Le Parfum du diable: Romance
Par Claudine Couppe
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À propos de ce livre électronique
Dans la parfumerie où elle officie Sonia rencontre Jacob, collectionneur compulsif de parfums et de flacons anciens. Il est impressionné par l’intérêt qu’elle voue aux parfums, elle est troublée par cet homme du monde énigmatique et grand voyageur. Elle devient la conservatrice de son musée et sa complice dans l’élaboration de parfums qui deviendront de grands succès.
Sonia ne crée qu’à partir de son imaginaire, elle manque d’odorat et malgré son handicap elle réinvente et sublime les parfums. Elle offre aux fragrances une nouvelle histoire.
Comme un non voyant qui imagine le monde autour de lui, Sonia se crée un univers olfactif et dans cet amalgame d’odeurs imaginaires elle a même des préférences. Ce n’est plus son nez, mais son cerveau qui lui renvoie cette perception. C’est ainsi que ses créations ne ressemblent à aucune autre.
Mais un parfum appartenant à la collection de Jacob viendra troubler la quiétude de leurs vies. Un parfum rare et unique, « Le parfum du diable », que beaucoup convoiteront.
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Aperçu du livre
Le Parfum du diable - Claudine Couppe
Claudine COUPPE
LE PARFUM DU DIABLE
La grande parfumerie du centre-ville recherchait une démonstratrice en parfum ayant des connaissances et de l’expérience dans ce domaine.
Pour mettre toutes les chances de son côté, Sonia voulait, avant de se présenter, étudier méthodiquement la composition des derniers jus sortis et celles de certaines fragrances connues dans le monde entier.
Elle ne pouvait plus se fier à son nez, elle avait perdu une partie de son odorat à force d’inhaler de la colle néoprène. Depuis des années, elle travaillait dans une fabrique d’accessoires fantaisies. A longueur de journée, elle collait des petits éléments décoratifs sur des boites à bijoux ou sur des miroirs de sac. Les odeurs puissantes de la colle avaient fini par ruiner son odorat.
C’est pourquoi cette annonce l’avait tout de suite interpellée. La ville était sinistrée et une offre comme celle-ci se faisait rare pour une jeune femme. Elle imaginait que ce devait être plaisant de travailler dans l’univers de la beauté. Elle voulait surtout en finir avec ce travail pénible et sans intérêt qui lui détruisait la santé. Elle était prête à tout pour cela, même à s’exiler !
Cette place en parfumerie, elle en rêvait. L’entretien était prévu deux jours plus tard, cela lui laissait le temps d’aller chez le coiffeur, de s’acheter une tenue et de se préparer mentalement. Elle avait appris par cœur le nom des parfums, leur composition et leur histoire. Elle voulait ainsi montrer l’intérêt et la passion qu’elle portait au monde de la parfumerie.
Pourtant, elle ne se parfumait jamais. A quoi bon ? Elle ne sentait rien, cela aurait été inutile. Le matin, elle se contentait d’un bon savon et d’une eau de Cologne bien fraiche qu’elle rangeait dans son réfrigérateur. Cette sensation de fraicheur sur son corps lui donnait une bonne énergie pour la journée.
L’entretien fut satisfaisant, elle répondit à chaque question comme une véritable professionnelle, sans chercher ses mots. Les réponses lui venaient spontanément, elle en rajoutait même un peu, racontant l’histoire de tel ou tel parfum sans qu’on le lui demande. Elle n’avait rien laissé au hasard, copiant la tenue noire des vendeuses, un maquillage léger, coiffé ses cheveux longs en arrière les enroulant en un joli chignon retenu par des petites barrettes.
Elle fut engagée.
En vérité, elle avait un peu triché sur son CV en remplaçant vendeuse au rayon crémerie par vendeuse en parfumerie.
Elle commença dès le lundi matin. Elle se présenta à la boutique une demi-heure avant l’ouverture toute excitée par sa nouvelle fonction. Sonia s’occuperait désormais du rayon parfums pour hommes, de son réapprovisionnement, de sa bonne tenue et de maintenir le chiffre d’affaire. Chaque jour elle avait un objectif à atteindre. Elle aimait conseiller, accompagner les clients dans leur choix et les parfumer. Sa seule angoisse, celle de devoir reconnaitre un échantillon de parfum sans nom. Quand cela lui arrivait, elle biaisait, en demandant à une de ses collègues de l’aide. Elle s’excusait alors, d’être un peu enrhumée.
Vendre du parfum sans avoir d’odorat était un sacré challenge, mais malgré son handicap, elle arrivait à faire diversion.
Elle énumérait les ingrédients comme on récite une poésie ou la recette d’un grand chef, orange amère, jasmin avec une pointe de poivre de Sichuan, un soupçon de bergamote, quelques gouttes de vétiver, un bouquet de tubéreuses, une fine effluence de foin fraichement coupé, quelques miasmes de baie de genièvre, etc., etc.
Au-delà des effluves, elle aimait les flacons, leur histoire, le luxe et le prestige qui les rattachaient à tous ces noms connus dans le monde entier, à ces personnages mythiques passés à la postérité Monsieur Christian Dior, Mademoiselle Gabrielle Chanel, Monsieur Hubert de Givenchy... Beaucoup de ces noms n’évoquaient plus rien pour la plupart des jeunes gens, mais ces mêmes personnes, influencées par la mode et la publicité, ne rataient jamais la sortie d’un nouveau parfum de ces maisons prestigieuses.
A la parfumerie, Sonia gagnait deux cents euros de plus qu’à l’usine. Ce n’était pas négligeable, cela lui permettait de mettre enfin de l’argent de côté pour un futur voyage dont elle rêvait depuis toujours. Elle n’avait jamais quitté sa région et son plus grand souhait était de partir en voyage organisé vers une destination ensoleillée et exotique. Prendre l’avion, rien que d’y penser lui donnait des frissons. Elle ne savait pas si elle supporterait le décollage, le bruit des réacteurs, les trous d’air. Des collègues bien intentionnés lui avaient décrit en détail leurs pires expériences de voyage, et dans la perspective d’un départ imminent, elle faisait chez elle des exercices de respiration qui devaient, le jour venu, l’aider à supporter le stress du décollage. Comme tout ce qu’elle entreprenait, disciplinée, elle consacrait dix minutes chaque jour à ces exercices de relaxation. Son voyage n’était pas encore programmé, mais elle voulait le jour J être prête à s’envoler sans l’ombre d’un tourment.
Plusieurs mois s’étaient écoulés depuis son arrivée à la grande parfumerie du Centre. Sa patronne, madame Monceau, était très satisfaite de son travail. Sonia dépassait chaque mois l’objectif prévu. Personne, des clients ou des collègues, ne pouvait imaginer qu’elle manquait d’odorat, ils ne pouvaient pas se douter qu’elle était frappée d’hyposmie. Quand elle vaporisait du parfum au creux de la paume de sa main, elle fermait les yeux et décrivait chaque senteur comme si celle-ci venait lui piquer les narines. Tout le monde était bluffé. Madame Monceau parlait d’elle comme d’un nez exceptionnel.
Ils ne pouvaient pas imaginer le travail qu’elle fournissait chez elle. Chaque soir, devant son ordinateur, elle étudiait et apprenait par cœur les fragrances des nouveaux parfums.
À l’aide de petites fioles de senteurs diverses, elle s’employait à rééduquer son odorat. Depuis peu, elle arrivait, les yeux fermés, à discerner la vanille de la muscade ou de la cannelle, reconnaissait difficilement le jasmin et la fleur d’oranger, mais étonnamment, elle restait plus perceptible aux phéromones qui l’écœuraient. C’était chaque fois une grande victoire, mais ces sensations étaient furtives et lui demandaient beaucoup de concentration.
C’était devenu tellement obsessionnel qu’elle avait fini par imaginer ces odeurs. Ce n’était plus son nez, mais son cerveau qui lui renvoyait cette perception. Certaines émanations lui revenaient en mémoire comme la senteur des draps propres, celles d’une brassée de lilas mauve ou la forte odeur du goudron encore chaud. Retrouvait-elle son odorat ? Elle n’osait pas y croire !
Peut-être serait-elle déçue ? Comme un non-voyant qui imagine le monde autour de lui, elle s’était créé un univers olfactif et dans cet amalgame d’odeurs imaginaires, elle avait même ses préférences.
Elle se posait souvent la question, aimerait-elle découvrir les véritables senteurs des parfums ? La réponse ne venait jamais. Elle s’habituait tellement à laisser son imagination la porter que même ses goûts culinaires en étaient affectés. Le gratin de pommes de terre et la purée de pois cassés n’avaient plus le goût de son enfance. Elle ne gardait en mémoire que les odeurs de ses parents. Dans un tiroir de la commode, elle conservait comme des reliques, les mouchoirs de son père et quelques vêtements de sa mère, ceux-ci, avaient conservé l’odeur de son corps mêlée au n°19 de Chanel dont la note verte et terreuse du galbanum, la vivacité des aldéhydes adoucie par l’essence d’iris, laissait flotter à jamais son voile poudré et suave. C’était le parfum que lui avait offert son époux, elle n’en changea jamais.
Sonia essayait de ne pas penser à sa mère, mais quand le manque d’elle l’envahissait, une douce mélancolie l’entraînait vers un profond désespoir, elle ouvrait alors ce tiroir et plongeait son visage dans les piles de linge minutieusement rangées, retrouvant la bienfaisante et réconfortante odeur de sa mère qui l’apaisait.
Sonia n’avait plus de famille. Après le décès de sa mère, elle s’était occupée de son père malade. En bonne fille, elle sacrifia une partie de ses belles années à le soigner et fut très affectée par son départ. Elle regrettait de ne pas avoir osé rompre le silence avant son dernier voyage, ce lourd silence des sentiments que les gens simples et réservés comme eux n’exprimaient jamais. Leur pudeur extrême refoulait le moindre élan, on ne se touchait pas, on s’embrassait du bout des lèvres et l’on cachait ses chagrins comme quelque chose de honteux, d’impudique.
Elle se retrouvait seule à présent et prendre soin d’elle n’avait jamais été sa principale préoccupation. Elle dut réapprendre à vivre avec elle, s’apprivoiser, accepter son corps et son visage, s’occuper d’elle comme d’une personne trop longtemps négligée. Ce nouvel emploi l’avait beaucoup aidée. A la parfumerie, elle devait être chaque jour impeccable et elle s’y tenait !
Son rôle de conseillère en parfums pour hommes lui permettait d’approcher des messieurs auxquels elle n’aurait jamais osé parler. Elle les abordait timidement et peu à peu les entrainait vers les parfums de son choix, sachant trouver les bons mots pour les convaincre. Pour des hommes très bruns, à la peau épaisse, elle aimait les guider vers des parfums où l’ambre dominait, à base de coriandre, de myrte, de patchouli et de santal. Pour les sportifs, elle choisissait des notes marines avec une pointe d’agrume et une goutte de vétiver. Pour les délicats à la peau fine, elle préférait les hespéridés et certaines fleurs comme l’iris avec une pointe de vanille pour agrémenter le tout. Elle se délectait en décrivant les notes d’un « Habit rouge » de Guerlain, de « Baptême de feu » de Serge Lutens ou du dernier Hermès. Il était rare qu’un homme reparte les mains vides.
Les femmes aussi lui faisaient confiance. Souvent indécises, elles se laissaient guider, bercées par l’histoire de certains parfums suscitant le voyage, l’évasion et pour d’autres, l’élégance, la sensualité et l’énergie. Chaque mot était étudié et certains clients sortaient un peu étourdis par tant d’évocation. Elle était devenue peu à peu l’attraction de la ville et les gens venaient prendre un cours de senteur comme on prend un cours d’œnologie.
Pour trouver le cadeau qui pouvait convenir à certains hommes, Sonia posait des questions, elle voulait connaitre la couleur de leurs cheveux, celles des yeux, leur tempérament, leurs hobbies. Elle rentrait dans des détails à la limite de l’indiscrétion. Elle ne voulait pas se tromper et cherchait un indice qui la mènerait vers le parfum idéal. Souvent il n’avait plus rien à voir avec celui utilisé depuis des années par ces messieurs, mais elle insistait pour ce nouveau choix comme un médecin prescrivant un nouveau traitement.
Une femme lui confia que depuis que son compagnon portait le parfum qu’elle lui avait conseillé, elle s’étonnait de le regarder d’une manière différente. Elle ressentait à nouveau pour lui un nouvel élan passionnel trop longtemps enfoui sous des années de routine. De nouveau attirée par l’odeur de sa peau mêlée au nouveau parfum, sa simple présence lui procurait des montées de désir. Elle voulait connaitre le secret de ce parfum et de son philtre d’amour.
Pour certaines de ses clientes, Sonia possédait le talent d’une magicienne, ses propositions s’avéraient de véritables remèdes à la monotonie.
***
C’était le 11 juin ou peut-être le 13, un vendredi, elle en avait la certitude, le jour des livraisons, celles-ci se font toujours le vendredi.
Accroupie, elle rangeait méthodiquement les coffrets de parfums dans les tiroirs du bas. C’est à ce moment-là, qu’elle se trouva envahie, transportée, soulevée littéralement du sol par un nuage d’odeurs. C’était comme un souffle, une mini tornade, un sillage de senteurs qui lui traversait le corps. Cette perception, enfouie depuis tant d’années, resurgissait du fond de ses souvenirs. Sonia humait avec avidité cet effluve qui s’offrait à elle, il submergeait ses sens, lui faisant presque tourner la tête. Tous les tiroirs de sa mémoire s’ouvrirent en même temps et ce flot d’odeurs l’envahit jusqu’à lui donner la nausée.
Un homme venait de passer devant elle et à lui seul, il venait de déverser sur son passage une brassée de blés fraichement coupée, une compotée de prunes aux senteurs boisées où dominaient le cèdre et la vanille de Madagascar. Elle avait pu, pour la première fois, retrouver tous les ingrédients de ce parfum d’exception, un parfum unique senti sur aucune autre personne. Stupéfaite, elle se redressa pour apercevoir l’homme qui avait réussi à stimuler ses récepteurs olfactifs endormis depuis tant d’années.
Environ la quarantaine, élégant, d’un physique avenant, il portait un costume de bonne facture et des chaussures impeccablement cirées. Légèrement dégarni sur le sommet du crâne, il devait, par coquetterie, s’employer chaque matin à positionner les mèches plus longues de devant pour qu’elles dissimulent son début d’alopécie. Les mains étaient longues et fines, il caressait du bout des doigts chaque flacon testeur. Cela intrigua Sonia, il n’essayait même pas de sentir leur contenu sur sa peau, il semblait ne vouloir que les regarder et les toucher. En s’approchant de lui, elle ressentit presque un dégoût dû à l’odeur forte que dégageait son parfum, sa proximité le rendait