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Conter la peinture: Si les oeuvres parlaient
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Conter la peinture: Si les oeuvres parlaient
Livre électronique107 pages59 minutes

Conter la peinture: Si les oeuvres parlaient

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À propos de ce livre électronique

Marcel Proust dans son roman "À la recherche du temps perdu" met en lumière la troublante relation qui existe entre la peinture et l'écriture, deux arts s'influençant mutuellement. Ainsi, il fait mourir Bergotte devant le tableau de Vermeer la "Vue de Delft" : " Il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur." "C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune".
Tout au long des douze nouvelles de ce recueil, j'ai souhaité faire connaissance avec ces hommes et femmes qui ont fait l'histoire de l'art, les regarder peindre et vivre. Subtilement, de la même façon que Bergotte devant le "petit pan de mur jaune", un jeu de miroir a fini par s'établir entre les oeuvres et mes mots, créant parfois un dialogue imaginaire avec les artistes.
LangueFrançais
Date de sortie13 janv. 2022
ISBN9782322390069
Conter la peinture: Si les oeuvres parlaient
Auteur

Alain Yvars

Alain Yvars a une passion : la peinture. Peintre pastelliste, il aime imaginer dans leur contexte historique les peintres qui ont fait l'histoire de l'art, ce qui lui permet de s'inspirer de leur talent pour écrire des romans, biographies et nouvelles consacrés à l'art. Cette biographie romancée "Camille muse de CLAUDE MONET" est son quatrième livre après : QUE LES BLÉS SONT BEAUX - L'ultime voyage de Vincent Van Gogh. Une collection "Si les oeuvres parlaient" comprenant deux recueils de nouvelles en mots et en images se lisant dans n'importe quel ordre : CONTER LA PEINTURE et DEUX PETITS TABLEAUX.

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    Aperçu du livre

    Conter la peinture - Alain Yvars

    Amedeo Modigliani – Portrait de Béatrice Hastings, 1916

    Courtoisie : Barnes Fondation, Philadelphie

    1. LA BELLE ANGLAISE - Amedeo

    Modigliani

    Amedeo s’impatiente.

    — Reste de face ! Et ne bouge plus ! Je n’arriverai jamais à te croquer…

    Je reprends la position en m’efforçant de demeurer tranquille. J’avais besoin d’alcool.

    — Sers-moi un verre de vin, dis-je, fatiguée !

    Amedeo se lève, remplit mon verre à ras bord, puis finit le restant de la bouteille au goulot. Il se rassoit ensuite devant la toile et redémarre son travail. Il avait insisté pour me peindre avec ce corsage à carreaux bleus que je ne mettais plus depuis longtemps. Chaque jour, lorsqu’il arrivait, je l’enfilais pour prendre la pose. Je le sens inquiet. Il sait qu’il va devoir bientôt rentrer dans son appartement atelier du boulevard Raspail…

    La nuit est tombée. Il dépose ses pinceaux, me jette un sourire contraint, et sort en claquant la porte violemment. Je le regarde s’éloigner par la fenêtre. Je ne supportais plus nos disputes incessantes. Nous étions séparés depuis 18 mois…

    *

    Au tout début de notre rencontre, j’adorais mon bel Italien. Il s’était rapidement installé dans l’appartement que je louais au 53 rue du Montparnasse depuis mon arrivée à Paris, au printemps 1914. « Ta présence l’a assagi, me disaient ses amis ». Il buvait moins. Dans ses périodes d’abstinences, c’était l’être le plus gentil du monde : doux, attentionné, aimant. Il rentrait à des heures régulières tous les soirs et nous vivions comme un couple normal. L’amour nous accompagnait jour et nuit. Il avait cessé de sculpter, ses poumons tuberculeux ne supportant plus la poussière. Ses journées étaient occupées à me peindre dans son style inimitable : des portraits, le plus souvent vus de face ou légèrement de trois quarts. On était heureux.

    Progressivement, l’alcool avait repris sa place habituelle dans son être fragile. Il buvait beaucoup et rentrait tard le soir, complètement ivre. La violence s’était installée. Il s’emportait pour des choses sans importance, déchirait ses toiles, me faisait des scènes terribles en hurlant. J’angoissais. La boisson s’était incrustée en moi également. Il ne comprenait pas les injures en anglais que je lui crachais au visage.

    La drogue amplifia les effets de l’alcool : le haschich… puis la cocaïne quand il arrivait à vendre quelques toiles. Calmé un moment, l’agressivité reprenait ensuite. Un jour, fortement imbibé de vin et de drogue, il voulut me jeter par la fenêtre.

    Sa jalousie était maladive. Cette robe noire ? Un soir, nous devions nous rendre à une des nombreuses soirées qui animaient Montparnasse. Je n’avais que cette petite robe noire à me mettre. « J’ai une solution ! » m’avait-il dit. Il attrapa des pastels et dessina des fleurs sur le tissu, à même le corps. C’était superbe. Au cours de la soirée, tous les hommes se pressaient pour m’inviter à danser. Amedeo, installé au bar, se saoulait en me regardant. Un grand blond s’était montré entreprenant avec moi. Il s’était jeté sur lui. Il me voulait tout entière.

    Alors je lui avais interdit mon appartement. Titubant, il cognait parfois le soir. Il suppliait que je lui ouvre. Il criait : « J’ai soif ! Donne-moi de l’argent ! ». Puis il s’allongeait devant la porte et dormait ainsi.

    *

    Je saisis mon verre de vin et le vide dans l’évier. J’ai assez bu ! Il est enfin parti. Je n’ose lui refuser quelques séances de pose dans la journée. Une flamme folle le consume. Je sais qu’il a besoin de moi. Il m’aime toujours. Une ivrogne… je suis devenue une ivrogne… comme lui.

    Je titube jusqu’à la toile accrochée sur le mur. Je connais ce jeune homme : Soutine, un artiste russe, compagnon de beuverie d’Amedeo. Juif lui aussi. Amedeo l’avait pris en amitié et invité à dîner un soir. Ce garçon s’empiffrait et était repoussant de saleté. Le tableau montrait un gamin d’une vingtaine d’années, vilain, gros nez et lèvres épaisses. Lorsqu’il avait bu, Amedeo plaisantait parfois : « Tout danse autour de moi comme dans les peintures de Soutine. »

    Amedeo Modigliani - Chaïm Soutine, 1916 - Courtoisie : National Gallery of Art, Washington

    Je range le matériel de peinture qu’il a laissé en désordre, me dirige vers la chambre et m’écroule sur le lit. Excitée par le vin, fatiguée par la longue séance de pose, le sommeil ne vient pas. Notre première rencontre…

    *

    En ce jour de juillet 1914, le soleil éclaboussait de ses rayons la terrasse de La Rotonde. J’étais attablée avec Ossip Zadkine, un sculpteur que j’avais connu dans une soirée. L’air était bouillant.

    Je le vis. Il circulait de table en table, un bloc de papier à dessin à la main. Parfois, il s’asseyait devant un couple, poussait les verres, commençait leur portrait sans leur demander leur accord. Il travaillait en chantonnant. Il déclamait de la poésie en français et en italien : du Dante. En quelques minutes, le couple était croqué d’un trait impétueux. Il tendait la feuille de papier à la femme : « Offrez-moi un verre de vin et le dessin vous appartient ! ». Son verre vidé, il repartait vers d’autres tables, sourire aux lèvres.

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