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Huis clos avec un monstre
Huis clos avec un monstre
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Livre électronique261 pages3 heures

Huis clos avec un monstre

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À propos de ce livre électronique

Janvier 1794. En Vendée, une partie de la population mène une guerre à mort aux républicains. Beaucoup a déjà été écrit sur ce sujet, notamment sur l’épisode le plus emblématique de cette guerre civile, celui des colonnes infernales. Quatre mois durant, les troupes républicaines vont sillonner la Vendée militaire pour la mettre à feu et à sang.

Quelles raisons poussèrent un général révolutionnaire à échafauder ce plan hors normes, métamorphosant des soldats jetés jusque-là dans une guerre fratricide et impopulaire en véritables meurtriers de masse ?

Pour comprendre cette période, l’auteur décide de prendre une voie originale, celle de s’entretenir avec celui qui porte ce nom aujourd’hui encore frappé d’infamie pour la monstruosité dont il fit preuve en Vendée.

Or, à la lumière de leur conversation, une tout autre question se fait jour : ne serait-il pas temps, deux siècles après la mort de cet homme, de dépassionner enfin le sujet pour tenter de réfléchir autrement ?
LangueFrançais
Date de sortie30 avr. 2019
ISBN9791029009587
Huis clos avec un monstre

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    Aperçu du livre

    Huis clos avec un monstre - Éric Larmonier

    cover.jpg

    Huis clos

    avec un monstre

    Éric Larmonier

    Huis clos avec un monstre

    Les Éditions Chapitre.com

    123, boulevard de Grenelle 75015 Paris

    Du même auteur

    En chemin avec Louis Larmonier, Volontaire de la Côte-d’Or de 1792 – Les Éditions Chapitre. com (2015)

    © Les Éditions Chapitre.com, 2019

    ISBN : 979-10-290-0958-7

    « Je me sens très capable, moi aussi,

    de montrer tour à tour la victime dans le criminel,

    et le criminel dans la victime. »

    Jean d’Ormesson

    Au Plaisir de Dieu

    Avant-propos

    Trop d’années durant, ce qui s’était passé en Vendée pendant la Révolution française fut ignoré, oublié, ou cantonné aux conclusions d’une portion congrue d’initiés qui en firent leur pré carré. Lorsque je décidai de m’emparer à mon tour du sujet, ma première impression fut que cette période était passée par les oubliettes de l’Histoire, qu’elle avait été dissimulée comme on tenterait de le faire d’une maladie honteuse, d’une cicatrice disgracieuse ou d’une faute inavouable. Plus j’avançais dans ma quête de réponses, plus j’étais envahi par une sensation étrange, où se mêlaient tour à tour le trouble, l’émotion et une certaine gêne. Il faut dire que la période, et ce sujet-là en particulier, mettent rapidement mal à l’aise toute personne qui tente de s’y aventurer.

    Si je perçus qu’assez rapidement après la fin des évènements de Vendée les mémoires s’étaient désembuées et les langues déliées, de façon plus ou moins spontanée, c’était bien trop souvent pour dénoncer l’implication des uns, justifier l’action des autres, mais rarement pour témoigner ou dire les choses avec impartialité. Puis, vint la vague des historiens. Ils s’approprièrent le thème, généralement dans sa globalité, en s’appuyant d’abord sur la parole et les témoignages de quelques survivants, et, le temps faisant son œuvre, en travaillant à partir des quelques archives que les évènements et les hommes voulurent bien préserver et nous transmettre. Est-il besoin de le préciser, le travail de l’historien, de quelque époque qu’il vienne, doit poser les limites de la mémoire dans un exercice difficile et fastidieux qui réclame une précision, une honnêteté, une objectivité et surtout une impartialité sans failles. Ce noble travail peut se résumer ainsi : rapporter des faits appartenant au passé, quelques fois en lien avec un sujet particulièrement douloureux et sensible, les rendre intelligibles en s’appuyant sur une méthode scientifique et rigoureuse. Pour que ce travail ne puisse jamais faire l’objet d’un quelconque procès d’intention.

    Avec l’évolution des techniques de communication, et surtout grâce à la numérisation qui a permis la mise en ligne de centaines de milliers de documents jusque-là presque uniquement réservés aux seuls historiens, apparurent les auteurs autodidactes et les amateurs éclairés, une catégorie dans laquelle je me range bien volontiers. Animés par autant de motivations qu’il peut y avoir de différences dans le profil de ces auteurs d’un genre nouveau, beaucoup profitèrent des bienfaits des nouvelles technologies et des facilités offertes au grand public de pouvoir s’exprimer, pour s’emparer à leur tour de ce sujet si sensible. Mais en tombant le plus souvent dans un piège grossier, celui de traiter cette période avec un seul fil conducteur : la passion. En effet, les protagonistes et autres témoins ayant tous disparu, les témoignages transmis oralement ayant subi tant de distorsions qu’ils en devinrent assez rapidement inaudibles, beaucoup d’auteurs contemporains se rabattirent sur l’étude et l’analyse de centaines de lettres, courriers, correspondances, rapports en tout genre, bulletins, retranscriptions de discours ou témoignages, tous plus authentiques les uns que les autres. Bref, un travail établi sur l’étude d’un florilège de documents écrits, échangés la plupart du temps entre quelques protagonistes bien ciblés, acteurs, témoins, décideurs directs ou indirects de ces évènements tragiques. Et, je dois dire que leur travail n’est pas dénué d’intérêt. Mais, rapidement, force me fut de constater que les conclusions de la majorité de ces travaux avaient un peu trop tendance à n’aller que dans un sens, toujours à charge pour le même camp. Que dire des méthodes également employées pour arriver à leurs conclusions : ici, la reprise d’un témoignage dont on ignore à peu près tout de la source, et qui livre une information intéressante, capitale pour certains, mais non recoupée ; là, l’interprétation d’une phrase provenant d’une correspondance originale – parfois même retranscrite –, dont on ne sait rien du contexte dans lequel fut rédigé cet écrit. En fait, plus j’avançais dans mes recherches, plus je me rendis compte que beaucoup d’auteurs s’étaient livrés à une sorte de guerre des mémoires, pour dépeindre une guerre bien réelle celle-ci : la guerre de Vendée. La première guerre de Vendée pour les uns, celle qui se déroula de 1793 à 1796, la seule et véritable guerre de Vendée pour les autres. Il est indéniable que cette guerre cristallisa et cristallise encore aujourd’hui les passions, tant elle généra un théâtre d’affrontements d’un genre nouveau, d’une intensité sans précédent, au bilan particulièrement sanglant et meurtrier. Or, là où un sujet se dessine sur fond d’hémoglobine et mobilise à ce point les passions, le risque est grand pour un auteur de s’égarer, et de raconter « son Histoire », tout en faisant la démonstration qu’il s’agit bel et bien de l’Histoire. La vraie. Ainsi naissent des vérités qui, malgré le brio et l’honnêteté dont leurs auteurs ont sans doute voulu faire preuve, n’en sont pas toujours. C’est justement à ce moment précis que, à ne plus y prendre garde, à ne plus être curieux, à vouloir aller vite, toujours plus vite, de telles informations souvent non recoupées, ou recoupées entre elles, ce qui revient au même, promues pour l’occasion en affirmations, se transforment en vérités absolues, immuables, clôturant définitivement tout débat. Pourtant, il semble acté aujourd’hui que l’Histoire n’est pas une science passéiste qui serait verrouillée, et donc définitivement figée, mais au contraire, une science bien vivante, qui supporte la remise en question et la contradiction. Aucun sujet ne devant, à priori, faire exception à cette règle fondamentale.

    Même si je ne suis qu’un amateur éclairé, je possède au moins une conviction : lorsque la passion s’installe au cœur du traitement d’un sujet historique ou qu’elle en est le moteur principal, la sensibilité prend naturellement le dessus. La perception du sujet alors se brouille, l’impartialité élémentaire qui doit animer tout chercheur s’en trouve bafouée, et les conclusions, lorsque celles-ci parviennent à voir le jour, naissent irrémédiablement tronquées.

    C’est pourquoi l’Histoire ne saurait être fondée sur des perceptions polluées par la passion. D’autant que pour le sujet qui m’intéresse, plusieurs conclusions gravées dans le marbre de l’Histoire furent souvent élaborées dans un climat politique notoirement antirévolutionnaire, à partir de travaux plus ou moins rigoureux, qui se résumèrent souvent à une analyse de correspondances à la prose très révolutionnaire, garnie de chiffres bien souvent gonflés et presque toujours invérifiables. Le tout, recoupé par quelques informations issues de Mémoires dont on sait très bien qu’ils sont toujours, au mieux copieusement garnis d’actions glorieuses et altruistes de leurs auteurs, au pire édulcorés de la responsabilité de leurs actes les plus gênants, responsabilité qu’ils ont d’ailleurs tendance à rejeter bien volontiers sur d’autres de leurs contemporains. L’Histoire ne saurait être bâtie sur ce genre de travaux, dont les démonstrations s’évertuent, de façon parfois un peu trop flagrante, à être exclusivement à charge pour le même camp.

    La vérité porte une grande part d’évidence en soi. Mais cette évidence doit-elle provenir de la seule analyse d’écrits, quand bien même ils seraient authentiques ? Dans son roman Au plaisir de Dieu, Jean d’Ormesson aborde cette question en ces termes :

    « Rien n’est plus difficile que de contraindre des mots à traduire les évènements, les idées, les passions, les sentiments. Toute expression est trahison. »

    Pour ce sujet en particulier, j’irais même plus loin en étant intimement convaincu que toute expression devient trahison.

    Alors oui, la première guerre de Vendée, particulièrement celle-ci, atteignit les plus hauts barreaux de la grande échelle de l’horreur. Elle parvint, en quelques mois à peine, à un niveau de barbarie rarement constaté jusqu’alors dans notre pays, et peut-être même en Europe. Certaines études avancent des chiffres effrayants en ce qui concerne le nombre de « victimes » vendéennes : deux cent mille morts pour certains, trois cent mille pour d’autres. Quelques auteurs contemporains vont même jusqu’à annoncer la somme ahurissante de cinq cent mille victimes – le territoire concerné était peuplé d’environ huit cent cinquante mille âmes avant la guerre –, n’hésitant pas à requalifier cette guerre civile fratricide en génocide. Ces auteurs s’évertuent systématiquement à démontrer qu’il n’y a qu’un seul parti responsable et coupable : les républicains et leurs généraux révolutionnaires, affublés pour l’occasion de sobriquets peu reluisants tels que sinistres assassins, génocideurs (sic), bouchers, criminels de guerre, incapables, alcooliques, crapules, j’en passe et de plus gratinés. Si l’on n’y prend garde, si l’on se contente de survoler le sujet par une simple consultation de la production prohibitive de documents jetés en pâture sur le Web, si l’on ne se réfère qu’aux analyses indexées dans la blogosphère, la chose peut se résumer ainsi : le rebelle vendéen est un être d’exception, à la conduite et à la piété exemplaires, qui fut persécuté pour avoir osé se soulever contre les idées nouvelles d’une République intrusive, répressive et violente. Face à lui, se dresse le cruel soldat républicain, le « bleu », le « cul-blanc », qui incarne à la fois l’envahisseur, le soudard, le pillard, le violeur de femmes, l’assassin de vieillards et d’enfants. Pire ! C’est un régicide et un athée. Bref, tout oppose le brave Vendéen, candidat parfait à la palme du martyre et le répugnant soldat républicain, au profil du salaud idéal.

    La Révolution avait pour but de transformer la société française en profondeur. C’est, il me semble, bel et bien le but d’une révolution. Elle voulut faire évoluer les mentalités en proposant à tous les Français de délivrer leur corps et leur esprit du carcan qui les empêchait d’être vraiment libres jusque-là. Certes, la Révolution française imposa brusquement et brutalement aux Vendéens, comme à tous les autres Français d’ailleurs, certains radicaux allant même jusqu’à militer pour exporter les idéaux révolutionnaires au-delà de nos propres frontières, de ne plus fréquenter la religion prônée par leurs anciens curés non-jureurs, devenus de facto réfractaires, et de ne plus s’assujettir à leurs maîtres d’hier, redevenus, comme eux, simples citoyens.

    L’idée de cette opposition fondamentale, de cet antagonisme presque naturel – peut-être même cultivé –, se forgea probablement à l’opinion générale et très certainement de façon définitive pour les siècles qui vont suivre, dans une phase bien marquée de la première guerre de Vendée. Celle-ci, particulièrement meurtrière et, il faut en convenir, novatrice par l’amplitude de son œuvre destructrice, fut planifiée en toute fin de l’année 1793. Les « colonnes agissantes », comme les nommait son concepteur, se mirent en action à partir de janvier 1794 et dévastèrent la Vendée militaire durant quatre longs mois. Cet épisode emblématique de la Révolution nous est parvenu sous un autre nom, celui des colonnes infernales. Cette dénomination, érigée aujourd’hui en véritable label, fut probablement attribuée par un historien au début du XIXe siècle, afin que ces évènements demeurent, pour la nuit des temps, synonymes d’effroi pour qui les évoquerait à l’avenir. Et, le moins que l’on puisse dire, est que le sujet des colonnes infernales servit de vivier à une création rhétorique et accusatrice très prolifique, unilatérale, et bien entendu farouchement antirépublicaine. Cette rhétorique, facilement identifiable dans la majorité des écrits passés, tend pourtant à ressurgir de nos jours.

    Voici pourquoi, à force de constater que la plupart des publications sur les guerres de Vendée, depuis deux siècles maintenant, allaient dans le même sens, à charge pour la République et les hommes qui la servirent tout au long de cette tumultueuse période, mes neurones se mirent en mode interrogatif. Je voulus tenter de comprendre à mon tour. Je ne doutais pas un seul instant de la véracité des faits qui constituèrent le chef d’accusation des républicains : la répression, dans son expression la plus violente qui soit, s’abattit sur la rébellion vendéenne avec une volonté, une ténacité et parfois même une cruauté qui interpellent. Cette punition, à vocation clairement expiatoire, parcourut la Vendée militaire jusque dans ses moindres recoins, entraînant dans son sillage un inévitable cortège d’exactions.

    Ce fait est absolument incontestable. Mais mon esprit cartésien et totalement dépassionné voulut tout de même aller plus loin que ce constat, plus loin que la seule opération comptable des victimes vendéennes. Quelles raisons poussèrent, presque inéluctablement, des êtres humains nés de la même veine, la France, à s’entretuer avec une telle rage ? En cherchant une réponse, mon attention s’est rapidement fixée sur un homme dont les épaules portaient les charges les plus lourdes et les plus infamantes, le général Louis-Marie Turreau. Je n’avais jamais entendu parler de cet homme, et pourtant, la mention de son patronyme est presque toujours aujourd’hui affublée d’adjectifs méprisants, voire haineux. Cette animosité est manifeste, tant le personnage est plus que jamais attaqué par une foule d’auteurs s’exprimant la plupart du temps sur des blogs, se métamorphosant le temps de jeter leur verbe sur la toile, en autant de procureurs et d’accusateurs publics. Pour le plus grand nombre, pour ne pas dire pour tout le monde, il est indiscutable que Turreau porte l’entière responsabilité des actes commis par les bleus en Vendée durant cette période. Bref, il est frappant de voir à quel point cet homme fait l’unanimité contre lui.

    C’est au cours de recherches effectuées pour l’écriture de mon précédent ouvrage{1}, que je fus amené à visiter brièvement cette tranche de l’histoire via le parcours de mon ancêtre Louis Larmonier, qui, comme beaucoup d’autres avant lui, avait été jeté sans transition particulière et encore moins avec une quelconque préparation dans le chaudron des opérations de l’Ouest. Interpellé par la nature très différente des affrontements qui s’y déroulèrent, je me promis de revenir plus tard approfondir le sujet. Car j’avais déjà appréhendé que, là-bas, une véritable tragédie s’était jouée, en prenant la forme d’une opposition acharnée entre deux partis qui firent sombrer ce territoire dans l’horreur et la folie. Et, de toute évidence, dans un style d’opposition complètement différent de ceux que j’avais pu étudier auparavant sur les théâtres des opérations du nord et de l’est du pays. À savoir des oppositions de blocs d’armées s’opposant frontalement au cours de batailles rangées, tout aussi meurtrières, mais encadrées par une codification particulière de faire la guerre, bornées par un code de l’honneur. J’oserais même avancer que ces affrontements étaient empreints d’une forme de courtoisie, sans doute même d’un certain respect pour ce peuple de France qui avait osé se soulever contre ses souverains, qui résistait, seul et depuis plusieurs années maintenant, face à la coalition des plus grandes puissances monarchiques et impériales d’Europe du moment.

    Je partis donc à la découverte de cette guerre de Vendée avec un esprit libéré de toute contingence intellectuelle, animé par une intention dépourvue d’à priori et, surtout, complètement dépassionnée. Je ne possède aucune connaissance historique particulière, je ne fais partie d’aucune mouvance idéologique, politique ou religieuse. Je ne suis ni avocat, ni juriste, ni juge, ni procureur, ni défenseur et encore moins pourfendeur d’une quelconque cause en rapport avec le sujet. Et, aussi loin que mes connaissances généalogiques familiales m’emmènent, absolument rien ne me relie génétiquement à la Vendée. Une seule raison anima ma quête : savoir, pour me forger ma propre opinion et, peut-être, donner aux lecteurs quelques axes de réflexion pour les aider à forger la leur.

    Une idée jaillit alors à mon esprit, comme une évidence : pourquoi ne pas partir à la rencontre de l’un des acteurs majeurs de cette période ? Que dis-je, à la rencontre du personnage central, à la rencontre de celui sur qui se concentrent tant de colères et pleuvent tant d’injures. Pourquoi ne pas solliciter celui qui, pour le plus grand nombre, porte la responsabilité des actions abominables commises au cours de cette funeste période ? Certes, le personnage est mort depuis deux siècles aujourd’hui. Toutefois, il m’a été si difficile de faire jaillir une quelconque ébauche de vérité en m’entretenant avec les vivants durant mon exercice professionnel passé que l’idée de tenter l’expérience avec un mort ne me semble pas aussi insurmontable.

    Alors voilà. Pour tenter d’obtenir des réponses à mes questionnements, j’entrepris de partir à la rencontre du commandant en chef de l’armée de l’Ouest entre décembre 1793 et mai 1794, celui-là même qui conçut, planifia et fit exécuter le plan de destruction systématique de la Vendée. Je décidai de m’entretenir avec le général Louis-Marie Turreau, le général des colonnes infernales.

    Certes, en envisageant cette entrevue sans témoin, j’étais parfaitement conscient que, pour beaucoup, je m’engageais dans un huis clos avec la monstruosité personnifiée.

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    1.

    L’improbable rencontre

    « Il n’est jamais trop tard pour sonder l’inconnu, il n’est jamais trop tard pour aller au-delà. »

    Gabriele d’Annunzio

    écrivain (1863-1938)

    Il est là, devant moi, faisant les cent pas. Turreau est tout à fait conforme à l’idée que je m’en faisais, référence aux quelques lithographies, tableaux et autres dessins ayant traversé les temps, et qui se sont hasardés à représenter le personnage. D’une taille plutôt modeste, comme la plupart des gens de son époque, je devine à son allure générale, à son port altier dirait-on, que l’homme n’est pas n’importe qui. Je m’attarde alors sur les traits de son visage et sur ce regard parfaitement reconnaissable : il est clair que Turreau fulmine, bouillonne en son for intérieur.

    L’endroit où je me trouve m’est complètement inconnu, glacial, pour ne pas dire inhospitalier. À l’évidence, tout est fait pour que le visiteur se sente mal à l’aise. En cela, il me fait penser aux couloirs de mon ancienne direction centrale. C’est dire si le lieu est idéal pour mener un entretien.

    Les cinq premières minutes de cet exercice si particulier sont primordiales, car je dois faire en sorte que mon interlocuteur ne se ferme pas et qu’il n’ait jamais la possibilité d’inverser les rôles. Je le sais pertinemment. Il doit certainement le savoir aussi. Alors que je poursuis mon observation, je constate que la pointe de son menton est désormais tendue dans ma direction et que sa poitrine est barrée par ses bras fermement croisés. Turreau plisse le front, ses yeux m’ayant manifestement détecté dans son champ de vision. Il fouille à présent sa mémoire. Je peux même parfaitement ressentir toutes les étapes auxquelles je devais m’attendre pour une rencontre de ce type :

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