Le Jour Où La Lune De Miel Se Figea…: Trilogie Sur L’Amour Vrai
Par Francine Hudon
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À propos de ce livre électronique
Trois histoires qui se passent dans des univers diffrents mais qui se rejoignent en un point commun, lamour vrai.
Une femme revoit sa rencontre avec Santiago, le Cubain, celui qui a chang sa vie et qui laccompagne dans ses derniers moments de vie.
Un motard proxnte voit sa vie change par lamour qui surgit dans sa vie, comme un coup de poing dans un gant de velours.
Une mre et sa fille partagent le mme amour inconditionnel pour le peuple Inuit du Nunavik.
Chaque histoire ramne un personnage de la trilogie Il tait une fois trois soleils parue rcemment chez le mme diteur.
Francine Hudon
Venant tout juste d’atteindre la soixantaine, Francine Hudon travaille comme consultante en formation auprès des Inuit du Nord du Québec. Mère de trois enfants et grand-mère de quatre petits-enfants, elle utilise ses temps libres pour écrire des histoires romanesques mais aussi des ouvrages sur les Inuit et des recueils de textes théosophiques. Détentrice d’une Maîtrise de Recherche en Éducation, elle a travaillé comme professeur auprès des enfants de maternelle, comme journaliste au journal Le Témiscamien puis, pendant les 23 dernières années, en organisation de services auprès des Inuit du Nord du Québec. Pour elle, l’écriture est une passion qu’elle décrit de la façon suivante : ‘Mon but, en écrivant, est d’amener les lecteurs sur un circuit de montagnes russes. Ils montent lentement, descendent à toute vitesse, font des loupes et se retrouvent la tête en bas au dessus du vide, pour finir leur voyage tout doucement en disant : ‘Ouf!’
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Aperçu du livre
Le Jour Où La Lune De Miel Se Figea… - Francine Hudon
SANTIAGO
C uba, endroit magnifique où l’amour est toujours au rendez-vous même si l’on pèse plus de 85 kilos, il nous manque quelques dents et l’on a la peau lézardée par les abus de soleil. En ce qui concerne les dents manquantes, je ne sais pas mais pour les kilos en trop et la peau lézardée, oui. On peut y rencontrer l’amour, le vrai, tel que l’on en a rêvé enfant, jeune fille et femme devenue adulte, et cela, même si l’on a dépassé la soixantaine sans que cela paraisse, bien entendu.
* * *
Il s’appelait Santiago, comme dans Santiago de Cuba. Pas jeune, pas vieux, la mi-quarantaine. J’en avais 61 mais ne les faisais pas, en tout cas c’est ce que mes amis me disaient. Mais je n’étais pas dupe, je voyais dans leurs yeux que je ne suscitais aucune envie de concupiscence alors qu’avant… mais ça c’est une autre histoire.
Notre aventure a duré 10 ans et c’est la mort qui va nous séparer. Et oui, je suis mourante. Cancer oblige. Et qui est près de moi pour m’assister dans ce passage obligatoire? Santiago, de Cuba. Le Santiago. Il n’y en a qu’un. En tout cas dans ma vie, il n’y en aura eu qu’un. Il a abandonné sa famille, sa femme et ses enfants pour partager mon destin. Un homme bon, simple et généreux. Un homme vrai et entier. Mon homme.
* * *
Notre histoire a commencé il y a 10 ans, ça je l’ai dit. J’avais décidé d’échapper au tumulte des obligations sociales et professionnelles en prenant une semaine de vacances à Cuba. Je voulais revoir l’île de Cayo Guillermo, ses plages splendides et sa tranquillité. Et surtout, vérifier si le jardinier de la Villa Cojimar s’y trouvait toujours après 8 ans. J’aurais pu y aller avant mais la façon dont notre aventure contemplative s’était terminée m’avait laissée bouleversée, attristée et avec un arrière-goût de culpabilité.
* * *
Les jardiniers m’ont toujours fascinée. À chacun de mes voyages, mon côté Robin des Bois m’incitait à tenter d’entrer en contact avec eux. Devant travailler de longues heures, sans possibilité de trouver un refuge à l’ombre pour quelques instants de repos, ils ne reçoivent aucun pourboire ou à peine. Et c’est à eux que les touristes doivent le décor enchanteur qui bercera leur séjour. Pas de reconnaissance. On les prend pour des manœuvres mais moi je sais que ce sont des artistes, des âmes d’artistes.
Celui-là s’appelait Miguel, aussi Leo. Pourquoi ce deuxième nom, je ne l’ai jamais su. Je ne connaissais pas la langue espagnole et les seuls échanges que nous avons eus, pendant nos brèves rencontres, se faisaient par signes.
Tous les matins, j’allais à la mer voir le soleil se lever à l’horizon. Miguel-Leo s’y trouvait toujours, m’attendant nonchalamment en exécutant de petites tâches, tout près de mon bungalow. Dès qu’il m’apercevait, il me donnait une fleur, une seule, à chaque matin différente. De plus en plus belle, colorée et odorante comme s’il voulait m’offrir son jardin, l’œuvre de sa vie. Je lui souriais. Il me souriait. Magnifiques instants où l’on savourait ensemble les odeurs du matin dans une clarté naissante avec, comme bruit de fond, le murmure de la mer.
Puis, revenant à ses tâches quotidiennes, il prenait sa baguette, cueillait une noix de coco, en coupait la partie supérieure avec sa machette puis me la tendait pour que j’en déguste le lait. Même aujourd’hui, après tant d’années, les senteurs parfumées de toutes les essences des fleurs du jardin de Miguel-Leo me reviennent en mémoire, comme si j’y étais. L’air marin aussi. En fermant les yeux, je sens la caresse du vent frôler mon visage, seule partie de ce corps à la retraite qui peut encore attraper des bribes de vie. Car la vie quitte le corps par la tête, je le sais maintenant. Je la sens s’échapper doucement, comme un ruisseau sur un lit de cailloux, de bas en haut, si je puis dire, mais maintenant que je suis alitée en permanence, j’ai perdu ces repères, bas, haut, gauche, droite. Je ne ressens plus les choses que dans ma tête. Les bruits, les odeurs, tout se passe dans ma tête, toute ma vie emmagasinée dans ma tête. Et Santiago qui continue à me masser les mains, les bras, le dos, comme s’il voulait que la vie revienne. J’aurais le goût de lui dire que c’est peine perdue mais je l’aime tant que je ne veux surtout pas l’effaroucher, lui enlever ses espérances, ses rêves. Il est l’homme, le protecteur, l’amant, l’ami, le mari. Je suis sa femme et je sais qu’il lutte avec moi pour me maintenir en vie. Mais le destin, qui depuis notre rencontre a toujours été de notre bord, semble avoir décidé de nous séparer. J’aime mieux partir la première, je n’aurais pas pu lui survivre.
* * *
Mes escapades platoniques avec Miguel-Leo s’étaient terminées de façon tragique, pour lui surtout. Un matin, alors qu’il ne me restait que deux jours de vacances, il voulut m’offrir une noix de coco plus magnifique encore. J’y ai repensé plusieurs fois et n’ai jamais trouvé comment on peut juger une noix de coco plus magnifique qu’une autre, peut-être un secret de jardinier. En tout cas, je n’ai pas eu l’occasion d’avoir son avis là-dessus puisqu’il a étiré sa baguette vers le coco en question et le banc s’est renversé. Miguel-Leo s’était fracturé la jambe. Il a été transporté à l’hôpital le plus près et je ne l’ai plus revu.
* * *
Et les années ont passé sans que je retourne à cet endroit. J’avais peur. De quoi, je ne le sais pas. Puis, un beau jour, exactement 8 ans après l’événement, j’ai voulu le revoir, lui dire que j’étais désolée et peut-être lui remettre un peu d’argent, à tout le moins l’équivalent de ce qu’il n’avait pas pu gagner comme jardinier durant son hospitalisation et sa convalescence.
Mais, même après une absence si prolongée, je n’étais pas prête à me rendre directement sur les lieux de l’incident qui avait marqué ma vie. J’avais choisi un hôtel juste à côté de la Villa Cojimar en me disant que je pourrais lui rendre visite en passant par la plage, les deux étant concomitantes.
Et c’est là, à ce moment-là, que j’ai rencontré Santiago.
* * *
J’ai toujours voulu écrire notre histoire à Santiago et moi, un amour tranquille et sans vague mais aussi fort qu’une digue qui fait face à un torrent de sensations, de préjugés tenaces et de remarques méchantes. De notre côté de la digue, la tranquillité et la sérénité, de l’autre, les remous, les pièges, les ferveurs et les tentations. Mais on ne peut écrire une histoire sans connaître la fin et la fin j’avais de la difficulté à l’imaginer. Même aujourd’hui…
* * *
J’étais arrivée depuis deux jours, il ne m’en restait plus que six et je n’avais pas encore trouvé le courage de me rendre juste à côté à la recherche de Miguel-Leo. Je n’arrivais pas à me décider. Ma plus grande peur était de ne pas l’y trouver ce qui aurait signifié que, par ma faute, il avait perdu son emploi. Et, de ne pas travailler dans les centres touristiques à Cuba, cela équivaut à une vie de pauvreté, de misère et d’ennui. Je ne voulais pas avoir causé tout cela. Et si c’était le cas, de n’en rien savoir ne changeait rien à son sort.
J’en étais là dans mes réflexions, debout sur la plage, mon sac au bras rempli de cadeaux juste au cas où je me décidais à y aller, quand Santiago a surgi subitement, comme une apparition. Je ne l’avais pas vu venir, absorbée dans mes projets pour la journée. Il m’a dit dans un anglais presque parfait :
- Vous cherchez quelque chose?
- Oui, une chaise à l’ombre.
Et c’est à ce moment-là, à cet instant magique, que ma vie a basculé. J’ai toujours cru au destin, à la réincarnation, à l’ardoise de bonnes et mauvaises actions venant avec le premier souffle de vie du nouveau-né. Une vie nouvelle mais déjà hypothéquée par des actions passées. Oui, je croyais à la destinée mais j’étais certaine que j’avais coché tous les items de mon ardoise et qu’il ne me restait plus qu’à attendre le dénouement. Une carrière bien remplie, pas d’enfant pouvant me raccrocher à l’existence présente ou m’en faire espérer une future. Neutre, je me sentais au centre du balancier des existences et c’est là que la vie m’a rattrapée.
-Vous êtes arrivée quand? m’a dit l’homme en face de moi.
Je ne le regardais pas, encore dans les relents de mes méditations.
- Il y a deux jours.
- Comment se fait-il que je ne vous ai pas vue?
J’ai alors levé les yeux doucement et j’ai vu un homme tout de blanc vêtu. Les hommes en blanc m’ont toujours fascinée, comme les jardiniers, mais pas pour les mêmes raisons. J’ai d’abord vu un chandail blanc, puis les pantalons blancs, puis l’homme caché sous les vêtements, costaud, peau foncé, grand, en tout cas plus grand que moi. Ensuite, j’ai vu le sourire, des dents éclatantes et des yeux d’un vert émeraude à peine entrouverts avec de petites rides tout autour, des rides de bonne humeur comme aurait dit ma grand-mère, elle qui classait les gens en deux catégories selon leurs humeurs. Ceux et celles qui vieillissaient bien avaient le visage parsemé de petites rides amassées au cours des années par des échanges de sourires quotidiens, des émerveillements devant les cadeaux de la vie. Ces rides-là étaient minuscules autour des yeux, de la bouche et sur le front. Puis il y avait les vaincus par la vie, leurs chagrins, leurs déceptions et leur rage creusaient, jour après jour, des rides profondes dans leur visage. Un masque d’horreur se dessinait peu à peu.
Mais Santiago n’en était pas là, moi non plus d’ailleurs. J’ai donc vu la peau de son visage en premier, puis ses yeux. Et là, j’ai su tout de suite que c’était une vieille âme. Oui, je crois à la réincarnation et si notre âme se réincarne, elle doit vieillir elle aussi. Ce serait logique non? Mais maintenant, je sais que ce n’est pas par la logique et en utilisant ma tête que j’ai reconnu l’âme de Santiago. Reconnaître son âme sœur, ça se passe de cœur à cœur ou plutôt, je dirais d’âme à âme, car le souffle de vie se cache dans le cœur. Je le sais puisqu’il a fait le voyage final vers ma tête. Je l’ai suivi minute après minute, seconde après seconde. Il veut maintenant s’envoler et se joindre à l’univers. Mon âme a rejoint ma tête et prend toute la place. Toutes les sensations de goût, de toucher, d’odorat, se confondent. Il n’y a plus d’âme, de cœur, de corps, il y a une sensation envahissante de légèreté, un appel vers l’extérieur. Je n’ai aucune crainte, je sais que je rejoindrai Santiago par le dehors et que je trouverai un moyen de m’infiltrer en lui pour rejoindre son cœur et m’y nicher bien confortablement. Si l’âme, le souffle de vie sort par la tête, il doit entrer par là aussi. Je voudrais lui dire qu’en quittant mon corps, cela me donne une chance d’intégrer le sien mais ma bouche ne fonctionne plus depuis que l’on m’a dit :’C’est la fin, vous allez partir bientôt, mais vous n’aurez pas mal, nous allons soulager votre douleur.’
Je ne sais pas ce qu’il pense. Je sens sa peine et c’est pour cela que je veux mourir au plus vite, pour libérer mon essence de vie et aller rejoindre la sienne, d’âme à âme. Je ne sais pas si tous les gens que j’ai aimés ont pensé à cela, lors de leurs derniers instants de vie, mais c’est la seule consolation qu’il me reste à moi, le seul espoir aussi.
* * *
Je ne suis pas allée à la Villa Cojimar et je n’ai pas revu Miguel-Leo. Ma vie a pris un tournant dans lequel le retour en arrière n’avait plus de place, les souvenirs passés et les attaches sentimentales non plus. Ma vie a basculé, là à cet instant même, sur cette plage ensoleillée, devant cet homme qui m’a juste dit :
- En te voyant, j’ai dit : Elle est à moi celle-là, c’est ma femme.
* * *
On m’avait souvent raconté des histoires d’homme cubain, en particulier de jeunes hommes, à la recherche de ‘femmes à marier’ ou plutôt de ‘jeunes filles à marier’ afin de quitter le monde morne où ils se trouvaient. Cuba, l’un des derniers bastions communistes, le rêve de Fidel Castro matérialisé, aussi de son frère Raoul et de Che Guevara, ce si séduisant ‘Che’. Mais entre le rêve et la réalité, il y a une différence pour ne pas dire un gouffre. Alors, pourquoi ne pas s’évader de la réalité par le rêve, c’est ce que certains Cubains et certaines Cubaines essayaient de faire.
J’ai su tout de suite que Santiago n’était pas de ceux-là, qu’il m’avait reconnue. La différence d’âge d’abord mais aussi par sa voix et ses mouvements au ralenti. Il semblait me dire : ‘Pas d’urgence, on se connaît. On a entamé un cycle de vies ensemble et on a tout notre temps. Célébrons ces retrouvailles.’
Je pense à cela avec le recul alors que je suis dans le passage entre la vie et la mort. D’ailleurs, je peux le dire, ce n’est pas un