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Consolidation de la paix et fragilité étatique: L'ONU en République centrafricaine
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Consolidation de la paix et fragilité étatique: L'ONU en République centrafricaine
Livre électronique341 pages4 heures

Consolidation de la paix et fragilité étatique: L'ONU en République centrafricaine

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À propos de ce livre électronique

En mars 2013, une coalition hétéroclite de groupes armés, la Séléka, renverse le président Bozizé de la République centrafricaine (RCA), au pouvoir depuis 2003. Ce coup d’État réduit à néant plus de quinze années d’effort de consolidation de la paix et confirme l’extrême fragilité des institutions centrafricaines. Il force également la communauté internationale à s’interroger sur la pertinence de ces interventions, dont celles des Bureaux onusiens de consolidation de la paix (BCP) créés à la fin des années 1990 et présents en RCA depuis février 2000.

Pourquoi donc, en dépit de l’appui de ces Bureaux, la RCA est-elle retombée dans la violence ? Comment expliquer, inversement, que d’autres pays aux trajectoires semblables, mais sans l’aide onusienne, semblent pour l’heure en bien meilleure posture ? Cet ouvrage pose la question de l’efficacité des BCP en tant qu’outils de paix dans des contextes de fragilité étatique. Il examine le cas de la RCA, en utilisant le Tchad comme élément de contraste, et propose des pistes de réponse et d’action aux décideurs et aux praticiens travaillant dans le domaine.

Jocelyn Coulon est directeur du Réseau de recherche sur les opérations de paix, affilié au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM), depuis 2005. Il est l’auteur de quatre livres, dont Les Casques bleus (1994), et a dirigé ou codirigé une dizaine de publications sur le maintien de la paix.

Damien Larramendy est chercheur et chargé de projets au Réseau de recherche sur les opérations de paix. Titulaire d’une maîtrise en Peace and Conflict Studies de l’Université de St Andrews, il est également le coordonnateur du site Internet www.operationspaix.net.

Marie-Joëlle Zahar est professeure titulaire de science politique à l’Université de Montréal
LangueFrançais
Date de sortie8 avr. 2015
ISBN9782760634947
Consolidation de la paix et fragilité étatique: L'ONU en République centrafricaine

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    Aperçu du livre

    Consolidation de la paix et fragilité étatique - Jocelyn Coulon

    Introduction

    Le 24 mars 2013, François Bozizé, le président centrafricain, fuit le pays devant l’offensive des rebelles de la Séléka, une coalition hétéroclite de groupes armés qui marche sur Bangui, la capitale. Ce coup d’État réduit à néant les efforts de consolidation de la paix déployés depuis 1997 par la population locale et la communauté internationale, rapprochant un peu plus le pays de l’effondrement.

    Au moment de ce renversement, l’Afrique est considérée par le Failed States Index (devenu en 2014 le Fragile States Index) comme le continent le plus touché par la fragilité étatique, sept des dix États les plus fragiles du monde s’y trouvant. Avec la République démocratique du Congo (2e position), le Tchad (5e position) et la République centrafricaine (RCA) (9e position) en tête de liste, l’Afrique centrale est l’un des sous-ensembles géographiques les plus touchés par ce phénomène, si ce n’est le plus touché du monde.

    Au sein de cette sous-région, la RCA et le Tchad sont comparables à divers égards. Outre le difficile contrôle de leur longue et poreuse frontière, les deux pays sont aux prises avec d’importants défis sécuritaires, économiques et sociaux. Ils sont entourés de pays également instables et les autorités peinent à contrôler la totalité de leur territoire où sévissent des groupes armés. Ces défis partagés ont entraîné le déploiement de deux opérations de paix à cheval sur les deux pays au cours des dernières années¹.

    La communauté internationale, l’ONU en particulier, a mis en œuvre des moyens conséquents dans le but de renforcer les capacités de la RCA et du Tchad à prévenir les crises et à consolider la paix qui peine à y prendre racine. Ainsi, une dizaine d’agences onusiennes sont présentes au Tchad en date du 30 juin 2013, le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) jouant notamment un rôle important dans les domaines de la coordination, de la protection et du relèvement précoce. En RCA, pas moins de treize opérations de paix² ont été déployées de 1997 à 2014, dont trois opéraient sur le territoire au moment de notre enquête en 2012-2013. Parmi ces interventions, notons le Bureau des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BONUCA) déployé de 2000 à 2010 et le Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BINUCA), présent dans le pays de 2010 à juin 2014 et qui constituent l’objet principal de notre analyse dans cet ouvrage.

    Le coup d’État de mars 2013 en RCA soulève plusieurs questions sur l’efficacité des outils de consolidation de la paix de la communauté internationale – et notamment les Bureaux de consolidation de la paix (BCP) de l’ONU tels que le BONUCA et le BINUCA – dans les États fragiles. S’il est compréhensible que les pays dans lesquels l’ONU intervient soient aux prises avec l’instabilité, cette instabilité étant la raison d’être de ces interventions, il est plus surprenant de voir certains pays comme la RCA stagner, voire reculer, sur les plans sécuritaire, économique et des droits humains en dépit d’interventions onusiennes s’étalant sur plus d’une décennie. Dans la même logique, il est intéressant de noter que des pays jugés fragiles semblent trouver une certaine stabilité avec une assistance limitée de la part de la communauté internationale. Le Tchad est à ce titre un exemple digne d’intérêt.

    Ce livre vise à mieux comprendre ce constat en étudiant les cas centrafricain et tchadien sur la période allant de 2000 à 2013. Plus précisément, il analyse les facteurs qui influent sur l’efficacité des interventions onusiennes de consolidation de la paix dans le contexte bien particulier des États fragiles. Nous cherchons ici à comprendre pourquoi la communauté internationale – et plus particulièrement les deux BCP déployés au cours de la période étudiée – a échoué à prévenir une dégradation de la situation en RCA. Identifiant comme cruciale la gestion de la dimension sécuritaire de la fragilité étatique centrafricaine, cet ouvrage utilise le Tchad comme élément de contraste, puisqu’il n’a pas fait l’objet d’autant d’interventions, et qu’il a pourtant connu depuis 2010 une amélioration sensible en matière de gestion de la fragilité.

    L’intérêt de l’ouvrage

    Celui-ci est multiple. Sur le plan empirique, cette étude se penche sur la RCA et – dans une moindre mesure – le Tchad, des cas de fragilité étatique et d’intervention internationale souvent éludés au profit de l’analyse de situations perçues comme «plus stratégiques» ou «plus à la une». Sur le plan théorique, l’ouvrage analyse la capacité des BCP à pallier les causes de la fragilité des États dans lesquels ceux-ci sont déployés. Ce faisant, nous jetons des ponts entre deux littératures: les travaux évaluant l’action onusienne sur le plan du maintien et de la consolidation de la paix et ceux portant sur les réponses internationales à la fragilité des États et des sociétés. Enfin, ce livre a également des visées «politiques» en ce sens qu’il suggère des pistes de réponse et d’action.

    Depuis des siècles, les États considèrent l’excès de puissance de leurs voisins comme la principale menace à leur sécurité. Aujourd’hui, c’est la faiblesse des États qui inquiète. Dans un monde régi par l’interdépendance, la nouvelle hantise des gouvernements réside dans les États faillis, ces pays dont les autorités nationales sont tellement faibles qu’elles ne sont pas en mesure de contrôler leur territoire³. Cette hantise puise ses racines dans les attaques terroristes lancées contre des cibles américaines dans les années 1990 et atteint des sommets depuis les attentats du 11 septembre 2001. L’un de ces pays, la Somalie, a longtemps fait office d’archétype de l’État failli. En août 2013, le président français François Hollande s’alarmait justement du fait que la RCA était «au bord de la somalisation⁴».

    De la même manière que la peur de la «balkanisation» poussait, dans les années 1990, la communauté internationale à intervenir dans les pays aux prises avec des conflits ethniques, la fragilité des États et la peur de les voir glisser vers la «faillite» ou l’«effondrement» est aujourd’hui à l’origine de plusieurs interventions internationales. Ces interventions internationales, dont l’objectif est moins d’enrayer la violence armée intra-étatique que de renforcer les structures et capacités nationales afin d’empêcher des situations précaires de glisser vers la guerre civile, se dédient à ce que l’on appelle la consolidation de la paix. La consolidation de la paix est multiforme; elle peut se traduire par une gamme d’outils allant du simple programme du PNUD pour la réinsertion d’anciens combattants à une opération de paix multidimensionnelle complexe.

    Si le concept de consolidation de la paix a fait et continue de faire couler beaucoup d’encre, l’un des instruments créés par les Nations Unies à cet effet, les BCP, est largement ignoré par les chercheurs. Or, les BCP sont désormais un outil à part entière utilisé par l’ONU et il convient de les analyser en tant que tel afin de comprendre leurs forces et leurs faiblesses, d’évaluer leur contribution à la consolidation de la paix, et de réfléchir aux ajustements susceptibles d’améliorer leur efficacité.

    Ce besoin est d’autant plus important que depuis 2007, pas moins de quatre pays – le Burundi, la Sierra Leone, la Guinée-Bissau et la RCA – ont vu se déployer sur leur territoire un BCP. La mise en place d’un bureau intervient généralement – pourvu qu’il soit possible de distinguer une tendance avec seulement six cas à observer depuis la fin des années 1990 – après le retrait d’une opération de paix ayant réussi à stabiliser la situation sécuritaire et politique. Étant donné que plusieurs opérations de maintien de la paix (OMP) onusiennes sont présentement déployées dans des pays où la situation sécuritaire et politique semble stabilisée ou en voie de stabilisation, le nombre de pays appelés à héberger un BCP pourrait donc augmenter dans un horizon temporel proche.

    L’intérêt de l’ouvrage réside aussi dans sa portée politique (policy-oriented), puisqu’il touche à des questions qui intéressent directement les preneurs de décisions à New York, à savoir quelles conditions permettraient aux initiatives onusiennes de consolidation de la paix de faire valoir plus de succès. Le cas de la RCA ne faisant pas l’objet d’une grande attention dans le monde universitaire, les résultats du livre pourront également nourrir la réflexion des praticiens œuvrant dans le domaine de la consolidation de la paix dans ce pays.

    La méthodologie

    Dans cette monographie essentiellement qualitative, nous cherchons à comprendre ce qui explique la bifurcation des trajectoires de deux pays que les indicateurs de fragilité étatique mettent sur le même pied. En effet, la RCA et le Tchad illustrent de manière patente l’impact du manque de légitimité et d’effectivité des structures du pouvoir sur la fragilité des États. Depuis leur accession à l’indépendance en 1960, les deux pays peinent à installer au pouvoir des élites dirigeantes qui reflètent les aspirations et répondent aux besoins de leurs populations.

    Régulièrement décrites comme des États fragiles, les deux anciennes colonies françaises souffrent de déficits sécuritaires, politiques et développementaux. Situées dans une zone d’instabilité régionale, elles subissent les contrecoups des conflits en Ouganda (pour la RCA) et au Darfour (pour le Tchad). Aux prises avec des problèmes de gouvernance illustrés par une succession de coups d’État et de régimes autoritaires, la RCA et le Tchad font tout de même partie de la fameuse troisième vague de démocratisation⁵ qui voit des élections multipartites relativement libres se tenir au tournant des années 1990. Mais cet interlude démocratique ne dure pas et les deux pays sont secoués par des insurrections armées que des accords de paix fragiles et contestés ne réussissent pas à régler.

    Républiques au régime présidentiel fort, la RCA et le Tchad ont des populations très diversifiées, tant sur le plan ethnique que religieux, mais également jeunes, les moins de 25 ans représentant plus de 60% de la population. Les deux pays sont enclavés et le secteur primaire représente environ la moitié de leur PIB. Le secteur industriel demeure relativement peu développé. Par ailleurs, malgré une économie riche en ressources naturelles (notamment des diamants pour la RCA et du pétrole pour le Tchad), les deux pays se situent en queue de peloton de l’indice de développement humain (IDH) des Nations Unies (au 180e rang pour la RCA et au 184e pour le Tchad).

    Malgré ces similarités, le Tchad s’impose aujourd’hui comme l’une des puissances régionales montantes⁶, un pays clé de la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD), un pays contributeur de troupes aux opérations de paix des Nations Unies, particulièrement à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), et un membre de la Capacité africaine pour la réponse immédiate aux crises, l’instrument sécuritaire transitoire mis sur pied par l’Union africaine (UA) pour pallier le retard dans la création d’une Force africaine en attente⁷. Il siège aussi comme membre non permanent du Conseil de sécurité pour la période 2014-2015.

    Tel que mentionné plus haut, il est surprenant de voir que la RCA, le pays ayant bénéficié de la présence de ce qui constitue l’outil le plus récent de la communauté internationale en matière de consolidation de la paix – les BCP – est aujourd’hui plus fragile que son voisin tchadien qui n’en a pas bénéficié. Cela constitue un puzzle analytique au regard de l’objectif des BCP de contribuer à la consolidation de la paix. Nous avons donc cherché à élucider les raisons de la bifurcation des trajectoires de la RCA et du Tchad et, dans ce contexte, nous nous posons plus précisément la question du rôle et de l’impact des BCP en RCA.

    Le présent ouvrage porte sur la période allant de 2000 à 2013. Cette période a été choisie en fonction de la date de déploiement des BCP onusiens en RCA, qui représentent l’objet principal de cet ouvrage. Le BONUCA est mis en place en 2000 et remplacé par le BINUCA en 2010. Le BINUCA a cessé ses activités en juin 2014.

    La collecte de données

    Pour mener cette mission à bien, nous avons puisé dans la littérature spécialisée. Les travaux universitaires portant sur la fragilité étatique en RCA et au Tchad, ainsi que les études qui s’intéressent aux tentatives de pallier cette fragilité, nous ont été d’un apport essentiel. Ces documents nous ont notamment permis d’identifier le nœud gordien des dynamiques de fragilité étatique dans les deux pays. Elles nous ont également guidés dans l’élaboration de notre cadre analytique. Toutefois, comme indiqué plus haut, le nombre d’études portant sur les BCP est limité. C’est sur ce plan que les rapports d’agence et les entretiens semi-directifs se sont avérés d’importantes sources complémentaires d’information.

    Nous avons par ailleurs consulté les rapports officiels des principales institutions impliquées dans la consolidation de la paix en RCA comme l’Union européenne (UE), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ou encore l’UA. L’ONU a été une importante source de données par le truchement des rapports et autres documents de ses différentes composantes, notamment le Conseil de sécurité (CS), la Commission de consolidation de la paix (CCP), le PNUD et le Secrétariat. Ces documents nous ont permis de mieux comprendre la nature de l’engagement international sur le terrain. Des documents confidentiels, comme des rapports d’audit internes à l’ONU ou des rapports de fin de mission des responsables des BCP, ont aussi permis à l’équipe de recherche de mieux comprendre le fonctionnement des Bureaux et leur échec à endiguer la précarisation de la situation en RCA.

    Par ailleurs, nous avons mené des entretiens auprès d’une soixantaine de personnes – diplomates internationaux et nationaux, responsables politiques locaux et membres influents de la société civile –, occupant ou ayant occupé des postes à responsabilités en lien avec la consolidation de la paix en RCA comme au Tchad⁸. Nous avons tenté de recouper les informations ainsi récoltées tout en respectant la confidentialité des interlocuteurs et avons choisi de ne pas inclure les informations que nous n’avons pas pu vérifier. La situation des droits de la personne en RCA et au Tchad étant préoccupante, des mesures ont été prises pour assurer la confidentialité de ces interlocuteurs⁹.

    1. Ces deux opérations de paix sont l’EUFOR Tchad – RCA (2007-2009) et la Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad (MINURCAT, 2007-2010).

    2. Seules neuf de ces treize opérations sont analysées dans cette étude. La dixième, l’ICR-LRA, déployée dans trois autres pays en plus de la RCA depuis 2011, a comme mandat de pourchasser les rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur, d’origine ougandaise, et n’a donc pas grand-chose à voir avec la situation particulière que connaît la RCA. Enfin, en 2013 et en 2014, l’UA, l’ONU et l’UE ont créé des missions – respectivement la MISCA, la MINUSCA et l’EUFOR – RCA qui ne font pas l’objet de la présente étude.

    3. Voir à ce sujet: Robert Rotberg. 2002. «Failed States in a World of Terror». Foreign Affairs, vol. 81, no 4, p. 127-140; John J. Hamre et Gordon R. Sullivan. 2002. «Toward Postconflict Reconstruction». The Washington Quarterly, vol. 25, no 4, p. 85-96; ou encore Chester A. Crocke. 2003. «Engaging Failing States». Foreign Affairs, vol. 82, no 5, p. 32-44.

    4. Cyril Bensimon. 2013. «La France cherche à éviter la somalisation de la Cen trafrique». Le Monde (Paris), 29 août.

    5. Samuel Huntington. 1991. The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century. Norman: University of Oklahoma Press.

    6. Voir notamment Richard Gowan. 2013. «Diplomatic Fallout: Chad’s Military Rise Highlights Africa’s Collective Security Flaws». World Politics Review.

    7. Arthur Boutellis. 2013. «Chad, Once Forgotten by the UN, is Back, Front and Center». The Global Observatory (New York), 26 juin.

    8. Les entrevues, de type semi-directif, ont eu lieu soit en face-à-face lors de rencontres sur le terrain, soit par téléphone ou par Skype. Les entrevues reposaient sur un questionnaire type qui était toutefois adapté à l’interlocuteur afin que les questions posées prennent en compte son expérience. Divers séjours de recherche ont été effectués à New York au cours de l’année 2013, ainsi qu’un autre à N’Djamena et à Bangui du 15 au 30 octobre 2013.

    9. Ainsi, un code numérique a été créé pour désigner les différentes personnes. Aucun nom ou affiliation n’apparaissait donc sur l’ordinateur portable utilisé pour prendre des notes sur les entrevues et pour retranscrire celles-ci.

    Partie 1

    Fragilité, intervention internationale

    et consolidation de la paix

    Chapitre 1

    Un cadre d’analyse kaléidoscopique

    MARIE-JOËLLE ZAHAR

    Cet ouvrage porte sur la gestion de la fragilité étatique. Il met particulièrement l’accent sur l’impact des interventions onusiennes de consolidation de la paix sur les trajectoires de fragilité étatique en RCA, notamment dans sa dimension sécuritaire. Qu’est-ce que la fragilité étatique? Quels outils ont été mis en œuvre pour y remédier? Quelles en sont les limites? C’est à ces questions que cette partie cherche à apporter des réponses.

    Comme il a été évoqué précédemment, le concept de fragilité étatique émerge dans les années 1990 pour prendre une place importante dans les préoccupations des dirigeants occidentaux après les attaques du 11 septembre 2001.

    Selon certaines études, plus de la moitié des États membres de l’ONU seraient aux prises soit avec l’érosion de leurs institutions, soit avec une violente implosion¹⁰. Érosion institutionnelle et violence interne sont les deux manifestations les plus fréquemment associées à la fragilité et à la faillite étatique¹¹. Selon la Banque mondiale, plus conservatrice dans son diagnostic, il y aurait aujourd’hui 36 pays en situation de fragilité, définie comme a) un score harmonisé de 3.2 ou moins sur l’indice du Country Policy and Institutional Assessment (CPIA) de la Banque mondiale ou b) la présence d’une mission onusienne ou régionale de maintien ou de construction de la paix¹².

    La violence est l’un des marqueurs de la faillite étatique les plus acceptés. Rotberg souligne que les violences ont pour effet d’empêcher l’État de remplir ses fonctions essentielles et d’offrir des biens politiques positifs à ses habitants¹³. Il est néanmoins difficile d’atteindre un consensus sur le degré et la nature de la violence nécessaires afin de caractériser un État comme failli ou effondré. Bernard Kouchner, alors administrateur onusien au Kosovo, faisait remarquer que le taux d’homicides était plus élevé à Washington D.C. qu’il ne l’était à Pristina. Si le Soudan a souvent été caractérisé comme un État failli, il est difficile de comprendre cela vu de Khartoum, la capitale, largement épargnée par la violence tout comme plusieurs autres régions du pays.

    Fragilité et instabilité vont souvent de pair. Certains chercheurs y voient un «continuum développemental» qui va des États forts aux États effondrés¹⁴. D’autres pensent que la fragilité des États est un bon prédicteur de conflit.¹⁵. Il existe pourtant une multitude d’États fragiles qui, bien que faibles, ne présentent pas de signes d’instabilité politique imminente.

    Comment définir, comprendre, analyser et évaluer la fragilité étatique? Commençons par souligner l’émergence d’un consensus sur le sujet parmi les agences et organisations internationales spécialisées dans l’aide au développement. Ce consensus s’articule autour des fonctions clés de tout État: provision de la sécurité, représentation de la population, provision des services essentiels. Est ainsi considéré comme fragile tout État qui ne peut ou ne veut pas assurer l’une ou l’autre de ces fonctions. Pour l’Agence américaine pour le développement international (USAID):

    Les États vulnérables sont ceux qui sont incapables ou qui ne veulent pas adéquatement assurer la provision de sécurité et de services essentiels à de larges segments de leur population et où la légitimé du gouvernement est remise en question; les États en crise sont ceux où le gouvernement central n’exerce pas de contrôle véritable sur son propre territoire ou ne veut/peut pas assurer la provision de services essentiels dans de larges zones du territoire national où la légitimité du gouvernement est soit faible, soit inexistante, et où les conflits armés sont une réalité ou un réel danger¹⁶.

    La fragilité étatique est donc liée à trois types de déficit: un déficit sécuritaire qui intervient lorsqu’un État perd le monopole de la violence légitime sur son territoire ou lorsque cet État profite de ce monopole pour exercer ses fonctions régaliennes de manière abusive¹⁷; un déficit de gouvernance qui se traduit par la non-représentativité des gouvernants et par leur illégitimité; et un déficit développemental qui s’illustre par l’incapacité de l’État de pourvoir aux services essentiels.

    Si l’on s’accorde désormais à définir la fragilité en référence aux trois déficits ci-dessus, il n’en demeure pas moins que nombre de questions restent en suspens. Parmi ces questions, les causes de la fragilité, ses indicateurs, les trajectoires de fragilisation et les politiques de gestion de la fragilité seront rapidement abordés ci-dessous.

    Les causes

    La fragilité étatique est attribuée à deux grandes catégories de facteurs internes et externes. La plupart des analyses privilégient les causes internes de fragilité et de faillite. Pour Rotberg¹⁸, le leadership destructeur est le facteur le plus saillant dans l’analyse du phénomène contemporain de fragilité étatique. La capture de l’État par des intérêts privés (familiaux, tribaux, claniques)¹⁹ et le développement d’inégalités horizontales sont souvent identifiés comme deux raisons principales de la fragilité²⁰. Celle-ci peut également résulter de facteurs externes comme la localisation géographique dans une zone d’instabilité chronique²¹. Elle peut aussi être exacerbée par des interventions étrangères²².

    Critiquant ce qu’ils perçoivent comme une approche qui «culpabilise» les États, essentiellement du Sud, pour leur fragilité, certains analystes s’inquiètent du présupposé selon lequel la responsabilité première face aux menaces liées à la fragilité étatique résiderait dans les États en question et dans leur leadership plutôt que dans l’ordre économique et politique mondial²³. D’autres font valoir que la mondialisation a un impact direct sur le degré d’instabilité de certains pays et qu’elle augmente la fragilité étatique. Deux mécanismes sont invoqués pour expliquer cet impact. D’une part, les politiques de libéralisation économique préconisent la réduction de la taille des États alors que la lutte contre les menaces à la sécurité internationale impose des demandes croissantes aux gouvernements²⁴;

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