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MÊME AVEC SON 14e PREMIER MINISTRE, BORIS JOHNSON, LA REINE EST FIDÈLE À SA DEVISE : NE RIEN LAISSER PARAÎTRE

Assise à l’arrière de sa Bentley, une dame un peu voûtée lève sa main quelques secondes, son profil se dessine, si reconnaissable malgré les reflets des vitres. C’est elle! Les quelques touristes qui piétinent derrière les barrières du Long Walk agitent des mains armées de téléphones à son passage. La Reine vient de quitter Buckingham Palace, elle file à une allure modeste vers le Parlement. Pluie subtile, ciel gris, temps maussade, Londres en décembre. Elizabeth II ne circule pas en calèche, elle ne porte pas la tenue d’apparat prévue pour la lecture du discours du trône devant la Chambre des lords. Une simple robe vert pâle fera l’affaire pour le second exercice de ce genre en moins de deux mois. Confusion, stupeur, colère, sentiment de haine parfois, lassitude souvent, les Britanniques n’en peuvent plus des tergiversations liées à ce fichu Brexit. Plus de trois ans de blocage politique, un feuilleton constitutionnel homérique. Theresa May, enlisée et incapable d’obtenir un vote en faveur de son accord, le bulldozer jovial Boris Johnson l’a remplacée à la tête du parti et du gouvernement. Il a d’abord tenté le passage en force, embringuant Elizabeth II dans une aventure trouble : qu’elle prononce Premier ministre, même si elle se doit de suivre les recommandations du sommet de l’exécutif», analyse Robert Palmer,royal watcher du «Daily Express». Boris Johnson a finalement organisé des élections législatives anticipées, « les plus importantes des 70 dernières années», dixit la revue «The Spectator». Résultat: une majorité écrasante pour son Parti conservateur. Le brouillard va se dissiper, le Brexit commencera en 2020. C’est ainsi, les Anglais nous quittent. Mais l’Irlande du Nord, l’Ecosse et le pays de Galles sont loin d’adhérer à la coupure radicale avec l’Union, qu’ils seront obligés de respecter. Le ver de la fracturation est dans le fruit. « Je pense qu’Elizabeth II s’inquiète davantage d’une partition avec l’Ecosse ou l’Irlande que de ce Brexit», avance le biographe de la Reine, Robert Hardman. L’écrivain-journaliste reçoit non loin des locaux de son employeur, le « Daily Mail », puissant tabloïd conservateur. Il a interviewé le prince Philip, Charles, Anne, des Premiers ministres, des secrétaires privés… pour concocter le portrait de la femme la plus célèbre du monde. En cette époque de tourments, il envisage « ma’am » comme un point fixe, un phare dans la nuit sombre des populismes, un ancrage et non un poids désuet : « Elle et sa famille cimentent le royaume. Les politiciens varient et trahissent, eux signifieront la constance de nos liens. Ils seront très utiles après le Brexit. Charles, William et les autres continueront d’être dépêchés dans les pays d’Europe. Les Windsor contribuent, comme Shakespeare ou la BBC, à étendre notre influence.» Il ne sait pas si cette sortie de l’Europe satisfait ou rebute la Reine tenue à la neutralité. Il a posé la question à David Cameron, qui n’a pas su quoi répondre. « Elle était très enthousiaste lors de l’entrée dans la CEE en 1973. Cela avait chagriné lAustralie et la Nouvelle-Zélande, qui s’étaient senties négligées.» La Reine siège entre deux pôles opposés, l’Union européenne et ce machin que l’on ne comprend guère en France, le Commonwealth, ces 53 pays dont elle demeure la souveraine. La décision de bannir l’hymne «God Save the Queen» en Australie après l’adhésion à l’UE l’avait atteinte personnellement. D’une certaine manière, il a été plus compliqué pour elle d’entrer dans l’Europe que d’en partir…

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