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Le droit antitrust de l'Union européenne - Tome I 1: Les dispositions générales
Le droit antitrust de l'Union européenne - Tome I 1: Les dispositions générales
Le droit antitrust de l'Union européenne - Tome I 1: Les dispositions générales
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Le droit antitrust de l'Union européenne - Tome I 1: Les dispositions générales

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Le droit antitrust de l'Union européenne correspond à l'application des articles 101 et 102 TFUE. Il s'agit des règles juridiques visant la lutte contre les ententes et les abus de position dominante anticoncurrentiels, ayant un impact sur le marché intérieur de l'Union européenne et affectant le commerce entre ses États membres. La spécificité de ces règles, par rapport aux autres composantes du droit de la concurrence de l'Union européenne, est qu'elles permettent essentiellement – mais non exclusivement – une intervention ex post de la Commission européenne. Leur définition s’appuie aujourd’hui sur une longue expérience décisionnelle, aussi bien administrative que juridictionnelle, qui permet d’en dégager les grands traits et ainsi constituer un socle stable de règles d’application. Pourtant, si les définitions classiques restent primordiales, elles sont régulièrement soumises à ces évolutions plus ou moins contextuelles.
Cette dualité est au cœur de ce nouvel opus du Commentaire J. Mégret qui a voulu à la fois ancrer les définitions classiques du droit antitrust de l’Union européenne, tout en tenant compte de leur évolution la plus récente, et, en même temps, faire une place importante aux sujets les plus actuels comme les algorithmes ou les liens entre ce droit et la propriété intellectuelle.
L’ouvrage est organisé en deux titres. Le premier permet de poser les quatre chapitres centraux qui renvoient aux règles fondamentales d’application des articles 101 et 102 TFUE et qui concernent, dans l’ordre, les ententes, les abus de position dominante, la définition du marché pertinent et l’approche plus économique de la matière. Il est complété par un deuxième titre qui permet de mettre en œuvre ces règles fondamentales dans une optique dynamique. Les quatre chapitres qui le composent sont consacrés respectivement au cas spécifique de la détermination du marché pertinent pour les ententes, aux liens entre le droit antitrust et les abus de dépendance économique ainsi qu’avec la propriété intellectuelle et enfin aux pratiques algorithmiques dans le cadre du droit antitrust.

L’ouvrage réunit autour de Mehdi Mezaguer, maître de conférences en droit public à l’Université Côté d’azur/IDPD, une équipe composée de spécialistes confirmés de la matière : Marie Cartapanis, maître de conférences en droit privé à Aix-Marseille Université, Walid Chaiehloudj, professeur de droit privé à l’Université de Perpignan et membre du collège de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, Faustine Jacomino, docteure en droit, avocate au barreau de Nice, Julie Malet-Vigneaux, maître de conférences à l’Université du Littoral – Côte d’Opale, Frédéric Marty, chargé de recherche au CNRS, membre de l’Autorité de la concurrence en qualité de personnalité qualifiée pour les professions réglementées et Emma Salemme, docteure en droit, juriste à la Cour de justice de l’Union européenne.


À PROPOS DES AUTEURS

Walid Chaiehloudj est professeur de droit privé à l'Université de Perpignan et membre du collège de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie.

Mehdi Mezaguer est maître de conférences en droit public à l'Université Côté d’azur/IDPD, directeur adjoint du Laboratoire de droit international et européen (LADIE) au sein de l'Université Côte d'Azur, et responsable des masters droit économique de l'Union européenne et migration studies.

Marie Cartapanis est maître de conférences en droit privé à Aix-Marseille Université.

Faustine Jacomino est docteure en droit, avocate au barreau de Nice.

Frédéric Marty est chargé de recherche au CNRS, membre de l'Autorité de la concurrence en qualité de personnalité qualifiée pour les professions réglementées.

Julie Malet-Vigneaux est maître de conférences à l'Université du Littoral – Côte d’Opale.

LangueFrançais
Date de sortie17 nov. 2022
ISBN9782800418193
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    Aperçu du livre

    Le droit antitrust de l'Union européenne - Tome I 1 - Walid Chaiehloudj

    TITRE I

    Le droit antitrust de l’Union européenne : les cas généraux

    ← 9 | 10 →

    ← 10 | 11 →

    Chapitre I

    Les ententes entre entreprises

    Introduction

    1. Il est entendu que les opérateurs économiques doivent déterminer seuls leurs comportements et stratégies dans le marché intérieur de l’Union européenne, afin de se livrer une concurrence loyale. La conception de la coopération et de la coordination est en ce sens inhérente aux dispositions des traités relatives à la concurrence, selon lesquelles tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun¹. L’article 101 TFUE s’inscrit ainsi dans la lettre et l’esprit des traités constitutifs, en favorisant une concurrence entre les parties prenantes dans l’optique d’une réalisation efficiente du marché intérieur de l’Union.

    2. En effet, si la coopération peut être prônée en droit antitrust², entre entreprises ou avec les autorités publiques, cela doit se faire dans un cadre strictement organisé³. Plus encore, dans une situation de crise exceptionnelle, la Commission peut inciter à la coopération dans un cadre strictement organisé. Il en va ainsi d’une crise sanitaire de portée mondiale, pour laquelle la Commission et les autorités nationales de concurrence encadrent les mesures de coopération qui peuvent être prises dans le but de garantir la production et la distribution des produits de première nécessité dans l’Union européenne⁴. En dehors de ce cadre légal, tout rapprochement entre entreprises ← 11 | 12 → de dimension internationale, européenne ou nationale peut apparaître suspect en ce qu’il peut se faire au détriment du marché et des consommateurs, sauf à considérer que le droit de l’Union européenne en détermine les modalités. La grande majorité des ordres juridiques nationaux ou supranationaux prohibent ainsi les rapprochements d’entreprises ayant pour effet ou objet de fausser un jeu de la concurrence se voulant libre⁵. Bien évidemment, cette affirmation ne doit pas être prise au pied de la lettre, cette dernière justement, étant moins importante que l’esprit de l’article 101 TFUE.

    3. Les ententes⁶ entre entreprises sont l’un des éléments constitutifs du droit antitrust dans l’ordre juridique de l’Union européenne. Avec les abus de position dominante⁷, elles constituent les infractions les plus courantes du « grand droit de la concurrence »⁸. Si on met de côté les règles relatives aux aides d’État⁹, le droit antitrust complète, avec le contrôle des concentrations¹⁰, les règles de concurrence applicables aux entreprises qui forment le droit des pratiques anticoncurrentielles. En ce sens, le traitement des affaires relatives aux articles 101 et 102 TFUE utilise une partie importante des moyens de la Commission¹¹, cela faisant évidemment partie des priorités de l’autorité publique dans une optique globale¹². Ainsi, dans les objectifs fixés par la Commission, on retrouve régulièrement la lutte contre les ententes et les abus de position dominante les plus nocifs au marché intérieur. Pour autant, toutes les infractions ne sont pas nécessairement considérées comme exclusivement nuisibles, selon un schéma classique du droit de l’Union européenne principe/exception.

    4. La création de la première référence dans les traités initiaux prévoyait une définition déjà précise et qui allait sans cesse être réutilisée et affinée. En effet, l’article 65 du traité CECA¹³ énonçait : « Sont interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence ». Si les pouvoirs de la Haute autorité étaient à cette époque plus restreints, la volonté de lutter contre les comportements collusoires était ← 12 | 13 → déjà bien inscrite. De même, les éléments constitutifs de la définition de l’entente, qui seront repris par le traité CEE, dessinent déjà à gros traits la dernière version de la disposition étudiée.

    5. La version actuelle est constituée par l’article 101 TFUE¹⁴ qui énonce, en des termes très proches de la version première¹⁵, que

    « Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur ».

    Il est ainsi à noter que la référence aux ententes du droit primaire est l’une des seules sources textuelles. En effet, à côté du très détaillé article 101 TFUE, peu de textes de droit dérivé¹⁶ visent directement lesdites infractions, laissant plus de place pour un façonnement administratif et juridictionnel.

    6. Dans ce contexte historique, le droit étasunien faisait office de référence¹⁷. En effet, à l’époque de l’émergence d’un droit européen des ententes, le système légal outre-Atlantique reposait déjà sur une assise bien ancrée. La lutte contre les comportements collusoires et les monopoles, dans le système étasunien, a notamment été mise en œuvre par le Sherman Antitrust Act de 1890 et le Clayton Antitrust Act de 1914, qui sanctionnent pénalement lesdits comportements. Il n’est donc pas surprenant de constater que de nombreuses notions ayant construit le droit antitrust de l’Union européenne ont été empruntées au droit étasunien. On ne citera à cet égard que l’affectation du commerce¹⁸ (interaméricain ou entre États membres), la restriction de concurrence ou encore la liste des exemples donnée en illustration de la prohibition des ententes. En ce qui concerne le droit des ententes en particulier, l’influence du droit outre-Atlantique est incontestable¹⁹.

    7. Inversement, la lutte contre les ententes dans les États membres de la Communauté économique européenne²⁰ était, à l’époque, quasi-nulle et marquée par des systèmes centralisés ne nécessitant pas forcément des règlementations détaillées. En ce sens, c’est justement l’ouverture des marchés du fait de la construction européenne qui a, de plus en plus, justifié la nécessité d’un droit des ententes aux niveaux nationaux et, plus largement, de règlementations de la concurrence modernes²¹. Toutefois, l’influence ← 13 | 14 → du droit des États membres s’est fait ressentir à certains égards et, principalement, en ce que la recherche d’une concurrence saine et non faussée ne devait pas être une fin en soi mais un moyen au service d’objectifs plus larges. C’est en cela qu’on parle d’un droit européen mais également d’une politique européenne de la concurrence²².

    La discussion quant à la place de la concurrence dans la réalisation du marché intérieur et à la portée de celle-ci en tant que système normatif à part entière dépasse de ce fait la simple question du « pourquoi ? ». Le traité de Lisbonne a certes retiré l’objectif d’une concurrence saine et non faussée des traités UE et FUE mais celui-ci ressort d’autres instruments du droit primaire²³. De même, une différence avec le droit étasunien réside dans la volonté de tempérer les interdictions par des dérogations légales, suivant les grandes orientations fixées par l’Union européenne²⁴. Le droit des ententes représente donc un système légal complet, reposant sur une interdiction et des dérogations, dont la complexité s’explique à la fois par le caractère juridico-économique et par les interconnexions systémiques entre États membres, autorités²⁵ et institutions supra-étatiques.

    8. Le juge de l’Union européenne a très tôt énoncé l’applicabilité directe de la disposition du traité relative aux ententes²⁶. En ce sens, il est depuis admis que « les articles [101], paragraphe 1, et [102] produisent des effets directs dans les relations entre particuliers et engendrent directement des droits dans le chef des justiciables »²⁷. Le droit des ententes produit donc des effets juridiques complets sur les entreprises qui agissent sur le territoire de l’Union européenne et des États membres de celle-ci. La Commission occupe pour cela un rôle central, bien que les autorités et juridictions nationales y soient de plus en plus associées²⁸. Le système mis en place permet en fait de plus en plus une organisation des compétences en fonction des priorités et des moyens disponibles. Les ententes sont directement concernées par cette réalité et la Commission privilégie clairement la lutte contre les ententes les plus nocives (cartels en tête). En ce sens, le système est certes décentralisé, les autorités et juridictions nationales appliquant l’intégralité des articles 101 et 102 TFUE²⁹ ; mais il apparaît ← 14 | 15 → également strictement hiérarchisé, la Commission demeurant à la tête du réseau des autorités nationales³⁰.

    9. Dans ce cadre général du droit antitrust de l’Union européenne, les ententes font office de comportements collectifs potentiellement illégaux, à côté des comportements illégaux principalement individuels que sont les abus de position dominante³¹. Les ententes prévues à l’article 101 TFUE font régulièrement l’actualité, quelle que soit leur forme³². Depuis les traités fondateurs, les éléments constitutifs des ententes prohibées se sont ainsi progressivement affinés et reposent aujourd’hui sur une assise solide.

    10. Comme bien souvent dans l’ordre juridique de l’Union européenne, il y a une règle (l’interdiction) et une exception (la dérogation). Pour le cas de l’article 101 TFUE, celui-ci prohibe les ententes (I) tout en acceptant que certaines de celles-ci puissent bénéficier de dérogations (II)³³.

    I L’interdiction des ententes

    11. Le principe de base de l’article 101 TFUE veut que les ententes soient prohibées lorsqu’elles réunissent un certain nombre de conditions. Pour ce faire, selon la terminologie juridique admise, elles doivent révéler la présence d’une concertation entre entreprises (1), qui restreint la concurrence (2), et qui se matérialise dans la forme de l’une des ententes existantes et répertoriées (3). De même, pour compléter les conditions, les ententes concernées doivent affecter le commerce entre États membres (4) afin d’être sanctionnées (5). ← 15 | 16 →

    1 La présence d’une concertation entre entreprises

    12. Les entreprises sont censées déterminer seules leurs comportements commerciaux et leurs stratégies sur le marché. Afin de relever de l’interdiction de l’article 101 TFUE, leur comportement devra démontrer une volonté collusoire de s’entendre (§1) et ce, quel que soit la forme de cette collusion (§2).

    §1 La volonté collusoire de s’entendre

    13. Les comportements des entités concernées par les règles relatives aux ententes devront émaner de plusieurs volontés (a), dont les auteurs sont indépendants dans leurs comportements et décisions (b) bien que les entreprises concernées puissent, dans certains cas, faire partie d’un même groupe (c).

    a) La présence de plusieurs volontés de s’entendre

    14. Il faut au moins deux volontés d’opérateurs économiques pour que se constitue une entente au sens de l’article 101 TFUE. Cela signifie, par exemple, qu’une action unilatérale ne peut être concernée par cette disposition, même si elle produit des effets anticoncurrentiels³⁴. En ce sens, afin que deux entités au moins puissent participer à la réalisation d’une infraction au sens de l’article 101 TFUE, elles doivent être en mesure d’extérioriser une volonté plus ou moins formelle. Il est donc nécessaire que plusieurs volontés se soient exprimées dans un sens commun, menant à la réalisation d’une infraction déterminée. Les volontés doivent en ce sens être concordantes et mener à la réalisation d’une infraction collective. En effet, si plusieurs intentions infractionnelles existent mais qu’elles ne convergent pas vers le même comportement anticoncurrentiel, la solution à leur irrégularité devra être trouvée ailleurs. Partant, c’est bien d’une infraction émanant à la fois d’une convergence et d’une collusion dont il s’agit ici.

    15. Le cas des accords verticaux, notamment dans les réseaux de distribution, a pu donner lieu à une réflexion quant à la possibilité de déduire un accord de relations commerciales continues, même si la décision infractionnelle semble unilatérale. En effet, dans ce cas de figure, on a pu considérer que l’adhésion contractuelle à un réseau impliquait une « acceptation, expresse ou tacite […] de la politique poursuivie »³⁵ et que cela amenait à la constatation d’un accord au sens du traité³⁶, y compris lorsqu’il n’y avait pas de contrat général³⁷. Plus tard, les positions devaient évoluer, notamment lorsque les distributeurs avaient clairement manifesté leur opposition à la politique poursuivie, y compris en cherchant à s’approvisionner ailleurs³⁸. Cette position allait toutefois être précisée par l’intervention du juge, qui a indiqué la nécessité ← 16 | 17 → de rechercher une « volonté ferme et persistante de réaction contre une politique foncièrement contraire [aux intérêts des distributeurs] »³⁹. L’invitation unilatérale ne constitue donc un accord que si elle est acceptée par l’autre partie, de façon expresse ou tacite. Plus encore, l’adhésion globale à un système ne peut en aucun cas signifier qu’une évolution contractuelle illégale future ait été acceptée d’avance, si celle-ci n’était pas connue⁴⁰. De telles acceptations, absentes en l’espèce, peuvent notamment être déduites d’éléments comportementaux⁴¹.

    16. L’importance de la convergence des volontés justifie que la forme de l’entente soit secondaire. On trouve en ce sens des qualifications très diverses, allant de l’accord à l’association, en passant par la convention. Le plus important dans ces circonstances est la volonté de s’entendre, qui devra être formellement prouvée par l’autorité publique. Ainsi, « [p]our être constitutive d’un accord au sens de l’article [101] du traité, il suffit qu’une stipulation soit l’expression de la volonté des parties »⁴². Les entreprises qui participent à l’entente doivent, de ce fait, exprimer, d’une façon ou d’une autre, leur volonté de s’entendre en tenant un certain comportement qui concourt à l’infraction. En effet, pour cela, « il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée »⁴³. En tout état de cause, les entreprises qui participent à une infraction à l’article 101 TFUE doivent, par leur comportement et leurs actes, démontrer une « volonté concordante »⁴⁴ de deux parties au moins, « la forme selon laquelle se manifeste cette concordance n’étant pas déterminante par elle même »⁴⁵.

    17. Les volontés concordantes de s’entendre vont alors être révélées par la Commission en fonction d’un certain nombre d’indices caractéristiques de celles-ci. Nul besoin à cet égard de retenir un échange de volontés, tel que pourrait l’exiger le droit civil. En effet, les faisceaux d’indices réunis devront démontrer que le scénario de l’entente est le plus plausible, au détriment des autres (de tous les autres). C’est d’un ensemble d’éléments cohérent que naît cette explication globale, à défaut de toute autre explication rationnelle. L’autorité publique doit en ce sens rassembler les différentes pièces du puzzle probatoire. Le juge de l’Union européenne précise en ce sens que –, « dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord ← 17 | 18 → anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de concurrence »⁴⁶. Si l’autorité publique ne parvient pas avec suffisamment de certitude à prouver la participation d’un des protagonistes supposés, la responsabilité de celui-ci ne pourra être engagée⁴⁷.

    18. Il doit donc exister plusieurs volontés de s’entendre et, afin de réaliser ensemble l’un des éléments constitutifs de l’entente, ces volontés devront émaner d’entités indépendantes en ce qui concerne leur comportement et leurs décisions.

    b) La nécessité d’une indépendance comportementale et décisionnelle pour s’entendre

    19. Les opérateurs économiques qui s’entendent et faussent le libre jeu de la concurrence sur le marché européen doivent être libres de leurs décisions. Il s’agit là d’une faculté primordiale afin de pouvoir retenir un des éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’article 101 TFUE. C’est justement cette indépendance comportementale qui devra être atteinte et réduite dans l’optique de la constitution d’une entente. Ainsi, « un accord au sens de l’article [101] peut exister dès lors que les parties s’entendent sur un plan qui limite, ou est de nature à limiter, leur liberté commerciale en déterminant les lignes de leur action ou de leur abstention réciproque sur le marché »⁴⁸. Les parties s’entendent pour que leur comportement collectif remplace les risques d’un comportement individuel sur le marché. En ce sens, l’indépendance comportementale est liée au fait d’assumer les risques qu’impose l’adhésion à une économie de marché.

    Il semble important de rappeler ici qu’on retrouve parmi les critères de Copenhague d’adhésion à l’Union européenne la mise en place d’« une économie de marché viable et la capacité à faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’Union »⁴⁹. Accepter la pression concurrentielle doit faire partie des engagements des opérateurs économiques, en tant que sujets des États membres adhérant à l’ordre juridique de l’Union européenne. C’est en ce sens que la conception globale du droit de la concurrence de l’Union implique que les règles s’appliquent aussi bien aux États membres qu’aux opérateurs économiques publics et privés.

    20. Partant, peu importe qui est à l’origine et qui tire le plus profit de l’infraction collective. Ces précisions pourront jouer un rôle important par la suite, pour déterminer ← 18 | 19 → le niveau de l’amende, mais pas au stade de la qualification infractionnelle. Ainsi, par exemple,

    « par sa nature même, une clause d’interdiction d’exportation constitue une restriction de la concurrence, qu’elle soit adoptée à l’initiative du fournisseur ou à celle de son client, l’objectif sur lequel les contractants sont tombés d’accord étant d’essayer d’isoler une partie du marché »⁵⁰.

    L’aspect collectif de l’infraction se retrouve donc également dans le partage des profits issus de l’infraction. La logique de « catch all » s’inscrit dans une volonté de qualifier juridiquement à un moment donné ce qui pourra éventuellement être mieux réparti par la suite.

    21. De même, la hiérarchie n’est évidemment pas un facteur disculpant systématique. Ainsi, l’entente peut évidemment relever d’une relation commerciale établie dans une certaine hiérarchie et s’inscrire dans un plan global. Par exemple, comme le rappelle la Cour⁵¹ :

    « Constitue un accord […] l’envoi systématique par un fournisseur à ses clients de factures comportant la mention exportation interdite, lorsque celui-ci s’insère dans un ensemble de relations commerciales continues régies par un accord général préétabli, découlant de l’agrément donné par le fournisseur à l’établissement de relations commerciales avec chaque client, préalablement à toute livraison, et de l’acceptation tacite par les clients de la ligne de conduite adoptée par le fournisseur à leur égard, acceptation attestée par des commandes renouvelées passées sans protestation à des conditions identique. »

    En effet, une jurisprudence constante de la Cour de justice a permis de mettre en lumière une certaine idée de l’acquiescement tacite. Ainsi, dans le secteur de la distribution automobile par exemple, la Cour a considéré qu’une circulaire adressée par un producteur à ses distributeurs pouvait ne pas être considérée comme un acte unilatéral lorsqu’elle s’intègre « dans un ensemble de relations commerciales continues régies par un accord général préétabli »⁵². Le fait de participer au réseau implique l’acceptation de la politique mise en œuvre par le producteur. Toutefois, y compris dans le cadre d’une relation établie et globale, l’autorité publique doit démontrer une concordance des volontés. Si la politique du producteur n’est pas suivie par ses distributeurs, on ne peut conclure à la constitution de l’infraction collective⁵³.

    Il faut donc bien apporter la preuve d’un consentement effectif sans pouvoir se contenter de la seule signature du contrat de concession. En ce sens, une évolution du contrat peut être considérée comme acceptée dès la signature si cela découle directement du contrat (évolution contractuelle légale), ou que le concessionnaire ne saurait la refuser en raison des usages commerciaux et de la réglementation⁵⁴. ← 19 | 20 → A contrario, si l’évolution est illégale, on ne peut la considérer comme acceptée dès la signature, sans que le concessionnaire en ait eu connaissance et qu’un concours de volontés ait été formalisé.

    22. En ce sens, une autre question occupe une place importante en termes de responsabilité, celle de l’éventuelle contrainte que peuvent subir les auteurs d’ententes anticoncurrentielles. Il semble ainsi normal de considérer que, si une volonté libre doit s’exprimer, un accord ne peut être reproché à ceux qui agissent sous la contrainte. Ainsi, si contrainte il y a, elle doit avoir une origine déterminante dans la survenance du comportement litigieux. En effet, une entreprise ne peut se dédouaner de sa participation à une infraction à l’article 101 TFUE que

    « lorsqu’elle a agi sous la contrainte, dès lors que ce comportement est indispensable pour écarter un péril dont l’entreprise se trouve menacée, que les menaces sont directes, que le péril est imminent et qu’aucune autre voie légale ne permet d’y parer. Ces conditions seraient en substance analogues à celles constitutives de l’état de légitime défense »⁵⁵.

    Dans l’hypothèse où la contrainte est une réalité, elle peut aussi bien avoir des origines publiques que privées.

    23. De même, les entreprises doivent avoir la possibilité de se démarquer de l’entente, notamment en la dénonçant. En effet, si les opérateurs économiques se détachent de l’entente, cela pourrait leur être profitable, sans pour autant exclure leur responsabilité. Ainsi, si on prend l’exemple du programme de clémence pour les cartels, les entreprises qui dénoncent sont récompensées mais tout de même reconnues coupables de participation à l’entente⁵⁶. Le fait de se dissocier de l’entente peut donc être un bon point.

    Pour autant, pour la Cour⁵⁷:

    « le [simple] fait qu’un distributeur ne se dissocie pas ouvertement de la politique conduite par son fournisseur ne devrait pas être trop rapidement considéré comme un acquiescement de celui-ci à un accord, en particulier s’il peut être prouvé que ce distributeur n’a pas, dans la pratique, agi conformément aux souhaits dudit fournisseur ».

    Toutefois, la contrainte (notamment de participer à des réunions) n’est pas systématiquement une cause de justification, surtout lorsque l’entreprise aurait pu dénoncer les pressions aux autorités et saisir la Commission d’une plainte⁵⁸.

    24. Alors que la contrainte publique doit avoir eu une incidence décisive pour être retenue, la contrainte privée dépend essentiellement de l’attitude postérieure de l’entreprise avec les autorités. En tout état de cause, si le degré de contrainte est moins ← 20 | 21 → significatif, il pourra le cas être ensuite être en compte par l’autorité publique pour réduire l’amende⁵⁹.

    La nécessité de déterminer librement son comportement sur les marchés pose aussi la question des ententes entre entreprises d’un même groupe.

    c) Les ententes entre entreprises d’un même groupe

    25. Ce type d’accords peut être passé essentiellement entre sociétés mères et filiales, ou entre filiales, au sein d’un même groupe. Dans l’histoire du droit antitrust de l’Union, la Commission a d’abord considéré que la notion d’« unité économique » justifiait l’impossibilité d’appliquer l’article 101 TFUE dans les cas où les parties ne bénéficiaient pas d’autonomie réelle⁶⁰. Dans la continuité, la Cour de justice a tenu le même raisonnement en affirmant qu’une filiale, « bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, ne jouit d’aucune autonomie économique »⁶¹. Chaque composante de l’unité économique est donc appréciée seule, dans sa capacité décisionnelle, puis avec le tout économique qu’elle constitue avec les autres composantes. Ainsi, dans la célèbre affaire des matières colorantes, le juge a précisé que, « lorsque la filiale, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère »⁶², les dispositions de l’article 101 TFUE ne peuvent être appliquées aux relations entre ces deux composantes. En dehors de toute considération quant au caractère illégal du comportement, c’est bien de l’élément collusoire dont il s’agit ici. En effet, en l’absence d’une autonomie commerciale véritable, les dispositions de l’article 101, par. 1, TFUE sont en principe inapplicables aux relations entre les sociétés mères et leurs filiales.

    26. À la suite de cette jurisprudence, la Cour va reprendre les éléments établis et y ajouter la condition que les accords concernés par de telles situations doivent avoir « pour but d’établir une répartition interne des tâches entre les entreprises »⁶³. La définition de cette « répartition interne des tâches » est intéressante.

    En effet, la Commission a, dans un premier temps, entendu distinguer les accords dont le seul but est cette répartition des tâches et ceux qui visent en réalité à empêcher les entreprises extérieures au groupe de pénétrer sur un marché déterminé. ← 21 | 22 → Seules les deuxièmes devraient pouvoir relever des dispositions interdisant les ententes⁶⁴. En réalité, une telle explication présente de sérieuses limites et seule l’observation de l’autonomie réelle peut servir le raisonnement⁶⁵, notamment pour déterminer s’il existe une « virtualité de concurrence »⁶⁶. In fine, « ce qui compte, c’est de savoir si ces personnes poursuivent, en fait, des objectifs communs définis par une volonté sociale unique »⁶⁷. Par conséquent, la Commission a fini par abandonner cette condition⁶⁸.

    27. Il n’en demeure pas moins que les accords entre entités juridiquement distinctes, mais qui appartiennent à un même groupe, doivent logiquement échapper à l’application de la disposition étudiée, lorsque la filiale ne détermine pas son comportement de façon autonome.

    Afin de déterminer si le comportement est bien autonome, la Commission va s’appuyer sur un certain nombre d’éléments « relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent la filiale à la société mère »⁶⁹, sans pour autant que ceux-ci constituent une liste exhaustive. En effet, là-aussi, une certaine variation des critères permet de ne pas figer ceux-ci trop formellement. Par exemple, « le fait qu’une filiale dispose de sa propre direction locale et de ses propres moyens ne prouve pas, en soi, qu’elle définit son comportement sur le marché de manière autonome par rapport à ses sociétés mères »⁷⁰. De même, l’autonomie va s’apprécier largement et non sur le seul marché concerné par l’infraction en cause.

    28. En ce qui concerne la réalité du contrôle exercé par la société mère sur ses filiales, la simple possibilité de déterminer le comportement des filiales semble suffisant, sans qu’il soit nécessaire de rechercher l’exercice effectif de celui-ci. En effet, dans le cas contraire, cela reviendrait à restreindre la liberté interne d’organisation des groupes⁷¹. Lorsque le contrôle résulte d’une participation majoritaire (voire plus rarement minoritaire), l’attribution éventuelle par le droit national de garanties aux autres actionnaires, ne suffit pas à inclure une virtualité de concurrence entre les mères et les filiales. L’application des règles relatives aux ententes ne peut donc pas non plus dépendre de cette condition⁷². Lorsque les sociétés mères ne détiennent pas la totalité des parts, la Commission pourra s’appuyer sur d’autres facteurs pour déterminer l’existence d’une unité économique. Ainsi, l’influence déterminante pourra reposer sur des liens, notamment familiaux, qui existent entre plusieurs sociétés distinctes⁷³. ← 22 | 23 → En somme, les structures complexes n’empêchent pas la Commission de retenir un contrôle effectif à partir de faisceaux d’indices divers et convergents.

    29. En revanche, la circonstance que la société mère détient la totalité du capital d’une filiale suffit à démontrer ce contrôle (i.e. une influence déterminante sur sa politique commerciale), en tout cas à le présumer, sauf si la société mère renverse cette présomption⁷⁴. Cette approche a été regrettée par certains auteurs⁷⁵. Si le Tribunal a ouvert la brèche à un renversement possible de la présomption simple⁷⁶, la Cour s’est démarquée de celui-ci, en jugeant que son analyse n’était pas assez globale, notamment en ce qui concerne l’entièreté des liens organisationnels, juridiques et économiques⁷⁷. Contrairement au Tribunal, la Cour a considéré que « la seule absence d’adoption d’une décision de gestion par l’entité faîtière dans le respect des exigences de forme prévues par le droit des sociétés ne saurait dès lors suffire à cet égard »⁷⁸. Malgré un renversement prometteur, il semble ainsi que le juge de l’Union revienne à une considération favorable à une lecture d’ensemble des structures afin d’attribuer les responsabilités.

    Dans le même temps, le calcul des amendes pour violation de l’article 101 TFUE prendra en compte la même réalité structurelle, notamment pour la prise en compte du chiffre d’affaires servant de base de calcul⁷⁹. De même, en ce qui concerne la possibilité de demander des réparations dans le cadre d’une pratique anticoncurrentielle, la notion d’unité économique pourrait être mobilisée⁸⁰. En tout état de cause, la Cour de justice redit que l’application de cette présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de la mère sur sa filiale ne porte atteinte ni au principe de ← 23 | 24 → sécurité juridique, ni à celui de légalité des peines, ni encore à celui de la présomption d’innocence. En effet,

    « [elle] vise précisément à ménager un équilibre entre l’importance, d’une part, de l’objectif consistant à réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence, en particulier à l’article 101 TFUE, et d’en prévenir le renouvellement, et, d’autre part, des exigences de certains principes généraux du droit de l’Union tels que, notamment, les principes de la présomption d’innocence, de la personnalité des peines et de la sécurité juridique ainsi que les droits de la défense, y compris le principe d’égalité des armes. C’est notamment pour cette raison qu’elle est réfragable »⁸¹.

    30. Si la collusion est un élément primordial d’application de l’article 101 TFUE, les volontés convergentes en seront constitutives, peu importe la forme que revêt l’entente.

    §2 Des volontés qui convergent peu importe la forme

    31. Les premières lignes de l’article 101 TFUE énoncent que sont « incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées ».

    Une entente peut donc très bien relever d’une convention se rapprochant en tous points d’une définition classique de droit des contrats⁸² ou d’une sorte de gentlemen agreement⁸³. En ce sens, la forme de l’entente a très peu d’importance et le même type d’accord peut être interdit, autorisé ou exempté. En effet, dans l’optique de privilégier les effets sur la nature des ententes⁸⁴, aucun type d’accord ne bénéficie d’un a priori positif ou négatif.

    Afin de prévoir un spectre de qualification large, le traité évoque essentiellement trois exemples. Nous étudierons donc respectivement lesdits exemples que sont les accords entre entreprises (a), les décisions d’association d’entreprises (b) et les pratiques concertées (c) avant d’aborder la question des infractions uniques et complexes (d).

    a) Les accords entre entreprises

    32. Les accords entre entreprises sont les premiers mentionnés par l’article 101 TFUE et, sans doute, les plus classiques. La présence d’un accord, au sens juridique, ne signifie pas forcément que celui-ci soit juridiquement obligatoire, ni même qu’il produise des effets obligatoires. La Commission⁸⁵ précise ainsi que, « pour qu’une restriction constitue un accord au sens de l’article [101], il n’est nullement nécessaire que les parties la considèrent comme juridiquement contraignante ». En effet, lorsqu’une entente est, par exemple, secrète et que « les parties mesurent pleinement le caractère illégal de leur comportement, elles n’entendent évidemment ← 24 | 25 → pas que leurs arrangements collusoires aient une force contractuelle ». Un « accord », tel que l’entend la Commission,

    « peut exister dès lors que les parties s’entendent sur un plan qui limite, ou est de nature à limiter, leur liberté commerciale en déterminant les lignes de leur action ou de leur abstention réciproque sur le marché. Aucune procédure d’exécution telle que pourrait en prévoir un contrat civil n’est requise. Il n’est pas nécessaire non plus qu’un tel accord soit établi par écrit ».

    Ainsi, la forme juridique importe peu et la volonté des parties peut mener à un accord, peu importe qu’il ne s’agisse pas d’un contrat obligatoire dont la validité au regard du droit national pourrait être discutée⁸⁶.

    33. De même, la formalisation du consentement ne sera pas recherchée strictement. Ainsi, le renvoi d’une circulaire avec la signature du destinataire peut équivaloir à une approbation du contenu⁸⁷. À titre d’exemple, selon la Commission⁸⁸ :

    « Bien qu’il n’existe aucun contrat général écrit entre Sandoz PF et ses clients, il faut considérer que le type d’accord visé à l’article [101] consiste dans la relation commerciale continue établie et concrétisée par l’ensemble des procédures commerciales décrites ci-dessus, habituellement suivies par Sandoz PF dans ses relations avec sa clientèle et acceptée, tout au moins implicitement, par celle-ci. »

    L’accord peut donc relever d’un ensemble de relations habituelles, plus ou moins formalisées, qui concourent ensemble à sa définition. C’est donc bien l’accord en tant que consentement qui prévaut, bien qu’il soit appuyé par des éléments matériels, sur l’accord en tant qu’acte juridique déterminé.

    34. De même, l’existence d’un accord ne suppose pas nécessairement que l’initiateur de celui-ci y trouve un certain intérêt direct, même lorsqu’il a agi en raison d’un lien de dépendance économique à l’autre partie⁸⁹. Il peut aussi arriver, dans le cadre d’un accord ayant une formulation ambiguë, que la violation des dispositions étudiées relève de la mise en œuvre de l’accord, notamment lorsqu’un opérateur économique exploite à son avantage l’ambiguïté d’un tel instrument⁹⁰. Plus encore, lorsqu’un accord semble conforme au droit, son application peut tout de même mener à une violation des dispositions encadrant les ententes⁹¹. Toutefois, on ne peut pas pour autant résumer la situation en distinguant l’accord qui serait conforme et son application qui ne le serait pas⁹². L’accord recherché s’appuie en somme aussi bien sur des éléments matériels que sur des éléments comportementaux afin de déterminer ses effets anticoncurrentiels. ← 25 | 26 →

    35. Le terme d’« accord » est ainsi régulièrement utilisé, en tant que terme générique du droit des ententes, y compris dans des affaires de décisions d’association d’entreprises ou de pratiques concertées.

    b) Les décisions d’association d’entreprises

    36. Les décisions d’association d’entreprises sont celles qui sont prises par des organismes professionnels, ces derniers ne devant pas eux-mêmes être considérés comme des entreprises, et bien que certains de leurs membres puissent ne pas être des entreprises non plus⁹³. En ce sens, dans le silence des traités, le juge et la Commission ont dû progressivement arrêter les contours d’une notion aujourd’hui synthétisée. Il s’agit en effet d’un « organe permanent ou d’un régime légal servant à assurer la coordination entre les membres »⁹⁴.

    La forme est, de ce fait, importante afin de bien séparer l’association des entreprises qui la composent et identifier les responsabilités. En effet, dans une optique de compréhension des mécanismes décisionnels et des responsabilités, la structuration des composantes et de la structure elle-même est primordiale.

    37. Les structures concernées par ce type d’infractions à l’article 101 TFUE doivent représenter les intérêts des entreprises qui les composent. On retrouve ainsi des corporations, des syndicats, des associations ou encore des ordres professionnels⁹⁵. Dans cette optique, les structures ainsi considérées doivent adopter des décisions qui, d’une façon ou d’une autre⁹⁶, peuvent s’imposer aux entreprises qu’elles concernent. En effet, afin de cerner la réalité de ces schémas, la nature de l’obligation importe peu. Ainsi, si les entreprises qui seront tenues responsables du comportement infractionnel⁹⁷ doivent avoir transféré le pouvoir de déterminer leur comportement sur le marché à l’organisme concerné, ce transfert ne doit pas pour autant être nécessairement définitif mais s’appliquer essentiellement en vue de la réalisation d’un comportement infractionnel.

    De même, ce dernier ne doit pas pouvoir servir d’écran à des comportements contraires à l’article 101 TFUE, faute de quoi les entreprises pourraient échapper à l’application du droit grâce aux formes extériorisées de leur coordination. Plus largement, il s’agit d’éviter « que les entreprises puissent échapper aux règles de la concurrence en raison de la seule forme par laquelle elles coordonnent leur comportement sur le marché »⁹⁸. Si la structure décisionnelle complexe doit être considérée avec précision, elle ne doit pas pour autant servir à dévier les responsabilités. ← 26 | 27 →

    38. Afin de retenir la qualification d’infraction à l’article 101 TFUE, le comportement peut être formalisé de plusieurs façons. En premier lieu, une décision unilatérale de l’organisme concerné, qui a le pouvoir de prendre des décisions ou recommandations par exemple, pourra constituer la manifestation de la volonté de s’entendre des différents acteurs qui le composent. Il n’est pas alors nécessaire que les recommandations bénéficient d’une quelconque force juridique à partir du moment où les membres s’y conforment⁹⁹. Ainsi, les groupements d’organisation des professions libérales, tels que les ordres d’avocats, peuvent être concernés¹⁰⁰, aussi bien que les ligues sportives professionnelles¹⁰¹. De même, la forme de la décision importe peu. Il peut aussi bien s’agir d’un code de bonne conduite, que d’un règlement ou encore d’une recommandation¹⁰².

    39. En second lieu, ce sont les accords passés entre associations qui peuvent relever de cette même qualification. L’affaire pâte de bois présente une illustration particulière des jeux de responsabilités en la matière. En effet, dans cette affaire, une structure complexe faisait exister plusieurs groupes à l’intérieur de la même association d’entreprises, chacun étant doté de pouvoirs décisionnels propres, et des entreprises adoptant les décisions selon des règles de vote précises. La Cour a considéré que la structure générale de l’association d’entreprises KEA (anciennement Kraft Export Association) « sert essentiellement de centre d’échange d’informations pour ses membres au sujet de leurs marchés d’exportation » et « ne poursuit pas elle-même d’activité de fabrication, de vente ou de distribution » ¹⁰³. En ce sens, selon le juge, les accords de prix ne pouvant être distingués des recommandations faites par l’association, cette dernière ne peut être tenue responsable de l’accord contrairement à ses membres¹⁰⁴. Il faut donc que l’association joue un rôle propre dans la tenue du comportement infractionnel qui pourra être imputé aux composantes économiques principales.

    40. Si les décisions d’associations d’entreprises s’illustrent par la difficulté à déterminer le jeu des responsabilités qui les composent, elles n’en demeurent pas ← 27 | 28 → moins étayées par des éléments matériels formalisables. En ce qui concerne les pratiques concertées, cela peut être plus difficile.

    c) Les pratiques concertées

    41. Les pratiques concertées sont probablement celles qui présentent le plus de difficultés en termes de définition ou de détermination. Elles s’appuient essentiellement sur la convergence et le parallélisme comportementaux des auteurs d’infractions à l’article 101 TFUE. Étant donné la nature spécifique de ce type de comportements, on comprendra que sont essentiellement concernées les entreprises concurrentes sur des marchés déterminés. Ainsi, la pratique concertée se définit, dès le départ, par rapport aux autres types d’ententes, plus aisés à délimiter. La définition se fait donc en partie a contrario.

    42. Un premier arrêt de principe de la Cour de justice¹⁰⁵ a arrêté une définition avec précision et méthode. Pour le juge de l’Union européenne, en effet,

    « si l’article [101] distingue la notion de pratique concertée de celle d’accords entre entreprises ou de décisions d’associations d’entreprises, c’est dans le dessein d’appréhender sous les interdictions de cet article une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence ».

    Il s’agit donc bien ici de mettre essentiellement en avant la volonté de se concerter plutôt que de prendre le risque de se confronter individuellement à la concurrence. On revient donc salutairement à la base définitionnelle de l’entente, telle que la prévoit l’article 101 TFUE. L’infraction ainsi relevée est essentiellement comportementale car, comme continue le juge, « par sa nature même, la pratique concertée ne réunit donc pas tous les éléments d’un accord, mais peut notamment résulter d’une coordination qui s’extériorise par le comportement des participants »¹⁰⁶.

    43. Pour autant, dans cette même affaire ICI, le juge distingue les situations dans lesquelles le parallélisme de comportements est le fruit d’une concertation et celles dans lesquelles il découle de décisions autonomes de participants. Par conséquent, ce parallélisme ne peut, à lui seul, correspondre à une concertation infractionnelle mais peut simplement constituer un « faisceau de coïncidences et d’indices » pouvant servir à l’établissement de l’infraction. La Cour a encore noté, qu’il faut, alors tenir compte des effets qui en résultent :

    « tel est notamment le cas lorsque le comportement parallèle est susceptible de permettre aux intéressés la recherche d’un équilibre des prix à un niveau différent de celui qui aurait résulté de la concurrence, et la cristallisation de situations acquises au détriment de la liberté effective de circulation des produits dans le marché commun et du libre choix par les consommateurs de leurs fournisseurs »¹⁰⁷.

    C’est donc par une observation des effets de la pratique sur la concurrence, en comparant les situations réelles et celles résultant de la concurrence, qu’on peut déterminer si le parallélisme est le fruit de la concertation. Partant, par l’observation de ← 28 | 29 → ces indices, on pourra essayer de distinguer ce qui relève d’une adaptation intelligente aux fluctuations des marchés et ce qui appartient à une forme de concertation de substitution.

    44. En ce sens, la Cour¹⁰⁸ précisera plus tard que

    « ces critères de coordination et de coopération, loin d’exiger l’élaboration d’un véritable plan, doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun, y compris le choix des destinataires de ses offres et de ses ventes ».

    Le droit des opérateurs de s’adapter « intelligemment » aux autres comportements n’est donc pas exclu, bien évidemment, mais l’exigence d’autonomie

    « s’oppose […] rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels operateurs, ayant pour objet ou pour effet, soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à, ou que l’on envisage de, tenir soi-même sur le marché »¹⁰⁹.

    L’équilibre entre les deux situations peut parfois s’avérer instable.

    45. Partant, la concertation n’est pas forcément le seul élément d’explication du parallélisme des comportements et, lorsque tel n’est pas le cas, la pratique concertée ne peut être déterminée. Si la Commission apporte des éléments allant dans le sens de la qualification d’une telle pratique, les entreprises sont libres de proposer des éléments d’explication différents. La Cour de justice devra trancher et décider par exemple que :

    « il n’est pas satisfait à cette exigence lorsque les entreprises concernées sont en mesure d’établir que les faits, dont la Commission a estimé qu’ils ne pouvaient s’expliquer qu’en supposant l’existence d’une pratique concertée, peuvent recevoir une explication satisfaisante ne faisant pas intervenir une telle pratique »¹¹⁰.

    L’opposition des points de vue se trouvera ainsi régulièrement tranchée par le juge de l’Union européenne en fonction des arguments apportés par les parties. C’est le scénario le plus crédible qui devra par conséquent être retenu.

    46. En ce sens, un autre arrêt de principe va, par la suite, venir préciser ces éléments de contradiction. En effet, dans la fameuse affaire Pâte de bois¹¹¹, le juge va prendre en considération les pratiques habituelles de certains marchés, notamment oligopolistiques, et considérer, par exemple, que

    « ne répondent pas à ces critères des annonces de prix qui sont faites par des producteurs aux utilisateurs et qui, par elles-mêmes, constituent une action sur le marché qui n’est pas de nature à réduire les incertitudes de chaque entreprise sur les attitudes qu’adopteront ses concurrents ».

    Ce sont ici les habitudes du marché qui sont étudiées par le juge, afin de déduire qu’au « moment où une entreprise y procède [aux annonces de prix], elle n’a aucune assurance quant au comportement qui sera suivi par les autres ». Le juge rappelle ← 29 | 30 → encore qu’un « parallélisme de comportement ne peut être considéré comme apportant la preuve d’une concertation que si la concertation en constitue la seule explication plausible ».

    De même, une pratique concertée entre plusieurs entreprises pourra être retenue sans pour autant qu’elle ne repose uniquement sur des contacts directs entre tous les membres¹¹².

    47. Dans le cadre d’un tel parallélisme, on se trouve en présence d’un « ensemble d’agissements a priori neutres, où des documents sont susceptibles d’être interprétés dans un sens aussi bien favorable que défavorable aux entreprises concernée »¹¹³, bien que ce ne soit pas nécessairement à l’autorité publique de décider de la valeur à donner à ces éléments. Pourtant, la Commission pourra chercher si ceux-ci viennent à l’appui de son intuition. En ce sens, le fait pour les entreprises de s’être préalablement rencontrées pourra constituer un élément primordial de la démonstration.

    En effet, « toute prise de contact, directe ou indirecte […] ayant pour objet ou pour effet »¹¹⁴ d’indiquer aux concurrents le comportement que l’on compte adopter ou d’influencer leur comportement est interdit. Par conséquent, « le fait d’échanger des informations commerciales entre concurrents en vue de préparer un accord anticoncurrentiel suffit à prouver l’existence d’une pratique concertée » au sens de l’article 101, par. 1, TFUE, sans que la Commission ait à « démontrer que ces concurrents se sont formellement engagés à adopter tel ou tel comportement ou qu’ils ont fixé en commun leur comportement futur sur le marché »¹¹⁵. On peut ici voir que le juge établit une présomption de lien de causalité entre la prise de contact et les comportements infractionnels.

    48. In fine, la pratique concertée se caractérise par la réunion de plusieurs éléments constitutifs. D’une part, l’intention des entreprises de se prêter à une pratique qui relève de la collusion au sens de l’article 101 TFUE. D’autre part, les contacts devront exister entre les membres de l’entente sans avoir à démontrer fermement les volontés de participation, ni que tous les membres se sont rencontrés¹¹⁶. Le juge a ainsi clairement évoqué l’existence d’un « mode passif de participation à l’infraction qui ← 30 | 31 → est donc de nature à engager la responsabilité de l’entreprise dans le cadre d’un accord unique »¹¹⁷, qu’il rapproche de la complicité.

    Pour finir, seule la « distanciation » pourra faire échapper à la qualification infractionnelle. En ce sens, seules peuvent relever de cette hypothèse une distanciation claire ou une coopération avec les autorités. Le juge précise toutefois que, selon les circonstances, ces obligations ne sont pas toujours les mêmes. Ainsi, « la juridiction de renvoi peut accepter qu’une objection claire et explicite adressée à l’administrateur du logiciel E TURAS soit de nature à permettre de renverser ladite présomption »¹¹⁸, lorsque l’entreprise n’avait pas la possibilité de se distancier à l’égard de tous les concurrents.

    49. Les différents types d’ententes ne reposent donc pas sur des critères immobiles et l’utilité de cette classification renvoie aussi à un besoin formel de sécurisation juridique. L’étude des effets des infractions répertoriées va, de ce fait, souvent compléter leur classification. En conséquence, lorsque plusieurs formes d’ententes se succèdent, il est possible de retenir l’existence d’une infraction unique, adoptant plusieurs formes pour produire ses effets anticoncurrentiels, confirmant la prévalence de la théorie des effets.

    d) Les infractions uniques et continues

    50. Certaines infractions rattachables à l’article 101 TFUE peuvent relever d’une combinaison entre plusieurs des formes préalablement exposées. Face à une telle situation, la volonté de sanctionner le plus justement possible amènera la Commission et le juge à procéder à une réunification des éléments constitutifs de cette forme infractionnelle hybride. Bien évidemment, l’intention anticoncurrentielle jouera un rôle central mais la formalisation infractionnelle par le biais d’une forme hybride reste déterminante. Quoi qu’il en soit, les aspects composites de cette infraction amènent les autorités à la qualifier parfois d’infraction « unique et complexe ».

    En tout état de cause, malgré le caractère unique de l’infraction, la Commission doit mettre en lumière chaque pratique déterminée. Grâce à une telle décomposition, la Commission « n’enfreint ni le principe de la présomption d’innocence reconnu par l’article 48 de la charte [des droits fondamentaux], ni le principe selon lequel la responsabilité pour de telles infractions a un caractère personnel »¹¹⁹. Pour autant, « il serait […] artificiel de subdiviser ce comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes »¹²⁰. Si les composantes sont importantes, l’infraction concerne le tout et non chaque partie individuellement. ← 31 | 32 →

    51. L’infraction unique et continue est donc définie de façon précise. En effet, il s’agit d’infractions se traduisant par des contacts collusoires entre les entreprises qui, s’ils s’avèrent polymorphes, ont une nature complémentaire et poursuivent un seul but économique. Il peut également s’agir de plusieurs infractions individuelles liées entre elles par une identité d’objet¹²¹. Dans cette perspective, s’il est dit que toutes les formes d’ententes peuvent être réunies, ce sont principalement des accords et pratiques concertées qui sont visés¹²². De même, si l’infraction relève de la combinaison de plusieurs pratiques, nul besoin que chacune des pratiques contienne des éléments constitutifs de toutes les infractions répertoriées.

    Afin de déterminer l’existence d’une telle infraction, trois conditions doivent être remplies. D’une part, il doit exister un plan d’ensemble poursuivant un objectif commun. D’autre part, l’entreprise doit avoir contribué intentionnellement à ce plan. Enfin, l’entreprise doit avoir eu connaissance, prouvée ou présumée, des comportements infractionnels des autres participants¹²³.

    52. Lorsque ces trois conditions sont réunies, on peut déterminer l’existence d’une telle infraction,sans pour autant que toutes les entreprises puissent être considérées automatiquement comme responsables de l’ensemble. En effet, « le constat de l’existence d’une infraction unique est distinct de la question de savoir si la responsabilité pour cette infraction dans sa globalité est imputable à une entreprise »¹²⁴. Selon le juge, il ne s’agit pas d’une « notion juridique » mais d’une « qualification des faits »¹²⁵.

    En ce sens, il faudra distinguer la qualification factuelle de l’infraction en ces différentes composantes et l’attribution des responsabilités, qui pourra notamment aboutir à retenir des amendes et périodes de participation différentes. En effet, « l’existence d’une telle infraction ne signifie pas nécessairement qu’une entreprise participant à l’une ou à l’autre de ses activités collusoires puisse être tenue pour responsable de l’ensemble de cette infraction » et « la seule identité d’objet entre un accord auquel a participé une entreprise et une entente globale ne suffit pas pour imputer à cette entreprise la participation à l’entente dans son ensemble »¹²⁶. La Commission doit donc compléter éventuellement ses présomptions. ← 32 | 33 →

    53. Ainsi, il se peut « que la preuve de l’existence d’une infraction continue n’[ait] pas été apportée pour certaines périodes déterminées » mais que cela ne fasse « pas obstacle à ce que l’infraction soit regardée comme constituée durant une période globale plus étendue que celles-ci, dès lors qu’une telle constatation repose sur des indices objectifs et concordants »¹²⁷.

    Si une telle infraction s’étend sur plusieurs années, on peut imaginer que les manifestations de l’entente interviennent à différentes périodes, pouvant elles-mêmes être séparées par des durées plus ou moins importantes. Selon le juge, cela n’a pas d’incidence sur l’existence de cette entente, notamment car les différentes actions qui la composent ont une finalité unique et s’inscrivent « dans le cadre d’une infraction à caractère unique et continu »¹²⁸.

    Plus encore, le juge considère qu’il « serait artificiel de subdiviser un comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en plusieurs infractions distinctes au motif que les pratiques collusoires ont varié, dans leur intensité, selon le marché concerné »¹²⁹. Ces éléments ne sont pas pour autant inopérants car ils pourraient servir à apprécier la gravité de l’infraction ou encore le montant de l’amende.

    54. Une entreprise peut participer à toutes les pratiques constitutives de l’infraction unique et continue aux règles de concurrence de l’Union. Dans ce cas de figure, la Commission peut lui imputer la responsabilité de l’ensemble de ces comportements et, partant, de cette infraction dans son ensemble¹³⁰. La Commission devra alors démontrer que l’entreprise avait connaissance de l’ensemble ou qu’elle pouvait raisonnablement en avoir connaissance et qu’elle acceptait les risques qui en découlent¹³¹.

    En revanche, si l’entreprise a pris part à plusieurs comportements anticoncurrentiels mais que son attitude ne traduit pas une volonté de contribuer à l’ensemble des objectifs communs poursuivis par les autres participants, qu’elle n’avait pas connaissance de telles pratiques ou qu’elle ne pouvait raisonnablement les prévoir et en accepter le risque, la Commission ne peut lui imputer la responsabilité que pour les pratiques auxquelles elle a directement participé. L’autorité publique ne peut en ce sens lui reprocher que les comportements « envisagés ou mis en œuvre par les autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs que ceux qu’elle poursuivait et dont il est prouvé qu’elle avait connaissance ou pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque »¹³². ← 33 | 34 →

    55. In fine, les différentes formes répertoriées présentent aussi bien des intérêts propres qu’une complémentarité définitionnelle. Il s’agit bien de définir les différentes formes par lesquelles les infractions se manifestent mais également de saisir leurs spécificités et leur complémentarité. Si les ententes se formalisent dans la présence d’une concertation collusoire entre opérateurs économiques qui peut prendre des formes très diverses, elles doivent également aboutir à une restriction de concurrence afin d’enclencher l’application des règles prévues pour la mise en œuvre de l’interdiction prévue à l’article 10, par. 1, TFUE.

    2 La nécessité d’une restriction de concurrence

    56. La question de la restriction de la concurrence, pouvant relever de l’objet ou des effets anticoncurrentiels, est clairement centrale. Afin d’apprécier cela, la question du marché pertinent est éminemment décisive¹³³. En ce sens, si la définition de la restriction doit d’abord être posée généralement (§1), l’effet ou l’objet anticoncurrentiel pourront invariablement démontrer celle-ci (§2), s’inscrivant dans une discussion quant à la réalité de la restriction (§3). Partant, si l’élément intentionnel n’aura pas d’influence significative sur la réalisation de l’infraction (§4), son origine légale n’en aura pas nécessairement davantage (§5).

    §1 La définition de la restriction de concurrence

    57. Il doit exister un lien entre l’entente prohibée par l’article 101 TFUE et l’atteinte à la concurrence afin que l’infraction puisse être constituée. L’article 101 mentionne ce lien en ce sens que les ententes concernées sont celles « qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur ». Ainsi, les collusions entre entreprises s’entendent comme néfastes lorsqu’elles restreignent les possibilités de concurrence sur des marchés déterminés. La restriction de concurrence peut, en ce sens, être présentée comme la composante économique de la définition de l’entente selon l’article 101 TFUE¹³⁴.

    58. La restriction de concurrence dont il s’agit ici implique de prendre la mesure de la concurrence comme base de vérification. Partant, le juge a précisé que la concurrence « suffisante » dépend du marché concerné et de ses caractéristiques¹³⁵. Le Tribunal a ainsi souligné que la concurrence prise en compte « s’entend d’une concurrence efficace, c’est à dire de la dose de concurrence nécessaire pour que soient atteints les objectifs du traité ». Le contexte revêt donc une importance particulière et l’approche se fera, encore une fois, au cas par cas. Poursuivant son analyse, le juge considère que l’intensité de la concurrence en question « peut varier en fonction de la nature du produit en cause et de la structure du marché en cause » et, de plus, « ses paramètres peuvent revêtir une importance inégale, la concurrence par les prix ne constituant pas ← 34 | 35 → la seule forme efficace de concurrence ni celle à laquelle il doit, en toutes circonstances, être accordé une priorité absolue »¹³⁶.

    Ces précisions impliquent évidemment qu’une telle appréciation se fasse en laissant une certaine marge de manœuvre à l’autorité publique et donc, à des considérations parfois non directement concurrentielles. Ainsi la concurrence, pour être considérée comme atteinte ou réduite, pourra aussi bien concerner les membres de l’entente eux-mêmes que des membres extérieurs. Par exemple, tel sera le cas lorsque l’entente empêche l’entrée de tiers à celle-ci sur le marché en question¹³⁷.

    59. De même, la restriction de la concurrence pourra aussi bien concerner l’offre que la demande, être appréciée actuellement ou potentiellement, de la même façon que cette concurrence pourra être empêchée, restreinte ou faussée. En revanche, la restriction de concurrence, spécificité de la matière oblige, ne s’entend pas par rapport aux relations entre les acteurs. Ainsi, par exemple, le déséquilibre contractuel, bien qu’il soit mentionné dans le règlement 1/2003¹³⁸, ne peut être considéré comme restrictif de concurrence au sens du droit de l’Union européenne¹³⁹. Si restrictions il y a, elles doivent avant tout manifester leurs effets sur un ou plusieurs marchés préalablement déterminés. On retrouve bien évidemment ici une caractéristique qui fait la spécificité du droit des pratiques anticoncurrentielles de l’Union européenne (le « grand droit de la concurrence »¹⁴⁰).

    60. Dès 1966, la Cour va donner une définition précise de cette restriction, reposant sur une alternative, en énonçant que « le caractère non cumulatif, mais alternatif de la présente condition, marqué par la conjonction ou, conduit d’abord à la nécessité de considérer l’objet même de l’accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué ».

    Il existe donc un ordre logique d’examen par l’autorité publique qui est posé comme technique de vérification quant à l’applicabilité. En effet, si l’analyse des clauses ne révèle pas un degré suffisant de nocivité, les effets de l’accord devront alors être examinés¹⁴¹. En ce sens, le juge précise que la prise en compte des effets de l’accord est superflue, dès lors qu’il a « pour objet de restreindre, empêcher ou fausser le jeu de la concurrence »¹⁴². ← 35 | 36 →

    Cette position alternative, loin d’être anodine, établit en réalité un ordre de priorité et, d’une certaine manière, de gravité. L’objet anticoncurrentiel « a toujours ou presque toujours pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, quelles que soient les circonstances économiques »¹⁴³. L’objet implique donc quasi-systématiquement des effets mais ceux-ci doivent être appréciés dans un contexte précis. Pour le juge, l’objet anticoncurrentiel doit aussi être apprécié par rapport à sa teneur, sa finalité, son contexte juridique et économique, qui, ensemble, doivent démontrer sa capacité à restreindre la concurrence¹⁴⁴.

    61. On retrouve d’ailleurs cette classification duale dans des instruments quasi-réglementaires. Ainsi, les lignes directrices de la Commission relatives à l’application de l’article 101, par. 3, TFUE¹⁴⁵ énoncent clairement que

    « Les accords ayant pour objet de restreindre le jeu de la concurrence sont ceux qui, par nature, ont la capacité de le faire. Il s’agit de restrictions qui, au regard des objectifs poursuivis par les règles communautaires de concurrence, sont tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence, qu’il est inutile, aux fins de l’application de l’article [101], paragraphe 1, de démontrer qu’elles ont des effets concrets sur le marché. »

    L’ordre établi en ce sens, aussi bien par le droit primaire que par le droit dérivé, oriente le travail probatoire de la Commission et du juge.

    62. Par conséquent, afin d’être prohibée, l’entente devra avoir un objet anticoncurrentiel et, en l’absence de celui-ci, il faudra se tourner vers les effets.

    §2 L’objet ou l’effet restrictif de concurrence

    63. Afin de déterminer la restriction de concurrence, il faut prendre en compte une alternative précise. L’entente peut avoir un objet anticoncurrentiel (a) ou des effets anticoncurrentiels (b), bien que d’autres effets puissent être décelés (c).

    a) Les ententes ayant un objet anticoncurrentiel

    64. L’objet anticoncurrentiel d’une entente s’impose à l’autorité comme un élément fondamental de qualification¹⁴⁶. En effet,

    « pour examiner si un accord a pour objet d’altérer le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, il faut d’abord considérer l’objet même de l’accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué, les altérations du jeu de la concurrence visées par l’article [101], paragraphe 1, devant résulter de tout ou partie des clauses de l’accord lui-même »¹⁴⁷.

    Partant, la responsabilité dans la mise en œuvre de l’entente ou dans sa constitution est sans importance. En effet, le juge¹⁴⁸ précise, par exemple, que ← 36 | 37 →

    « pour déterminer si un accord a pour objet de restreindre la concurrence, il n’est pas nécessaire de savoir lequel des deux contractants a pu prendre l’initiative d’insérer telle ou telle clause, ou de vérifier si les parties ont eu une intention commune au moment de la conclusion de l’accord ».

    L’objet anticoncurrentiel présente en lui-même une présomption très forte d’atteinte à la concurrence. Pour cela, la détermination de l’objet en question repose essentiellement sur l’expérience des autorités, avec une sorte de boite à outils évolutive des restrictions par objet¹⁴⁹. En ce sens, les accords qui peuvent être considérés comme ayant un objet anticoncurrentiel s’inscrivent dans une liste non exhaustive de pratiques répertoriées¹⁵⁰.

    65. Ainsi par exemple, dans l’affaire Consten précitée, le juge a énoncé qu’un accord de protection territoriale absolue était interdit par son objet même, car il aboutissait à l’isolement d’un marché¹⁵¹. Dans la foulée, les autorités vont progressivement délimiter des types d’accords dans des domaines déterminés dont l’objet est considéré comme anticoncurrentiel par nature. Il en va ainsi de tous les accords ayant pour objet, d’une façon ou d’une autre, de maintenir artificiellement certains marchés, de les isoler ou encore de limiter

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