Postures professionnelles et positionnements: Les positionnements révélateurs de la professionnalisation vécue par les Alternants
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À propos de ce livre électronique
A l’heure actuelle, nous assistons à la prédominance de la professionnalisation dans les systèmes de formation. Complexe, ce processus implique une multiplicité d’acteurs qui en définissent et redéfinissent les contours. Inscrit dans cette mouvance, l’AFPA Bretagne tend à renforcer la professionnalisation au sein de son offre de formation, centrée sur l’alternance. Cette intention cadre et anime le parcours de formation des alternants. Dans cette complexité, quelle professionnalisation vivent et construisent les alternants ?
L’enjeu de cette recherche est d’appréhender le système de professionnalisation en alternance à travers l’expérience vécue des alternants.
Quels types de positionnements émergent de l’analyse des postures professionnelles adoptées par les alternants en contrat de professionnalisation durant leurs parcours de formation ? Le cas des alternants du secteur tertiaire en contrat de professionnalisation à l’AFPA.
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Aperçu du livre
Postures professionnelles et positionnements - Béatrice Alexandre
Postures professionnelles et Positionnements
Béatrice Alexandre
Postures professionnelles et positionnements
Les positionnements révélateurs de la professionnalisation vécue par les Alternants
Les Éditions Chapitre.com
123, boulevard de Grenelle 75015 Paris
© Les Éditions Chapitre.com, 2017
ISBN : 979-10-290-0772-9
Glossaire
ANI : Accord National Interprofessionnel
CAP : Certificat d’Aptitude Professionnelle
AFPA : Agence pour la formation professionnelle Adultes
OPCA : Organisme Paritaire Collecteur Agréé
RNCP : Répertoire National de Certification Professionnelle
SIFA (Master) : Stratégie et Ingénierie en Formation d’Adultes
EPIC : Etablissement Public Industriel et Commercial
CNEFOP : Conseil National de l’Emploi, de la Formation et de L’Orientation Professionnelles
2PLG : Pré Professionnalisation des licences Générales
GRN : Groupe National de Référence
MUM : Manager en Univers Marchand
RR : Responsable de Rayon
ECM Employé Commercial en Magasin
FTLV : Formation Tout au Long de la Vie
Introduction
Si l’ingénierie de formation se conçoit, se construit et se conduit, elle doit aussi composer avec autant de contradictions et de complexités inhérentes aux métiers de l’humain. Remaniée, évolutive et changeante, la formation est ainsi traversée par des logiques et enjeux dominants. Certains termes ou concepts sont alors présentés comme inévitables, c’est le cas de la professionnalisation, devenue incontournable dans les milieux de la formation. Que ce soit un levier de rapprochement des systèmes de travail et de formation, un moyen de lutter contre le chômage ou une nouvelle voie de légitimité et d’utilité pour les organismes de formation, comme le souligne Wittorski, la professionnalisation a « d’évidence le vent en poupe » (2008). Le développement de l’alternance passe par des formations rémunérées et tutorées qui répondent à cette dynamique de professionnalisation. L’AFPA, centre son offre de formation sur cette modalité spécifique. Les pratiques et les usages de l’alternance évoluent au sein des contextes socioéconomiques, au gré des politiques d’emploi et de formation. Plus de 30 ans après la loi Delors, du 16 juillet 1971, la loi relative à la Formation Professionnelle Tout au Long de la Vie et du dialogue social (loi du 4 mai 2004 publiée au JO le 5/05), entraîne un bouleversement du paysage de la formation en France. Dans le système de l’alternance cette réforme se traduit notamment par une simplification des dispositifs et la volonté de développer l’accès à la formation aux publics dits éloignés de l’emploi. Par-delà la simplification, il s’agissait de transformer la nature de ces contrats et d’insister sur la notion de professionnalisation. Ces contrats représentent un enjeu stratégique de développement pour l’organisation. Nous confrontons ici la rencontre entre une offre de formation, répondant à une stratégie de développement et de légitimité spécifique à la structure, et la demande de formation, répondant aux attentes des individus, eux-mêmes développant des stratégies propres en adéquation avec leur projet individuel. Si les intentions de professionnalisation affichées et recherchées par l’organisme de formation (professionnalisation prescrite) sont clairement explicites, les effets sur le positionnement des alternants semblent étonnamment méconnus. A travers une approche qualitative, nous allons appréhender la professionnalisation vécue par les alternants suivant une formation qualifiante dans le secteur tertiaire. Si l’intention de professionnalisation est l’acquisition de compétences techniques en vue d’exercer cette activité professionnelle, les usages faits par les alternants sont alors questionnés. L’objectif de cette recherche est d’appréhender ce système de professionnalisation en alternance, d’en comprendre les logiques par l’expérience vécue. Ainsi la formation est vue comme un processus de transformation identitaire de la personne qui passe par l’élaboration de différentes postures professionnelles. Cette transformation est le fruit d’un travail de l’individu, sur le sens qu’il donne à la formation. Les contrats d’alternance sous statut salarié sont des intentions de professionnalisation et offrent des possibilités pour l’individu d’adopter des postures professionnelles variées dont le positionnement est la mise en œuvre.
Ce qui est questionné ici c’est la nature des opportunités offertes à l’individu en termes de construction de postures professionnelles dans le cadre d’un contrat de professionnalisation. Cette recherche se centre autour de la question suivante :
Quels types de positionnements émergent de l’analyse des postures professionnelles adoptées par les alternants en contrat de professionnalisation durant leurs parcours de formation ? Le cas des alternants du secteur tertiaire en contrat de professionnalisation à l’AFPA.
Immergée dans l’action en tant que stagiaire dans le service Ingénierie de formation de la Direction régionale de l’AFPA Bretagne, ce travail de recherche constitue pour l’organisme l’opportunité d’un regard extérieur sur ses pratiques en matière d’alternance. Pour mener à bien cette mission le passage au statut de chercheur nécessite un travail sur soi sur un plan professionnel et personnel. La recherche ainsi considérée comme un processus continu tout au long de la période de stage fait l’objet dans un premier temps d’un travail de posture et de positionnement entre distanciation et implication. D’emblée le terrain abordé est à la manière d’un chercheur immergé dans un système dont il ne connaît ni le fonctionnement, ni les mécanismes sociaux sous-jacents. Inspirée des approches ethnosociologiques, cette posture de recherche permet d’adopter une attitude de curiosité et de questionnements. Ainsi, ce terrain a été considéré comme un « microcosme », avec un fonctionnement spécifique et une culture particulière interagissant dans son contexte d’appartenance : le macrocosme. Ce dernier est représenté par le milieu de la formation au sein de notre société. Ceci induit notamment que des changements intervenant dans la structure (microcosme) sont à resituer dans un contexte socio-historique plus large que représente notre société (macrocosme). Ainsi la mise en œuvre du contrat de professionnalisation au sein de la structure, s’inscrit dans la dynamique générale de professionnalisation de l’offre de formation. Les dispositifs de formation seraient donc des construits sociaux révélateurs d’enjeux historiquement et socialement situés. Pour pouvoir trouver un juste équilibre entre une certaine distanciation nécessaire à tout travail de recherche et une implication inhérente à l’objet et aux personnes concernées, la posture adoptée ici est celle de chercheur praticien. Il s’agissait alors, dans un premier temps, par une période d’immersion et d’observation, d’appréhender ce terrain de recherche spécifique : son fonctionnement et ses enjeux, tout en l’inscrivant dans une perspective à plus grande échelle, à savoir son contexte sociohistorique. Dans cette partie nous verrons que les intentions de l’AFPA répondent au mouvement général de professionnalisation des formations et constituent un enjeu de développement et de légitimité de son offre. Nous nous demanderons alors si ces intentions correspondent à la demande, ce qui amène à nous intéresser à la manière dont ces dernières sont réellement vécues par les alternants. Dans le but d’appréhender qualitativement ce processus vécu nous ferons un détour théorique, en reliant la professionnalisation aux postures professionnelles adoptées par les apprenants. Cet éclairage nous permettra d’aborder l’expérience-vécue des alternants au sein du dispositif de formation, à travers une démarche spécifique. Pour étudier cette notion de posture professionnelle nous allons effectuer un déplacement sur la mise en œuvre représentée par le positionnement. En effet les postures professionnelles relèvent d’un processus complexe qui nécessite une étude dans la durée. Le temps du Master conduit à limiter l’étude en abordant seulement l’indicateur observable. Ainsi nous identifierons les différents types de positionnements définis à partir de l’analyse des six dimensions constituant la posture professionnelle (Lameul, 2016) que nous catégoriserons de la manière suivante : identité civile, élément déclencheur, le rapport au métier, à l’emploi et à la formation engagée. Cette recherche s’inscrit dans une approche qualitative, que nous détaillerons dans la seconde partie de ce corpus (approche méthodologique). La professionnalisation-vécue, appréhendée à travers le discours des alternants, fera émerger quatre types de positionnements spécifiques. Ces derniers incarnent les réponses développées par les alternants au sein de cet espace-temps de formation. Ils sont autant de stratégies que les alternants mettent en œuvre dans ce travail de transformation impliqué par la formation.
Les logiques ainsi repérées mettent en écho celles poursuivies par l’organisme de formation. Si les intentions et les attentes de professionnalisation sont inhérentes au dispositif de formation, il s’agit de questionner leur articulation. L’accompagnement peut-il incarner cet espace d’articulation ?
Première partie
Exploration
1
Professionnalisation et alternance
Professionnalisation
Dans le contexte actuel de crise économique très sensibilisé par les questions du travail et de l’emploi, la professionnalisation est un sujet d’actualité. Le processus de professionnalisation est une « tendance générale des systèmes éducatifs et se traduit par des transformations des acteurs, des métiers, des formations, des savoirs et des compétences professionnelles » (Bourdoncle, 2000, p. 5). Comme le souligne Wittorski, l’engouement de notre société pour cette notion, tient principalement dans la « nécessité de finaliser davantage les apprentissages par rapport aux situations de travail, d’articuler plus étroitement travail et formation, de développer des expertises multiples (…) dans des contextes d’activités qui changent de façon quasi permanente » (Wittorski, 2008, p. 12). D’après Champy-Remoussenard (2008), la professionnalisation est à lire comme un indicateur de la forme prise actuellement dans nos sociétés de la relation éducation/formation/travail. Les institutions éducatives se trouvent aujourd’hui confrontées à la « nécessité » de professionnaliser, c’est à dire qu’elles sont « continuellement interpellées quant à leur capacité à préparer celles et ceux qui sortent des dispositifs de formation à mobiliser des compétences adéquates dans les milieux du travail », (p. 54).
L’importance accordée à la professionnalisation a un impact direct sur la valeur et la reconnaissance des diplômes. En effet, la valeur et l’attractivité des diplômes sont directement jaugées à leur capacité de professionnaliser. Ce « modèle » de professionnalisation systématisé, au niveau des formations, se traduit notamment dans la création et mise en œuvre du Répertoire Nationale des Compétences Professionnelles (loi du 17 janvier 2002). « C’est une véritable révolution puisque les diplômes ne seront plus pensés en contenus, mais en termes de compétences », (Brémaud et Guillaumin, 2010, p. 85). Revenons sur les conditions d’émergence de ce concept, dans nos sociétés, pour comprendre les enjeux et les différentes formes de ce processus. Pour retracer le contexte d’émergence de la professionnalisation, nous centrerons nos propos autour des travaux de Wittorski.
Contexte d’émergence du contrat de professionnalisation
Le terme professionnalisation est apparu successivement dans des espaces et à des époques différentes (groupes sociaux dès la fin XIXe siècle, entreprises et milieu de la formation depuis quelques décennies, singulièrement en France) pour signifier des intentions très variées : « entre volonté d’un groupe d’individus partageant la même activité de s’organiser sur un marché libre, intention des institutions de faire bouger
les salariés de manière à accompagner une flexibilité grandissante du travail et souhait de contribuer au développement des compétences des individus par la formation », (Wittorski, La professionnalisation, 2008, p. 15). D’après Wittorski (2008) trois sens peuvent être attachés à ce concept : la constitution d’un groupe social autonome (« professionnalisation-profession »), l’accompagnement de la flexibilité du travail (« professionnalisation-efficacité du travail ») et le processus de fabrication d’un professionnel par la formation (« professionnalisation-formation »).
Dans les années 50, aux Etats-Unis, le champ de la sociologie des professions fait émerger deux approches : l’approche fonctionnaliste et l’approche interactionniste. Dans la première acception, la professionnalisation est un processus par lequel une activité devient une profession libérale. Parsons dans ces années-là s’inscrit dans ce courant de pensée fonctionnaliste, et construit son modèle à partir de l’étude des professions médicales et juridiques. Il assoit la légitimité de ces professions en justifiant leur statut de professions établies. Dans cette perspective, les professions ont deux grands traits caractéristiques : la compétence techniquement et scientifiquement fondée et l’acceptation d’un code éthique commun. Contrairement à cette approche, les interactionnistes de l’école de Chicago dont les représentants sont entre autre Goffman, Becker et Hugues partent du postulat selon lequel les groupes de professionnels se construisent par interactions entre l’environnement et l’individu. Ils valorisent les professions comme des formes d’accomplissement de soi. En France le mot profession admet différents sens. Dans cette diversité, apparaît, d’après Dubar et Tripier (cité dans Wittorski, 2008) il existe quatre grands champs sémantiques associés à quatre types d’usages :
Profession, issu du latin professio : action de déclarer hautement ses opinions ou croyances,
Profession : occupation par laquelle on gagne sa vie,
Profession : ensemble des personnes exerçant un même métier. Son sens est proche de celui de corporation ou de groupe professionnel, Profession : position professionnelle.
C’est à travers ce maillage de significations que le concept de professionnalisation va se construire.
Ainsi la professionnalisation est considérée, d’après Wittorski (2008) comme une mise en mouvement des individus dans un contexte de travail flexible et d’institutionnalisation de l’activité. Les usages faits du mot professionnalisation par les milieux du travail, notamment par les organisations de production placées sur des marchés concurrentiels – relèvent d’une intention organisationnelle : « accompagner la flexibilité du travail au niveau des salariés » (Wittorski, 2008, p. 12). La modification continue des compétences est en lien avec l’évolution des situations de travail. Le concept de professionnalisation est considéré comme étant un levier de rapprochement entre travail et formation. Il consiste à la fabriquer un professionnel par la formation.
A travers ce processus, il s’agirait de tenter une articulation plus étroite entre l’acte de travail et l’acte de formation. Ce rapprochement traduit la volonté de développer l’efficacité perçue des dispositifs, c’est-à-dire d’améliorer la place et la légitimité des pratiques de formation. Dans cette perspective, l’usage de la professionnalisation est lié à celui du concept de compétence.
Ainsi nous pouvons dégager des significations et des enjeux différents, autour de l’intention de professionnalisation, qui s’insèrent dans le jeu de régulation sociale. Il semble ainsi que la professionnalisation relève d’une intention sociale et de fait fasse l’objet d’une idéologie forte.
Les enjeux de la professionnalisation
Demazière (2009) dégage trois « Catégories » liées à chacun de ces sens. « Une catégorie politique ou administrative, introduite dans le champ des politiques publiques » (Ibid.). Dans ce cadre, la professionnalisation est définie par l’objectif de développement de nouvelles activités, qui démontreraient leur utilité, s’affirmeraient comme indispensables et finalement se transformeraient en emploi. Cette visée normative suppose de rassembler un ensemble de tâches et de leur attribuer un nom de métier, de faire émerger une demande et au-delà un marché de services ou de produits. « Le processus de professionnalisation est alors orienté vers le développement de l’emploi, et il est promu par les pouvoirs publics qui cherchent à identifier ce que l’on nomme dans le langage administratif des gisements d’emplois. » (Demazière, 2009 p 83-90). Dans une telle perspective, l’action publique encourage également la professionnalisation des formations, car destinée à améliorer l’insertion professionnelle des formés, et en ce sens les finalités restent l’emploi.
« Une catégorie culturelle ou identitaire, qui peut être mobilisée par tout travailleur, individuellement ou à travers des actions organisées, à propos de sa situation et de sa carrière ». Dans ce cadre, elle est un effet quasi mécanique de l’expérience. Il s’agit d’accumuler de l’expérience dans la réalisation d’une tâche, mieux la maîtriser, enrichir ses savoir-faire, progresser dans l’accomplissement de son travail, se professionnaliser.
« Une catégorie managériale ou gestionnaire », qui traduit des exigences adressées aux travailleurs à propos de ce qu’ils font. Sont concernés ici le produit ou résultat du travail.
Dans chacune de ces catégories la professionnalisation est un objectif considéré comme légitime, souhaitable ou nécessaire : pour les pouvoirs publics attachés au développement de l’emploi et à la réduction des situations de privation d’emploi ; pour les travailleurs valorisant leur activité et souhaitant une reconnaissance de leur métier ; pour les gestionnaires exigeant un surcroît d’efficacité ou de qualité dans la production des biens ou services par les travailleurs. La définition des enjeux liés aux usages de la professionnalisation permet d’éclairer ce processus et les significations qui lui sont attribuées selon l’objet concerné.
« Si le processus est souvent perçu de manière générale, il peut prendre des formes différentes selon l’objet prioritairement visé », (Bourdoncle, 2000, p 5). L’auteur présente la professionnalisation comme étant un processus, ou cours duquel des aspects différentiels d’usages peuvent être repérés selon l’objet prioritaire auquel il se réfère. Cinq objets, révélateurs de ses significations sont distingués : l’activité elle-même ; le groupe qui exerce cette activité ; les savoirs liés à cette activité ; l’individu exerçant l’activité et la formation à l’activité. « Les aspects ici distingués peuvent se trouver partiellement liés dans des processus plus globaux de professionnalisation, qui affectent à la fois les formations et les personnes, les activités, les groupes et les savoirs » (ibid., 2000, p. 118).
L’approche par objet permet de mieux différencier l’importance de chacun dans le processus global. D’après Demazière (2009) il faut considérer le processus de professionnalisation « comme temporel mais aussi social, c’est-à-dire travaillé par des interactions, des échanges, conflits, des négociations qui impliquent une multiplicité d’acteurs » (p. 87).
Dès lors il convient d’aborder la professionnalisation dans une vision systémique. Wittorski identifie trois pôles de professionnalisation qui « sont en interaction permanente dans un triptyque dynamique. » (Wittorski, 2008)
Figure 1 : Les trois pôles de la professionnalisation (Wittorski, 2008)
Notre objet d’étude se réfère davantage à la dimension qui permet de professionnaliser l’individu exerçant l’activité. Quand le processus est centré sur la personne, il relève d’une dynamique de construction identitaire individuelle et collective d’où émerge la posture professionnelle adéquate. Au quotidien la professionnalisation se construit à partir de cette posture et dépend d’une reconnaissance par les autres des compétences et des savoirs produits. Ce processus s’inscrit dans un système complexe, mobilisant les différents pôles de la professionnalisation. Dans cette perspective, la professionnalisation est donc à la fois une intention (du côté de l’organisme de formation et des branches professionnelles), un processus de développement professionnel (du côté des acteurs professionnels et des alternants) et une transaction (entre le formé et les situations de formation) en vue de l’attribution d’une professionnalité. Ainsi la professionnalisation est : « un processus de négociation, par le jeu des groupes sociaux, en vue de faire reconnaître l’autonomie et la spécificité d’un ensemble d’activités et un processus de formation d’individus aux contours d’une profession existante » (Sorel et Wittorski, 2005, p. 28). Nous retiendrons que la professionnalisation des salariés implique une alternance entre des situations de travail et des actions de formations. L’alternance est alors considérée comme un dispositif d’apprentissage.
Alternance
Un construit social
L’alternance comme dispositif d’apprentissage spécifique est le fruit d’une longue histoire. Prenons ici quelques repères. Dès la fin du moyen âge l’apprentissage se réalisait sur le lieu de production par le système du compagnonnage et pouvait être considéré alors comme une pratique d’alternance. Plus tard au XVIIIème siècle la pensée des philosophes des Lumières plaide en faveur d’une alliance entre le savoir théorique et le savoir-faire technique. Cette pratique était porteuse de certaines valeurs telles que la valorisation des savoirs acquis par les actions réalisées, l’engagement du tuteur auprès de son apprenti. Ce système connaît des limites et notamment la prépondérance du travail productif sur les savoirs théoriques. Elles seront à l’origine de la réflexion qui consistera à envisager la séparation des lieux d’apprentissage et des lieux de production. Au 19è siècle, l’alternance s’inscrit dans un mouvement social, ce qui engendre des débats sur l’apprentissage. La loi Astier du 25 juillet 1919 est l’aboutissement des débats sur « la crise de l’apprentissage », elle définit l’organisation de l’enseignement technique industriel et commercial. Ainsi institutionnalisée, l’alternance met en œuvre des cours professionnels gratuits et obligatoires pour les apprentis. A partir de 1974, la montée de la crise économique qui fera émerger le problème du chômage des jeunes, donnera à l’alternance une légitimité pour favoriser notamment l’insertion des jeunes en difficultés à la sortie du système scolaire. L’AFPA élargit à ce moment-là ses activités en direction des demandeurs d’emplois, l’alternance se développe en lien avec l’idée d’insertion professionnelle. L’alternance revêt désormais une utilité sociale, l’objectif est de réduire le chômage et d’insérer les jeunes. A partir de 2009 le gouvernement s’engage fortement dans le développement de la formation par alternance. Après l’institutionnalisation de la séparation des lieux de travail et de formation. Il semblerait aujourd’hui que l’on se dirige à nouveau vers une harmonisation de ces deux lieux en donnant à nouveau aux entreprises la possibilité de devenir des lieux de formations.
D’après Combes (1996, p. 7) « Un remède unique, l’alternance, est appliquée à des maux dont les causes sont multiples qu’il s’agisse de l’échec scolaire, des difficultés d’insertion, de l’inadaptation des formations aux emplois. L’alternance est utilisée aussi bien pour résoudre des problèmes internes au système éducatif que pour atténuer les difficultés de la relation entre formation et emploi ». L’alternance est un construit social avec des enjeux spécifiques que nous définissons de la manière suivante :
Le terme « alternance » regroupe des situations de formations variées dans lesquelles les entreprises sont parties prenantes. Comme l’indique Agulhon (2000, p. 16) : « l’alternance s’inscrit donc dans des relations qui relèvent parfois de l’évidence, la formation préparant l’entrée dans la vie active, mais aussi de la complexité, les mondes scolaires et économiques évoluant selon des logiques différenciées ». Elle s’applique dès lors qu’il y a partage des responsabilités et des lieux de formation entre un organisme de formation et une entreprise. Elle s’organise par une succession de périodes formation-emploi et comme le souligne Clénet (2010) : « une alternance de situations expérientielles et de situations formelles » (Clénet cité dans Brémaud et Guillaumin, 2010, p. 250). La mise en place de l’alternance en formation repose sur l’idée que le travail est formateur. L’alternance est souvent présentée « comme une sorte d’évidence pratique liée à la nécessité de rapprocher l’école de l’entreprise, la théorie de la pratique » (Geay, 2007, p. 29). Dans ce cadre nous identifions une relation triangulaire entre trois acteurs principaux : le formateur (organisme de formation), le tuteur (entreprise), et l’alternant.
De manière générale, selon les contextes l’alternance prend des formes différentes avec des enjeux bien distincts pour les différents acteurs.
Les différentes formes d’alternance
Une pratique multiforme
Au regard des différentes règlementations existantes, l’alternance est multiple. En France elle prend deux formes institutionnelles : l’une sous contrat de travail et l’autre sous statut scolaire.
Le développement de l’alternance sous le statut scolaire s’est démocratisé avec la mise en place des baccalauréats professionnels et s’est étendu progressivement à d’autres diplômes professionnels (CAP, BEP, BTS, DUT), pour atteindre aujourd’hui les niveaux supérieurs dans les enseignements universitaires. Jusqu’alors destinés aux diplômes ou titres professionnels, des travaux en cours visent à l’intégrer dans des cursus de formation générale (Projet 2PLG en cours à l’université de Rennes 2).
Sous le contrat de travail, nous retrouvons les dispositifs de professionnalisation que sont le contrat de professionnalisation qui nous intéresse dans cette recherche et la période de professionnalisation. Sur le plan financier, l’alternance mobilise différents circuits et modes de financement selon sa forme institutionnelle. Sous le contrat de travail nous trouvons deux circuits, celui de la taxe d’apprentissage d’un côté et de l’autre le financement de la professionnalisation par les OPCA. Elle présente également un caractère multiforme quant au statut des personnes (statut scolaire ou contrat de travail) ; aux publics auxquels elle s’adresse (jeunes, demandeurs d’emplois, salariés) ; aux différentes formes d’entreprises qui la mettent en œuvre. Enfin l’alternance revêt des modalités pédagogiques différentes (durée, rythme, supports) selon l’organisme de formation considéré.
Une pratique complexe
L’alternance au service de la formation représente l’interface entre le système travail et le système formation. Ainsi la professionnalisation de l’individu semble impliquer des situations d’alternances dont les différentes formes selon Merhan, Ronveaux et Vanhulle (2007), seraient le résultat de l’interaction entre trois pôles dans un contexte et une époque situés : institutionnel, organisationnel et actoriel. Ces pôles s’articulant autour de trois acteurs qui constituent la pédagogie de l’alternance.
Figure 2 : Pédagogie de l’alternance (Merhan, Ronveaux et Vanhulle, 2007)
Il semble donc que la professionnalisation de l’individu par l’alternance relève d’un système complexe puisqu’elle doit articuler ces trois pôles avec au centre trois acteurs principaux que sont : l’apprenant, le formateur et le tuteur. Nous allons dans le cadre de cette recherche considérer l’alternance comme un processus de professionnalisation permettant à l’individu d’adopter des postures professionnelles adaptées au contexte et à la situation que nous analyserons à travers le positionnement adopté. Ainsi dans ce cadre considérant l’alternant « Savoir adopter une posture professionnelle semble correspondre, dans les espaces de travail, à une attente sociale commune. Le sens commun associe en effet la posture dite professionnelle à l’idée d’un agir compétent » (Starck, 2016). Cependant « l’agir compétent » relève de la capacité de l’individu à prendre en compte et analyser le contexte dans lequel il se situe pour ensuite prendre une décision (positionnement) et agir. Le modèle de la compétence définit par Le Boterf (1998) comprend trois composantes : « savoir agir, vouloir agir, et pouvoir agir ». Ainsi la posture professionnelle développée par l’apprenant dans le cadre d’une situation d’alternance peut s’interpréter de la manière suivante :
Figure 3 : Représentation personnelle de la notion de posture professionnelle dans le cadre d’une situation d’alternance définie à partir des trois composantes du modèle de la compétence (Le Boterf, 1998)
Le « Savoir agir » peut être développé par la formation en entreprise et en centre de formation dans les mises en situations d’apprentissage par exemple.
Le « Vouloir agir »sera encouragé par le contexte incitatif qui favorisera l’adoption d’une posture professionnelle et un positionnement émergeant. La motivation de l’individu à s’engager dans le parcours entre également en jeu dans la construction de cette posture. Nous considérons le positionnement comme étant l’indicateur visible de la posture professionnelle adoptée par l’alternant dans un contexte spécifique à un moment donné de son parcours de formation.
Le « Pouvoir agir » sera rendu possible par une organisation de travail et un contexte facilitateurs. « Comprendre l’usage de la posture demande ainsi, comme l’indique déjà Lameul (2008), de considérer l’environnement sociotechnique dans lequel elle prend forme ». (Stark, 2016). Ces trois composantes sont interdépendantes, ainsi analyser la posture professionnelle d’un individu nécessite de comprendre dans quel contexte il évolue. L’approche systémique de la notion de posture professionnelle qui consiste à analyser l’intention de l’individu en prenant en compte son contexte, nous amène à penser qu’au cours d’un même parcours de formation des postures différentes sont adoptées avec des indicateurs variés directement observables (les positionnements). Ces