Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

La colère de l'autre (contenu enrichi)
La colère de l'autre (contenu enrichi)
La colère de l'autre (contenu enrichi)
Livre électronique156 pages2 heures

La colère de l'autre (contenu enrichi)

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Ève n’a jamais ouvert la bouche pour protester. Quand on n’a jamais parlé, par où commencer ? Christophe, pour sa part, préfère ne pas penser, ça lui donne envie de frapper. Et pourquoi sa blonde n’arrête-t-elle pas de pleurer? Il est mort, le bébé. Il faut passer à autre chose. Le policier, lui, parle. Il se sent tellement impuissant, comme si c’était lui qui avait des menottes. À travers le regard de ces trois personnages, le cycle de la violence domestique se perpétue, d’une personne à l’autre. Garder les secrets, garder sa colère, garder le silence... mais bientôt, quelque chose va exploser.
LangueFrançais
Date de sortie3 janv. 2023
ISBN9782897503284
La colère de l'autre (contenu enrichi)
Auteur

Marjorie Pedneault

Marjorie Pedneault est née à Chicoutimi, au Québec, en 1967. Elle vit dans la région de Moncton, au Nouveau-Brunswick, depuis 2003. Journaliste, enseignante et traductrice, elle oeuvre dans le domaine des communications depuis trente ans. Elle est lauréate du prix France-Acadie 2011 pour la biographie politique Un coup de coeur s’est fait entendre, publiée aux Éditions de la Francophonie. Elle a également signé deux autres titres dont Société des prodiges, publié en 2020. Avec La colère de l’autre, Marjorie Pedneault veut alimenter la discussion sur l’urgence d’agir.

Auteurs associés

Lié à La colère de l'autre (contenu enrichi)

Livres électroniques liés

Articles associés

Avis sur La colère de l'autre (contenu enrichi)

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La colère de l'autre (contenu enrichi) - Marjorie Pedneault

    Le policier

    Si je pouvais.

    Mais je peux pas.

    Avec mon habit, mes grosses bottes, mon arme puis ma casquette, je représente le pouvoir, la Loi. Mais c’est pas vrai tout ça. J’ai les mains liées. Je fais semblant que je peux, mais j’arrive toujours trop tard.

    C’est dommage quand même. C’est même triste. Des fois, ça m’empêche de dormir. Mais il faut pas prendre ça trop à cœur. Il faut être capable de se détacher. Je peux quand même pas pleurer chaque fois que je fais venir l’ambulance.

    Je vois toutes sortes d’affaires. Beaucoup de gars souls. Des jeunes qui veulent tout briser. Des crimes haineux. Des crimes violents. Des affaires de famille. Des gars violents qui battent leur femme. Des femmes hystériques qui négligent leurs petits.

    Puis les enfants dans tout ça.

    Ça fait pitié à voir. Les enfants qui braillent.

    À deux reprises, j’ai trouvé des enfants seuls dans des maisons. Les parents avaient déserté. Les enfants étaient sales, la morve au nez. Ils avaient faim. Quand on a fait venir des travailleurs sociaux, les enfants voulaient pas les suivre. Ils cherchaient leur mère partout. Ils pleuraient encore plus.

    C’est difficile à comprendre, aimer son bourreau. On vient pour les sauver, mais ils veulent pas être sauvés. J’ai de la difficulté à comprendre ça.

    Parfois, c’est les voisins qui appellent. Ils entendent des cris, beaucoup de pleurs. Ils veulent aider. Mais c’est difficile d’aider quand une personne refuse d’être aidée.

    Je me rappelle, une fois, on a arrêté un mari violent, mais la femme a refusé de porter plainte. La femme du voisin était en maudit. « Il faut qu’elle s’en aille, qu’elle disait. Il faut qu’elle le quitte. Il va la tuer. »

    Puis c’est ce qu’il a fait. Trois semaines plus tard. Leurs deux enfants étaient là. Un drame. C’était dans tous les journaux. Un crime passionnel. Un drame familial.

    J’aime pas tellement me souvenir de ce cas-là. J’ai comme une boule en dedans quand j’en parle. Andrée Landry. Je me rappelle encore son nom, son visage défiguré aussi. « Il dit qu’il recommencera plus », qu’elle disait.

    Elles disent souvent ça. Comme pour s’excuser. Comme pour excuser l’enfer vécu. Comme si c’était leur faute à elles.

    Des fois, j’arrête des gens que je connais. Quand ils me voient, ils sont gênés. Je le suis aussi. Se faire pogner par la police parce que t’as sacré une claque dans la face de ta femme. Qu’est-ce que les autres vont dire ?

    Vous seriez surpris de ce qui se passe dans les maisons. Quand on est policier, comme moi, on en voit de toutes les couleurs. La violence, c’est pas facile à dénoncer.

    C’est mal vu. Y a comme un malaise autour de ça.

    Puis c’est toutes sortes de gens. Des gens ben ordinaires. Comme vous puis moi. Vous en connaissez probablement aussi, sans savoir ce qui se passe dans leur maison.

    –Hector ! T’as un nouveau cas. Un bébé de deux mois. Étouffé. C’est suspect. La jeune mère a les yeux au beurre noir. Les ambulanciers voudraient un enquêteur. Faudrait que tu y ailles tout de suite.

    Bon. Je vais y aller. J’ai pas le choix. J’ai hâte à ma retraite. Je vais aller poser mes questions. Maudit que j’hais ça, des cas comme ça.

    Je pourrai pas faire grand-chose. Je le sais avant même d’y aller. C’est ce qui est le plus frustrant. Je vais faire semblant que je peux aider.

    Vous me prenez pour un hypocrite ? C’est ce que vous pensez. Un policier ! Si y a quelqu’un qui peut faire quelque chose, c’est bien lui, que vous me direz.

    Mais je peux pas faire grand-chose. Je le sais que j’ai les mains liées. Ça fait trente ans que je suis policier.

    Ève

    Mon petit Lucas.

    Quand je l’ai vu dans sa couchette, il bougeait plus. Il avait une serviette dans la bouche, enfoncée dans sa petite bouche.

    Je l’ai pris, mais il était tout froid. Sa peau était bleue.

    –Lucas ! Lucas ! Réveille-toi, mon bébé !

    Je l’ai même brassé un peu.

    Puis je l’ai reposé dans sa couchette. Je savais plus quoi faire.

    Je me suis mise à trembler. J’avais mal en dedans. Je pouvais même pas pleurer.

    J’avais froid. On aurait dit que c’était la nuit.

    –Qu’est-ce qui est arrivé ?

    –Je le sais pas, ce qui est arrivé. Je me suis réveillée, puis il était de même.

    Le policier me pose des tonnes de questions, mais je sais pas ce qui est arrivé. On dirait qu’il me croit pas. Il veut que je le regarde, mais j’ai mal. J’ai mal partout, dans ma tête, dans mon ventre.

    J’ai la tête en feu. Mes yeux me font mal. C’est Christophe.

    Hier soir, il était enragé. Il voulait tout casser. Il a même réveillé le petit.

    –Laisse-le pleurer, je te dis. Viens te recoucher. Il va se rendormir tout seul. Tu veux en faire un homme, oui ou non ?

    –C’est un bébé, Christophe ! Il pleurera pas de même toute la vie. Je vais aller le consoler.

    Puis là, je me souviens plus. C’est comme noir dans ma tête. C’est vide.

    Je me sens mal tout à coup.

    Moi, je veux Lucas, mon Lucas. Depuis deux mois, il était toute ma vie.

    J’ai l’impression d’être morte moi aussi. Ça me fait tellement mal en dedans. Puis tous ces gens dans la chambre du petit qui prennent des notes puis des photographies.

    C’est Christophe qui lui a mis une serviette dans la bouche pour qu’il arrête de crier.

    L’enfant pleurait trop. C’était pas normal, selon lui.

    La mort est étrange. Le policier pose beaucoup de questions. Il me regarde de ses yeux gris acier. Il a pas l’air content.

    –Votre joue enflée et votre œil tout noir, vous vous êtes fait ça comment ?

    –Je suis tombée.

    –À votre âge, quand on tombe, c’est parce qu’on est soul ou qu’il fait trop noir. Ou parce que quelqu’un nous met son poing dans la face.

    Mon ventre me fait mal. J’ai envie de pleurer et d’être bercée, d’être cajolée.

    Je veux plus entendre la voix grise du policier ni voir sa moustache grise ni ses cheveux gris, comme mon grand-père Charles. Une voix effrayante. Des mains partout sur mon corps. Une gêne immense. Des choses que je voulais pas faire. Tout le temps quand maman travaillait. Une odeur de vieux salaud. J’ai mal au ventre, comme maintenant.

    –Votre bébé est mort étouffé dans ses sécrétions. C’est malheureusement des choses qui arrivent parfois. Vous ne l’avez peut-être pas entendu dans votre sommeil. À cet âge, il aurait fallu qu’il soit plus près de votre chambre à coucher. Mais si vous l’avez entendu pleurer et s’étouffer, puis que vous avez rien fait, c’est de la négligence, ça !

    Le policier essaie d’expliquer la mort, de l’analyser. Comprendre ce qui a bien pu se passer.

    –Vous l’aimiez, votre bébé ?

    Je l’adorais ! S’il savait à quel point je l’aimais. Des pupilles rondes et noires, illuminées d’amour qui suivaient mes pas avec avidité. Un petit être tout neuf qui me respirait avec bonheur, qui m’aurait reconnue entre dix-mille. Quand j’y pense, je pleure.

    J’y pense tout le temps.

    C’est Christophe maintenant qui beugle. Il est nerveux. Il dit tout le temps qu’il a juste envie de fesser, de frapper. Qu’il se retient à deux mains pour pas me donner la leçon de ma vie. Mais j’ai pas peur de lui. Avoir peur de quoi ? J’ai plus rien. Lucas, c’était tout. Lui, il sait qu’il est rien.

    Le policier recommence avec ses questions. Il en pose trop. Je suis fatiguée de penser puis de pleurer. Épuisée de penser à mon bébé qui s’étouffe, à ses petits cris qui m’appellent dans la nuit parce qu’il a besoin de moi, juste moi, pas quelqu’un d’autre.

    Juste moi parce que je sais comment l’aimer. Parce que je suis l’univers entier. Pas juste un beau cul puis deux grosses boules qui le font bander. Épuisée de penser que j’ai pas été capable de le protéger.

    –Ève, si vous avez essayé d’aller aider votre bébé quand il s’étouffait, mais qu’on vous a empêchée de le faire, votre petit Lucas est mort injustement.

    Christophe

    J’ai frappé trop fort. D’habitude, je me contrôle un peu plus. Cette fois-ci, j’étais fou.

    La tête en feu. Je lui ai montré c’est qui le plus fort.

    Quand je frappe, ça laisse des traces. Comme le trou dans le mur de ma chambre. Le policier a pris des photos de la chambre, du berceau. Du trou aussi.

    –C’est toi qui as fait ça ?

    J’ai rien dit. J’ai rien à lui dire, à cet homme-là.

    Moi, je suis fort. Je suis fier d’être comme ça. Quand je gonfle mes muscles, je retiens ma respiration, en position d’attaque. Je peux frapper n’importe quand, n’importe qui, puis y a personne pour m’écœurer. C’est moi qui gagne tout le temps. Je suis toujours prêt à attaquer. Les gars au bar m’appellent le killer. Y aura plus personne pour m’écœurer. Plus jamais. Même pas un kid. Il était trop faible de toute façon. Pour survivre, il faut des poings. Des muscles, comme les miens. Il faut ignorer la peur, la piétiner. Moi, j’ai peur de rien.

    Il aurait pas su faire.

    Moi, j’ai su faire. J’ai su apprendre à me défendre. Je pleurais, je criais, j’avais peur, mais pas longtemps. Si je voulais survivre, fallait que je me taise, pour un temps, que je file doux, que je fasse semblant. Puis je suis devenu plus fort que mon père. Un vrai salaud. Le jour où j’ai vu la peur dans ses yeux, j’ai su que j’étais le plus fort, qu’il m’écœurerait plus jamais, que j’avais pris sa place. Après ça, il filait doux avec moi.

    Il se vengeait sur maman. Il frappait fort. Le sang pissait partout. Puis il criait. Tout le temps.

    –T’es rien qu’une pisseuse. Farme ta gueule ! Une folle comme toi, ça devrait pas parler, ça devrait même pas exister !

    Quand on l’a enterrée, ma mère avait perdu beaucoup de dents. Elle était défigurée.

    Elle ressemblait à rien.

    Dans sa cellule, mon père frappe sur les murs. Il risque plus de casser

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1