Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

La Robe sanglante
La Robe sanglante
La Robe sanglante
Livre électronique177 pages2 heures

La Robe sanglante

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Février 1819. Lazare, un jeune orphelin élevé par son grand-oncle, notaire à Clermont-Ferrand, est chargé par lui d’une mission au château de Valjuols, quelque part dans les monts d’Auvergne, auprès du baron de Layrens. Au terme d’un voyage parsemé d’embûches et d’expériences extraordinaires, qui prend les allures d’un parcours initiatique, il comprendra le but véritable de sa mission, qui ressemble par bien des aspects à une quête des origines.
LangueFrançais
Date de sortie23 juin 2014
ISBN9782312022680
La Robe sanglante

Lié à La Robe sanglante

Livres électroniques liés

Fiction générale pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur La Robe sanglante

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La Robe sanglante - Sylvain Cornil-Frerrot

    cover.jpg

    La Robe sanglante

    Sylvain Cornil-Frerrot

    La Robe sanglante

    Roman

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    Sunt geminæ Somni portæ : quarum altera fertur

    Cornea, qua veris facilis datur exitus umbris,

    Altera candenti perfecta nitens elephanto,

    Sed falsa ad cœlum mittunt insomnia Manes.

    His ubi tum natum Anchises unaque sibyllam

    Prosequitur dictis, portaque emittit eburna.

    Virgile, L’Énéide, VI, 893-898.

    Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible.

    Gérard de Nerval, Aurélia, I, 1.

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-02268-0

    À Hoffmann

    Tandis que le chat Murr musarde sur les toits ;

    Que les trois serpents d’or sur un sureau lutinent

    Et qu’enchante le jeune Anselme Serpentine ;

    Qu’à Juliette abandonne un Érasme pantois,

    À la Saint-Sylvestre, son reflet, sans effroi ;

    Qu’à Médard, en son cloître, à la passion encline,

    Aurélie confesse le trouble qui la mine ;

    Qu’à sa tâche, toujours, Berthold porte sa croix

    Qui condamne l’artiste à vivre dans le rêve,

    À nier que jamais l’hyménée l’art élève,

    À s’abîmer enfin dans la nuit, sans un cri ;

    Que de Julie Benzon, loin, dans quelque abbaye

    Jean Kreisler les yeux fuit, sous la nuit ébahie ;

    Le cerveau enflammé, malade, Hoffmann écrit.

    1. Où notre héros vit une bien cruelle aventure

    Les rayons du soleil perçaient timidement la brume, en ce matin de février 1819, tandis que maître Bayle, penché sur ses papiers, épluchait en son étude, sise rue du Port, à Clermont, le courrier que son secrétaire venait de lui porter. Quand il eut achevé sa lecture, le vieux notaire fit demander son petit-neveu, Lazare. Le jeune homme, qui terminait alors de mettre au net un acte de notoriété, soigneusement calligraphié, quitta aussitôt son pupitre. Un instant après, il était introduit dans le bureau de son grand-oncle.

    « Mon neveu, fit le septuagénaire, en l’invitant à s’asseoir, avec une gravité calculée, j’ai une mission assez délicate à te confier. Je viens juste de recevoir une lettre de Valjuols. M. de Layrens, avec qui je suis en relations depuis un certain nombre d’années, m’écrit pour réclamer notre aide toutes affaires cessantes. Maints sujets, au nombre desquels il me faut compter, naturellement, le règlement de la succession Pradeux, me retiennent ici pour une durée encore indéterminée. D’ailleurs, je ne suis plus aussi gaillard qu’autrefois, et je ne me vois guère, à mon âge, courir en cette saison dans les montagnes. Je te saurais gré, par conséquent, de t’y rendre à ma place, pour me représenter. Tu maîtrises parfaitement la rédaction des actes notariaux ; il n’y a donc pas de raison à ce que tu ne les satisfasses aussi bien qu’un autre. En outre, ce devrait être une merveilleuse occasion, pour toi, de te frotter sur le terrain aux traverses du métier. »

    D’un naturel trop obligeant pour trahir les espérances que le vieil homme entretenait à son sujet, Lazare ne songea pas un instant à discuter ses volontés. Non qu’il ne tremblât, dans son for intérieur, à l’idée d’un tel périple, qui s’accordait si peu avec ses mœurs paperassières, des mœurs si profondément ancrées dans ses habitudes que, parmi ses bons amis, l’on s’amusait à le traiter de vrai « rat de bibliothèque ». Le nez plongé tout le jour dans ses dossiers, il ne les délaissait le plus souvent, le soir venu, que pour s’abandonner aux délices de la lecture. De quels arguments ne devait-on pas user pour l’entraîner, de temps à autre, dans un café ou au théâtre ! Quant à ses promenades, généralement solitaires, elles ne le menaient guère au-delà des boulevards. Dans ces conditions, comment eût-il pu exprimer un enthousiasme sincère ?

    Toutefois, il eût considéré comme une marque d’ingratitude insigne de chicaner devant un tel geste de confiance. Les arguments de son grand-oncle ne l’avaient certes guère convaincu, mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir ému devant d’aussi aimables faux-fuyants, destinés de toute évidence à lui cacher l’extrême générosité de leur auteur, et qui témoignaient surtout d’une délicatesse admirable.

    « Je rougirais, vous le savez, mon oncle, de manquer à mon devoir le plus élémentaire dans une circonstance où il m’est permis de vous prouver ma reconnaissance. Mais vous n’avez pas besoin de vous déprécier ainsi, de vous humilier, pour cacher vos bontés. Malgré l’âge, vous êtes toujours très gaillard, et l’aventure, je le sais, ne vous fait pas peur. J’ai souvenir qu’il y a trois ans, alors que vous étiez si cruellement accablé de travail, vous avez tout abandonné pour rejoindre la capitale, où quelque vieil ami inconnu réclamait votre secours. L’hiver dernier, de même, ne vous êtes-vous pas rendu à l’abbaye de Féniers, en dépit de la neige et des rigueurs du froid qui règnent dans les montagnes en cette saison ? Et cet été, encore, oublieux des fatigues du voyage, n’avez-vous pas pris la route de Lyon ?

    – C’est pourtant vrai ! fit le notaire, en souriant malicieusement.

    – Vous voyez ! J’accepte avec reconnaissance l’honneur que vous me faites en me confiant cette mission. Mais peut-être présumez-vous de mes forces. Loin de moi l’idée d’échapper à mes responsabilités, mais un stagiaire aussi inexpérimenté que moi est-il le plus à même de la remplir, si l’affaire s’avère par trop délicate, et ne vaudrait-il pas mieux, sinon que je vous en laisse toute la charge, du moins que je me borne à vous assister ? Les dossiers en suspens ne présentent pas de telles difficultés que votre premier clerc ne puisse régler, et je ne saurai peut-être pas me débrouiller…

    – Non, non, tes scrupules t’honorent, Lazare ; mais c’est en connaissance de cause que tu as été choisi ; tu es la personne idoine, crois m’en. Je connais tes qualités et, pour tes défauts, ils sont ceux de la jeunesse, et je sais que tu sauras les surmonter, le moment venu. »

    Il se tut un moment, le temps pour lui de mettre une bûche dans le poêle, qui chauffait dans le coin. Puis, reprenant sa place à son bureau, il se mit à toussoter, avant de glisser, d’une voix légèrement narquoise : « Mais suis-je sot ! peut-être souhaites-tu, avant que de te prononcer définitivement, consulter Mlle Mabru ? »

    À ce nom fatal, Lazare blêmit légèrement. « Ah, mon oncle ! » bredouilla-t-il, « vous savez donc… », avant de baisser les yeux, plein de confusion.

    Tandis que le jeune clerc considérait le parquet avec une insistance bien compréhensible, maître Bayle reprit, un sourire en coin : « Que non contente de t’agréer parmi les mignons de sa cour, cette pieuse demoiselle s’est instituée, depuis quelques semaines, ta confidente, ton oracle et ton garde-chiourme ? De bonnes âmes se sont empressées de m’en faire part et ont cru bon, d’ailleurs, de me féliciter de ta bonne fortune, qui augurait assurément, à les croire, un avenir prometteur. Si seulement cette digne enfant éprouvait un goût moins prononcé pour la compagnie de ses amis cléricaux et ultras, je lui pardonnerais volontiers sa passion effrénée de la religion. Qu’elle nourrisse de l’ambition pour son futur mari, rien que de fort normal ; mais si haut que tu puisses t’élever, j’aimerais mieux que tu le dusses à tes vertus et à ton amour du bien public qu’aux intrigues de ces jésuites. »

    Ce n’était jamais sans un profond chagrin que Lazare constatait l’espèce d’acrimonie qui régnait entre son oncle et son amante. Voltairien déclaré, le premier n’avait jamais considéré qu’avec méfiance la révérence de bon aloi que la seconde professait à l’égard de l’Église, son clergé et ses sacrements. De son côté, la jeune femme regardait notre notaire, qu’elle désignait en petit comité – Lazare le savait – du doux qualificatif de « vieux fou », comme un affreux libéral et un incroyant. Surtout, tandis que le vieil homme témoignait d’une bonté familière pour les petites gens et les montagniers, la demoiselle les considérait tout au plus comme des brutes et des sauvages, indignes du moindre intérêt. Aux yeux de notre jeune héritière, fille d’un riche négociant et nièce d’un procureur du roi, il n’était de bonne société que parmi les dorures des hôtels et des palais. En cela, sa sensibilité et son goût du pouvoir se rencontraient car, de même que la vue d’un intérieur inélégant l’insupportait, la perspective d’obtenir, pour son époux, un mandat à la Chambre ou une charge au Conseil d’État, avec la croix de Saint-Louis en sus, ne manquait jamais de la combler d’aise.

    Du moins le notaire s’était-il montré, en cette occasion, d’une exceptionnelle modération dans ses propos, quelque acerbes qu’ils fussent, au final. En d’autres circonstances, la pointe ne s’était pas contentée d’effleurer la victime, plongeant délibérément dans le cœur palpitant d’un trait assassin. Jamais, jusqu’à ce jour, il n’avait été question de rien lui pardonner, pas même la grâce de sa personne, qui était bien une preuve de sa vanité et de la vacuité de son esprit, même si elle n’en était qu’en partie responsable. Pour ce motif, jugeant qu’assurément le bon cœur de son oncle commençait de fléchir, à la pensée du bonheur qui l’attendait dans un proche avenir, lui, son unique parent, il se crut en droit d’affirmer que cette demi-attaque équivalait à un assentiment. Aussi ne fit-il nulle tentative pour se justifier, laissant simplement parler son cœur, comme un fils à son père :

    « Effectivement, mon oncle, il est à craindre que Clémence ne soit guère satisfaite de votre initiative et qu’elle ne vous en tienne rigueur. Comme vous le savez, elle a une opinion très arrêtée sur la vie que l’on mène à la campagne et ne goûtera sans doute que fort médiocrement l’idée que je puisse sacrifier sa société et celle de ses amis à de semblables obligations. Mais j’ai trop d’affection pour vous, mon oncle, et je sais trop tout ce que je vous dois pour ne pas écouter mon devoir, en pareille occasion. »

    Chose proprement inconcevable chez ce vieil homme renfermé et taciturne, peu habitué à manifester ses émotions devant autrui, et qui portait sur les événements du monde un regard généralement détaché, non dénué d’une forme certaine d’ironie, il ne put réprimer une larme, qu’il sécha du plat de la main, avant de dire : « Voilà une réponse comme je les aime. Tu es bien le digne fils de Paul et de Marie, et je n’en attendais pas moins de ta part. »

    Après avoir réglé toutes les affaires en souffrance, le jeune clerc se rendit chez Mlle Mabru afin de lui exposer les motifs de son départ. La nouvelle affecta cruellement la demoiselle, qui ne vit pas sans horreur son chevalier servant renoncer benoîtement aux usages du monde et au charme de sa compagnie, ainsi qu’à ses promesses d’avenir, pour satisfaire les fantaisies d’un original – probablement quelque misanthrope à l’âme noire ou quelque désespéré las des joies de l’existence – assez dérangé d’esprit pour rechercher la société de rustres montagnards dans un désert où l’inconfort n’avait d’égal que la tristesse. C’était en vérité une bien séduisante et bien impérieuse divinité, et sans doute, quand elle posait sur vous ses yeux enjôleurs, que sa gorge d’albâtre se gonflait, sous l’émotion, et que les soieries de sa robe vous frôlaient avec un délicieux froufrou, un frisson devait vous traverser le corps. On comprenait alors que ses amants tombassent respectueusement à ses pieds et que sa volonté fût faite sur la terre comme au ciel. Mais, à son grand désappointement, pour cette fois, Lazare se montra inflexible, et en vain s’efforça-t-elle de l’exhorter à la prudence ; ses sages conseils demeurèrent lettre morte.

    Au moment de se quitter, plus fâchée de sa rébellion qu’elle ne voulait bien le reconnaître, elle le salua avec un peu plus de froideur qu’à son habitude, une froideur calculée, à la vérité, qui avait pour but de le faire revenir à de meilleurs sentiments. Cette attitude brisa le cœur de notre héros, qui se reprochait amèrement de faire ainsi de la peine à l’objet de son adoration, mais elle ne le fit pas changer d’avis, et il partit chez lui faire sa valise. Le lendemain matin, il prenait la voiture de Brioude.

    Descendu à Jumeaux, il avait obtenu d’accompagner un groupe de paysans qui regagnaient les montagnes, leurs mulets chargés de provisions. Voilà pourquoi, en cette fin de journée, notre jeune clerc de notaire allait par la campagne enneigée, peinant comme un beau diable à grimper un chemin tortueux, pris entre des collines escarpées, enveloppées de sapinières sombres, comme affleuraient de gros rochers grisâtres, polis par les pluies et nervurés de mousses, et des ravins profonds, au pied desquels filait un ruisseau chantant.

    Empêtré dans la neige, qui lui arrivait jusqu’aux genoux et dessinait alentour des congères prodigieuses, taillées en arête sous le souffle irrésistible du vent, il s’échinait, baigné de sueur sous son manteau, pour n’avancer jamais que de quelques pas. La main agrippée aux rênes de son cheval, de manière à maîtriser ses élans furieux, et le corps penché en avant, il manquait à chaque instant de tomber et devait à chaque fois se rattraper pour ne pas glisser.

    Au contraire de ce pauvre Limagnier, plus habitué aux flâneries dans les rues de Clermont qu’à de telles excursions par les hauts plateaux, les montagniers avançaient d’un bon pas. La mine renfrognée, peu enclins qu’ils étaient à communiquer leurs émotions, que la familiarité de la solitude leur avait appris à épanouir dans le secret du cœur, depuis de longues heures, ils ne desserraient pas les dents. On pressentait, cependant, à la façon qu’ils avaient de scruter constamment le ciel, qu’une question les préoccupait.

    « Hâtons-nous, petitou, lança enfin le père Sauvanet, un vieux laboureur aux longs cheveux blancs, le visage ridé, mais encore gaillard, en brayes, avec ses sabots fermement serrés par de larges recoles de cuir, et les yeux d’aigle enfouis sous un chapeau à large bord, parce qu’avec l’engrabine d’essir qui s’annonce là-bas, si nous ne touchons pas bientôt au but, nous n’aurons plus qu’à nous cafinioter dans quelque chezal ou nous préparer à manger les pissenlits par les racines. Ce serait folie de courir plus longtemps les baragnes ! »

    Et pour appuyer son propos, il montra de la main l’horizon indéfini qui s’allongeait au-delà du ravin. On apercevait de sombres nuages qui s’amoncelaient, au loin, parmi les collines.

    Un frisson glacial envahit Lazare, devant la perspective de la

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1