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Bad Karma: Bayou Detective, #1
Bad Karma: Bayou Detective, #1
Bad Karma: Bayou Detective, #1
Livre électronique285 pages3 heures

Bad Karma: Bayou Detective, #1

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À propos de ce livre électronique

Quand le passé est trop sombre, vaut-il mieux l'oublier ?

 

« Prudence Devreaux, détective privée. »
C'est toujours mieux que « Prudence Devreaux, virée de la fac pour cause de possession démoniaque ».
Ou que « Prudence Devreaux, caissière dans l'épicerie de ses parents ».
Alors quand des phénomènes étranges bouleversent le quotidien d'un petit musée de Louisiane, Prudence décide de mener l'enquête.
Après tout, Moore est là pour l'aider.
L'ex-flic de New York ne devrait faire qu'une bouchée de ce petit mystère provincial.
Ou pas ?
Prudence et Moore peuvent-ils vaincre les esprits de générations d'esclaves et le spectre vengeur de l'ancien directeur du musée, tout en surmontant les fantômes de leur propre passé ?

« C. C. Mahon nous plonge dans le mystère tout en gardant la fraîcheur de ton de la trilogie précédente. » Anaïs Rheims
« Les fantômes sont particulièrement réussis, tout comme la relation ambiguë entre les deux détectives. » Charlotte
« Je n'ai pas seulement lu une histoire, je l'ai vécue. » Klo

LangueFrançais
Date de sortie27 sept. 2021
ISBN9791095394228
Bad Karma: Bayou Detective, #1

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    Aperçu du livre

    Bad Karma - C. C. Mahon

    1

    Mes parents m’ont prénommée Prudence. Ça en dit long sur leurs priorités dans la vie. Mais pas sur les miennes. Plus maintenant, du moins.

    À une époque, je voulais plus que tout obtenir mon diplôme, devenir instit, et prouver à mes parents que je pouvais gagner ma vie sans m’enterrer derrière la caisse de l’épicerie familiale. C’était le plan A. La vie s’est chargée de le détruire. Heureusement, l’alphabet compte 25 autres lettres.

    Si mes parents pouvaient me voir à cet instant, assise à l’arrière d’une moto filant à toute vitesse sur les petites routes de Louisiane… Que diraient-ils ? Sans doute rien d’aimable.

    Un brusque mouvement de la moto m’arracha à mes pensées. La route de campagne, qui filait jusque là tout droit entre les champs de canne à sucre, s’incurvait brutalement pour suivre une rivière. Au guidon, Moore changea de vitesse, fit rugir le moteur, et entreprit de prendre les virages comme un pilote de course. Sans blague, s’il penchait plus, j’étais certaine de laisser un genou sur l’asphalte.

    Je serrai les mains sur les côtés de la selle, serrai les genoux sur la moto, serrai les dents sous mon casque, et fermai les yeux. Gauche, droite, gauche, droite : Moore jetait sa moto d’un côté et de l’autre comme s’il s’agissait d’un culbuto. J’avais refusé de me tenir à sa taille, par un accès de fierté mal placée que je regrettais amèrement.

    Moore était bel homme, mais ce n’était pas une raison pour m’accrocher à lui comme une midinette. Quelques semaines plus tôt, il était encore inspecteur quand nous nous étions rencontrés. La vie s’était chargée de sa carrière comme elle s’était occupée de mes études, et nous étions tous les deux dans la même galère : sans job, sans revenus, et à peine remis de notre découverte du surnaturel. Ce genre de situation crée des liens. Mais je n’allais pas en abuser. Même s’il continuait à nous secouer dans tous les sens.

    Après une petite éternité de ce traitement, je sentis la moto ralentir. Le rugissement du moteur se mua en ronronnement, et mon corps reprit une position presque verticale. Je rouvris un œil. La rivière sinueuse avait cédé la place à l’immensité rectiligne d’un fleuve. Le Mississippi. J’oubliai un instant ma peur pour contempler le géant qui brillait de mille feux sous le soleil d’avril.

    J’ai grandi près d’ici, en Louisiane, au cœur du Bayou Serpent. Mais le petit cours d’eau tranquille et la forêt endormie de mon enfance n’avaient rien à voir avec la puissance du Mississippi, qui s’étirait à perte de vue, jusqu’à l’horizon plat des champs de canne à sucre.

    Pour quelques minutes j’oubliai mes soucis d’argent, la pression de mes parents pour que je rentre au bercail, et l’étrange proposition que m’avait faite mon ami Anthony Moore.

    Moore ralentit encore, activa son clignotant, et nous engagea dans un chemin perpendiculaire. Je tournai désormais le dos au fleuve, mais le spectacle n’en était pas moins magnifique. Nous venions de pénétrer dans un tunnel de verdure. De part et d’autre de la route, des arbres majestueux semblaient monter la garde. Leurs branches, plus grosses que mon torse, se tordaient à une bonne quinzaine de mètres au-dessus de nos têtes. Leur feuillage filtrait les rayons du soleil et jetait un patchwork d’ombre et de lumière sur l’asphalte. La route était à nouveau rectiligne, mais Moore n’avait pas accéléré. Peut-être était-il aussi impressionné que moi par le spectacle. Peut-être plus. Après tout, cela ne faisait pas un an qu’il était dans la région, et les rues de son New York natal ne devaient pas ressembler à ça.

    Au bord de la route, un panneau de bois proclamait « Plantation Beau Séjour — Musée — Hôtel — Restaurant ». Quelques mètres plus loin, un mur blanc percé d’un imposant portail de fer forgé marquait l’entrée de Beau Séjour. Les grilles étaient ouvertes, mais un homme avança pour se mettre sur notre chemin. Moore mit pied à terre, et l’homme nous salua d’un hochement de tête.

    Il n’était pas très grand. Ses cheveux crépus étaient coupés très court, presque rasés, au-dessus d’un visage tanné par la vie. Il portait une chemise blanche à col droit, une veste queue-de-pie sur un gilet rayé, vert et doré, et des gants d’une blancheur éblouissante.

    — Bienvenue à la plantation Beau Séjour, déclara-t-il d’une voix de stentor. Avez-vous des réservations ?

    Moore coupa le contact, et le moteur se tut.

    — Vous êtes Émile ? Nous venons de la part de Monsieur Juju.

    Émile changea aussitôt d’attitude. Il regarda autour de lui, comme pour vérifier qu’un espion ne se dissimulait pas dans l’ombre d’un chêne multicentenaire. Je ne vis qu’un vélo tout terrain appuyé contre un tronc. Celui d’Émile, supposai-je. Aucune trace d’oreilles indiscrètes.

    — J’ai dit à Juju que je pouvais attendre son retour, fit l’homme.

    — Il risque d’être absent plusieurs semaines, répondit Moore. C’est pour ça qu’il nous a demandé de venir.

    — C’est un problème… particulier, fit Émile. Je ne pense pas que vous pouvez comprendre. Vous n’êtes pas du coin. Vous n’êtes pas…

    — Pas assez noirs pour comprendre le Hoodoo ? dis-je avec mon plus bel accent cajun. C’est possible. Mais puisque nous sommes là, pourquoi ne pas nous expliquer de quoi il s’agit ?

    Les Yankees avaient la mauvaise habitude de confondre Hoodoo et Vaudou, et de tout assimiler à de la magie noire. Il suffisait de comprendre que le Vaudou est une religion, alors que le Hoodoo est un mélange de plusieurs sorcelleries populaires, pour commencer à y voir plus clair. Je ne connaissais rien au Vaudou, mais Juju m’avait initiée à quelques concepts Hoodoo. Pas suffisamment pour pratiquer, mais largement assez pour que le curé de mon village fasse une attaque s’il en entendait parler.

    Devant notre insistance, Émile poussa un soupir résigné.

    — Est-ce qu’on peut discuter au calme ? demanda Moore.

    — Je ne peux pas quitter mon poste pour le moment, mais j’ai une pause dans un peu plus d’une heure. Attendez-moi au café de la boutique de souvenirs, vous voulez ? C’est derrière la Grande Maison. Et… soyez discrets, OK ? Je ne veux pas perdre mon travail.

    Moore hocha la tête, embraya, et nous propulsa en direction de la Grande Maison.

    Dans toutes les plantations du Sud, la maison des maîtres porte le sobriquet de « Grande Maison », en contraste avec les taudis dans lesquels les esclaves étaient logés. Dans le cas de Beau Séjour, le surnom était amplement mérité.

    Je détaillai le bâtiment qui se profilait à l’extrémité de la double rangée d’arbres. De hautes colonnes blanches soutenaient le toit et dissimulaient la façade proprement dite. Plus nous approchions, et plus je prenais la mesure de l’édifice. La Grande Maison possédait un premier étage dissimulé dans l’ombre des colonnes, derrière un balcon, et un second juste sous le toit où s’ouvraient trois chiens-assis. L’ensemble avait des airs grandioses de temple grec.

    Moore nous fit contourner le bâtiment. Une pancarte nous indiqua où trouver le parking, dissimulé derrière une haute haie d’arbustes. Je mis pied à terre avec soulagement, luttai un instant avec la sangle de mon casque, et pris une grande inspiration quand je parvins à m’en libérer.

    Son propre casque sous le bras, Moore me considérait, le regard brillant d’une excitation enfantine que je ne lui avais jamais vue.

    — Jolis virages ! me lança-t-il avec un sourire gourmand. Ça t’a plu ?

    Je devais être un peu verte sur les bords, car il changea aussitôt d’expression.

    — Tu n’as pas eu peur, tout de même ?

    Est-ce qu’il se payait ma tête ?

    Probablement pas. Mais dans le doute, je décidai de détourner la conversation :

    — Qu’est-ce que Juju t’a dit, exactement ?

    — Qu’un vieil ami lui a demandé de l’aide pour une histoire de maison hantée. Que l’ami en question a la tête sur les épaules, et qu’il n’aurait pas appelé pour rien. Juju veut qu’on prenne la mesure du problème.

    — C’est vrai ce que tu as dit ? Qu’il pourrait en avoir pour des semaines ?

    Moore haussa les épaules :

    — C’est ce qu’il m’a dit. Le Conseil lui cherche des poux dans la tête, et il doit leur prouver par A+B qu’il ne représente pas une menace.

    Monsieur Juju était un DJ renommé dans la région. C’était aussi un sorcier Hoodoo. C’était, enfin, un membre du Conseil des Gardiens, une organisation secrète de magiciens, chamanes et chasseurs de démons en tout genre.

    Je ne portais pas le Conseil dans mon cœur — un ramassis d’extrémistes, si vous voulez mon avis. Juju, lui, m’avait sauvé la vie, à plusieurs reprises. Ça l’avait mis en froid avec sa hiérarchie.

    — Ces Gardiens sont encore plus bornés que mon ancien commissaire, grogna Moore, comme s’il avait suivi le fil de mes pensées. Juju n’aurait pas dû y aller seul.

    — Aller où, exactement ?

    — Quartier général du Conseil, fit Moore. Ultra top mégasecret. Dans un bunker sous la Maison-Blanche, au sommet des Rocheuses, sur la face cachée de la Lune… Va savoir.

    Il secoua la tête :

    — J’ai essayé de le convaincre de m’en dire plus, mais… Il ne t’a pas parlé, à toi ?

    — Aussi bavard qu’une huître.

    Nous poussâmes un même soupir de dépit, puis Moore consulta sa montre :

    — On a plus d’une heure devant nous. Faisons un tour, d’accord ? Tu es déjà venue ici ?

    — Jamais. Ça fait partie de ces endroits plus connus des touristes que des gens du cru.

    — Ah ! Pour une fois j’ai l’avantage.

    — Tu as déjà visité la plantation ?

    — Pas exactement. Je suis venu pour une enquête — ma première en Louisiane.

    — Raconte !

    Il rangea son casque dans une des sacoches de selle, et tendit la main pour que je lui confie le mien.

    — C’était il y a presque un an. Mon premier dossier ici. Une effraction dans le bureau du directeur, quelques objets anciens dérobés. Rien de passionnant, mais le commissaire voulait savoir s’il avait bien fait de me recruter, ou s’il devait me renvoyer d’où je venais à grands coups de pied dans le derrière.

    — Tu as dû bien t’en sortir, puisqu’il t’a gardé.

    — Pas vraiment. Le ou les voleurs n’ont pas laissé d’empreintes, le musée n’a pas de caméra dans les couloirs, et les objets n’ont jamais refait surface. Joli clin d’œil du destin, de commencer ici aussi ma carrière de privé. Et la tienne… Tu as le trac ?

    — Je te dirai ça quand mon estomac se sera remis de tes folies à m…

    Je m’interrompis pour considérer deux jeunes femmes qui venaient d’entrer sur le parking. Chacune portait une robe de couleur vive — rose fuchsia pour l’une, bleu électrique pour l’autre — qui descendait jusqu’à terre et s’épanouissait en corolle. Ombrelles, étoles et gants de dentelle complétaient ces tenues, à mi-chemin entre costumes historiques et déguisement de carnaval. À en juger par leurs mines courroucées, elles n’étaient cependant pas à la fête.

    Les jeunes femmes nous avisèrent, affichèrent immédiatement un sourire commerçant, et bifurquèrent dans notre direction.

    — La première visite guidée de la journée commence dans vingt minutes, nous annonça la jolie blonde en robe bleue. Vous pouvez acheter des tickets à la boutique, juste derrière v…

    — Prudence ? s’exclama la fille en robe fuchsia. Tu es bien Prudence, la petite sœur d’Otis Devreaux ? Je suis Ashley, dit-elle. J’étais…

    La petite copine d’Otis juste avant qu’il ne s’engage dans l’armée et ne parte se faire tuer à l’autre bout du monde.

    — Ashley, bien sûr, je me souviens, dis-je. J’ai eu du mal à te reconnaître, dans cette tenue.

    Elle baissa les yeux sur sa robe et sourit :

    — C’est mon uniforme. Qu’en penses-tu ?

    Elle effectua une pirouette pour se faire admirer.

    — C’est… Euh… Tu travailles ici ?

    — Je suis guide au musée, déclara-t-elle fièrement. Recrutée directement après ma licence d’histoire.

    Son sourire disparut brutalement :

    — J’ai appris que tu avais dû quitter l’université, dit-elle avec un regard de compassion. Qu’est-ce que tu vas faire ? Retourner travailler à l’épicerie familiale ?

    Je surpris le regard de Moore, mais il n’avait pas besoin de s’inquiéter. J’avais moi aussi compris qu’Émile requérait notre discrétion. Impossible de révéler ma vocation de détective privée. C’était ma première enquête, et j’aurais aimé pouvoir déclarer avec assurance que j’avais une carrière toute tracée devant moi, bien loin de la caisse enregistreuse. Au lieu de quoi j’affichai un sourire contrit pour répondre :

    — Je réfléchis encore.

    — Hum ! Et qu’en disent tes parents ? Dans mon souvenir ils voulaient tellement qu’un de leurs enfants reprenne l’affaire.

    Je haussai les épaules :

    — Ils ne sont pas ravis, mais…

    — Tu ne nous présentes pas ton ami ? intervint la blonde.

    Avec sa robe bleue, son chignon blond et ses gants blancs, elle semblait tout juste échappée d’un remake de Cendrillon. Elle couvait Moore d’un regard adorateur, auquel il répondit par un sourire éblouissant.

    — Je m’appelle Anthony, dit-il en lui tendant la main.

    Elle effleura la main de Moore de ses doigts gantés, comme si elle s’attendait à recevoir un baise-main, et déclara :

    — Annabelle.

    Moore serra la petite main d’Annabelle dans sa grosse patte de Yankee, et je vis la fille tressaillir. Pauvre Annabelle, il avait dû lui écraser les phalanges.

    — Où est cette boutique dans laquelle nous pouvons acheter nos tickets ? demanda-t-il.

    Ashley se raidit, et son sourire se décomposa :

    — Ce n’est peut-être pas le bon moment pour visiter la Grande Maison.

    — Je croyais que la première visite commençait dans vingt minutes.

    — Ce n’est pas ce que je voulais dire. En ce moment la plantation est… Disons que…

    — C’est le poltergeist, intervint Annabelle.

    — Anna ! fit Ashley. Madame Morgan t’a déjà demandé d’arrêter de répandre ces rumeurs.

    — Quand c’est vrai, ce n’est pas une rumeur, répliqua Annabelle avec une moue têtue. Je l’ai vu, et je sais que toi aussi.

    — Vous avez un esprit frappeur au musée ? dis-je.

    Annabelle hocha gravement la tête.

    — C’est une blague ! affirmai-je. Un truc pour attirer les touristes. Je suis du coin, pas besoin de me la faire à moi.

    — Crois-moi, j’aimerais pouvoir te dire que c’est une blague, fit Annabelle. Malheureusement, il n’en est rien. Je l’ai vu à l’œuvre, plusieurs fois.

    — Anna ! répéta Ashley, ça suffit comme ça. Prudence vient de te dire qu’elle ne voulait pas entendre parler de ces histoires stupides.

    Annabelle se redressa, se préparant pour ce qui était probablement une tirade bien sentie, mais Moore se pencha vers elle avec sa voix la plus douce :

    — Mademoiselle, auriez-vous l’obligeance de m’indiquer où je peux acheter ces tickets ?

    « Auriez-vous l’obligeance ? »

    Je me retins pour ne pas rire. Mais Cendrillon fondit comme neige au soleil. Son indignation oubliée, elle adressa un sourire étincelant à Moore :

    — Avec le plus grand plaisir.

    Puis elle se suspendit à son bras et l’entraîna vers le fond du parking.

    À côté de moi, Ashley poussa un soupir de lassitude :

    — Elle n’a vraiment aucune pudeur. Remets-la à sa place, ou elle ne lâchera jamais ton petit copain.

    — Moore n’est pas mon petit ami.

    — Non ? Pourquoi ? Il est bel homme, et il t’apprécie visiblement.

    — Peut-être, mais pas comme ça. Il m’est venu en aide, quand il était encore flic. Plus tard, je lui ai rendu la pareille. On est amis, mais il a cette fâcheuse habitude de me considérer comme une demoiselle en détresse. Et puis il est trop vieux pour moi.

    — L’âge n’arrête pas notre Annabelle, et elle adoooore jouer les demoiselles en détresse. Parfois, je me demande ce qu’elle a dans la tête.

    Je sautai sur l’occasion de réorienter la conversation :

    — Elle avait l’air sûre de son fait, pour les fantômes.

    — Elle n’est pas la seule. Plusieurs employés sont déjà partis à cause de ces histoires stupides.

    — Quelles histoires, exactement ?

    Ashley me lança un regard accusateur, et je levai les mains en signe d’innocence :

    — Simple curiosité. Les fantômes, dans un endroit comme celui-ci, c’est plutôt un atout d’habitude.

    — Je suppose. Tant qu’on parle du visage d’une belle femme dans un miroir, ou de la silhouette d’un ancien propriétaire derrière une vitre. Ça attire un… certain type de visiteurs.

    Elle haussa les épaules.

    — Et le fantôme dont parle Annabelle n’est pas aussi poli ?

    — Quelqu’un s’amuse à nos dépens, c’est tout. Mais ça devient stressant.

    Elle secoua la tête et reprit :

    — Ne te laisse pas impressionner. Cet endroit est charmant, tu as bien fait d’emmener ton ami le visiter. Je suis sûre que vous passerez une excellente journée. Comment vont tes parents ?

    Je passai les minutes suivantes à échanger des paroles sans substance avec Ashley, chacune d’entre nous cherchant à éviter de conjurer le fantôme de mon frère et le souvenir des mois douloureux qui avaient suivi sa disparition. Le retour de Cendrillon, toujours suspendue au bras de son prince charmant, mit fin à l’exercice.

    2

    Moore m’entraîna vers la boutique, un bâtiment de bois récent et sans charme posé au milieu de massifs d’azalées en fleurs. Des rayonnages semblables à ceux de l’épicerie de mes parents offraient un assortiment hétéroclite de livres historiques, bibelots aux couleurs criardes et boîtes de spécialités culinaires plus ou moins locales. Derrière la caisse, il n’y avait personne ; devant la caisse, un carton posé sur une sonnette invitait à appeler en cas de besoin. Tout au fond, cinq tables de jardin et une quinzaine de chaises pliantes entouraient un minuscule comptoir. Sur le meuble, une machine à café, un distributeur de soda, des gobelets, des serviettes en papier.

    Moore me précéda et, parfait gentleman, m’avança une chaise. Qui a dit que les Yankees n’avaient aucun savoir-vivre ?

    Il posa une tasse de café fumant devant moi, et je souris. La nuit de notre première rencontre, il m’avait offert un café pour me réchauffer. J’étais pieds nus, en chemise de nuit sous la pluie quand l’inspecteur — il était encore flic à l’époque — m’avait trouvée dans la rue. Il m’avait affirmé que sa mission de policier était de « protéger et servir des boissons chaudes ». J’avais presque ri à sa blague.

    Quelques jours et une éternité plus tard, il m’avait encore offert un café pour me réchauffer, après que lui, moi et quelques autres avions vaincu une petite armée de démons. Entre Moore et moi, le café était devenu plus qu’une boisson. Certains couples ont leur chanson. Nous avions…

    Mais bien sûr, nous n’étions pas un couple. Pas au sens romantique du terme. Nous étions partenaires, associés dans notre toute nouvelle agence de détectives privés.

    Prudence Devreaux, détective.

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