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Le temps des ombres : La légende de la guerre de Cent Ans - Tome 1: La revanche de la perfide Albion
Le temps des ombres : La légende de la guerre de Cent Ans - Tome 1: La revanche de la perfide Albion
Le temps des ombres : La légende de la guerre de Cent Ans - Tome 1: La revanche de la perfide Albion
Livre électronique318 pages4 heures

Le temps des ombres : La légende de la guerre de Cent Ans - Tome 1: La revanche de la perfide Albion

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À propos de ce livre électronique

Début du XVe siècle, en pleine guerre de Cent Ans, le Royaume de France, incapable de résister à l’invasion anglaise, est au bord de l’implosion. Sur ces terres en proie à la violence et abandonnées aux pillards et aux mercenaires, Kalas, fils adoptif d’un herboriste d’une cité proche de Calais, fait la rencontre de Bertrame, un mystérieux érudit qui l’initie à la Miasmatique, exigeante maîtrise des essences de la nature dotant celui qui la domine de puissantes capacités, ainsi que d’Éléonore, sa fille, redoutable combattante. Alors que les troupes du roi anglais Henri V poussent toujours plus loin leur conquête de la France, les trois compagnons vont rapidement être emportés au cœur des intrigues de ce conflit séculaire. De leurs choix dépendra le sort du Royaume de France et de la Chrétienté.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Passionné par l’Histoire, il y avait, selon Jonathan Cajet, l’espace pour créer autour de la guerre de Cent Ans, à travers les aventures de Jeanne d’Arc et la lutte entre la France et l’Angleterre, une épopée légendaire à l’instar de la légende du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Après plusieurs mois, cette idée s’est transformée en obsession. C’est ainsi qu’est née la trilogie Le Temps des Ombres, comme le besoin débordant de livrer aux lecteurs une version épique, mêlant un univers fantasy cohérent à ce contexte historique riche et plus complexe qu’il n’y paraît.
LangueFrançais
Date de sortie29 avr. 2022
ISBN9791037753564
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    De la Fantasy mêlée à un univers médiéval. L'auteur tape pile dans mon genre préféré. En plus le contexte médiéval n'est pas n'importe lequel puisqu'il s'agit de la guerre de Cent Ans dans une période particulièrement dramatique pour le royaume de France. J'ai apprécié ce mélange. Malgré la Fantasy, l'écrivain respecte l'Histoire de France et d'Angleterre. L’écriture est fluide et les scènes d’action percutantes. L'intrigue tient en haleine et ne ménage pas ses lecteurs. Je recommande et j'ai hâte de lire la suite.

Aperçu du livre

Le temps des ombres - Jonathan Cajet

Chapitre 1

L’ermite de la grotte de l’Ours Noir

En l’an de grâce 1413, vivait près d’Hardinghen, modeste bourg situé au nord du saint royaume de France, à la lisière d’une immense forêt de chênes, d’épicéas et d’ormes, un homme que tous les bourgeois d’Hardinghen s’accordaient à qualifier d’ermite. Ils étaient presque unanimement persuadés qu’il se terrait dans une caverne nichée sur une petite butte rocailleuse et visible depuis le bourg, l’antre de l’Ours Noir, comme ils aimaient l’appeler, en référence à la bête qui jadis en avait fait son foyer avant d’en être chassée par l’Homme.

Bertrame, c’était son nom, n’avait pas quarante ans mais en paraissait soixante, la faute, peut-être, à ses longs cheveux gris négligés et à une barbe hirsute, dont les poils désordonnés viraient de plus en plus au blanc. Outre cette pilosité hasardeuse, le visage de Bertrame était marqué par la rudesse de la vie. De profondes rides d’inquiétude parcouraient son front et lui conféraient un air grave. Il était, par ailleurs, aveugle de l’œil droit et conservait à ce niveau quatre profondes cicatrices que son cache-œil ne parvenait que très modestement à cacher. Bertrame descendait rarement à Hardinghen sauf pour acheter ce qu’il ne pouvait lui-même se procurer en échange de ses fameux onguents à l’efficacité redoutable. À dire vrai, Hardinghen n’avait pas grand-chose d’attirant, ni même de repoussant d’ailleurs, elle était l’archétype de ces petits villages que le commerce avait fait grossir et transformer en bourg. Elle jouissait de sa proximité avec la côte calaisienne et prospérait via l’échange de denrées d’avec l’Angleterre et la Flandre. Ces derniers temps, Hardinghen vivait des temps plus difficiles, le conflit entre le roi de France et le roi d’Angleterre, son vassal, avait pris un tour très défavorable pour le premier.

En 1356, le roi de France Jean II dit le Bon qui aurait sûrement mérité un autre qualificatif, fut fait prisonnier à la bataille de Poitiers par le roi anglais. Sa rançon ruina la France alors que les chevauchées sanglantes et cruelles d’Edward III d’Angleterre en Champagne et du Prince Noir, son fils, de Bordeaux à Narbonne, dévastèrent le pays. En 1360, par le désastreux traité de Brétigny, le roi d’Angleterre s’empara du quart du royaume de France. La mort de Jean II le Bon en 1364 et le sacre de Charles V redonnèrent espoir aux sujets du royaume. Charles V redressa la France et la sortit de sa torpeur en s’entourant d’habiles collaborateurs tel le puissant Du Guesclin. Le Poitou reconquit, Charles VI hérita d’un royaume qui avait retrouvé l’espoir de bouter l’Anglais hors ses frontières. Les querelles internes, intestines et fratricides, eurent pourtant raison du lent travail opéré par feu Charles V. Un grand mal finit par atteindre Charles VI, que certains appelèrent folie, d’autres empoisonnement. Toujours est-il qu’à partir de 1392, le comportement du roi changea et devint erratique sans qu’on ne puisse l’expliquer. Pour beaucoup, ce bon roi, aimé par le peuple mais malchanceux, avait été trahi par ses proches et ses oncles, qui ne pensaient qu’à se partager le royaume à leur profit, fut-ce un royaume amoindri. Surtout, le peuple, par une intuition presque mystique, sentait que la reine Isabeau, surnommée souvent « l’étrangère », parfois la « putain de Bavière », n’était, pour le coup, pas étrangère aux malheurs du royaume.

Toujours est-il qu’à Hardinghen, en 1413, année marquée par l’avènement d’Henri V sur le trône d’Angleterre et par la poursuite des hostilités entre Anglais et Français, et Français entre eux, on n’attendait plus grand-chose du roi de France, qui semblait complètement dépassé et maintenu dans un voile d’ignorance et de corruption par ceux qui l’entouraient. Et pourtant, malgré sa proximité avec Calais, forteresse anglaise depuis 1347, le bourg n’avait pas encore eu à pâtir de la présence d’Albion. La bourgade était ceinte de fortifications derrière un étroit fossé. Une partie de la ceinture était en pierre mais pour accroître la hauteur de la muraille à moindres frais, un deuxième étage, essentiellement en bois, avait été rajouté à la partie basse. Les bourgeois se relayaient sur les six palissades qui faisaient office de tour de guet. Les plus riches payaient des gens d’armes pour effectuer leur tour de garde à leur place. La ville, somme toute modeste, disposait d’une auberge tout à fait convenable où les habitants et gens de passage pouvaient, sans craindre pour leur bourse ou leur poitrail, partager les quelques bières et hydromels que la région offrait et apprécier un bon lit en toute quiétude. En dehors des habitations de toutes natures qui s’amoncelaient à l’intérieur des murailles de la ville, de plus en plus étroite, Hardinghen disposait d’un armurier, d’une boutique de tissus, d’une boucherie, d’une place de commerce, rarement animée ces temps-ci, et d’une herboristerie. L’herboriste était d’ailleurs le seul habitant qui connaissait un tant soit peu Bertrame. C’était son interlocuteur privilégié pour la vente de ses onguents. Il lui arrivait de plus en plus souvent de recourir aux services de l’ermite pour collecter peaux de serpent, insectes et autres herbes rares qu’il ne pouvait se procurer sans danger depuis les dernières incursions anglaises. Sa dernière venue remontait à la semaine dernière, jour pour jour, il s’attendait donc à le voir aujourd’hui lui apporter l’acérola, l’achillée millefeuille et l’ail des ours nécessaires à la préparation de ses remèdes.

Bertrame avait effectivement pris la route et on pouvait l’apercevoir quitter la lisière de la forêt pour arpenter la plaine qui le séparait du petit bourg. De l’enceinte de la ville, Jacques dit l’Ancien, du fait de ses nombreux printemps passés sur cette terre, aperçut l’ermite encapuchonné. Bien que personne ne sache d’où Bertrame venait, ni ce qu’il faisait réellement dans cette forêt depuis deux ans, le vieux Jacques jurait à qui voulait l’entendre, c’est-à-dire peu de monde, qu’il était déjà venu à Hardinghen il y a de cela plus de vingt années. Jacques passait ses journées le long des fortifications. Il avait les yeux fixés sur la forêt au loin, prêt à sonner le tocsin dès qu’il apercevrait un de ces maudits Anglais. Les bourgeois l’aimaient bien, même s’ils le prenaient pour un vieux sénile, il leur permettait de dormir pendant leur tour de garde ou de jouer aux cartes, assurés qu’ils étaient que rien n’échapperait à l’ancien. Malgré ses soixante années, sa vue était encore affutée surtout pour sentir venir l’Anglais. Du haut de sa palissade, qu’il aimait à appeler son petit donjon, Jacques était le seul à savoir que Bertrame n’habitait pas la grotte de l’Ours Noir. Certes, il le voyait souvent entreposer ses effets, tonneaux et autres barriques dans cette sinistre remise mais, tous les soirs, de sa vue d’aigle, il apercevait l’ermite au cache-œil gris gravir ce qui ressemblait à une échelle souple, faite de cordages et de planches de bois vieilli, pour se perdre dans la cime des arbres. Jacques supposait que c’était une manière d’échapper aux patrouilles anglaises ou plus certainement de se protéger des loups qui rôdaient depuis deux ans dans ces bois. Il avait, en effet, aperçu plusieurs fois la meute près de l’antre. Jacques l’ancien aimait bien Bertrame, même s’il ne le connaissait pas vraiment et qu’il ne lui avait que très peu parlé. Ses onguents avaient sauvé sa fille et son petit-fils par le passé. L’ermite pouvait certes effrayer certains bourgeois. Son regard scrutateur, ses cicatrices y étaient pour beaucoup et sa façon de vivre ne cessait d’interroger. Certains n’hésitaient pas à affirmer qu’il était un serviteur du Diable et que des tréfonds de sa grotte, il s’adonnait à quelques rites interdits. La rumeur était partie de quelques gens de passage ayant entrevu des faisceaux de lumière s’échapper de la grotte par intermittence. Mais, à vrai dire, cette histoire servait surtout à effrayer les enfants turbulents à coup de « si tu continues à lambiner, je vais t’abandonner dans la forêt, Bertrame te transformera en serpent et se servira de ta peau pour en faire de l’onguent ». Ainsi, Bertrame, malgré les services qu’il rendait au bourg, n’était pas vraiment respecté, ni même véritablement craint, il paraissait certes mystérieux mais personne n’avait eu à se plaindre de lui. Et puis, en cette année de guerre et d’ombre planant sur les récoltes, la plupart des villageois cherchait à survivre tant bien que mal, ce qui laissait peu de place pour les ragots et autres commérages, privilèges de l’oisiveté.

Bertrame se présenta chez l’herboriste comme convenu. Il ôta sa cape de laine à capuchon profond. L’herboriste songea en le voyant qu’il n’était pas dénué d’une certaine élégance. Affublé de sa chemise de lin blanc et d’un pourpoint bleu marine lacé à ses coutures, il aurait pu passer pour un riche commerçant si son pantalon chanvre n’était pas aussi rapiécé et les extrémités de son pourpoint tant marquées par l’usure. Toujours est-il qu’il n’avait pas grand-chose d’un ermite même si son accoutrement n’était pas dépourvu d’originalité comme en témoignait la présence, dans le fourreau accroché à sa taille, d’une imposante canne en bois noir, qui semblait solide comme un roc, et dont le pommeau était orné d’une gueule de loup finement ciselée dans l’argent. Bertrame déposa la commande sur le plan de travail : quatre pieds d’acérola, dix pieds d’ail des ours et seulement deux achillées millefeuilles. Il proposa également deux bois de cerf et trois peaux de serpent au marchand que ce dernier s’empressa d’analyser sous tous les angles. Alors que l’herboriste s’apprêtait à peser les deux achillées, des éclats de voix légèrement étouffées par les murs de la boutique se firent entendre. L’ermite s’étonna de cet accès de colère dont il crut reconnaître le propriétaire. L’apothicaire remarqua son trouble et lança à son encontre :

« Ça fait deux heures qu’on l’entend houspiller le Parcifal, mon avis que ça doit être sérieux son histoire car c’est la première que je l’entends se mettre dans un tel état.

— Encore de nouvelles taxes ? s’enquit Bertrame. À ces yeux, il n’y avait bien que ce motif pour mettre Parcifal, le bourgmestre d’Hardinghen, dans une colère aussi noire.

— Je ne sais pas trop, m’est avis que non. J’ai vu un type le rejoindre il y a quelques heures mais ce n’était pas le collecteur de taxes.

— Quelqu’un du bourg ? demanda-t-il au marchand, qui commençait à être intrigué par ce soudain intérêt porté par Bertrame aux affaires du bourgmestre.

— Non, jamais vu jusqu’à aujourd’hui mais il doit avoir une bonne situation ou avoir réussi dans le commerce, il avait les mains propres et était plutôt bien mis, peut-être même un nobliau, va-t’en savoir. »

À cette réponse, Bertrame ne put s’empêcher de froncer les sourcils, son instinct lui fit sentir que quelque chose se tramait. Il se souvenait du jour où Parcifal était venu à sa rencontre, il y a deux ans de cela, essentiellement pour le mettre en garde de ne pas venir troubler la « quiétude et le commerce » d’Hardinghen. S’il lui avait paru foncièrement antipathique, il se souvint d’un homme maître de lui-même et assez habile dans sa façon de délivrer des messages pour ne pas froisser outre mesure son interlocuteur. Pas du tout le genre à chercher la confrontation et à s’époumoner de la sorte.

L’instinct de Bertrame le décida à prolonger sa petite escapade à Hardinghen. Il profita de la livre tournois et des dix-sept sous qu’il venait d’empocher chez le Maître herboriste pour commander une pinte à l’auberge du Vieux-Furet, d’où il avait une vue imprenable sur la demeure du bourgmestre, la plus imposante et la plus cossue du bourg. Il s’essaya à goûter cette nouvelle bière tout droit venue de l’Est. D’ordinaire, il détestait la bière et préférait de loin l’hydromel. Il faut dire que, jusqu’à récemment, elle avait l’aspect de pain bouilli et était plus nourrissante que désaltérante. Il fut agréablement surpris par la légèreté de celle-ci, laquelle contrastait avec sa forte amertume. Ces nouvelles recettes, incorporant du houblon, révolutionnaient littéralement l’art de la brasserie. Tenant moins au corps, mais plus fortement alcoolisées, elles faisaient toutefois des ravages parmi les locaux qui ne tenaient pas la boisson. Durant l’heure et demie qu’il passa au troquet, agrémentée de deux chopes de bière en provenance directe de la tribu des tonneliers d’Alsace, il se rendit compte à quel point il était un étranger pour les villageois. Les habitués ne cessaient de le toiser avec interrogation. Il est vrai que c’était la première fois qu’on le voyait s’abreuver de la sorte. L’un des piliers de comptoir ne cessait de maugréer en regardant le fond de son verre. Bertrame avait l’impression que ces imprécations s’adressaient à lui mais n’y fit guère attention. Les éclats de voix provenant de chez Parcifal le ramenèrent à ses premières considérations. Au même instant, un homme, de taille moyenne, poussa violemment la porte en sortant de la maison du bourgmestre. Il était richement vêtu, comme le lui avait indiqué le maître des plantes, et plutôt athlétique. On entendit distinctement Parcifal, sur le perron de sa demeure, lui lancer :

« Dis bien à ton maître que je préfère vendre mon âme au Diable que d’accéder à sa demande. Chien !

— Prends garde à toi, bourgeois, mon maître est très à cheval sur le respect qui lui est dû, il ne manquera pas de te l’enseigner promptement. »

À ces mots, le visiteur, goguenard, quitta Hardinghen d’un pas lent. Bertrame n’était pas plus avancé, mais son inquiétude grandit. Du fond de l’auberge, un des habitués, dont les joues et le nez étaient déjà bien rosis, ne put s’empêcher de s’esclaffer en se donnant en spectacle : « Ce bon gros Parcifal a encore essayé d’arnaquer un honnête marchand ! » Son compagnon, un gros gaillard couperosé, qui d’affalé sur le comptoir se redressa, lui répondit de façon cinglante :

« Misérable pochtron ! Tu es vraiment un sacré abruti. C’était un noble, aussi vrai que tu es un imbécile !

— Un noble ou un bourgeois, ça change quoi pour nous, qui n’avons rien ?

— Ça change tout, si tu n’étais pas qu’un sombre ivrogne tu saurais que les nobles ne font pas commerce et refusent de travailler. Ils laissent ça aux gueux comme toi !

— Tu es aussi gueux que moi !

— C’est vrai, mais toi en plus d’être gueux tu es stupide et ignorant ! »

À ces mots, l’ivrogne insulta son comparse de chiabrena¹ et lui lança sa chope à moitié pleine. Elle se fracassa contre le mur du fond de l’auberge, à plus d’un mètre de son destinataire, qui n’avait pas cillé. « Tu ne tiens même pas debout, sale ivrogne, rentre chez toi, tu me fais pitié ! »

Une rixe éclata aussitôt.

Malgré le tohu-bohu, Bertrame ne quitta pas des yeux la maison du bourgmestre. Ce dernier, alors rouge de colère au point d’en trembler, semblait dorénavant anxieux depuis le départ de son mystérieux invité. Qui était donc ce nobliau ? Et pourquoi Parcifal l’avait-il congédié avec si peu de délicatesse ? Apportait-il un message de la cour du roi de France ? Non, Parcifal ne se serait jamais permis de congédier de la sorte un émissaire de Charles VI. Bertrame était totalement absorbé par ses pensées. Il s’agissait d’un noble, sans l’ombre d’un doute, mais il ne parvint pas à reconnaître le blason qu’il avait aperçu sur le fourreau de son épée. Tout juste avait-il pu lire quelques mots l’ornant, même si les premiers lui manquaient : « … Mon droit. » Quelle maison française délaisserait ainsi le latin pour orner ses armoiries ? « … Mon droit… Mon droit » Où avait-il déjà vu cette devise ? Il allait la retrouver, il en était certain. Mais plus il cherchait, plus sa mémoire lui jouait des tours. Plus il cheminait vers la réponse, plus elle s’échappait au dernier moment. Il comprit qu’il n’y arriverait pas aujourd’hui, il décida donc de quitter Hardinghen pour continuer ses recherches chez lui. Au moment où il se redressa pour quitter sa table, il s’exclama soudainement : « Malédiction ! Dieu est mon droit ». Au même instant, le dos d’une chaise miteuse en bois s’abattit sur l’arrière de son crâne.

Il s’effondra instantanément.

Onguent de concentration

L’ingrédient essentiel de cet onguent est Mentha Arvensis, plus connu sous le nom de Menthe des champs. Il s’agit d’une plante n’excédant pas deux pieds. On la trouve sur les terres légères formant des fleurs violacées ou bleutées. Seules les sommités florales serviront à composer la mixture.

Habitat : commune dans le royaume de France, d’Angleterre, de Navarre, de Castille, du Portugal.

Utilisation : appliquer l’onguent sur le milieu du front par friction cutanée jusqu’à ce qu’il soit complètement absorbé par la peau.

Bertrame du Hainaut, Maître de la Lune, pair de France

Potions, onguents et décoctions, la sagesse des plantes.

Chapitre 2

Le fils du cerf

À son réveil, Bertrame eut l’impression d’avoir la tête dans un étau. Il passa sa main sur l’arrière de son crâne et sentit que deux grosses bosses y avaient fleuri. À moitié inconscient, il se réveillait sans pouvoir bouger et se rendormait quelques minutes plus tard. Durant ses éveils intermittents, il crut reconnaître l’endroit où il était couché. Il pariait sur la demeure de l’herboriste d’autant plus qu’à mesure qu’il recouvrait ses sens, une forte odeur d’arnica mêlée à du thym lui parvint aux narines. De temps à autre, un jeune garçon venait appliquer un onguent sur ses hématomes, à intervalles réguliers. Bertrame reconnut l’effet de son onguent à l’arnica et à l’ail des ours. Il se réveilla en sursaut et reconnut l’herboriste qui tenait son chevet.

« Bonjour l’ami, tu nous as fait une belle frayeur !

— Que m’est-il arrivé, Jehan ?

— Tu as reçu un vilain coup sur la tête. L’aubergiste m’a fait quérir et m’a indiqué que tu t’étais retrouvé malgré toi dans une empoignade entre deux habitués.

— Que faisais-je à l’auberge ?

— Ça mon vieux, ce n’est pas moi qui vais pouvoir le deviner, c’est bien la première fois qu’on te voyait dans pareil lieu. Tiens, bois ça, ma femme t’a préparé une tisane au thym, la mémoire te reviendra quand elle reviendra.

— Merci Jehan, merci à ta femme. J’ai cru voir un jeune homme pendant ma convalescence. Est-ce ton fils ?

— Oui et non, tu dois parler de Kalas. C’est le fils de ma défunte belle-sœur. Un garçon intelligent, je lui ai inculqué la science des plantes et le respect de la nature. Il est venu t’appliquer un onguent pendant ton sommeil. D’ailleurs, il s’inquiétait pour toi, tu avais le sommeil agité et n’arrêtais pas de marmonner des paroles inaudibles.

— Je ne me souviens de rien. Je me rappelle être venu au bourg pour livrer ta commande et le reste m’échappe.

— Repose-toi, nous stimulerons ta mémoire plus tard.

— Tu as raison. Mais dis-moi, comment t’es-tu retrouvé à faire du fils de ta belle-sœur ton apprenti ?

— C’est une longue et triste histoire. Ma belle-sœur était partie relever les collets, elle n’en était qu’à sept mois et demi de grossesse mais le travail commença dans la forêt. On l’a retrouvée morte transpercée de toute part. Elle n’était pas seule, trois piquiers anglais baignaient dans leur sang. On ne sait pas trop ce qu’il s’est passé mais on peut deviner. C’est un miracle que le nouveau-né s’en soit sorti. Ma femme m’a raconté que l’enfant avait été sauvé par la chaleur d’un cerf qui s’était endormi à ses côtés. M’est avis que c’est une histoire de bonne femme, sa sœur a fait une mauvaise rencontre d’Anglais qui devait sûrement chasser le cerf en question. Lorsqu’ils l’ont vue, ils ont sûrement choisi de la chasser elle. Je n’ose pas trop imaginer ce qu’ils ont dû lui faire subir. N’en parle pas en présence de ma femme, elle ne s’est jamais vraiment remise de ce qui est arrivé à sa sœur Blanche.

— C’est affreux !

— Ce n’est pas mieux maintenant avec tous ces Anglais qui rôdent aux alentours de Calais.

— Mais je ne comprends pas, tu m’as dit que les piquiers anglais avaient été retrouvés morts ?

— On ne sait pas trop ce qu’il s’est passé. À mon avis, ils n’auraient pas dû perdre le cerf de vue. Leurs corps étaient méconnaissables et leurs entrailles déchirées. Ma femme raconte que Dieu les a punis. Je pense pour ma part que le cerf les a surpris et s’est déchaîné. En tout cas, ils ont eu ce qu’ils méritaient, contrairement à Blanche. Toujours est-il que l’enfant était sauf, il ne pleurait même pas quand on l’a retrouvé. Je n’ai pas pu me résoudre à l’abandonner. Nous voulions un fils et nous n’avions eu qu’une fille. Nous avons décidé de l’appeler Kalas mais tout le monde ici, et surtout le vieux Jacques, l’appelle le fils du cerf.

— Voilà une bien étrange et bien triste histoire.

— Plus triste qu’étrange si tu veux mon avis. Mais des histoires comme ça, il en regorge dans tout le royaume depuis la guerre avec les Godons². Quand les éléphants s’affrontent, seule l’herbe est piétinée. »

Bertrame était loin d’imaginer quels malheurs la famille de Jehan avait traversés. Depuis deux années qu’il vendait ses onguents, c’était la première fois que l’herboriste s’ouvrait ainsi.

« C’est un beau surnom qu’on lui prête. Le cerf incarne la noblesse, la fierté sans l’orgueil, la bravoure sans la stupidité. C’est le protecteur de la forêt comme le souverain est le protecteur du royaume. C’est l’animal royal. Qu’un cerf l’ait protégé dès la naissance est peut-être le signe d’une grande destinée. L’enfant a-t-il les yeux vairons ?

— Non, deux beaux yeux verts, comme sa défunte mère. Pourquoi cette question ? s’étonna Jehan.

— Ne fais pas attention. Ancien réflexe de précepteur en miasmatique.

— Ce n’est donc pas une légende, les Miasmatiques ont deux yeux de couleurs différentes ?

— Exact, la couleur de l’œil droit détermine le courant de miasme qui le domine.

— C’est fascinant, ce doit être tellement excitant de savoir que l’on a été choisi pour entrer en symbiose avec la nature.

— Je vois que tu t’intéresses à la question. Mais sache que les Miasmatiques ne sont liés aux éléments de la nature que pour autant que celle-ci est liée à Dieu. Tout pouvoir est lié au Seigneur et à la destinée qu’il entend nous confier.

— Et pourtant le miasme fait peur aujourd’hui. Il ne fait pas bon s’en réclamer de nos jours, que ce soit en royaume de France ou chez les Anglais. J’ai même entendu dire

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