n’insista pas et appela sa secrétaire.

    « Martine, conduisez monsieur Lubbéry auprès de l’abbé Foulques, je l’ai vu sur le banc près de l’étang. »

    Elle se tourna vers le visiteur et lui demanda de la suivre.

    Dès qu’ils furent dehors, elle l’avertit.

    « Monsieur l’abbé perd la raison, ne faites pas attention s’il vous prend pour un autre, parfois il peut se montrer charmant avec ses interlocuteurs, d’autres fois non, il a ses têtes. Il lui arrive souvent de rester silencieux, surtout avec le docteur. »

    Ils traversèrent une pelouse impeccablement coupée, parsemée de massifs de tulipes multicolores. Çà et là des bancs étaient occupés par des vieux plongés dans leurs souvenirs, en regardant l’horizon l’air hagard.

    Près du lac, recouvert de nénuphars et de plantes aquatiques, un homme âgé, vêtu d’une soutane noire, jetait de la mie de pain à des pigeons qui s’envolèrent à leur approche.

    Il tourna la tête et dès qu’il vit l’infirmière, il l’abreuva d’injures.

    « Hors de ma vue sorcière, fille du diable, sodomite… »

    Elle secoua les épaules.

    « Je vous laisse, dès qu’il voit une femme, une fois sur deux, il l’insulte. Ne vous en faites pas pour moi, j’ai l’habitude de ses sautes d’humeur. »

    Elle repartit, Antoine l’entendit jurer entre ses dents…

    « Vieux débris. »

    Il s’assit à côté du curé et attendit qu’il se calme.

    L’ecclésiastique regarda la jeune femme s’éloigner puis il lui prit le bras.

    « Ça fait longtemps que vous n’êtes pas venu, monseigneur. »

    Surpris, il laissa l’abbé dans sa confusion, intéressé de connaître la suite.

    Foulques lui raconta comment et pourquoi il avait ressuscité la confrérie blanche, pour obtenir sa réhabilitation au sein de l’Église catholique, et vous restituer le trésor.

    Lubbéry prit un certain temps à comprendre qu’il parlait de lui pour cette dernière volonté.

    L’abbé souffla un moment avant de reprendre sa logorrhée. Il conta ensuite l’histoire de ces quatre frères injustement accusés par son aïeul, il était persuadé que bientôt il apporterait la preuve de leur innocence.

    Il regarda à droite et à gauche puis reprit dans un murmure.

    « Méfiez-vous de Bosch, c’est un pédophile notoire. J’ai la preuve de toutes ses turpitudes. Il veut récupérer les documents que j’ai amassés depuis des années pour prendre ma place, mais il n’y a que vous monseigneur qui en êtes digne. Vous seul saurez trouver le trésor que les hérétiques vous ont volé. »

    Antoine Lubbéry aurait bien posé la question qui lui brûlait les lèvres ; qui étaient ces fameux hérétiques, mais il craignait d’interrompre le curé et qu’il ne se retranche dans un silence fâcheux.

    Même s’il doutait de la véracité de cette histoire, il imaginait très bien ce qu’il pourrait tirer de ces révélations.

    À bout de force l’abbé lui glissa dans la main une clé USB.

    « Vous trouverez là, toutes les réponses aux questions que vous vous posez. »

    Lubbéry rangea la clé dans la poche de son pantalon et sortit une liasse de papiers de sa sacoche.

    « Avant que je parte, il faudrait que vous signiez ces papiers. »

    Il lui tendit un stylo, dans un dernier effort, l’abbé parapha et signa les documents présentés par l’agent immobilier. Il venait de signer son arrêt de mort. Antoine Lubbéry allait se servir de ces documents dûment signés, pour accaparer tous les avoirs de l’ecclésiastique, ainsi que ses lourds secrets.

    Une infirmière apparut à l’autre bout du pré qui entourait l’étang.

    « Monsieur, vous voulez bien raccompagner l’abbé au réfectoire, le repas est servi. »

    Antoine lui fit un signe d’approbation, mais au lieu d’aider le vieillard à se lever, d’une poigne ferme, il lui bloqua les carotides.

    L’abbé essaya de se dégager et dans un dernier moment de lucidité le rabroua vertement.

    « Qui tu es toi, tu veux me tuer, messager du diable. »

    Il hurla avant de s’affaisser lourdement au sol. L’infirmière alertée par le cri lugubre du curé se retourna, en courant, elle rejoignit Antoine qui essayait vainement d’asseoir le vieux curé sur le banc. Elle tâta le pouls de l’abbé ; puis plaça deux doigts sur la carotide du vieillard, elle fit un signe négatif de la tête. L’abbé Foulques avait cessé de vivre.

    Antoine Lubbéry s’éloigna sans un dernier regard pour celui qui venait sans le savoir donner à sa vie une nouvelle direction.

    La recherche du trésor de Simon de Montfort deviendrait son activité principale, avec l’aide de la confrérie blanche, il ferait tout pour arriver à ses fins. Il allait poursuivre l’œuvre de l’abbé avec plus d’exigence et soumettre ses membres à une discipline de fer, à une obéissance absolue.

    Son premier souci, s’occuper du docteur Bosch, obtenir son silence ou l’éliminer s’il ne se montrait pas coopératif, il devait effacer toute trace de son passage.

    Il se rendit directement à son agence où il visionna sur son ordinateur les documents transmis par l’abbé.

    Ce qu’il découvrit, dépassa de loin tout ce qu’il avait imaginé.

    Chapitre 1

    Marie fixait la photographie de son père qu’elle avait récupérée à l’université du Caire, et qui s’affichait maintenant sur l’écran de son ordinateur. Qui se cachait derrière ce regard profond, à la fois insondable et si mélancolique. Un idéologue du GIA, dont les prêches incendiaires avaient embrasé l’Algérie dans une guerre civile sanglante à la fin du XXe siècle, ou un brillant universitaire fourvoyé dans une approche d’un islam radical mortifère, inconscient des conséquences sanglantes de celui-ci. Comment le savoir, aujourd’hui, plus personne ne voulait parler de cette période noire, la réconciliation nationale l’avait recouverte d’une chappe de plomb.

    La seule vérité si jamais il y en avait une, c’était l’amour démesuré et interdit qu’il avait éprouvé pour sa mère, dont elle était le fruit. Il en avait découlé une enfance solitaire et inadaptée dans un monde qu’elle avait bien du mal à appréhender. De sa mère, elle ne possédait qu’une photographie floue, au papier fripé tellement elle l’avait caressée, le visage d’une femme très belle sans passé ni avenir.

    Tous les deux avaient été exécutés sans aucun procès par d’autres fanatiques pour expier un crime de trahison qu’ils n’avaient pas commis. Ils avaient été punis en vérité de s’être aimés en dehors des conventions d’un pays en proie, à l’époque, à un obscurantisme délétère, et d’un personnage maléfique d’une jalousie maladive. Élevée par une pseudotante qui ne lui avait jamais exprimé la moindre affection, Marie s’était réfugiée dans le sport et les études où elle excellait sans jamais se départir de ce détachement ineffable qui troublait les gens qui la côtoyaient. Ils prenaient souvent son attitude pour de l’arrogance alors que ce n’était qu’une incapacité à communiquer avec autrui.

    Elle referma son ordinateur. Il était temps pour elle de tourner la page et de reprendre le cours normal de sa vie. La mise à pied d’un an, et sa rétrogradation au rang de capitaine, infligées par sa hiérarchie, à la suite de sa dernière enquête, puis son intégration comme enseignante en criminologie à l’université Paris VI, grâce à l’intervention du nouveau responsable de la section recherche au sein de L’IRCGN touchait à sa fin. Sa probité et son abnégation à découvrir coûte que coûte toute la vérité l’avaient amenée à déroger aux règles d’une stricte obéissance, et ses chefs, à la sanctionner. Elle réintégrerait bientôt son poste au sein de l’institut et pourrait de nouveau faire ce pour quoi elle était douée, traquer les criminels.

    Elle débrancha son PC. Pour se changer les idées, elle enfila un survêtement et ses runnings pour un footing le long du chemin de halage qui bordait l’Oise, dont elle avait fait le lieu privilégié de son entraînement matinal.

    Marie s’engageait à fond dans tout ce qu’elle entreprenait, sans se soucier des risques qu’elle courait. Elle affrontait les difficultés avec une froide détermination, ce qui lui avait permis de surmonter certaines situations compliquées, parfois douloureuses, comme ce jour funeste où ses rêves d’olympisme s’étaient définitivement envolés dans cette tentative de viol qu’elle avait subie au cours d’un stage de l’équipe de France junior d’athlétisme. Ce drame l’avait définitivement transformée et influencée sa manière de voir le monde et son avenir.

    Elle avait troqué la tenue d’athlétisme pour des gants de boxe dans une salle obscure, où à force de travail, elle s’était forgé un corps de « destruction masculine » comme elle aimait le dire. Après un doctorat d’histoire et un master en science du comportement, elle avait passé avec succès le concours d’entrée de l’école des officiers de la gendarmerie nationale. Sortie major de sa promotion avec des appréciations dithyrambiques de ses instructeurs, elle avait rejoint l’UNIC au sein de l’IRCGN de Pontoise bien décidée à s’imposer dans ce milieu machiste et à se faire respecter. Promue à vingt-neuf ans au grade de commandante, à la suite de plusieurs affaires sensibles résolues, elle avait été rétrogradée lors de la dernière en date, celle très médiatisée, de l’assassinat du député du Mail, futur candidat à l’élection présidentielle. La façon très personnelle dont elle avait mené cette enquête lui avait valu les foudres de ses supérieurs. La première des règles en vigueur dans la gendarmerie était l’obéissance, elle avait dérogé plusieurs fois à celle-ci.

    Marie se croyait atteinte d’haptophobie, elle ne supportant aucun contact humain, si ce n’était qu’au travers de coups échangés sur un ring. C’est au cours de cette enquête qu’elle avait aussi découvert la vérité sur ses géniteurs et sur celui qui, en coulisses, suivait son parcours depuis son plus jeune âge. Le colonel Servail, ancien officier supérieur des services secrets français, avait été à l’origine de tous ses malheurs et paradoxalement de toutes ses réussites.

    Des sentiments contradictoires avaient ébranlé ses convictions profondes, ce qui l’avait amenée à revoir ses positions sur beaucoup de choses, tant sur le plan professionnel, que sur le plan de sa vie personnelle.

    Marie avait profité de son repos forcé pour tenter de démêler le vrai du faux dans la vie de sa mère. Qui était-elle vraiment ? Une Mata Hari ou une femme romanesque, qui avait choisi l’amour à son devoir, une histoire ordinaire, souvent décrite dans les drames de Racine et de Corneille, si elle n’avait pas fini dans un bain de sang. Les preuves sur sa véritable identité avaient été détruites, pour protéger ce qu’ils appelaient pudiquement un secret d’État. Elle avait tout essayé pour obtenir des éléments susceptibles de l’aider dans sa quête identitaire, mais on lui avait fait comprendre que pour la suite de sa carrière, il valait mieux en rester à ce qu’elle savait déjà. Elle devait se reconstruire avec le peu qu’elle avait appris, accepter son sort tel qu’il était, et faire avec.

    Elle venait à peine de rentrer de son footing, lorsque son téléphone sonna. C’est avec une certaine appréhension qu’elle décrocha. Elle reconnut immédiatement la voix enrouée de son interlocutrice, la secrétaire de son nouveau chef, le colonel Henry.

    « Bonjour capitaine, le colonel désire vous voir dans son bureau le plus rapidement possible, c’est-à-dire dans un quart d’heure. »

    Marie n’eut pas le temps de répliquer qu’elle rajouta avec sa gouaille habituelle.

    « Finies les vacances, capitaine, retour au bercail et fissa ! »

    Elle raccrocha aussitôt.

    Marie appela un taxi.

    Après s’être douchée, elle s’habilla d’un jean slim bleu foncé, d’un pull à col roulé en cachemire gris clair, et se chaussa d’une paire de santiags marron, puis elle attacha ses longs cheveux en une queue de cheval classique, qu’elle coiffa d’une casquette de base-ball des Dodger’s. Avant de sortir, elle enfila sa vieille parka vert-de-gris et descendit quatre à quatre les deux étages de son immeuble. La vie reprenait son cours. Le taxi l’attendait déjà devant son domicile. Elle s’engouffra dans le véhicule. Elle n’eut pas à donner l’adresse au chauffeur qui la connaissait bien.

    « Comme d’hab’ commandante, le plus vite possible, je suppose. »

    « Affirmatif Christophe. »

    Chapitre 2

    David Bertrand n’arrivait pas à trouver le sommeil. Il n’était pas habitué à manger autant le soir, il avait sans doute abusé du sancerre qu’il avait acheté le matin même dans l’épicerie fine du vieux Sicard. Il revoyait la tête du bonhomme quand il avait sorti le billet de cent euros flambant neuf pour le payer.

    Pour les habitants du Bourg, il n’était qu’un marginal, un érudit farfelu, inapte au travail, un fauché inutile et un peu lourdingue. Quand il essayait de leur parler, ils le fuyaient comme la peste, prétextant toujours qu’ils avaient autre chose de mieux à faire. Seul le libraire, Thomas Deguels, l’écoutait avec bienveillance, sinon avec intérêt. Il l’employait parfois à la librairie pour classer des manuscrits anciens, une spécialité de cette très vieille librairie. Thomas lui permettait en outre d’assouvir gratuitement sa passion de la lecture. Le libraire n’avait pas posé la moindre question lorsqu’il y a six mois de ça, David lui avait commandé « l’épopée cathare » de Michel Roquebert, et surtout, il l’avait achetée cash. Thomas n’était pas d’un naturel curieux, il avait toujours respecté l’attitude parfois farfelue de son ami, sans se soucier de ce que pouvait penser la majorité des gens du coin.

    Depuis sa fabuleuse découverte, David qui dormait avant comme un loir avait aujourd’hui bien du mal à trouver le sommeil. Une foule de questions le taraudait, en premier lieu, comment garder sa trouvaille secrète et surtout comment écouler discrètement les pièces rares qu’il possédait désormais. Il ne pouvait pas effectuer ses recherches sur l’ordinateur de son employeur, au risque de laisser des traces, il avait donc choisi de

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