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L’égarement: L’islamisme au cœur de l’océan indien
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L’égarement: L’islamisme au cœur de l’océan indien
Livre électronique743 pages11 heures

L’égarement: L’islamisme au cœur de l’océan indien

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À propos de ce livre électronique

"L’Égarement – L’islamisme au cœur de l’Océan Indien"  aborde la position stratégique de l’Océan Indien et démystifie un phénomène idéologique global. L’auteure met en lumière la manière dont les extrémistes se réclamant de l’Islam, et les mercenaires utilisent les armes pour propager terreur et désolation. Le focus est mis sur les Comores, présentées comme un nouveau centre d’expansion de cette idéologie terroriste aux objectifs opportunistes. Thoueybat Saïd Omar-Hilali souligne que, derrière des arguments fallacieux, ces conflits ont des conséquences tragiques similaires partout dans le monde.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Ancienne ambassadeur des Comores, politologue et essayiste, à l’approche des cinquante ans de l’indépendance des Comores, Thoueybat Saïd Omar-Hilali partage des faits pour montrer un autre visage de son pays, épuré de mercenaires et du spectre de Bob Denard.
LangueFrançais
Date de sortie24 janv. 2024
ISBN9791042211769
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    Aperçu du livre

    L’égarement - Thoueybat Saïd Omar-Hilali

    Première partie

    Comores : une politique nouvelle rattrapée

    par de vieux démons

    1

    L’avènement de Mohamed Taki au pouvoir

    et sa politique de Rehemani

    L’opération Azalée de décembre 1995 est le nom de code du débarquement de l’armée française destiné à déloger Bob Denard et ses mercenaires des Comores. Elle voulait simplement donner une nouvelle image de la République, certainement bien différente de jadis et de celle des accommodements. Alors même que Mohamed Taki (1936-1998) et le prince Saïd Ali Kemal (1938-2020) avaient dû se retirer en France, le temps de faire oublier la mésaventure de leur accointance avec ces mercenaires, alors que nombreux se posaient encore des questions en rapport avec la légèreté de leur action que leur manière d’accepter aussi facilement le pouvoir des mains du mercenaire, ceux-là mêmes qui avaient déjà été chassés des Comores par la France en 1989, après l’assassinat du père de l’indépendance.

    Il faudra pourtant reconnaître que s’ils ne l’avaient pas fait et si la France ne s’était pas montrée aussi déterminée, Denard n’aurait eu aucun mal à le filer à ses affidés même si la chose politique se corse un peu plus qu’elle ne l’était déjà. En l’occurrence, il a fallu que le régime intérimaire instauré immédiatement après avoir amnistié les soldats putschistes les autorise à revenir sur le territoire pour présenter leur candidature. Les deux hommes politiques étaient toutefois encore considérés comme les garants d’une certaine politique assez responsable. En revanche, du fait de leur exil, les conditions de résidence indispensables pour les présidentielles ne pouvaient être remplies. Leur participation au scrutin était la conséquence d’un consensus particulier, bien négocié pour suspendre la clause électorale exigeant pour tout candidat, la présence physique d’au moins six mois sur le territoire, avant de pouvoir se présenter devant les électeurs.

    Durant cette période bien particulière, Saïd Hilali était une des rares personnes à entretenir encore des relations suivies, avec ces deux hommes politiques. Avec chacun d’eux, il partageait bien leurs préoccupations et ensemble ils lui faisaient parfois certaines confidences liées à leurs engagements politiques. Pour leur électorat et pour leurs engagements aussi, il aurait été inconcevable, voire inadmissible, de ne pas les associer à la construction nationale. Hilali devenait ainsi leur intermédiaire voire un interlocuteur accepté partout où ils ne pouvaient l’être. Il s’était réellement engagé à l’organisation d’un plan qui leur permettrait de manière irréfutable de trouver les voies et moyens de les faire participer aux élections présidentielles, car c’était bien la seule manière de les faire revenir sans qu’ils aient à supporter le poids de leur témérité et irresponsable engagement aux côtés de Bob Denard, tout juste trois mois plutôt.

    C’était probablement encore et sous l’influence d’Ali Bazi Selim, un homme âgé et sans doute encore très respecté de nombreux que Mohamed Taki persuada Saïd Hilali de bien vouloir travailler en sa faveur et concrètement pour son retour aux Comores. Tous les trois étaient au moins ensemble liés par une relation forte ancienne, voire familiale, pour ceux dont ce rapprochement était incompréhensible. Mais c’était aussi la meilleure manière de lui éviter de devoir supporter le poids d’une imprudence inqualifiable. En revanche, personne ne peut nier l’amour qu’il portait à la nation au même titre que son complice du moment, le prince Saïd Ali Kemal. Ils avaient en commun cette fibre patriotique comme personne ne l’a encore aussi bien exprimé qu’ils ne l’ont déjà fait.

    C’est ainsi que prit forme l’idée d’organiser une conférence à Paris, en décembre 1995, après s’être rassuré de la résolution de la crise. Avec l’aide de ses amis, Saïd Hilali parvenait à rassembler presque toutes les tendances politiques ainsi que divers prétendants aux élections présidentielles, à la seule exception d’Abbas Djoussouf (1942-2010) qui n’y voyait vraiment pas l’intérêt, car on lui aurait fait croire qu’il avait la préférence de Paris. Il avait certainement déjà les assurances de ses nombreux amis en France, ceux qui avaient fait dire à Hilali de le prévenir pour qu’il condamne immédiatement le coup de Denard de septembre 1995. Parmi eux, il y avait ceux qui ne cherchaient que les moyens de redistribuer de nouvelles cartes.

    Si l’objet premier du sommet de Paris était de permettre aux antagonistes réfugiés à Paris de rentrer au pays, mais il était aussi évident que tous les deux étaient encore encadrés par de notoires mercenaires. Ceux qui ne disaient pas leurs noms et surtout ceux sur qui Hilali ne pouvait d’ailleurs guère miser. C’est ainsi que Saïd Hassane Saïd Hachim adressait le 7 décembre 1995 de l’Hôtel Concorde à Paris où il logeait, un message de remerciement à Foccart, pour l’intérêt constant qu’il porte sur les Comores et de l’avoir reçu aussi longtemps en vue de la préparation des élections. Il venait d’ailleurs l’informer de leur report en mars 1996 avec une précision des dates bien arrêtées.

    C’était bien sur la recommandation de Michel Bongrand qu’un rendez-vous avec Foccart fut aussitôt organisé. Pour cela, Saïd Hilali avait exceptionnellement été reçu par Jacques Foccart, le Haut Conseiller du Président Chirac tout en étant bien installé à son domicile du XVIIe arrondissement de Paris pour des raisons de santé. Désormais, ce dernier n’officiait plus que de chez lui mais il est aussi certain qu’il s’était déjà entretenu avec tous les candidats comme pour savoir lequel d’entre eux respecterait le mieux ses engagements propres. De cette rencontre, il n’en est sorti que des encouragements et pour cause, ceux pour qui il venait plaider la possibilité du retour sans contrainte, étaient déjà tous les deux tenus par des engagements que lui seul avait la maîtrise.

    Il lui recommanda si justement de ne surtout rien négliger qui puisse s’opposer à la réconciliation nationale et surtout des antagonistes comoriens et parmi eux il y avait évidemment Mohamed Saïd M’Changama. Pour cela aussi, il n’avait pas manqué de saluer la démarche probablement encore en sachant que d’une manière ou d’une autre, ce serait un de ses nombreux poulains qui en serait le vainqueur. Mieux il serait élu, mieux cela serait notamment pour la redistribution des toutes nouvelles cartes. Ce fut ainsi et sur les fondements d’un dialogue national que tout reposait mais aussi pour d’autres nécessités que pour des raisons de stabilisation des Comores.

    Un pacte d’entente était enfin obtenu entre les différents candidats et il imposait à celui qui arriverait en bonne position de pouvoir bénéficier de la manière la plus adéquate, juste et acceptable du soutien de tous les autres signataires. Nombreux aussi étaient ceux qui avaient fait le déplacement et parfois depuis Moroni et parmi eux comptaient bien évidemment Saïd Hassane Saïd Hachim, Mohamed Moumine ou même Saïd Ali Youssouf qui apparaissaient ainsi tels les garants politiques de la bonne conduite pour leur ancienneté que pour leurs expériences. Ils étaient évidemment tous en faveur de Mohamed Taki. Alors que Saïd Ali Kemal avait misé de s’appuyer des progressistes, Ibrahim Halidi et Bourhane Rachidi, beaucoup plus jeunes sans doute et encore peu expérimentés à la chose publique. Ces derniers avaient au moins en commun en eux, cette fibre nationaliste qui avait été interrompue brutalement avec la mort d’Ali Soilih.

    Comme une seule force pour le changement d’autres personnalités telles que Salim Ahmed Abdallah ou encore Saïd Ali Mohamed et Mohamed S. M’Changama entre autres les avaient aussitôt rejoints. Hilali bénéficiait du soutien et des conseils de son ami parisien Alain Gouttman (1942-2014) pour l’organisation de la conférence. Malgré l’engouement des intéressés, il trouvait cependant qu’ils manquaient cruellement de responsabilité. Il avait même fait le déplacement à Moroni, en observateur averti de l’évolution politique du pays dont il suivait les rebondissements depuis fort longtemps. Il en revenait fort désabusé et ne manquait pas de répéter que les Comores méritent mieux.

    Toutefois, dès le retour de la droite au pouvoir, Foccart reprenait aussi du service, celui qui le sied le mieux, du vrai patron de la Cellule africaine de l’Élysée. Il connaissait ses rouages et depuis des décennies, il côtoyait les politiques comoriens et le prince Saïd Ali Kemal pour avoir été le premier Ambassadeur des Comores à Paris, après avoir passé un pacte avec Ahmed Abdallah pour le coup d’État de mai 1978, celui qui a servi à ramener Denard aux Comores. Il connaissait encore mieux Mohamed Taki et probablement depuis plus longtemps encore, car il était celui qui l’avait introduit auprès de certains services et notamment ceux du président Gabonais Omar Bongo, celui qui l’a aidé dans le montage financier de sa campagne de 1990 et sans doute aussi pour cette dernière.

    Néanmoins au lendemain de l’Opération Azalée, Abbas Djoussouf avec l’aide de ses amis avait exceptionnellement émergé comme étant l’homme de Paris. Les temps avaient changé et il fallait un homme nouveau, qui ne soit pas trop impliqué avec la bande des mercenaires que ceux qui se projetaient déjà sur les Comores depuis le débarquement de Denard avec l’opération Eskazi de septembre 1995. Il était encore perçu comme celui qui avait bien su respecter les consignes qui consistaient à ne pas s’engager plus, dans la voie du coup d’État, qui était pourtant en préparation, depuis un certain temps déjà et en collaboration avec des amis bien français et d’autres encore aussi bien introduits à Paris.

    Il était, rien que pour cela, celui qui devait bénéficier des faveurs du Quai d’Orsay et s’il y en avait un et à travers elles, probablement aussi avec la bienveillance de Didier Ferrand, l’Ambassadeur de France à Moroni. Il était pour cela tout aussi bien soutenu bien que discrètement par Michel Dupuch, dont l’opposition aux habitudes fort anciennes du Haut Conseiller Foccart venait à être dévoilée. La rivalité qui s’était installée à la cellule africaine n’était d’ailleurs plus le secret le mieux gardé. Elle s’invitait aussi dans les choix politiques et le destin des Comores n’en échappait guère.

    Foccart savait jouer mieux que quiconque de ses vieilles cartes, trop jaunies certes mais jamais ternes, car il les manipulait méticuleusement pour toujours les adapter avec méthode et surtout sans scrupule à la manière de ceux plus particulièrement en Afrique francophone dont la charge politique incombe. Un peu novice en la matière, Abbas s’était aussi laissé aller aux conseils auprès du haut conseiller comme tous les autres également et c’était là que le bât blesse, car il ne pouvait comprendre le gap qui séparait les deux politiques de la même cellule africaine.

    Si Mohamed Taki bénéficiait du soutien indéfectible de Foccart et de son alter ego Wibaux, il lui fallait pour autant rassurer Dupuch d’avoir changé et abandonné les méthodes anciennes que ni l’Élysée, ni le Quai d’Orsay ne voulaient perpétuer. Pour Taki, ce ne pouvait pas être simple, car trop longtemps habitué à la relation ancienne tout en sachant qu’elle pouvait être explosive tant les intérêts se croisent et ceux qui les exécutent peuvent se montrer brutaux et parfois sans foi. Ils se connaissaient tous si bien, mais bien plus des limites du leader comorien. C’était à partir de là que commençait l’autre politique pour une autre figure sur lequel Abbas devait reposer.

    Pour Saïd Hilali aussi, l’essentiel était ailleurs, tant sa détermination était d’abord d’aider les Comores à forger sa stabilité, sans doute animé par une certaine crédulité car ne pouvant pas imaginer la force de l’engagement dans laquelle Taki s’était impliqué. Mais il faudra aussi reconnaître que tous mesuraient assez mal la place qu’occupent les Comores dans cet échiquier particulier. D’autant que pour Hilali, la politique n’a jamais été une fin en soi, il s’était depuis un temps déjà investi ailleurs, en s’associant à un ami anglais David Mitchell travaillant pour le géant du transport maritime, pour servir l’archipel. Il savait au moins, pour cela, combien une situation politique incertaine peut précariser une opération, même celle d’une telle envergure. Pour la première fois, les îles Comores étaient dotées d’un service régulier et performant de transport maritime venant désenclaver l’archipel en les positionnant à travers le réseau de distribution des ports de l’Océan Indien.

    Il prit aussitôt conseil auprès de son vieil ami, Michel Bongrand, appelé autrement le pape de la Communication, un compagnon de la résistance du Général de Gaulle, qui savait tant mettre ses idées au service de la communication pour donner l’élan à l’action. C’était aussi à travers cette expression et de son engagement à aider les Comores qu’il avait fait envoyer de l’Élysée, entre les deux tours à travers une lettre signée du président français Jacques Chirac et adressée au candidat Mohamed Taki. Pour Michel Bongrand, c’était d’abord un choix démocratique, car il savait combien Taki était populaire. Pour le reste, il fallait savoir l’entourer pour éviter toute autre faiblesse.

    Mais cela était avant tout l’expression de l’engagement de tous les autres également. Il avait ainsi su jouer sa détermination, bien avant d’en informer Saïd Hilali de l’envoi de la lettre à Taki, par le courrier diplomatique. Il lui demanda aussitôt de prendre contact avec l’ambassadeur de France, pour s’en assurer. Le diplomate confirma bien la présence de la lettre avant de se confondre en excuses de ne l’avoir pas fait parvenir à temps à son destinataire. Il formula le prétexte selon lequel ses services ignoraient son adresse. On ne peut toutefois qu’y voir l’embarras de celui qui se prononçait certes avec discrétion pour l’adversaire Abbas Djoussouf. Celui qui incarnait encore pour certains le changement voire celui de toute une génération. On peut aussi aisément comprendre cette hésitation à exposer publiquement Chirac, quand on connaît sa volonté et la force de son engagement pour débarrasser les Comores des mercenaires. Il mesurait sans doute la relation qui s’y préparait et la destination finale d’un tel message en pareille circonstance.

    Saïd Hilali lui demanda à son tour, après quelques courtois échanges de bien vouloir la faire déposer au domicile du destinataire. Mais il lui annonça sur le coup de l’émotion non feint, que ce soutien était inespéré et venait conforter le camp du destinataire, sans même n’avoir pu évaluer aucune autre conséquence, que celle qu’elle pourrait servir à le crédibiliser. Avant de lui rappeler qu’aucun chauffeur de la chancellerie, comme aucun Comorien ne peut ignorer cette résidence située à la sortie de la capitale, peu avant d’atteindre l’aéroport international. La lettre fut illico presto déposée au lieu-dit à l’attention du candidat Mohamed Taki. Il ne lui restait plus qu’à en faire un bon usage. À l’annonce du soutien, elle fit l’effet tant escompté et le tour était aussitôt joué lors de son meeting de Mutsamudu. Hilali commençait alors à un peu mieux comprendre la situation et à connaître le sentiment politique des Anjouanais. Il pria alors le candidat de livrer en public le contenu de la lettre, qui donna immédiatement le sens de l’orientation telle l’aiguille de la boussole.

    Dès ce moment précis, ils étaient tous pris dans une certaine euphorie, des plus hésitants voire les récalcitrants aussi, se détachaient pour l’acclamer avant de tous se rallier à la candidature de celui qui est perçu comme bénéficiant de l’onction de la puissante cellule. Celle qui les guidait voire dirigeait à distance depuis fort longtemps et à laquelle venait s’ajouter le soutien écrit du Président Chirac. C’était du jamais vu, en tout cas pas aux Comores ! C’est aussi cela l’exception de Taki et sans doute son égarement également à vouloir tenir les rênes de deux structures qui ne roulent pas à la même vitesse, tandis que d’autres les dirigeaient déjà et sans qu’il n’ait pris aucune mesure de ce qui les séparait et sans avoir la moindre notion de leur adversité.

    Sa politique était dite de Rehemani. Un terme qui trouve sa traduction première dans le texte coranique et qui se traduit par la Miséricorde à laquelle s’ajoute la Clémence de celui qui pardonne. Elle est l’expression du bien-être citoyen en langue locale avec cette origine forte en langue arabe. Elle venait poser en avant-première la volonté de celui qui voulut réaliser son pouvoir dans un esprit équitable mais assez vite rattrapé par ceux qui définissaient déjà sa politique. Ces derniers l’atteignaient avec détermination mais aussi avec les moyens qui les accompagnent. Dès son élection, Libération du 30 mars titrait sur la situation particulière des Comores en les présentant tel le Carrefour de tous les trafics de Mercenaires et les escrocs ont les mains libres sur cet archipel sous influence française. Jacques Foccart était le Monsieur Afrique de la Françafrique mais il était en ces temps encore malade et les clés de son cabinet particulier étaient bien scrupuleusement gardées par l’Ambassadeur Fernand Wibaux. À eux deux, ils avaient le contrôle absolu sur tous les candidats aux élections présidentielles de mars 1996 aux Comores, voire de la situation déjà fort particulière d’Anjouan en raison du projet off-shore que Denard entendait y exploiter.

    Si la cellule avait son chef notoire avec ses nombreux bureaux et parfois ses conseillers d’envergure également, elle apparaît tout de même telle une structure non identifiable tant elle demeure pour nombreux un mystère, comme le fut en son temps le Masque de fer sous Louis XIV. L’Ambassadeur Jean-Marc Simon le définit comme étant le centre de l’État et le vrai cœur du pouvoir. Sous la Ve République et surtout au cours de ces premières années, hormis la période des deux septennats socialistes, Jacques Foccart est sans aucun doute la personne la plus controversée, car autant reconnu comme étant l’homme le plus mystérieux et le plus puissant après le Général de Gaulle. Ses services étaient tout aussi incontournables qu’il était irremplaçable et du simple fait qu’il tenait l’Afrique d’une main de fer. Ce fut ainsi que dès l’investiture de Chirac à l’Élysée, la puissante cellule africaine devenait simplement bicéphale. La dernière intervention militaire aux Comores d’octobre 1995 ne pouvait satisfaire tout le monde d’autant que Denard s’est défendu par la suite, en faisant valoir qu’il avait obtenu de la toute-puissance cellule, un feu orange qu’il prenait comme un feu vert.

    Si sa révélation s’avère plausible, il ne pouvait lui être accordé que par l’ambassadeur Fernand Wibaux, le meilleur allié et le successeur de Foccart, pour leurs affaires africaines. Ce fut d’ailleurs la raison pour laquelle Abbas Djoussouf avait fait aussi le déplacement à Paris pour un probable adoubement. Il avait aussi ses amis qui leur étaient proches et qui lui voulaient autant du bien. La réalité en était autre, il ne cherchait qu’à s’assurer que rien ne leur échappe et c’est ainsi qu’il avait été reçu par le même Wibaux, celui qui avait déjà informé un émissaire français que celui-ci n’avait pas le poids de son adversaire.

    Néanmoins, on peut aussi reconnaître que de tous, Mohamed Taki Abdoulkarim était de loin celui qui avait une longue expérience de l’exercice du pouvoir. Il avait été plusieurs fois ministre avant l’indépendance, puis président de l’Assemblée nationale avant d’être fait Responsable de l’Action gouvernementale par le régime sortant. Pourtant c’est en occupant ce poste qu’il devenait la deuxième personnalité de l’État, pour une sorte de primature, avec un gouvernement de cohabitation. C’était aussi peu de temps avant la confirmation de sa position de chef de l’opposition, celle qui lui sied si bien et durant une dizaine d’années au moins, avant de prendre le maquis après une tentative de putsch. Mais il était aussi et sans doute celui qui incarnait le plus la complexité de la société comorienne.

    Son électorat était au moins majoritaire dans les deux principales îles. D’autant qu’il avait en même temps réussi à obtenir le soutien de la famille Abdallah, celle de son principal adversaire politique en son temps, et que son prédécesseur n’avait pas réussi à obtenir le soutien. Comme ses deux prédécesseurs, leurs descendances les rattachent à la ville de Domoni mais à la différence de son prédécesseur, il avait avec Ahmed Abdallah ce lien bien particulier qui les liait aux mercenaires, certainement sur le fondement de leur relation de longue date avec Jacques Foccart. C’est probablement en cela que se situent son opposition et sa détermination à venir à bout du régime de Saïd Mohamed Djohar qui bien que infiltré craignait encore autant cette présence étrangère au service du plus offrant.

    Pour en arriver là, Mohamed Taki s’était bien inspiré en se faisant d’abord entourer par ceux qui croyaient en son projet de société et dès son premier discours, il avait mis l’accent sur les défaillances nombreuses et rappelé les manquements liés à l’indépendance des Comores mal préparée. Il avait ainsi exprimé son souhait de construire une relation de confiance avec la France. Avec l’ancienne métropole pour l’accompagnement qui avait tant fait défaut à la consolidation de l’État archipel naissant. Ce fut ainsi que le président Chirac avait cru en cette déclaration unique en son genre, en lui exprimant son soutien avant même son élection. Mais très vite, la confusion s’invita dans son cercle, venue le plus souvent de tous ceux qui l’avaient rejoint qu’une fois élu, pour faire sortir de l’ornière ceux qui s’en cachaient.

    Ces collaborateurs de circonstance étaient sans bienséance. Ceux qui n’avaient aucune accointance avec sa politique du moment mais qui pensaient bien pouvoir uniquement se servir du régime pour parvenir à leurs fins. D’autant que l’infiltration d’éléments extérieurs à ses côtés ne contribua qu’à renforcer la cacophonie. Tout cela faisait porter de lourds préjudices, à celui qui était déjà taxé d’islamiste par ses adversaires politiques. La présence de mercenaires à ses côtés, certes souvent en col blanc d’ailleurs, ne lui laissait guère plus de marge. Leur simple présence ternissait encore plus son régime, tant ils faisaient valoir d’autres intérêts en rapport avec ceux qui exposaient tant le pays, en étant en complète contradiction avec l’enjeu sécuritaire pourtant encore bien défini pour l’Océan Indien.

    Il apparaît toutefois que l’émissaire français qui avait prévenu Abbas Djoussouf, bien avant le premier tour, lui avait aussi spécifié que malgré le soutien financier et politique qu’il avait pu obtenir, il ne remplissait pas les conditions de la mission du candidat de la France de Foccart. Cela en dit long et à ce propos, il me revient une anecdote que Bongrand m’avait apprise, alors qu’il était engagé pour la campagne présidentielle du Général de Gaulle. Le slogan qu’il proposait correspondait bien aux attentes du candidat et qu’il avait même été déjà approuvé des gaullistes mais il n’avait pas pu servir, car le candidat en personne considérait que se présenter devant le peuple c’est d’abord « pour un mariage entre lui et la France » et pas autrement. Alors que les candidats aux présidentielles des Comores cherchent encore, non pas le mariage avec le peuple mais pour la préférence de Paris. J’en conçois mais ce genre de mariage doit d’abord respecter les raisons de l’État et l’engagement ne peut être en aucun cas passionnel.

    Pourtant rien n’était encore acquis, car ceux qui soutenaient la candidature de Mohamed Taki Abdoulkarim ne pouvaient être favorables à cet engagement nouveau. Ils se sentaient d’un coup, dépassés par cette expression soudaine du président Chirac. Ceux-là connaissaient bien son opposition à leurs dérives et à leurs manipulations à des fins autres comme celles impliquant des mercenaires sur le territoire national. Le candidat Taki devenait pour l’occasion un islamiste proche des milieux intégristes que ceux-là dénonçaient avec véhémence pour mieux semer la confusion. Le soutien de Chirac venait leur faire grincer des dents d’autant qu’ils le considèrent tel l’Africain pour sa proximité et son attachement particulier en faveur de ce continent et de la culture orientale. Il venait d’ailleurs de s’en prendre aux services de sécurité israéliens qui assuraient une protection un peu trop rapprochée à son goût alors qu’il voulait juste serrer aussi les mains des Arabes israéliens à Jérusalem en octobre 1996, pour prouver son attachement au peuple palestinien et sans doute sa cause également. De cette visite mouvementée, son expression de colère en langue anglaise dans le texte demeure dans les annales : « You want me to take my plane and to go back to France ? » Après cela, il ne manqua pas l’occasion de se rendre à Ramallah où une rue à son nom est inaugurée quelques années plus tard. Sans oublier qu’il est encore pour les Arabes l’homme du Non à la guerre contre l’Irak en 2003.

    Avec l’élection de Taki, la rumeur de son islamisme prenait encore plus d’ampleur surtout après qu’il eut fait l’introduction de pratique religieuse dans les affaires de l’État, comme les récitations coraniques avant ses déclarations publiques ou la référence à la charia dans ses interventions. Ses dispositions nouvelles lui auraient-elles été conseillées par ses amis qui lui voulaient tant de bien ? Il s’est avéré être tout sauf un fervent religieux mais probablement un de ceux qui croyaient pouvoir montrer à travers sa pratique religieuse, qu’il parviendrait à des fins acceptables pour tous et pour mettre un peu d’ordre dans ce qui n’en avait plus depuis longtemps. Il tenta le rapprochement des Comores par la coopération avec l’Afrique et avec le Moyen Orient avec qui il entretenait lui-même déjà depuis fort longtemps de bonnes relations. Ceux-là mêmes qui sont encore, les meilleurs partenaires de la France et dont la présence à Mayotte est devenue au cours du temps incontournable notamment pour assurer le contrôle du passage stratégique du Canal du Mozambique.

    Néanmoins, Mohamed Taki était aussi ce jeune homme assez curieux d’apprendre, qui apparaissait en 1962, aux côtés de Louis Massignon (1883-1962), l’islamologue français auteur entre autres l’œuvre de Hallāj, qui situe son enseignement dans les grandes lignes des études de l’islam orthodoxe. Tout en prenant soin de lui accorder une dimension mystique qu’il reconnaît l’avoir essentiellement rencontré dans l’expression de l’islam sunnite. Celui qui était en l’occurrence taxé dans les années vingt, pour sa méfiance des Salafistes, ces leaders du mouvement né en Égypte en réaction à la domination intellectuelle et politique à la croisée de l’Europe et du monde musulman.

    Il était aussi considéré en tant que tel et ses adeptes critiquaient la stagnation de la pensée islamique, pour au contraire plaider en faveur de la sécularisation de ses élites et pour la réinterprétation des textes fondamentaux de l’islam pour les mettre en équation avec la gouvernance libérale. Mohamed Taki avait fait à cette occasion la lecture de la sourate Ahl Al-Kahf (Les gens de la Caverne) N° 18 du Coran lors du pèlerinage islamo-chrétien de Bretagne sur les Côtes-d’Armor, qui est dédié aux Sept Dormants d’Éphèse. Cette rencontre avait été initiée et voulue par l’orientaliste, celui qui est reconnu par ses pairs pour être « le plus grand musulman parmi les chrétiens et le plus grand chrétien parmi les musulmans », selon les paroles d’Ibrahim Makdour de l’Académie arabe du Caire lors de l’hommage funèbre qui lui est rendu le 20 décembre 1962.

    À son élection le 16 mars 1996, Mohamed Taki savait dès lors qu’il pouvait compter au moins sur deux grandes personnalités en France. Il avait certainement déjà Jacques Foccart comme parrain, cependant il était déjà bien affaibli physiquement par la maladie et depuis peu, il savait qu’il pouvait aussi compter sur Michel Bongrand qui n’avait ménagé aucun effort pour tenter de lui façonner une nouvelle image. Il souhaitait faire de Mohamed Taki l’homme de la restauration tout en tentant de le rapprocher de Chirac et de la cellule active de l’Élysée placée sous l’autorité de l’Ambassadeur Michel Dupuch.

    Cependant, il apparaît aussi que l’autre Monsieur Afrique de Chirac, à savoir l’Ambassadeur Fernand Wibaux, mais plus connu pour être déjà le bras droit de Foccart, s’était rendu à Moroni dix jours seulement après l’investiture, non pas officiellement mais bien plus pour une courte rencontre des plus mystérieuse que rien n’était sorti des quatre murs. Cela étant dit, ce ne fut que pour un bref passage de quelques heures seulement avant de repartir à bord de son avion à destination du Gabon. Comme par hasard, Moroni se retrouve sur le chemin entre Paris et Libreville. Mais il semble que la question sécuritaire n’avait même pas été évoquée, cela allait de soi, elle n’avait pas besoin d’un tel déplacement. En revanche, Taki a eu la présence d’esprit et n’avait pas tardé à demander à Paris de prolonger la présence du contingent militaire qui stationnait aux Comores depuis l’intervention de l’opération Azalée et qui l’avait vu partir quelques mois plus tôt s’exiler plusieurs mois à Paris.

    À cela, sa politique prêta à bien des égards à la confusion, entre la politique exprimée de son premier cercle et celle appliquée avec le tiraillement de certains que pour sa coopération avec ce genre de collaborateurs, aguerris à la violence de l’action pour n’être pour la plupart d’entre eux que des mercenaires, même s’ils se disaient convertis pour d’autres missions avec des références autres. Ils le demeuraient aussi probablement pour un genre nouveau. Les premiers prenaient sans hésitation des positions souvent exprimées avec arrogance et véhémence contre la politique passéiste des seconds, celle dont la nation a été trop longtemps nourrie pour en être la première victime.

    Cette même volonté s’exprimait également lors des interventions à l’international, comme à Ouagadougou lors du dix-neuvième sommet franco-africain de décembre 1996 ou bien encore à Durban lors du sommet des Non-alignés de septembre 1998, où le ministre des Affaires étrangères Salim Himidi n’avait ménagé aucun effort pour dénoncer la politique passéiste de l’adversaire désigné. Toutefois, même en condamnant la politique de l’ancienne puissance coloniale, il s’assurait de son maintien dans le cercle du pouvoir en même temps que les personnes qu’il accusait pour leur appartenance à ces milieux. La même politique revenait sans changement à être pratiquée avec les mêmes méthodes. Mais il arrivait souvent qu’il se perde dans sa contradiction, en même temps qu’il manquait de réalisme nécessaire pour son orientation. C’est ce genre de comportement qui a semé la confusion, tout en brouillant la politique locale également. Avec le manque de vision, de ce genre de personne, a fait que les concernés ne pouvaient que se décharger de toute responsabilité, pour ne les faire porter qu’à la seule France. De ces engagements contradictoires, ils n’ont réussi qu’à tenir un peu plus, éloigné celui qu’ils prétendaient servir tout en le discréditant, chaque jour un peu plus.

    Pourtant, de cette faiblesse, nul ne peut lui renier cette volonté exceptionnelle à rassembler. Mohamed Taki avait pour ce fait appelé à former dès son élection un gouvernement d’union nationale. Il invitait même ses anciens adversaires à le rejoindre mais encore une fois c’était bien de cette généreuse volonté pourtant si nécessaire en ces temps surtout pour ce petit pays. En conséquence de cela, émanaient aussitôt des éléments plus audacieux et aux convictions douteuses, souvent contradictoires aux siennes pour définir la politique gouvernementale. Parmi eux se retrouvaient des notables de la première heure aux côtés de révolutionnaires en papier qui n’avaient rien fait d’autre que de chercher à instrumentaliser le régime avec des idées progressistes souvent inspirées des régimes totalitaires mais savamment exprimés avec témérité. Ceux-là ne cherchaient qu’à conserver leurs acquis nouveaux, en faisant porter des responsabilités de leurs défaillances à un adversaire bien particulier et sur qui tout reposait. La France devenait par sa présence à Mayotte, l’alibi et le responsable de toutes ces défaillances.

    Ce fut de cette expression que dès le mois de mai suivant, pour dire que quelques jours seulement ont suffi pour que Lucien Edward Forbes, le patron d’une firme américaine appelée Forbes & Co, venait à signer avec les Comores un projet pharaonique pour Anjouan. Un accord qui avait tout pour froisser les anciens partenaires des Comores et la France en particulier. D’autant que le projet est bien introduit par Éric Denard, le fils naturel du mercenaire de même nom qui avait déjà élu sa résidence permanente à Moroni et cela dès l’élection de son tonton Mohamed Taki.

    Cependant, il se murmurait déjà que celui-ci sillonnait encore, même les parties privées de la résidence présidentielle où il s’était vu tisser des relations étroites avec l’équipe présidentielle et tout particulièrement avec le directeur de cabinet le Dr Mouhtar Ahmed Charif mais aussi avec Hassan Harouna le chef du cabinet militaire de la présidence. Sans jamais mesurer la conséquence d’un tel engagement, Taki s’exposait en confrontation directe entre les anciens mercenaires avec leurs méthodes de barbouzes et ceux qui cherchaient à rétablir l’ordre républicain dans la relation qui les lie encore à cette ancienne colonie de l’Océan Indien, vingt ans après son indépendance.

    Le fils de Denard prenait bien évidemment la relève de son père pour devenir le porteur de deux projets phares du régime de Taki. D’abord comme intermédiaire de Lucien Forbes, l’homme d’affaires américain, qui n’était rien d’autre qu’un aventurier, qu’il ne faut surtout pas confondre avec le magnat des affaires du même nom. Avec ce contrat en main, Forbes se voyait attribuer l’autorisation de l’exploitation du territoire national maritime. La société ainsi créée avait le droit d’opérer dans les eaux territoriales pour leur surveillance, que pour la délivrance de licence de pêche, d’exploitation, de forage et de chargement pétrolier, etc.

    Un gigantesque projet qui n’avait pas manqué de susciter de nombreuses interrogations plus particulièrement du côté de l’autorité française, pour qui la question de l’extra-territorialité se pose déjà du fait de la position de Mayotte se trouvant encore sous son administration. Mais avec bonne foi, on peut qu’y voir la volonté de freiner une dangereuse aventure tout simplement. Pourtant, de l’intérieur, toute responsabilité voudrait que chacun s’interroge sur la portée d’un tel engagement aussi gigantesque soit-il sans que ce marché si lucratif n’ait fait l’objet d’aucun appel d’offres.

    Aussitôt dit, aussitôt apparu pour la seconde fois, le fils de Denard est porteur d’un deuxième projet qui consistait à créer une concession qui se peaufinait minutieusement avec l’approbation des mêmes collaborateurs. Une sorte de lessiveuse des sommes qu’engendreraient leurs opérations préliminaires. Ce fut un jeune recrû pour l’opération de Denard qui a coûté le fauteuil de Djohar qui s’est confié à la presse, sur le comportement du chef des mercenaires, celui qui sait manipuler son entourage comme quiconque : « C’est un homme d’affaires. Il pense d’abord à ses intérêts et utilise les gens avec cynisme. Comme n’importe quel grand patron néolibéral. »

    C’était à Ouagadougou, les 5 et 6 décembre 1996, que se tenait le dix-neuvième sommet franco-africain. Jacques Chirac et Mohamed Taki se rencontraient pour la première fois en leur rang et es qualité, et ce malgré le soutien du premier au second. Cela était aussi l’occasion d’un premier exercice du genre pour Blaise Compaoré qui tenait à rappeler que La démocratie est illusoire si elle n’est pas enracinée dans le bien-être car le thème de la conférence était bien La bonne gouvernance. Ainsi le président français n’avait pas manqué de faire remarquer que la paix n’est que le premier pas sur la voie de la bonne gouvernance, et cela à juste raison avant de préciser que la bonne gouvernance est la clé de tout financement et de tout investissement.

    Mohamed Taki faisait pour sa part et à cette même occasion la connaissance en personne de Michel Dupuch le Conseiller Afrique de Chirac. Celui-ci n’avait pas pu se retenir trop longtemps, se saisissant de l’occasion juste après les échanges de courtoisie et de rigueur, pour demander au président comorien et sans aucun détour de bien vouloir accepter de rompre toutes relations avec les mercenaires, car elles ne lui apporteraient que de graves préjudices, tout en le rassurant de pouvoir l’aider en contrepartie, par le renforcement de bonnes relations bilatérales, à travers la coopération et par une assistance technique accrue.

    Une fois à Paris, Michel Dupuch saisissait l’occasion de faire passer un message à Mohamed Taki, pour lui exprimer la désapprobation de la France en ce qui concerne la signature du contrat de cession du domaine maritime des Comores à un homme dont la réputation n’était pas du tout recommandable. Pour lui, il n’était pas nécessaire d’ouvrir un autre différend territorial aux conséquences incommensurables, car le risque de voir se poser la question de l’extraterritorialité demeure. Mayotte est sous administration française et à ce moment bien précis, tout bon sens voudrait que soit louée cette présence bien salvatrice, à un moment où la responsabilité perd sa dimension en faveur d’aventureux et dangereux projets.

    Il lui avait même suggéré d’introduire la question auprès du Premier ministre Lionel Jospin, pour ouvrir une discussion directe en vue de trouver ensemble une solution acceptable de tous. À Moroni aussi, l’Ambassadeur Gaston Le Paudert avait été déjà sensibilisé sur la question et était encore plus disposé et ce d’autant qu’il était chargé du suivi de cette question hautement déterminante. En juillet, il s’en inquiétait encore de n’avoir pas reçu de réponse de la présidence. Alors même que Taki s’était particulièrement et hermétiquement renfermé pour ne vouloir discuter avec personne d’autre, de ce qui pour lui relève de la souveraineté nationale, tout en gardant Foccart comme le parrain éternel et Wibaux pour conseil permanent.

    Bien avant qu’on en soit là, lors de la première visite à Paris du président Taki, je me rappelle avoir été sollicitée ainsi que Claude, la compagne de Bongrand pour essayer de faire sortir la nouvelle épouse de Taki et de tenter de l’initier à nos milieux bien parisiens, en vue éventuellement de la faire sortir de ses habitudes locales et de ses manières disgracieuses. Elle était une jeune femme d’origine assez modeste et aux manières peu conventionnelles mais avec un caractère bien trempé. Ensemble, nous la convions d’abord à un déjeuner à la Brasserie de Courcelles, à proximité de la résidence parisienne des Bongrand. Nous cherchions encore à déceler ses centres d’intérêt pour pouvoir lui organiser dans un premier temps quelques visites de la Ville lumière.

    Il était ensuite question qu’on lui organise une petite réception à l’occasion d’une de ses visites mais nous avions eu la prudence de prendre le temps de mieux la connaître et avant de nous lancer dans cette même aventure. Ce fut encore avec étonnement que nous comprenions qu’elle n’avait rien de ce que nous pouvions imaginer. Elle était déjà bien séduite par les milieux qui s’ouvraient à elle, où tout est tintant et brillance. Nous constations aussi assez vite qu’elle n’avait pas ce besoin d’autant qu’elle semblait déjà bien connaître le Louvre et les Pyramides, pour avoir fréquenté les stations de même nom. Elle connaissait bien Paris et elle n’y trouvait rien de bien particulier à redécouvrir.

    Ce haut lieu bien parisien à la carte assez intéressante était cependant dépourvu de dorure. Il devait alors lui paraître désolant, voire ennuyant, ou c’était simplement nous qui l’étions sans nous en rendre compte. Sans plus attendre, le service de table venait à peine de commencer, que son chauffeur faisait irruption dans la salle pour l’informer de la visite impromptue de la seconde épouse du président. Cette dernière était venue directement de Lille pour présenter son nouveau-né au père, à l’hôtel où logeait déjà le couple présidentiel. À ce moment précis, je me suis posé la question de savoir si ce n’était pas carrément nous qui étions pris dans la structure. Aussitôt informée, qu’elle se leva sans dire un mot, tourna ses talons et quitta la table en coup de vent, tout en laissant fumant son plat alors que nous l’attendions pour commencer à déjeuner. Il était pourtant bien servi et à la hauteur de nos attentes.

    Après un tel désaveu, tout espoir était d’avance perdu, je prenais simplement le temps d’apprécier le cadre et certainement la carte du lieu quelque peu dépaysant. Quelle ne fut tout de même la désolation de Claude que je compatissais d’ailleurs déjà mais sans oser rien dire d plus pour ne pas accentuer la méprise. Pourtant le président Taki m’avait laissée un jour comprendre qu’il attendait de ces rencontres que sa jeune épouse apprenne un peu mieux du protocole lié à son nouveau rang. En fin de compte, nous nous étions entendues qu’il valait mieux lui laisser le temps de l’adaptation et qu’on verrait cela plus tard, évidemment sans rien dévoiler du tout, en retour à son époux.

    Il circule évidemment dans certains milieux de nombreuses histoires concernant les maladresses et des premiers pas des premières dames. À ce propos, une anecdote me revient, et concernant un chef d’État d’un pays membre du Commonwealth, il s’agirait plus probablement de Kibaki du Kenya. Constatant l’embarras de sa compagne devant le faste de la table royale du dîner offert par la reine Élizabeth II, il improvisa aussitôt dans une tradition sortie de la richesse de son imaginaire pour la sortir par le haut du chapeau. L’invité d’honneur fit la demande d’autorisation à Sa Majesté de pouvoir bénir le repas selon la tradition locale et de sa tribu spécifique, et bien évidemment il ne pouvait le faire que dans sa langue maternelle.

    Pour tout cela et c’était pour lui l’occasion de donner quelques conseils à son épouse qui était placée en face de lui, que chacun des couverts a son propre usage et qu’il valait mieux éviter de les mélanger tout en essayant de ne pas confondre les verres, etc. Pour cela, il lui conseillait de bien observer ses voisins de table et de suivre l’ordre du déroulement du service, etc. Mohamed Taki ne se serait jamais autorisé une telle audace, d’autant que la République française est laïque et par conséquent n’est pas concernée par la bénédiction des repas.

    Mais aussitôt, un autre fait trouve ici son illustration. C’était lors d’un voyage d’État que Taki effectuait au Koweït, que par sa générosité légendaire, il avait fait inclure dans sa délégation des personnalités qui n’étaient pas en fonction. Pour justifier leur présence, il s’était à ce propos exprimé largement devant quelques-uns de ses conseillers et dans sa suite présidentielle du Koweït City Hotel. Il leur expliquait à cette occasion, les raisons de la présence de ses opposants d’hier tel le notable Bin Charaf qui d’ailleurs se tenait bien devant lui, lors de ce premier voyage d’État.

    Il voulait d’abord rappeler les liens familiaux qui sont les leurs et qui ne l’avaient jamais empêché toute sa vie durant, de s’opposer à sa politique. Celui-ci l’avait longtemps méprisé, quand il ne le traitait pas en ennemi avec les plus viles accusations mais du fait qu’il soit élu, il tenait à leur dire qu’il les avait pardonnés. Ce fut ainsi qu’il avait tenté de les impliquer pratiquement tous à sa gouvernance, pour mieux les mettre au service de la nation. C’était probablement là une autre faiblesse politique voire une faute stratégique mais c’était aussi l’expression d’une rare générosité à la comorienne.

    En l’invitant à ce voyage, il voulait prouver qu’il était capable d’accorder le pardon particulièrement à ses ennemis d’hier comme à ses opposants politiques de toujours et c’était ainsi qu’il avait parlé de deux autres de ses serviteurs, eux aussi provenant de sa ville d’origine Mbeni. Il s’agit de Mohamed Ali Soilih dit Mamadou et de Salim Himidi, tous les deux ne s’étaient rapprochés de lui que depuis son élection. Le premier étant son conseiller aux affaires économiques avant de devenir juste à quelques jours, avant sa mort, son dernier directeur de cabinet. Pour le second, il avait tenu à rappeler que ce dernier lui avait déclaré la guerre depuis de longues années alors qu’il servait le régime révolutionnaire d’Ali Soilih.

    Un régime qui l’avait humilié en public avant de l’emprisonner sans qu’il n’ait jamais tenté d’intervenir en sa faveur ni même cherché à soulager ses souffrances ou même à préserver la dignité de l’homme de ses multiples persécutions. Il faisait de lui dès son élection un conseiller aux investissements, puis son directeur de cabinet avant de le nommer tel son dernier ministre des Affaires étrangères, et ce malgré leur différence d’approche diplomatique. Entre eux, il n’y avait aucune politique d’entente pouvant les rassembler et qui puisse justifier la confiance qu’il leur accorda pour ces postes à haute responsabilité, si déterminants pour la réalisation de sa politique. D’autres que lui réservent ses postes à des personnes dont la confiance et la fidélité sont indéfectibles.

    Mohamed Taki était ainsi et par syncrétisme celui qui était bien plus convaincu qu’il devait agir telle l’a recommandé le prophète, tout en ayant conscience que la confiance se construit sur des actes et les faits. Il le répétait assez souvent à ceux en qui la confiance était acquise, pour qu’ils gardent en constance un œil vigilant sur les autres. On y trouve certainement dans cette expression, l’humaniste qu’il était, cet admirateur de Louis Massignon également. Raison pour laquelle il était souvent dépeint comme un homme proche des milieux fondamentalistes musulmans notamment pour sa connaissance du Coran que pour sa pratique notoire de l’islam.

    Pour cela aussi, il avait dès son accession au pouvoir fait insérer dans les emblèmes nationaux en caractère arabe (Allah et Mohamed) créant ainsi un système à haut risque de confusion. Ce qui n’était pas fait pour rassurer ni ceux qui voulaient ouvrir le pays au tourisme, comme les pays voisins de l’Océan Indien mais bien plus encore, pour ceux qui se projetaient en faveur du développement des zones de non droit, franchisées à destination du jeu, du blanchiment et du plaisir.

    C’était pourtant sous sa présidence qu’une femme se trouva accréditée pour la première fois de l’histoire diplomatique des Comores à un poste d’ambassadeur. Votre serviteur a eu l’honneur et le privilège de cette mission de représentation auprès de l’UNESCO dès septembre 1997. La représentation des Comores devenait ainsi une des rares missions dirigées par une femme mais surtout une des pionnières pour le groupe arabe, car avant elle, l’Afrique en avait déjà nommé. Il était néanmoins cet homme de foi, qui pourtant laissait véhiculer autour de lui et par ses supposés partenaires des faits peu conformes à la norme.

    Pendant que ses vrais amis s’en méfiaient sérieusement, sans jamais parvenir à le convaincre pour l’en détacher définitivement. Il était convaincu qu’il parviendrait à atteindre à la satisfaction de ses partisans d’hier, ceux qu’il pensait à tort, ne pas pouvoir lui tourner le dos, pour rien au monde. Ceux-là, se servaient uniquement de son régime en prenant chaque fois le risque d’en faire un des plus népotiques. Tout comme celui qu’ils dénonçaient par le passé, avec ferveur.

    Néanmoins, la présence d’Ahmed Abdou, l’ancien directeur de cabinet d’Ahmed Abdallah à ses côtés, avait rassuré les partenaires occidentaux, car il s’était fait la réputation d’être discret et utile pour la remise de l’ordre dans sa politique. Tous les deux ont au moins en commun, une certaine proximité avec Denard et sans doute avec son chef aussi. Si la nomination de celui-ci comme Premier ministre avait pu redonner confiance à certains de leurs amis communs, elle ne rassurait guère pour son intransigeance en faveur de certaines affaires mais surtout face à cet entourage autre, plutôt avide et à l’opposé de ce qu’il entendait réaliser lui-même.

    Le paradoxe de cette nomination était qu’elle avait été saluée par les institutions internationales, que par la France qui voyait en lui l’homme de la circonstance. Originaire d’Anjouan, il ne pouvait que lui apporter le soutien des électeurs de l’île, d’autant qu’il était perçu tel un homme d’expérience, reconnu pour sa rigueur que pour une efficience qui s’opposait à tout ce qui l’entourait.

    Un an après son investiture à la présidence de la République, Taki venait à perdre le pilier de sa politique et le souffle de ses positions. À l’occasion des obsèques nationales de J. Foccart, comme d’ailleurs six autres chefs d’État africains, comme son voisin Didier Ratsiraka de Madagascar, Taki avait fait pour ce fait le déplacement. Il était par ailleurs accompagné de Saïd Hassane Saïd Hachim et de Saïd Hilali pour assister aux derniers hommages qui lui étaient rendus aux Invalides, le 25 mars 1997.

    Avec cette disparition entrait officiellement en course et sans considération aucune l’aventurier américain certes toujours soutenu par la bande à Denard, pour l’exploitation des eaux territoriales, que les successeurs de Foccart s’ils le considéraient ainsi, émettaient encore des réserves quant à cette immixtion étrangère dans un territoire maritime en partage. Alors même que l’Élysée tentait d’attirer son attention avant de s’y opposer ouvertement. Cette collaboration prenait dès lors un caractère de défiance à travers cette dangereuse déviation. Même s’il se présentait avec des associés bien français, la France républicaine ne pouvait l’accepter, le mélange des genres ne peut être toléré alors même qu’elle dispose et assure encore la surveillance maritime.

    Avec la disparition de Foccart, l’écart qui séparait la vision des deux cellules africaines devenait encore plus évident. Son ancien collègue l’Ambassadeur Wibaux était l’homme du Gabon tandis que l’Ambassadeur Dupuch était celui de la Côte d’Ivoire de Houphouët Boigny, c’est là aussi l’expression de deux politiques africaines, bien opposées même si parfois elles peuvent être complémentaires. La situation des Comores n’en échappait guère et en inquiétait tant Dupuch, qui ne souhaitait pas voir réapparaître d’autres incidents diplomatiques durant le régime de Chirac. Il avait même fait savoir qu’il valait mieux ne pas chercher à en créer dans cette zone de paix, car ils pourraient avoir des conséquences déplaisantes pour tout le monde avec une portée extraterritoriale, avait-il précisé à Hilali encore Conseiller du président Taki, si néanmoins entre eux, il n’y avait pas plus de marge, il y avait une grande différence d’appréciation.

    En profitant de ce laps de temps d’incertitude, le projet Forbes s’implantait progressivement chaque jour, tant la séduction de l’avènement d’un tel projet dit américain rassemblait tous les crédules et bien certainement encore plus, tous les cupides. Il était d’autant plus grand que les pancartes prometteuses représentaient un projet autant pharaonique, du jamais vu dans ces îles oubliées depuis la nuit des temps et de tout développement réel. Il était alors apprécié de nombreux et largement soutenu de tous ceux qui sans se soucier que son premier promoteur ne soit autre qu’Éric Denard, à vrai dire le vrai Denard en personne.

    Quoi qu’il en soit, son pater y avait laissé encore de nombreux amis, qui ne pouvaient plus être les défenseurs de la nation mais à croire que l’ambiguïté et la confusion des genres font partie de l’exercice national. Derrière le bureau des Directeurs de cabinet successifs, allant du Dr Mouhtar à Salim Himidi en passant par Ali Mlahaili, l’affiche du projet y prônait en bonne place comme pour rassurer tous ceux qui viendraient à douter de sa faisabilité et cela semblait encore plus les conforter avant de satisfaire leurs visiteurs.

    Se saisissant de l’accommodation des autorités comoriennes quand ce n’est pas par complicité, que Denard fils introduisait sans attendre un troisième projet, qui consistait à faire en Grande Comore une zone franche, pour une concession allant de cinquante à cent ans et destinée à attirer des fonds d’origines chinoises mais aussi corses pour faire des Comores un centre international du blanchiment, une sorte de paradis fiscal et disait-on le Taïwan de l’océan Indien. Mais la chose extraordinaire est qu’il entendait également pour ce projet, faire intervenir son autre tonton comorien, le prince Saïd Ali Kemal, comme gouverneur de cette zone franche. C’est simplement hallucinant !

    Bob Denard exprimait déjà des craintes notamment pour la réalisation de son grand projet et accusait directement Saïd Hilali de s’en prendre à lui pour son opposition marquée et connue de certains milieux. Taki avait alors cherché à apaiser la tension en demandant à Kemal d’organiser une rencontre entre les deux protagonistes afin de les rapprocher à défaut de pouvoir résoudre leurs divergences. Ce fut d’ailleurs chose faite et le rendez-vous s’est tenu à l’Hôtel Novotel des Halles. C’était du moins pour Hilali et Denard la deuxième qu’ils se retrouvaient en tête à tête et une fois de plus, dans un hôtel parisien. Il n’a pu s’empêcher de lui faire connaître que son interlocuteur a manqué de lui savoir son intérêt pour le pouvoir. Mais c’était peu le connaître car il faut reconnaître que ce caractère particulier n’est vraiment très pas local. Il est forgé certainement ailleurs et de ses rencontres aussi avec des principes qui sont loin d’être partagés.

    Mohamed Taki revenait à nouveau à Paris où il était reçu par Chirac à l’Élysée le 17 juin 1997 et pour un premier voyage de travail et de prise de contact avec ceux qui l’avaient réellement soutenu. C’était aussi l’occasion pour l’Ambassadeur Dupuch de marquer la différence en l’accueillant aux côtés de son chef, alors même que l’absence de l’Ambassadeur Wibaux venait marquer la différence. Le message était un peu plus clair, il ne devait plus se tromper de collaboration. Ce fut à cette occasion qu’il était félicité pour le choix de son Premier ministre, qui était respecté pour être un bon travailleur et un homme de confiance. Ce fut aussi à la suite de cette occasion que Saïd Hilali choisit pour lui organiser une visite rapide en hélicoptère à Colombey les deux Églises, car il savait combien son attachement au général de Gaulle, l’Homme de la Libération était grand. Ensemble, ils marquaient ainsi cette première visite à l’Élysée en sa qualité de chef de l’État, mais aussi de sa rencontre avec Jacques Chirac, le dernier des grands Gaullistes, par la visite de ce haut lieu de Mémoire.

    Cela avait largement suffi pour froisser l’autre partie qui y voyait avec la disparition de Foccart quelques mois plus tôt, le risque que les affaires des Comores ne les échappent. Désormais, les deux camps entrent en opposition ouverte et Taki se laissait prendre dans le jeu séduisant de ceux qui n’ont plus de moralité depuis fort longtemps. Les affaires étant les affaires, la politique en est tout autre. Pour une prise en haute mer, lorsque l’appât sert aussi d’hameçon, les conséquences sont imprévisibles. C’était au début de juillet 1997, alors qu’il n’avait pas encore quitté la France, car son retour avait été programmé pour le 4 juillet par le vol régulier d’Émirat Airways, pour lui permettre d’honorer de sa présence à la célébration de la fête nationale deux jours plus tard.

    Alors que tout semblait se dérouler à la perfection, qu’une seule proposition venait aussitôt enrayer brusquement la machine. Quelle ne fut la surprise que dire le désagrément de l’Ambassadeur Saïd Hassane Saïd Hachim d’apprendre le changement inopiné du programme alors que toutes les dispositions protocolaires avaient déjà été prises notamment celles relevant du Quai d’Orsay. Tout cela avait commencé par la venue à Paris de Mahamoud Soilih dit Lamartine, un diplomate comorien du sérail, basé alors à Bruxelles et qui travaillait en étroite collaboration avec le Commandant Charles, cet ancien haut gradé de la Garde prétorienne de Denard. Il avait fait le déplacement pour l’occasion, rien que pour s’assurer de la planification du retour présidentiel en jet privé. Il devenait en conséquence le seul responsable de l’embarras de l’ambassadeur, qui n’était pour rien et en conséquence complètement dépassé par ce qu’il considérait déjà tel un caprice d’un enfant trop gâté.

    En réalité, Mohamed Taki avait déjà été séduit par le projet avant même qu’il ait pris le temps de mesurer la conséquence. Pour Paris, ce changement de programme n’était pas prévu et les autorités ne voulaient en aucun cas se rendre complices d’une telle aventure surtout qu’elle venait engager un ami russe de Taki, juste après l’affaire en cours de l’ami américain. Lionel Jospin était à Matignon et Hubert Védrine au Quai d’Orsay, la rigueur était un principe de cette gouvernance. En revanche, Mahamoud Soilih est encore ce diplomate, qui avait déjà assisté le Dr Maécha lors de la conférence d’Abuja en 1991, celle qui avait causé son éjection du clan de ses amis socialistes français. Tandis que cette fois pour Taki, le Quai d’Orsay regrettait encore d’avoir fait inutilement bloquer le salon VIP pour les Comores.

    Dès lors, le service du protocole faisait savoir qu’il se trouvait dans l’incapacité de le débloquer d’emblée avec un service aussi performant. Le prolongement du séjour avait insidieusement occasionné la réduction du service protocolaire au strict minimum. Le commandant Charles avait sans doute ses raisons et ses relations à Moroni ne devaient pas les ignorer du tout et ce d’autant qu’il s’était déjà fait connaître par ses moyens d’équiper le gouvernement notamment d’une dizaine de grosses berlines noires qui avaient certainement leur prix et leur utilité mais en attendant elles faisaient le bonheur de ceux qui s’en servaient encore. Une approche qui devenait aussi tentante mais à quel prix ?

    Mahamoud Soilih faisait pourtant bonne mine pour nombreux, tout en peinant à peine à cacher son jeu tant il se savait envié de ceux-là, depuis qu’il se trouvait aux côtés de l’ancien mercenaire. Son train de vie aussi avait carrément changé et était bien à l’opposé de celui que menaient encore les diplomates en poste à Paris. Pourtant de toutes, la chancellerie de Paris est plus importante que n’importe quelle autre aux vues de la relation ancienne, de l’histoire commune et du nombre de ressortissants comoriens sur le territoire. Il prenait alors ses aises avec faste, en cherchant dès lors comme il pouvait à jouer de sa grande confiance à travers la séduction des notables de la diaspora comorienne de France et de Navarre, pour mieux les influencer que pour éventuellement s’en servir comme réserve en cas de besoin.

    Il se racontait déjà que celui-ci se rêvait en plénipotentiaire sans doute pour les besoins de ses illustres collaborateurs. Saïd Hassan Saïd Hachim était l’Extraordinaire et Plénipotentiaire mais ne pouvait pour ses principes connus accepter toute collaboration dont il connaissait trop bien le coût. Mahamoud Soilih pensa alors que sa confirmation en tant que plénipotentiaire devait passer par l’influence des notables du nord alors même qu’à Paris l’ambassadeur Saïd Hassane demeurait le plus emblématique de tous les notables.

    Pendant ce temps les proches de Taki, dont son directeur de Cabinet le Dr Mouhtar Charif, mais aussi et surtout Hassane Harouna, le chef du cabinet militaire de la présidence et d’autres membres encore du parti présidentiel l’UNDC, se saisissaient de cette déconvenue pour trouver le moyen de faire porter la responsabilité sur ceux pour qui ils avaient tant de mal à accepter leur proximité du président. De ce fait, Hilali et d’Ahmed Abdou qui n’en étaient d’ailleurs pas membres du tout, devenaient, rien qu’avec la rumeur, que bien évidemment leurs adversaires de tout temps, se faisaient un malin plaisir à amplifier pour faire

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