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Voyage en Implicie
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Livre électronique304 pages4 heures

Voyage en Implicie

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À propos de ce livre électronique

« Je me concentre en attendant la question du viocard quinteux qui n’a pas encore pipé mot depuis que je suis là… pfff… il peut me la vomir sa question… je vais lui envoyer du bois… et pas piqué des hannetons… je suis dans les starting-blocks… chaud comme la braise… mon cerveau est en ébullition… Mais lui qui n’a pas encore ouvert son claque-merde… il va rattraper son temps de parole perdu. […] À un moment… j’ai carrément envie de l’attraper par le colback… de le secouer en lui susurrant à l’oreille : « Dis donc vieux débris… tu vas accoucher maintenant ? Bordel… mais tu vas l’envoyer ta question moisie… dis… hein ? »
LangueFrançais
Date de sortie10 nov. 2022
ISBN9782312129198
Voyage en Implicie

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    Voyage en Implicie - Éric Larmonier

    cover.jpg

    Voyage en Implicie

    Éric Larmonier

    Voyage en Implicie

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    Du même auteur

    En chemin avec Louis Larmonier, Volontaire de la Côte-d’Or de 1792, éditions Chapitre.com, 2015.

    Huis clos avec un monstre, éditions Chapitre.com, 2019.

    © Les Éditions du Net, 2022

    ISBN : 978-2-312-12919-8

    À tous ceux que j’ai connus ici… et là.

    « Pour que dans le cerveau d’un couillon, la pensée fasse un tour, il faut qu’il lui arrive beaucoup de choses… et de bien cruelles. »

    « À force de ne pas parler, par élégance, on ne dit rien… et on l’a dans le cul. »

    Louis-Ferdinand Céline

    Louise Michel… Jules Guesde… Paul Vaillant-Couturier… des blases qui rappellent aux touristes paumés… surtout à ceux qui découvrent Malakoff pour la première fois… qu’ils pataugent dans l’un des derniers bastions de l’ancienne ceinture rouge de Paris… un marigot où l’urbanisme s’est développé comme un rond de sorcières jusqu’à atteindre un édifice jadis isolé… qui se retrouve aujourd’hui cerné par rues et boulevards aux relents idéologiques d’un autre temps… communisme… socialisme révolutionnaire… anarcho-syndicalisme… toutes ces thèses d’une clique qui prônaient la lutte des classes.

    C’est là qu’est le Fort de Vanves.

    Une seule voie mène à la forteresse… un seul chemin… qui se transforme en impasse pour les badauds mal orientés dans leur nuit… tentés de venir dans le secteur parce qu’ils avaient vu de la lumière. C’est vrai qu’au bout de cette chaussée aux pavés bancals… insignifiante au premier regard… se dévoile un lieu énigmatique qui ne laisse personne indifférent. Mystérieux pour le plus grand nombre… purgatoire pour certains… mais à coup sûr rempli d’espoir pour tous ceux sélectionnés pour être là… en ce jour précisément. Une poignée d’élus qui s’y rendent en toute conscience avec le sentiment profond de faire partie d’un équipage embarquant sur le navire amiral d’une armada en partance pour une expédition ambitieuse… de celle qui peut aboutir à la découverte d’un nouveau monde.

    C’est là qu’est la direction centrale du Service.

    La progression du promeneur lambda qui se serait égaré dans le secteur est immédiatement stoppée par une imposante porte… Seul vestige ostentatoire devenu obsolète, qui rappelle quand même la fonction défensive d’un lieu dont l’accès est plus que jamais soumis à autorisation. Une fois le toujours gaillard mastodonte en pierre de taille franchi, l’excursionniste mué en hôte dûment accrédité… statut qui lui fait rapidement comprendre qu’il quitte momentanément la société des quidams… accède directement à une aire assez vaste. Un espace qui sert de parking… ou de place d’armes… c’est selon la solennité de la conjoncture. À ce moment-là… au moment où j’y mets les pieds pour ma partance… l’endroit est encombré de tout un tas de bagnoles… il faut croire que la circonstance n’est pas si solennelle que ça. D’emblée, j’aperçois encore l’horizon… enfin… un reste d’horizon… celui qu’on ne pourra jamais décrocher. Il est occulté par plusieurs constructions modernes insoupçonnées… là comme ailleurs… il a manifestement fallu entasser du monde… de plus en plus de monde… et pourtant… on ne devine absolument rien de l’extérieur. À part… peut-être… pour l’éternel rêveur dont l’intention serait de suivre le ballet des hirondelles… ces admirables et infatigables voltigeuses… emblèmes d’une ville dont le ciel est devenu si gris qu’il en deviendrait douteux. J’ai pas vu ça… moi… en arrivant à proximité du fort. Des gens comme ça… du genre contemplatif… je n’en fais pas encore partie. Ça viendra. Pour l’heure, je suis un pragmatique… je le suis devenu par la force des choses… il faut dire. D’ailleurs… comment aurais-je pu me rendre compte de quoi que ce soit tant mon esprit et ma vigilance ont été totalement absorbés par l’inspection méticuleuse de chaque pouce des trottoirs alentours ? C’est qu’il faut faire gaffe où on pose ses arpions dans le coin ! On se rend compte vite fait qu’on n’est plus à la campagne… ici… tant la probabilité est grande que les pompes de n’importe quel pèlerin puissent s’accoupler avec un étron de clébard chemin faisant. Il faut dire que les environs de l’illustre endroit sont minés… truffés… d’un nombre incalculable de sentinelles de toutes allures… de toutes tailles… de toutes textures… mal digérées ou au contraire filiformes… extraites et abandonnées là… dans une certaine incontinence maladive… voire dans la douleur… par les centaines de meilleurs amis de résidents du secteur qui… pour se donner bonne conscience et se dédouaner de leur responsabilité au moment où leurs bestioles… dites de compagnie… se rendent coupables de soulager leurs entrailles… étrangement… regardent ailleurs. Si bien que le boulevard de Stalingrad tout entier se transforme… de l’aube au crépuscule… du soir au matin… en gigantesque canisette. Autant dire que pour arriver à bon port… là d’où je viens… j’ai dû traverser un vaste merdier.

    Une ultime inspection méticuleuse de mes godasses demeurées impeccables malgré les embûches… les emmerdes plutôt… autorise enfin mon attention à quitter le macadam des artères malakoffiotes… et mon esprit… les fondrières de ma carrière : à partir de là… mon avenir… c’est par ici que ça se passe. À la première seconde où mon regard de béatifié attrape ce nouvel horizon, je découvre des bâtiments qui surprennent la conception imaginaire que je m’étais faite de l’endroit. Il s’y trouve des édifices distribués d’une façon carrément anarchique… dans une organisation issue du jus de cerveaux d’architectes qui se sont succédé au cours des dernières décennies et qui ont dû se torréfier la cafetière pour faire pousser et caser ces constructions du modernisme de leur temps. Au résultat, les bâtisses initiales ont laissé la place à des laiderons architecturaux qui ont été mis là… au gré des changements de destination du lieu… sans goût… sans harmonie… presque sans esprit. Que reste-t-il de l’œuvre initiale ? Qu’ont-ils fait de toi ? Pauvre édifice. Et que dire de tous ceux dont le destin s’est parfois achevé ici, au cours de la déshonorante guerre de 1870… et puis il y a eu la Commune… aussi… cette insurrection… cette guerre civile qui n’en portait pas encore le nom… ces combats fratricides en tout cas… les uns comme les autres convaincus qu’il fallait défendre la bonne vision de l’avenir de la nation française… jusqu’à s’en faire trouer la paillasse… persuadés qu’ils étaient du bon côté… la République pour certains… ceux-là devaient avoir raison puisqu’elle leur a survécu. D’ailleurs, à aucun endroit on ne rappelle leur souvenir… c’était hier et pourtant ça paraît si loin tout ça… et puis tellement ridicule… aussi. Cette petite ritournelle aurait tendance à revenir… celle qui murmure que des gens qui vivent dans une même communauté… une société qui a mis des siècles à se construire… peuvent tout à fait se compromettre dans une guerre civile… jusqu’à ce que des voisins de palier en viennent à s’étriper parce qu’ils ne pensent pas pareil… ne prient pas le même dieu… voire ne prient pas du tout. Et puis, comme ces tas de cailloux pestiférés… pollués… souillés… sont devenus presque ignobles… en tout cas dérisoires au regard de l’évolution des technologies de l’armement… on les a reconvertis en taule… en bureaux… y a même eu des pharmaciens ici… aussi. Au pied de l’un de ces édifices étrangement vitreux dont on ne parvient pas à déterminer d’emblée quelle est sa destination… un cube qui ressemble à une immense serre… mais qui pourrait bien se révéler être un hôpital spécialisé… voire un asile psychiatrique… je rejoins un aréopage de soldats tous plus beaux les uns que les autres… tous convoqués pour le grand départ… raides comme des piquets… enveloppés… engoncés… corsetés… dans leur magnifique habit de lumière. La cause de cette raideur ? Le passage obligé du splendide costume par le pressing… d’où la tunique ressort en donnant l’impression d’avoir été tissée dans un morceau de toile de tente modulaire réformée. Il faut bien dire que ce vêtement que nous autres terriens… nous n’arborons que pour les grandes circonstances, n’est pas spécialement taillé dans une étoffe de la plus haute qualité… Le temps… seul le temps… sans doute les années passées à se tortiller le croupion… à faire des courbettes et des salamalecs… ou à se vautrer dans un fauteuil en état-major, peuvent venir à bout de cette matière aussi rêche que la toile émeri. En tout cas, pour la sensibilité d’une charpente comme la mienne… apprivoiser… dompter… mâter cet accoutrement du paraître est un art qui relève de l’absolument mystérieux. Définitivement. D’ailleurs, pour obtenir un maintien parfait de ladite tenue… en fait, pour ne pas ressembler à une paupiette de veau… chacun veille bien… aussi… à ne pas faire trop de gras… sous peine d’avoir à changer régulièrement de pelure en faisant jouer de son carnet d’habillement… ou de son carnet de chèques pour ceux qui ne font vraiment pas gaffe. Et de se voir condamné en récidive… à recommencer l’interminable opération d’assouplissement d’une fringue qui se trouve… au contraire et contre toute attente… au fur et à mesure des passages au pressing du coin… de plus en plus rétive à la notion de confort. Comme si le soldat… pour être beau… même en représentation… devait encore et toujours souffrir. J’évoque à dessein le terme de souffrance tant l’exercice du port de ce type d’uniforme… militaire… ce que je suis encore absolument et entièrement en ce temps-là… représente, pour ce qui me concerne, un véritable calvaire. Il faut dire que je sors de dix-huit ans de corps de troupe… le tas de fumier de l’armée française… le compost pour causer plus moderne… c’est encore là que germent et poussent la plupart des gens sélectionnés à faire autre chose que marcher au pas… courir… sauter… branler des patins de chars… astiquer des canons… tirer… et pour les gens dans mon cas… brasser de la câblasse… planter des piquets… commander des routeurs… faire bander des antennes… et répondre autre chose que : « Oui chef ! »… « Bien chef ! » ou… « Reçu ! » J’arrive de cette zone où on n’a pas beaucoup le loisir de sortir l’habit de lumière du placard… si ce n’est pour aller signer en bas à droite… Quoique… on ne signe plus vraiment en bas à droite… ce temps-là est… révolu. Du reste, la chose ne m’est jamais arrivée. J’ai pourtant, comme tout le monde, été appelé à contourner… ou plutôt j’ai été amené à interpréter à ma façon… le règlement de discipline générale… à le tordre parfois… distorsions qui m’ont amené à envisager… à élaborer et souvent… très souvent même… à reproduire des conneries plus grosses que moi. L’image est volontairement saisissante pour qui a déjà croisé ma route tant je prends pas mal de place dans l’espace que j’occupe. J’en conclus que, si je n’ai jamais été sanctionné… sur du papier administratif j’entends… ça doit être parce que mes écarts, lorsqu’ils ont été décelés… ont toujours été considérés comme relevant du domaine de la maladresse. Ou d’une certaine roublardise tolérée… comprendre que je me suis risqué à des initiatives… disons… malheureuses… mais qu’il a été tacitement reconnu que je les avais initiées pour le bien du plus grand nombre… avec l’esprit qui va bien… y’a une certaine spiritualité à faire des conneries acceptables… des conneries oui ! Mais toujours dans l’esprit de bien faire en quelque sorte… Il faut dire qu’en des temps pas si lointains, passer par la case sanction disciplinaire, ça pouvait emporter un coupable vers une tourmente inattendue. Parfois, le fautif voyait sa carrière déviée ou carrément stoppée net… pour une sanction dont l’origine nous paraîtrait insignifiante aujourd’hui… comme signer un seul chèque en bois ou bien… expliquer… avec un peu trop de véhémence et d’entrain… qu’on n’était pas spécialement en accord avec la décision prise par un supérieur… un officier… souvent unanimement réputé pour son incompétence notoire ou son intransigeance patente… l’une des qualités masquant souvent l’autre. Ce genre de fâcheux… alors qu’on est en droit de s’attendre à ce que… dans une armée moderne… il ait été giclé de l’institution à gros coups de pompes dans le train depuis belle lurette… s’y trouve pourtant encore. Et il devient même… le temps ne faisant rien de bon dans cette affaire… particulièrement pénible tant il est légitimé dans son action minable… en sachant qu’il est à la fois défendu par ses pairs… immunisé par son statut… et souvent couvé par d’autres protections… disons plus fraternelles. Le pire à supporter est d’imaginer que le même incapable s’est obligatoirement retrouvé en responsabilité de commandement. C’est dans cette fenêtre, de deux ans à peine, qu’un officier doit absolument marquer des points pour son avenir… c’est à partir de là que ses dents qui ne sont pas encore émoussées… ont souvent une fâcheuse tendance à rayer le parquet. C’est à ce moment précis de sa carrière qu’il peut en perdre… alors il doit absolument briller… ou prendre l’option de rester flasque… d’inscrire sa ligne de commandement dans le consensus mou… la politique du « pas de couilles pas d’embrouilles ». Dans un cas comme dans l’autre… c’est durant ces deux années qu’il est le plus dangereux… l’officier. C’est dans ce laps de temps… qui peut sembler une éternité quand on se coltine un tocard croisé avec une fripouille… ça peut arriver… ça arrive… qu’il propose les notations des gens qu’il commande. C’est à ce moment qu’il apprécie leur compétence… qu’il jauge leur intelligence… qu’il qualifie leur dignité… qu’il distribue les images et parfois… qu’il se mue en juge… « bien »… « passable »… « supérieur ». On lui donne le droit de sanctionner ! Oh… des petites sanctions… toutes minus… mais des sanctions quand même. À l’armée la moindre sanction… le plus insignifiant des avertissements… il reste toujours collé aux godasses du soldat puni tel un chewing-gum récupéré sur le trottoir d’un boulevard parisien en plein été. Pendant cette période, l’officier est autorisé à se prendre… l’espace d’un temps plus ou moins long selon la taille de son melon… pour un baron du haut Moyen Âge… un nobliau qui aurait toujours le droit de juger des affaires de basse et moyenne justice. Et la chose n’est absolument pas anecdotique tant tout un chacun vit et respire sous le coup de sanctions disciplinaires souvent inadaptées… parfois iniques… et toujours appliquées sans autre forme de jugement que celle de remplir convenablement un formulaire… sans défense possible… à peine le recours est-il admis. Ces sanctions… aux apparences légères et symboliques… qui s’appuient sur des textes poussiéreux issus d’un autre âge… recèlent en réalité un pouvoir de nuisance incontestable… comme celui de transformer une carrière… ou de la figer. Il faut dire que si l’on remonte à peine trente années en arrière… l’armée française… qui possède encore des effectifs pléthoriques… n’est pas une société où l’on vire les gens sur-le-champ. On manque de monde tout le temps à l’armée… alors ça va… ça vient… ça arrive et puis ça se barre… de façon plus ou moins correcte, en pensant que l’herbe est plus verte ailleurs. L’armée… c’est une vraie auberge espagnole. Alors… la grande majorité de ceux qui se font prendre par la patrouille pour avoir fait montre d’inconduite… on les fige… ils restent dans leur état jusqu’à ce que sonne le glas de leur contrat. Ceux-là… ces sursitaires dont le sort est scellé… sauf mansuétude ou revirement fantastique de situation de l’ordre du mystère… du miracle… seront éconduits et dirigés… sans état d’âme particulier… vers la porte de l’institution. Ce genre de mesure ne concerne pas les officiers. Bien sûr. Dans leur cas… quand ils sont sanctionnés, évidemment la chose est extrêmement rare, mais quand même… c’est prévu par le règlement de discipline générale qui, comme son nom l’indique, s’applique à tout le monde… en général… la décision n’est pas mise sur la place publique comme pour les autres… la sanction n’est pas inscrite noir sur blanc dans la décision du corps… le seul document administratif communiqué à tous… une sorte de main courante qui, quand elle est convenablement tenue, reflète la vie d’un régiment. Et puis… eux… ils ne sont jamais virés immédiatement… encore moins figés pour l’éternité… toujours protégés qu’ils sont par une magnifique invention statutaire… un jus de leur propre cerveau tellement imaginatif dans ce domaine… l’avancement automatique. Bon… quand l’un d’entre eux se fait tirer les oreilles un peu trop fort à cause d’une boulette si grosse qu’il n’est pas possible de la cacher sous un quelconque tapis… l’officier en question est voué à attendre un peu plus longtemps sur le quai de la gare de l’avancement… quelques années tout au plus. Même s’il est mauvais… voire très mauvais, quand j’écris très mauvais… je veux dire nocif… pernicieux… nuisible à l’institution… à son image… à son bon fonctionnement, c’est assez incroyable de devoir écrire ça aujourd’hui d’ailleurs, mais plutôt que d’être dégagé d’un système qui n’a franchement pas besoin de profils comme ça… il va être écarté… muté… et… chose inouïe… progresser quand même… prendre du galon… malgré toutes les évidences de son inaptitude à être précisément là. Quel épatant artifice que cet avancement automatique ! Sauf que ce processus de « Tu me tiens… je te tiens par la barbichette ! » et les petits arrangements entre amis qui en découlent… vont inévitablement engendrer des êtres d’un nouveau calibre… des monstres administrativement modifiés… une nouvelle caste d’intouchables : ce sont les « invirables ». Des gens comme ceux-là… l’armée va en fabriquer par milliers… jusqu’à ce moment précis où l’institution ne saura plus vraiment quoi en faire… jusqu’à ce que la pyramide des grades de l’armée française ressemble à un sapin de Noël à l’envers… une pyramide digne d’une armée à la mexicaine… et la machine va s’engorger. Les très mauvais… il faut bien l’avouer… on en rencontre assez peu en régiment… trop exposés qu’ils sont… Eux… ils sont à la besogne. Mais il s’en trouve pas mal d’autres… bien cachés un peu partout. L’institution se comporte comme une brave femme de ménage qui serait vite débordée… toujours un peu à la bourre dans son emploi du temps… et qui succombe à la facilité en dissimulant la poussière dans un coin censé être une bonne planque… jusqu’à ce que le tas de poussière grossisse… et devienne mouton. Ces moutons-là… à l’armée… on les stocke ailleurs… hors de la vue du plus grand nombre… hors de la vue de la troupe qui pourrait quand même trouver à y redire. Alors on les bouge souvent… comme ça… ceux qui les subissent n’ont pas trop le temps de conclure qu’ils sont franchement mauvais. Il arrive assez souvent… et c’est un comble… que les subordonnés leur trouvent des circonstances atténuantes ! « Ouais… c’est pas faux… il n’est pas bon… mais il est gentil »… sauf que gentil… c’est pas un métier lié au catalogue des emplois… nulle part… encore moins un métier durable dans le marais d’une entité comme le Service. D’autres… plus blasés… plus pragmatiques avec le temps… parce qu’ils savent que leur purge va disparaître à un moment ou à un autre par la grâce du cycle des mutations… se transforment quelquefois… en avocat qui leur trouverait des circonstances excusemptoires du genre : « Bon… c’est vrai… là… y a rien à faire… j’ai beau lui expliquer… il est vraiment nul… il comprend rien… il est aussi con que ma bite est mignonne. Pourtant… il donne l’impression de s’intéresser… et puis… au moins… il nous fait pas chier. » On frise l’apogée du concept de la soumission totale… une espèce de déformation du syndrome de Stockholm, en quelque sorte… où les bons seraient otages des mauvais et finiraient par leur trouver des excuses plus qu’atténuantes. Mais bordel… il ne manquerait plus qu’un officier soit mauvais et méchant en plus ! Ben si… ça arrive… il s’en trouve d’ailleurs un peu partout. Seulement… assujettis à un nombre de mutations qui chimiquement les diluent dans la masse des plus honorables… certains… beaucoup trop… achèvent leur parcours au fort de Vanves. Jadis, les Versaillais défendaient le lieu contre les communards… aujourd’hui… les défenseurs du fort doivent se battre contre les cumulards… officiers mauvais… et pour certains… méchants. Personnellement, j’ai toujours eu une autre analyse bien plus prosaïque… disons un raisonnement de mon niveau : ces gens ne sont pas tous mauvais… à la base… mais ils le deviennent… et puis quand ils s’en rendent compte… ils ne sombrent pas dans la mélancolie… encore moins dans un travail sur eux-mêmes… d’ailleurs… personne ne leur dit vraiment qu’ils ne sont pas à la hauteur… personne n’ose contester leur légitimité à être là… à ce poste précisément… pour la bonne et simple raison que ce genre d’aveu risquerait de provoquer non pas une remise en question de l’intéressé… mais plus sûrement un gros caca nerveux : « Quoi ? Je suis mauvais ? Eh bien puisque c’est ainsi, je ne fais plus rien ! » Le commandement préfèrera toujours qu’un officier travaille mal… même au ralenti… que pas du tout. Et puis… il manquerait plus qu’il se jette par la fenêtre… si on lui disait avec un peu trop d’insistance… qu’il est franchement mauvais… qu’il faudrait peut-être qu’il envisage de décaniller. Voilà pourquoi personne ne dit rien… ça va passer. Et ça finit toujours par passer… même s’ils doivent bosser en solo… dans leur coin. La plupart… les lucides… patientent pépère jusqu’à leur mutation qui ne manquera pas d’arriver. Les autres… les mythomanes… beaucoup plus pervers et imprévisibles… se transforment en méchants jusqu’à en devenir des néfastes à l’institution. Tout ça parce qu’on les a mis là… et qu’ils ne sont pas à leur place… reclus dans un bureau minuscule avec vue sur cour… paumés à commander une poignée de stylos… résignés à ordonner à un clavier qui pourtant n’obéit qu’à leurs propres phalanges, qu’il pisse les lignes d’une note de renseignement qui pourrait attirer enfin l’attention d’en haut… ou sommer un photocopieur retors d’aligner comme il faut la mention de protection au milieu d’un document tellement… sensible. Des gens comme ça… pas à leur place… on en voit partout… on les saupoudre… et puis on range certains incurables dans la catégorie des incapacitants… ceux qui ne sont, n’ont jamais été et ne seront jamais à leur place… nulle part… ou alors… s’ils y ont été… pendant un an… un mois… un jour… ne serait-ce qu’une seule petite minute… ils ne le sont définitivement plus.

    Mais ça… il ne faut pas le dire… enfin pas tout de suite… je suis encore très loin de m’imaginer pareille promiscuité. D’ailleurs, au moment même où j’ai franchi la porte du fort… une immense bouffée d’optimisme m’a envahi tant j’ai eu l’intime conviction de clore définitivement un chapitre de mon grand livre… et d’en ouvrir un tout neuf… sur une magnifique page blanche et absolument immaculée. Il faut bien avouer que parvenir à intégrer une entité comme le Service… dont on ne savait presque rien tant qu’on n’y avait pas foutu les pieds… en passant par la porte que j’avais choisie ou bien une autre… ça ne paraît… a priori… pas donné à tout le monde. Il faut montrer patte blanche… et puis nous venons d’entrer dans le second millénaire dont on sait pertinemment que les défis en termes de renseignement sont absolument considérables, que le travail d’anticipation dans le domaine de la sécurité est particulièrement nécessaire et, on s’en rendra compte un peu plus tard… carrément vital pour la défense des intérêts de nation… la sécurité intérieure de notre société et de son modèle… toutes ces choses menacées de toute part. Je n’ai aucun doute sur le fait que je vais avoir affaire à des gens hyper motivés… des collaborateurs compétents… des chefs charismatiques… des êtres d’exception recherchés… triés sur le volet… rigoureusement sélectionnés… des profils rares que l’on suppose chassés… repérés… séduits… conscientisés au combat qui est le nôtre… une guerre, mais qui ne rapporte que les oripeaux de la Gloire… si tant est qu’il s’en trouve à prendre… et enfin débauchés par les mêmes profils pour rejoindre notre lutte de l’ombre. Un recruteur sera toujours tenté d’enrôler un profil similaire au sien… Par voie de conséquence… un bon aura toutes les chances de recruter quelqu’un de pas trop mauvais… alors que dans le même temps, une burne recrutera toujours une autre burne. C’est comme ça que vont les choses… on n’y peut rien… les mauvais ont tendance à s’aimanter entre eux. Celui qui donnera une explication rationnelle à cet état de fait sera assuré d’obtenir le prochain prix Nobel de Physique. Pour autant… à l’instant où j’ai jeté un regard furtif sur le portillon d’entrée qui se refermait sur mes pas… un peu sur ma vie d’avant… j’étais absolument certain qu’il n’y aurait aucune place ici pour les purges et les commis d’office… que ceux-là… puisqu’ils existent et qu’ils ont bien le droit de vivre aussi… après tout… sont forcément restés dehors… à baguenauder autour de la porte du fort.

    Si je rayonne intérieurement, mon enveloppe corporelle… elle… n’est pas spécialement à son aise. Argh ! Cette tenue de sortie… quelle corvée de porter une carapace pareille. Pourtant… je suis affûté… je fais gaffe… je m’entretiens. Pour preuve, je porte toujours la même depuis

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