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De Praestigiis Daemonum
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Livre électronique625 pages9 heures

De Praestigiis Daemonum

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À propos de ce livre électronique

Les « Jeux » de Satan, sont la base même de l’ouvrage dont vous tenez actuellement la traduction dans les mains. Certes, aux œuvres du Diable, il faudrait accommoder les nuances humaines et contradictoires qui fleurissent ça et là, par la volonté de Jean Wier. Ce regard du passé, qui aujourd’hui ne semble plus être d’actualité, pourra en faire sourire quelques-uns. D’autres encore, ricaneront franchement. Cependant, qui n’a pas l’expérience de l’inexplicable ? Les progrès de la médecine, de la science et des techniques, réduisent comme peau de chagrin, les phénomènes que nous appelons aujourd’hui, « paranormaux ». Et pourtant, il n’y a pas un diocèse en France, qui ne possède son prêtre exorciste.
LangueFrançais
Date de sortie13 août 2014
ISBN9782312024387
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    Aperçu du livre

    De Praestigiis Daemonum - Thierry Rousseau de Saint-Aignan

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    De Praestigiis Daemonum

    Thierry Rousseau de Saint-Aignan

    De Praestigiis Daemonum

    Jean Wier - Livre 1 – Nouvelle Traduction

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    « D’un Inconnu à une Merveilleuse Sorcière... »

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-02438-7

    Avertissement de T.R de S.A

    Il est nécessaire de rassurer nos lecteurs sur l’objectif de cet ouvrage. Celui-ci, doit être compris comme ne relevant que d’un intérêt purement intellectuel et profondément culturel, dont la curiosité pour les écrits médicaux, religieux, parfois mystérieux et ésotériques, d’un homme de la « Renaissance » allemande, reste le moteur essentiel.

    En aucune manière, ce travail sur l’ouvrage original du Médecin Jean Wier, ne doit être confondu avec une tentative de corruption des pensées, qui puiserait sa logique dans des caractères obscènes et des jeux dangereux. Cette nouvelle traduction n’a pas pour but, de remettre au goût du jour un livre polémique. Cet ouvrage n’a pas pour objectif, de porter atteinte aux Religions et aux Croyants, toutes obédiences confondues. Il n’a pas non plus pour objet, de porter atteinte aux femmes par la retranscription d’arguments parfois sexistes et misogynes.

    Il est certain que le contenu de cet ouvrage peut facilement s’assimiler à un genre de littérature dangereuse, voir malsaine. Cette littérature qui a existé depuis l’invention de l’écriture, n’était pas rare au XIV, XV et XVIe siècle, époque de rédaction du De Praestigiis Daemonum, dont le manuscrit original étudié dans ces pages, date de 1563. Il faut cependant garder en conscience, que les parties abordées dans ces pages, représentent des propos difficilement accessibles et acceptables pour un esprit du XXIe siècle. Il faut du recul et la capacité nécessaire à affronter le récit de choses étranges, inexpliquées et qui doivent rester inexplicables, parfois logiques ou irrationnelles, mais qui demeurent souvent foncièrement malsaines.

    Il est à noter, que les notes concernant l’Ancien et le Nouveau Testament, sont tirées de la Bible de Louvain, datant de 1620. Ce choix se base sur une volonté de s’approcher des textes et traductions, susceptibles d’être les plus proches des sources d’informations qu’avait à sa disposition Jean Wier. Le reste des sources, est destiné à apporter un éclaircissement. Ces documents ne sont pas tous de l’époque traitée. Les plus tardifs sont à relativiser, et n’offrent qu’une ouverture ou une autre vision sur les arguments de l’auteur. De plus, il semblait nécessaire d’apporter un autre éclairage, quant aux pensées philosophiques de l’époque. Ainsi, vous trouverez à la fin de ce premier volume, une biographie succincte des différents auteurs, ainsi qu’un résumé des pensées utiles pour la compréhension de Jean Wier. Gardez toutefois à l’esprit, que ce résumé des pensées et doctrines, ne prends pas en compte les développements tardifs ou actuels, qui ont pu remettre en question la profondeur des idées. L’objectif reste encore une fois, de prendre en compte les connaissances qu’avait à sa disposition, un homme du XVIe siècle.

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    Image n°1

    Job, XIXe siècle, Léon Bonnat, Musée d’Orsay

    Avant-Propos par T.R de S.A

    L’ouvrage de Jean Wier, le De Praestigiis Daemonum, a déjà été traduit précédemment. Nous en connaissons plusieurs versions, dont la plus célèbre est sans contexte celle du Médecin Jacques Grévin{1}. Pourquoi alors, refaire une traduction de cet ouvrage célèbre ? La réponse la plus pertinente reste celle de l’impossibilité de se procurer un ouvrage original, rare et hors de prix. Mais, cette raison est loin d’en être la seule. Ainsi, avant de couvrir dans cet Avant-Propos, l’objectif principal et les conditions nécessaires à appréhender la lecture de cette traduction, précisons les deux raisons qui ont amené l’entame de ce travail.

    Les études m’ont apporté une certaine connaissance du monde médical et des théories sur les maladies diverses. Cette connaissance, qui n’était ni plus ni moins qu’une notion peu approfondie, se basait sur des expériences théoriques et des histoires vécues et racontées par d’autres. Mon cursus en effet, m’avait amené à effleurer par exemple, des points de vus Psychologiques et Psychanalytiques, qui reprenaient mot pour « maux », les grandes doctrines d’un Freud ou d’un Lacan, sans jamais vraiment s’en détacher. D’un autre côté, mon domaine de recherches touchant l’Histoire Moderne, Contemporaine et la Philosophie, je reconnais qu’humblement, les théories pathologiques restaient une discipline non prioritaire, bien que suivie avec curiosité. Je préférais sans nuance possible, travailler sur Platon, Spinoza, Nietzche pour leurs idées philosophiques, ou sur Hérodote, Michelet, Thiers pour leur domaine historique réciproque. Mon ouverture d’esprit me permettait d’unir avec régal, Socrate à Levy Strauss et Marx à Céline. Bref, je me régalais de ce que l’on appelle les Lettres et les Sciences Humaines. A cela, mon goût prononcé pour les Pensées et l’Histoire des Civilisations, ne pouvait que rencontrer avec fracas, les Saintes Ecritures qui fondent les bases des trois principales religions Monothéistes, mais également le fondement de notre société. Devant tant d’informations, de Mythes, de Mystères, de Croyances et de foi, approfondir mes connaissances sur le monde médical, ne s’imposait pas. Cette logique se comprenait, car personnellement, n’ayant nullement été confronté directement à une maladie ou un mal mental quelconque qui aurait pu me toucher ou frapper un de mes proches, je regardais avec un intérêt éloigné, les névroses et autres pathologies mentales ou physiques. Dans le domaine Psychiatrique, je restais fixé sur les grandes doctrines générales du Conscient et Inconscient, du Moi et Sur-moi, du Thanatos, de l’Eros, d’Œdipe ou de Narcisse, car ils rythmaient les épopées antiques d’Homère, d’Aristote et de Plutarque. Mais, je ne cherchais pas encore à les approfondir et à en assimiler les subtilités. Un jour cependant, je fus confronté à une réalité bien différente des théories que l’on rencontre dans les livres ou à l’Université. Et cette réalité, m’obligea à essayer de comprendre autrement.

    J’avais rencontré une personne qui dès les premiers abords, me fit découvrir qui elle était. Instruite, elle avait vécue des expériences riches et parfois douloureuses (qui n’en a pas ?) ; elle maîtrisait certains Arts, qui lui permettaient de développer une sensibilité incroyable et touchante (à moins que ce ne fut l’inverse) ; elle était ouverte sur le monde, sur les autres, sur elle-même ; elle paraissait sociable et adorer la vie. Rien, n’aurait pu me faire douter, du complet contrôle que cette personne semblait de toute évidence, avoir sur elle-même. Hélas, je me trompais et découvris, qu’elle était sujette à des troubles importants de la personnalité. Elle ne s’en cacha pas cependant, et je dois avouer que c’est elle qui m’expliqua son problème assez rapidement et avec un réalisme sans retenue. Elle m’informa en effet de sa maladie dès le début de nos sérieux échanges. Toutefois, je ne compris pas tout de suite, malgré une écoute active, le degré de progression de son mal, ni sa cruelle mainmise. Cette personne semblait si « normale », que sans douter pour autant de l’importance des troubles, ceux-ci restaient incroyablement invisibles et discrets. Et pourtant, elle subissait bien les ravages d’une pathologie psychiatrique, que les médecins et autres Psychologues et Psychanalystes nomment pompeusement. Moi, je garderais son vrai nom, celui des origines : l’Hystérie.

    Car l’Hystérie, est une maladie, une névrose psychiatrique, s’apparentant pour ceux qui ni connaissent rien, à celle du malade imaginaire, et pour ceux qui n’ont pas lu les « bons livres », à la possession démoniaque. Ce n’était pas mon cas, car loin d’associer à l’Hystérie le drame de l’hypocondriaque, je n’assimilais pas non plus cette maladie à une farce cruelle du Diable.

    Je reconnais n’avoir pas su comprendre de suite, l’importance gravissime des effets sur le mental et le corps des pauvres sujets qui subissent ces troubles. Les symptômes, les douleurs et les souffrances physiques et morales, avaient forcément une explication. Et pour aider cette personne, de l’étude de cette maladie, j’en suis arrivé à en chercher à comprendre son histoire. Je connaissais bien évidemment les Œuvres du Médecin Jean Wier : Que de ressemblances en effet, entre ce que je voyais aux travers des souffrances de cette personne et certains de ses écrits. Erreur d’assimilation ? Pas si certain : « Le Diable peut par ce moyen, retirer cruellement et contre tout ordre de la nature, les nerfs et les muscles, et souvent donner une telle passion au corps qu'il demeure tellement droit et piqué, que le cou et le reste du corps reste immobile, et ne peut fléchir ni deçà ni delà, restant également tendu de tous côtés. Le Diable fait encore quelquefois tellement retirer en devant ces parties du corps, que la tête, le cou, et le reste se raccourcissent, alors que les veines goselières, qui sont autour du cou demeurent tendues à merveilles. Quelquefois il les renverse si étrangement en arrière, que la tête est cruellement retirée presque du tout sur les épaules, et le dos et les cuisses retirées en hauteur. II fait aussi paraitre les membres du corps de façons différentes et inégales, par d’étranges sortes de convulsions et d’horribles étirements de nerfs. Il rend incontrôlable à quelques-uns tout le corps, si bien que les jointures semblent rompues et démises, par la géhenne ou autres tourments. Le Diable fait paraître les muscles tremblants, et tressaillants. Il rend la bouche et les yeux vides et renversés. » Parce que les praticiens ne trouvaient pas de remède à l’Hystérie, je devais donc réétudier sérieusement Jean Wier, lui-même médecin, qui avant la grande époque de Freud, osait supposer ce que l’on n’appelait pas encore, les « troubles mentaux ». Je me trouvais donc, dans la même posture que Jean Wier, lorsqu’il découvrait avec horreur, la jeune Henriette et ses tortures, au château de Caldenbroc en Gueldre{2}.

    Je me lançais alors, dans une tentative de compréhension approfondie des nombreux ouvrages anciens parlant de ce sujet. Le De Praestigiis Daemonum en faisait naturellement parti. Je ne voulais pas cependant, travailler sur une traduction ancienne ou moderne. Je voulais les « vrais mots » du médecin. Je commençais mon propre travail de translation du latin au français. Mais, ce travail arrivait sans doute trop tard. La maladie de la personne qui m’y avait amené, avait pris le pas sur elle-même. Ce n’était alors plus elle qui décidait. Elle ne se battait plus. Elle écoutait cette maladie monstrueuse et la laissait parler avec trop de facilité. Trop tard, sans doute... Mais de vous à moi, là où le Psychiatre ne peut rien, qu’aurais-je pu faire ?

    Sans remettre en cause la compétence des Médecins d’aujourd’hui, je restais toutefois surpris de constater que toutes les suppositions qu’imposaient cette forme de maladie, n’étaient pas prises en compte. Et ce fait, n’était pas sans me rappeler une tendance dangereuse qu’ont les hommes et les femmes instruites : celle du Comparationnisme. Alors que j’écoutais la radio, cette tendance qui se généralise, me conforta sur mon envie de traduire l’ouvrage de Jean Wier, et mieux, de l’éditer. Une grande radio nationale française, présentait une émission portant sur la Grèce antique. La journaliste y interviewait une érudite, qui avait écrit un pseudo livre sur Ulysse et ses relations avec les femmes. La personne était lettrée, instruite et connaissait visiblement le domaine antique lié à la période d’Homère. Cependant, malgré ses capacités à réciter des vers poétiques et à chanter bien justement des Odes d’époque, elle manquait de retrait quant à la période contée. Ainsi, je fus misérablement troublé, pour ne pas dire choqué, par une phrase que je vous cite sans complaisance : Ulysse est un connard !

    Que dire sur cette remarque déplaisante et si ridicule, que cette femme avait lancée sur les ondes d’une chaine de radio publique à grande écoute ? Sans doute peu de choses, hormis qu’Ulysse, personnage illustre vieux de près de 2800 ans, serait encore connut dans 2000 ans (si l’homme existe encore sur terre), alors que j’avais déjà oublié au bout de cinq minutes, le nom de cette pseudo lettrée. Il était clair, que l’éducation actuelle, les moyens que nous formataient la société pour comprendre les écrits, les Epîtres, les connaissances de nos anciens, passaient ignominieusement aux travers d’un prisme ridicule, qui abâtardissait les symboles, les Mystères, les images, bref, les messages de la vraie Histoire des civilisations. Dans un monde qui renie et qui passe pour stupides, voir exécrables, la morale, les concepts, la religion, la famille, l’éthique elle-même, je n’aurais pu espérer mieux d’une personne qui avait appris non seulement du système, mais qui croyait également en lui, sans retenu : diplôme oblige !

    Ma réflexion ne s’arrêta cependant pas là. Car j’aurais pu, comme la majorité des auditeurs qui avait écouté cette émission de radio, me sentir happé par ce pseudo message, d’une femme certainement frustrée, qui amalgamait un homme, que dis-je, un mythe, aux pauvres gars qu’elle avait dû croiser dans des bars ou des soirées dansantes. Car Ulysse, ce n’est pas juste un homme, et surtout pas un homme du XXIe siècle ! Tout comme Pénélope n’est pas une simple femme et encore moins, une femme du XXIe siècle ! C’est autre chose, bien plus grand et sublime ! C’est une culture, une époque, une histoire grandiose qui au travers d’une multitude de récits curieux et fantastiques, nous fait passer du stade du novice, à celui de maître penseur. Les cyclopes ont-ils existé ? Les harpies sont-elles toujours gardiennes de certains secrets ? La ville de Troie est-elle tombée comme Homère nous le dit ? Pénélope a-t-elle attendu son mari, face à sa tapisserie ? Télémaque a-t-il grandit en regardant avec haine, les prétendants au trône ? Peu importe ! Ce n’est pas de cela qu’il est question. Ce n’est pas de cette forme d’interrogation qu’Homère et tous les autres, nous racontent l’Histoire. C’est beaucoup plus profond et tellement plus efficace qu’un livre porteur d’idées si révolutionnaires, que personne, hormis les soient disant érudits se gargarisent. L’Iliade et l’Odyssée, tout comme le De Praestigiis Daemonum, font partie de ce genre de littérature, ouverte à tous, petits comme grands, qui permet à chacun, certes, une certaine aventure dans les mots, mais surtout une interrogation sur le monde, sur l’autre et sur nous même. Oublier cette ouverture, c’est réduire tous les ouvrages de tous les temps, à cette horrible tentation humaine, qui traduit le passé avec les yeux du présent. Qui sommes nous pour juger un mythe si ancien ? Car si une simple personne, malgré sa reconnaissance visée par ses diplômes, peut juger Ulysse avec ses mots qui disent : Ulysse est un connard ! Elle peut alors juger tous les « héros », et par là-même, tous les écrits avec la même formule ! Même les Saintes Ecritures... sans même les avoir lues ! Ulysse, ne vit pas à Paris ou à Londres, et Jean Wier est mort il y a 426 ans. Souvenons-nous en, avant de les juger.

    Pour ces raisons, j’ai souhaité traduire une nouvelle fois, ou plutôt de façon plus moderne, l’ouvrage principal de Jean Wier. Vous ne trouverez dans ces pages, aucune allusion à ma pensée. J’estime que tout lecteur est assez grand pour comprendre, s’il s’en donne les moyens, guidé aux travers des annotations que je fournis, mais également aux travers de ses connaissances, de ses recherches personnelles et de ses intuitions, non pas la vérité (qui sommes nous pour la réclamer ?), mais une part de cette vérité. Cette part, qui nous permet d’avancer, de comprendre sans juger et qui n’est autre qu’un atome de la connaissance d’une époque, d’un monde, d’un système humain.

    Ouvrir les yeux, n’est pas toucher la vérité. Mais rester humble devant l’Histoire et devant les hommes, petits ou grands, devant leurs erreurs et leurs découvertes, ouvre des fenêtres. C’est cette petite lucarne que j’ai cherché à percer, afin de vous apporter une fine couche de lumière. A vous, non pas de juger l’œuvre ou l’homme, et je parle de Jean Wier, mais d’approfondir ce que vous lirez dans ces pages, vieilles de près de cinq cent ans.

    Mais avant de commencer la lecture, mettons nous en condition.

    Job, que nous avons choisi pour illustrer cet avant propos, nous y aidera. Car, peut-il y avoir meilleure illustration du De Praestigiis Daemonum, que ce Job, œuvre pourtant du XIXe siècle de l’artiste Léon Bonnat ?

    Job ! Celui dont le Livre de l’Ancien Testament et qui porte son Nom, en parle ainsi : « Il y avoit un homme en la terre de Hus nommé Iob. Et ceft homme-cy eftoit fimple & droict, & craignant Dieu, & fe retirant du mal »{3}. Cet homme était reconnu comme le plus « grand entre tous les orientaux »{4}, de par sa fortune, ses biens, ses terres, ses animaux et ses serviteurs ; de par sa grande famille, ses fils et ses filles ; de par son inaliénable dévotion en Dieu. Il devint pourtant, le plus terrible et ignoble « terrain de jeu » de Satan. Et, malgré la perte de cette place de plus grand entre tous les hommes, la perte de ses biens, la morts de son bétail, le massacre de ses enfants, la maladie, il ne renoncera pas à Dieu qui laissera pourtant Satan ruiner sa vie terrestre. Il aurait pu écouter sa femme, qui lui disait « Maudi Dieu, & puis meurs »{5}. Mais il est resté « fimple & droict, craignant Dieu, & fe retirant du mal », jusqu’à ce que Dieu lui accorde la plus belle et la plus méritée des récompenses.    

    Les « Jeux » de Satan, sont la base même de l’ouvrage dont vous tenez actuellement la traduction dans les mains. Certes, aux œuvres du Diable, il faudrait accommoder les nuances humaines et contradictoires qui fleurissent ça et là, par la volonté de Jean Wier. Ce regard du passé, qui aujourd’hui ne semble plus être d’actualité, pourra en faire sourire quelques-uns. D’autres encore, ricaneront franchement. Cependant, qui n’a pas l’expérience de l’inexplicable ? Les progrès de la médecine, de la science et des techniques, réduisent comme peau de chagrin, les phénomènes que nous appelons aujourd’hui, « paranormaux ». Et pourtant, il n’y a pas un diocèse en France, qui ne possède son prêtre exorciste.

    S’il est certain, que nous sommes loin de cette période obscure, voir d’âge sombre, période propre à Jean Wier, qui passait sans doute trop souvent les choses étranges pour des actions du Diable, nous avons peut-être tors, de ne plus accorder au Diable, la place qui est la sienne. La « bête ténébreuse », aux cornes velues et aux pieds fourchus, n’est plus condamnée lorsqu’il se produit un tremblement de terre, un raz de marée, une famine ou une épidémie endémique ou ponctuelle. Il est certainement plus facile et parfois plus juste, d’y voir l’action de l’homme, de ses marchés financiers, de sa pollution et de ses guerres. Cela, c’est pour la réponse de la Nature aux exactions et agressions des hommes. Quand est-il cependant, des troubles et maux propres à l’homme, c’est-à-dire purement conscients, mentaux ou psychologiques ? Là, les recherches en psychanalyse, ont exhumé en inhumant l’idée même d’âme, des symboles, des mythes et des processus internes à la pensée, qui loin d’être prouvés, apportent au moins des réponses quant à la folie des névrosés et autres psychopathes qui peuvent ainsi être condamnés à la prison par leurs juges. Le Diable existe-t-il ? Là encore, ce n’est ni Jean Wier, ni moi-même qui en apporteront la preuve. Ce n’est, d’ailleurs, nullement le sujet du De Praestigiis Daemonum. Cependant, il est certain que sans la notion même et l’Histoire de cet Ange déchu, il serait absurde de poursuivre la lecture. C’est moins au Diable, que Jean Wier fait allusion, mais bien à ce qui est ancré dans les mentalités de cette époque trouble, que sont le XV et le XVIe siècle.

    Restons ainsi ouvert, si vous le voulez bien, car c’est l’outil que je vous propose d’aiguiser avant la lecture de Jean Wier. Restons ouvert à d’autres formes de questionnement. Prenons du recul. Car, ici et jusqu’à maintenant, nous n’avons fait que proposer avec des mots à nous, avec notre pensée du XXIe siècle, une réflexion basique. Si nous effacions pour un temps, celui de la lecture, l’emprise de nos études, de nos savoirs, de nos suppositions ? Revenons à une époque, ou mythologie, philosophie, religion et superstitions étaient indissociables. Revenons à cette époque ou la simple idée de purgatoire et d’enfer, faisait dresser les cheveux sur la tête et imposait de se signer du signe de la croix. Une époque où, le fait de blasphémer vous rendait coupable devant Dieu. Revenons à cette époque durant laquelle, sans doute mieux et plus complètement qu’aujourd’hui, des hommes ont cherché à comprendre le but et l’objectif d’une vie terrestre, afin d’assurer une vie divine après la mort. Cette recherche difficile, peut-être même utopique, puisqu’officiellement, très peu de personnes ne sont revenues de l’au-delà, reste bien éloignée des tracas de l’homme moderne. Il préfère traduire sa recherche de bien être, par son questionnement sur la place qu’il tient dans l’organigramme et son niveau de salaire dans la société capitalisée en bourse à qui il appartient. On ne prépare plus l’avenir, mais on subit le présent. Car, malgré le fait que les médias et les hommes politiques nous rabattent les oreilles avec cette idée de l’Individualisme destructeur, graine de tous les maux, c’est sans doute dans la spiritualité qu’il faut chercher le manque. Cette spiritualité n’a toutefois pas disparu. Elle n’est cependant plus à sa place. Elle prend des formes des plus étranges. L’Eglise dans nos Etats Européens, rythmait avec logique non seulement le calendrier par les fêtes et les célébrations religieuses, mais également les valeurs qui étaient apprises et impliquées dès les tendres années, dans la tête des enfants. Cette Eglise a été remplacée par des Ersatz spirituels, sans fondement, sans profondeur, sans morale, et plus dangereux, sans contrôle. La laïcité imposée, en est un exemple, se proposant d’aller à l’encontre du Cinquième Commandement{6}, jusqu’à légiférer sur le Droit de vie et de mort pour des patients comateux !

    Alors, revenons à cette spiritualité en mouvement, à une époque du XV et XVIe siècle ou l’Islam possède déjà une grande partie des terres entourant la méditerranée. Une époque où la Réforme remporte ses premiers succès, devant une discorde fratricide, qui sépare les Eglises Chrétiennes Catholique et d’Orient. Une époque où l’Alchimie, la Démonologie et la Sorcellerie se cherchent un héritage antique, à travers l’Egypte d’Osiris et d’Horus, la Perse de Zoroastre, la Grèce de Périclès. Regardons cette époque, où toute opposition ouverte peut envoyer au bûcher. Regardons cette époque et absorbons là, le temps d’une lecture. Alors, nous trouverons une logique incontestable dans les arguments de Jean Wier, même si cette logique reste condamnable. Et nous pourrons, comme Rabelais le disait, tirer du De Praestigiis Daemonum, « la vraie et substantifique moelle » !

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    Image n°2

    Jean Wier, portrait tiré du Opera Omnia, Amsterdam, 1660

    Biographie de Jean Wier

    Avant de poursuivre, il est nécessaire de discourir sur l’auteur du De Praestigiis Daemonum, ainsi que sur son époque. Précisons les dates clefs de sa vie, les points importants qui articulent les mentalités du XVIe siècle, ainsi que les raisons qui amenèrent Jean Wier, à écrire cet ouvrage. 

    En 1515 à Grave sur Meuse, dans le Brabant hollandais, nait Ioan Weyer, qui latinisera bien plus tard son nom en Jean Wier. Issu d’une famille « honnête », c’est-à-dire roturière{7} bien qu’aisée, son père Théodore et sa mère Agnès, sont producteurs et marchands de Houblons. Le Brabant hollandais fait alors parti d’une Europe qui se déchire, d’abord par les armes, mais également par les idées. Cette période troublée de l’histoire de l’Europe, est particulièrement charnière. Elle annonce la fin du moyen âge et le début d’une nouvelle ère. C’est le renouveau des pensées qui, l’invention de l’imprimerie moins d’un siècle auparavant par Gutenberg, en permettra un éveil et une divulgation de ses découvertes des plus importantes. Quelles sont alors, les mentalités du temps ? Le monde Européen a commencé sa révolution, en découvrant les Amériques en 1492, soit 23 ans seulement avant la naissance de Jean Wier. Le temps, c’est l’arrivée du Roi François 1er, qui prend la tête de la France la même année que la naissance de notre auteur. A cette date, commence un règne qui modifiera profondément le pays en révolutionnant les Institutions et l’Administration du Royaume de France et l’Europe, en favorisant les Arts et les Sciences. Mais, François 1er est également un Roi Soldat. La guerre sera interminable en Italie, en Bourgogne et aux Pays-Bas devenu possession Autrichienne depuis la mort de Charles le Téméraire en 1477. Si les Institutions Françaises se renforcent, avec la fin du système féodal et la naissance d’une véritable puissance Royale Centrale, le peuple survit comme toujours, dans une période qui se veut difficile. Les catastrophes naturelles et l’instabilité intérieure, l’altération de la monnaie, les banqueroutes du Trésors, culmineront avec les guerres de religion qui commenceront en 1562, contribuant à écraser la courbe de démographie et à freiner le développement économique. Quant à l’Allemagne, ou plutôt le Saint Empire Germanique, il est alors composé de nombreux Etats indépendants. Tous régis comme autant d’entités différentes, la maîtrise des populations est délicate. Face à cette disposition particulière, qui impose un respect dont seule l’image de l’Empereur en forme l’unité, la réalité de sa souveraineté est bien différente et traduit plus souvent une position honorifique qu’un réel pouvoir. Les dissensions entre Etats sont nombreuses, permanentes et la cohésion s’effrite avec beaucoup de facilité, devant des unions d’un temps et des objectifs à courts termes. Les alliées d’hier, sont bien souvent les ennemis de demain. Face à cette division de l’Empire, s’ajoutent des intérêts extranationaux, que les Etats frontaliers n’hésitent pas à exciter (Venise, Milan, Florence...). Le paroxysme de cette situation, se révélera bien plus tard, durant la guerre de Trente ans (1618-1648 avec prolongation par la France et l’Espagne jusqu’en 1659). La France, la Suède, la Danemark, la Prusse, la Hongrie, l’Espagne s’affronteront, créant ainsi ce que nous pourrions appeler en tant qu’Historien, la première vraie guerre mondiale (Les Amériques connues étant alors possessions Européennes). Il faut comprendre et ajouter à l’époque, les divergences religieuses qui vont bientôt réduire le peu de cohésion existante entre les Etats. Ces faits sont importants, car ils forgeront une mentalité particulière qui se traduira paradoxalement, par une discussion plus ouverte et une acceptation plus facile des échanges et des brassages accélérés de nouvelles pensées. Car, le Brabant de Wier, c’est le Saint Empire et le Saint Empire n’est pas un Etat-Nation comme la France.

    En 1532/1533, Jean Wier est à Bonn. Il est le disciple{8}, et plus encore{9}, d’Henri Corneille Agrippa de Nettersheim (Cologne 1486 – Grenoble 1535). Jean Wier n’a que 20 ans à la mort de son maître. Il se trouve alors à Paris, ayant quitté quelques mois avant son décès, Agrippa, emprisonné à Lyon{10}. Ce maître, a joué pour Wier et pour ceux qui vont suivre, un rôle déterminant. Car cette époque voit en effet, une formidable divulgation des connaissances, qui remaniera les pensées et contribuera à accélérer les échanges culturels qui aboutiront à un renouveau de l’Art, de la science, de la critique et des réflexions sur l’homme, le monde, Dieu et bien sûr le diable. Dans ce cadre, qui voit paradoxalement la Réforme naître et la Religion Catholique se renforcer en imposant violemment ses lois, les doctrines magiques, la démonologie, la sorcellerie écriront leurs lettres d’infamies, grâce à des auteurs comme ce Cornelius Agrippa de Nettersheim, qui avec sa Philosophie Occulte{11}, répondra au Malleus Malificarum{12} utilisé par les Inquisiteurs depuis la fin du XVème siècle. Cependant, la Magie qui maintenant a ses officiels livres de chevet, n’apparait pas avec les Codex de ces néo-sorciers. Elle a toujours été présente dans les mentalités et est ancrée profondément dans les villes et les campagnes d’Europe. Si on en croit J.C de Plancy{13}, « Il y avait à Paris, du temps de Charles IX, trente mille sorciers, qu'on chassa de la ville. On en comptait plus de cent mille en France sous le roi Henri III. Chaque ville, chaque bourg, chaque village, chaque hameau avait les siens. On les poursuivit sous Henri IV et sous Louis XIII ; le nombre de ces misérables ne commença à diminuer que sous Louis XIV ». Ainsi, bien que foncièrement religieuse, la population Européenne garde des pratiques et des croyances en la magie et dans les pouvoirs des guérisseuses et autres magnétiseurs. Paradoxalement, le nombre de procès pour « fait de malin » est incroyablement faible au XVIème siècle, ce qui ne sera pas le cas au XVIIème siècle{14}. C’est pourtant l’âge d’or du Grand Grimoire{15} et autre Dragon Rouge{16}. Mais, l’Eglise n’a pas que la sorcellerie comme problème et il était sans doute plus aisé de brûler un calviniste hérétique qu’une personne soupçonnée d’avoir donné son âme à Satan. Louis de Berquin, en est un exemple. Il n’était pas sorcier, mais calviniste, et bien qu’il fut pourtant membre du Conseil du roi François 1er, il suivra ses livres dans les flammes, le 22 avril 1529 à Paris.

    Entre 1534 et 1538, Jean Wier étudie la Médecine à Paris où il est probablement reçu Docteur en 1537{17}. L’accès à une position sociale plus élevée, comme celle de Médecin est certainement une des raisons qui poussèrent Jean Wier à faire ce genre d’études{18}. Cependant, n’oublions pas que son maître s’appelait Agrippa. Il est probable, que ce dernier lui ait inculqué des idées et des pensées particulières et assez nouvelles. Mais qu’apprenions-nous à la Facultés de Médecine de Paris ou de Montpellier{19} ? Sans doute un intérêt pour l’étude du corps humain, comme l’attestent de nombreux écrits de médecins et scientifiques de l’époque. Mais qu’un médecin connaisse le corps humain, n’est-ce pas une évidence ? Pourtant, certaines disciplines, comme la chirurgie, ne sont pas reconnues comme « saines » par l’Eglise, et sont donc contrôlées voir interdites en dehors de quelques cercles. Certes, les académies comme celle de Montpellier, possèdent certains privilèges de l’Eglise pour pratiquer par exemple, la dissection et pour travailler sur des corps. Mais cette initiation aux secrets du corps humain, se limite à des commentaires et des discussions, comme les obligations le stipulaient à l’époque. Mundinus de Luzzi avait pourtant dès 1315{20}, disséqué deux cadavres de femmes et publié leur description devant un publique accouru nombreux. Mais, il arrêta là ses études sur les os humains, le pape ayant interdit de les faire bouillir{21}. En outre, les Universités de Paris ou Montpellier quoique renommées, était loin de l’Ecole de Salerne, berceau de la médecine moderne en Europe et où, les cours sur l’anatomie humaine étaient donnés depuis déjà bien longtemps. Ce n’était après tout qu’au début du XVIe siècle, que des hommes comme Jacques Sylvius (1478 – 1555) commencèrent réellement un enseignement de l’art anatomique avec Achillinus de Bologne (1463 – 1512) et Bérenger de Carpi (1460 – 1530). Et jusqu’à ce que leurs travaux percent au-delà des interdits de discussion, pour la majorité des médecins ou des âmes aspirant à le devenir, les études des corps se bornaient à reconnaître ce qui était déjà connu et à discuter du savoir que l’on avait, sans en chercher à en découvrir d’autres. Il faut dire, qu’au regard de l’Eglise et donc aux yeux des hommes, les cadavres gardaient heureusement un caractère sacré et inviolable. Si on en croit Hyppolite Cloquet et Félix Vicq-d'Azy{22}, il fallut attendre 1376 pour que l’académie de médecine de Montpellier soit autorisée par le duc d'Anjou à disséquer un cadavre. Ce privilège qui était de un par an fut reconduit par le roi de Navarre, Charles-le-Mauvais et par ses successeurs. A l’Ecole de Paris qui fut fondée en 1472, il fallut attendre 1494 pour avoir la permission d’y enseigner l’anatomie en publique.

    De 1538 à 1543/44, Jean Wier quitte la France et l’Europe, visite l’Afrique. Il y rencontre les Théraphims{23} Tunisiens. Il part ensuite pour l’Orient et l’Ile de Candie{24} avant de revenir enfin chez lui. Sorti diplômé de l’académie de médecine de Paris (sans doute Maître et non Docteur), Jean Wier suit donc la logique et les règles. Il fait un tour du « monde », comme ses pairs Platon, Aristote. Ce voyage initiatique, ne durera pas dix ans, comme il était accoutumé de le faire au XVIe siècle lorsque l’on devenait médecin (ce n’était cependant pas obligatoire). Car il est effectivement d’usage de suivre après sa formation théorique, les routes, afin d’y apprendre la pratique, chose qui de nos jours n’est plus d’actualité, nos médecins modernes préférant s’installer au plus vite et aux endroits les plus rentables (au détriment des campagnes). 

    En 1545, nous retrouvons Jean Wier, installé comme médecin à Arnhem, la capitale du Comté de Gueldre, terre des Pays-Bas appartenant au Saint Empire Romain Germanique, c’est-à-dire, à la couronne de Charles Quint. Le Saint Empire Romain Germanique, n’a pas connu une victoire comme celle de Bouvines{25} pour la France. Ainsi, les profondes transformations que l’Europe subit à cette époque, y prennent une tournure différente, que le maintien d’une féodalité princière ne va pas arriver à contrôler avec « facilité » (bien que l’emploi de ce mot, soit outrageux, face à une question telle que celle des Guerres de Religions en France et les massacres qui les accompagnèrent). Afin de s’assurer la différence entre Principautés, les maîtres de la féodalité n’hésiteront pas à embrasser à leur profit, les idées nouvelles que Luther et Calvin entretiennent avec leur réforme et que la papauté combat avec sa contre-réforme. Jean Wier n’en sera pas épargné. Lui, tout comme l’Allemagne entière, vont vivre avec force, la passion du renouveau religieux, qui nuira considérablement à l’unité de l’Empire entrepris par les Habsbourg sous l’impulsion de l’hégémonique Charles Quint. Le maintien de cette division, permettra cependant, un développement spectaculaire des banques, du commerce, de la politique, de la culture, qui aboutiront à un mécénat certes moins centralisé que celui de l’Italie des Médicis, ou de la France de François 1er, mais dont la pluralité paradoxalement, permettra la durée d’un Saint Empire Germanique, qui restera intacte jusqu’au Premier Empire (1806). La chute du Second Empire, favorisera son renouveau, par la naissance et l’unification d’un grand Etat : le second Reich Allemand de Guillaume de Prusse et du Chancelier Bismarck.

    En 1548, Jean Wier est confronté à son premier Procès en Sorcellerie. Sans remonter à l’antiquité, chose qui serait stupide puisque les bases des relations « modernes » entre Dieu et les hommes n’étaient pas établies, l’étude sur les Possessions diaboliques peut remonter au XIIe siècle. En 1124, nous trouvons un cas, sans doute un des plus célèbres puisqu’il ouvrait la voie au combat des exorcistes. Il se déroula au Couvent de Prémontré. « La plupart des religieux en était devenus extatiques, visionnaires, prophètes, enthousiastes, et la maison étaient remplie de fantômes contre lesquels ils se battaient jour et nuit, comme des insensés, avec le glaive et le bâton{26} ». La « Danse d’Epernach » en 1474, fut une possession durant laquelle plusieurs milliers de personnes furent touchées. Elle se répandit le long du Rhin et de la Moselle atteignant Aix-la Chapelle, Liège. Elle dura plus de quatre ans. En Saxe et au Brandebourg, l’épidémie des Nonnains, fut une contagion sans pareille qui toucha principalement les couvents de femmes, qui « grimpaient aux murs, couraient sur les toits, s’agitaient comme des bacchantes, imitaient les cris de tous les animaux. Elles parlaient les langues étrangères, pénétraient la pensée, dévoilaient les secrets des consciences, voyaient à distance »{27}. Quatre ans durant (chiffre récurent), et à partir de 1490, le couvent de Quercy fut sujet à une possession où les religieuses étaient « emportées dans les airs comme les plumes sont emportées par le vent »{28}. En France, en 1515, le monastère de Saint-Pierre de Lyon tomba sous les coups du Malin. La même chose au couvent de Kentorp, à celui de Wertet... C’est une épidémie diabolique qui durait depuis près d’un siècle, qui amena Jean Wier, en 1560, à être député par un corps de médecins et d’hommes de Dieu, au Pays-Bas, et notamment au Brabant. C’est cette expérience « du Démon » qui le poussa à écrire le De Praestigiis Daemonum.  

    Et, si ses pairs font confiance à Jean Wier, c’est qu’en 1550, il devient l’Archiatre{29} du Duc Guillaume V, Seigneur de Clèves de Juliers et de Berg. Il ne quittera ce poste pour le laisser à son fils Galen, qu’en 1578.

    Si Jean Wier nie l’existence des Démons sous le principe et la forme que leurs donnent les penseurs antiques, il croit, comme tous les Chrétiens de son époque, à l’existence et aux agressions du Diable. Il ne reste cependant pas dupe des supercheries que quelques-uns peuvent lui jouer (la tromperie de la jeune Barbara qui prétendait vivre sans manger dans la ville d’ « Unna », fut percée à jour par exemple). Jean Wier est un observateur fin et un enquêteur chevronné. Il n’est pas d’une intelligence supérieure, mais il reste malgré des certitudes liées à sa culture et à sa formation, un sceptique, qui ne croit pas à tout. Cette force lui permet de faire la différence entre duperie et faits inexplicables. Son objectif, faire la part des choses entre Sorcellerie et Maladie. Entre ce qui mérite punition et ce qui nécessite des soins. Le malade ne souffre-t-il pas suffisamment, pour avoir à subir en sus la peur, la menace, la Question et la mort sur le bûcher ? Voilà, une partie de l’œuvre de sa vie. Voilà, le De Praestigiis Daemonum.

    Jean Wier meurt en 1588, à Teklembourg...

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    Image n°3

    Fontaine des affres et des joies de la vie conjugale, XXe siècle, Jürgen Weber, Nuremberg

    Préface de Jean Wier

    J’avoue pudiquement, que j'ai entrepris dans cet ouvrage, une chose mal aisée et difficile, qui aurait pu dépasser mes maigres forces. En le proposant au public, j'ose ainsi m’opposer aux Esprits trompeurs{30}, aux Lutins{31} et aux mauvais Maîtres de ce monde{32}.

    Ces démons, ont tant de moyens impénétrables pour tromper, tant de chemins et tant de cachettes reculées pour s'échapper, qu’ils peuvent de différentes manières et façons, corrompre notre lourdeur au moyen de leur essence subtile, de leur rapidité de mouvement, de leur vie dissolue et de leur mauvaise volonté. Leurs détestables manières sont si nombreuses, que l'on se voit floué, déçu et dépité, par les moyens qu’ils utilisent et par lesquels on ne peut les attaquer. Or, encore que je sache bien que ces choses sont vraies, j’ai pourtant été nourri en une autre école et endoctriné par d’autres précepteurs et professeurs que ceux de Platon{33}, de l’ethnie superstitieuse Egyptienne{34} et autres Oracles de Memphis{35}.

    Je ne suis pas non plus de ce Procle{36}, qui selon Marc{37}, devint esclave du Diable. Au contraire, j'ai appréhendé la doctrine du Créateur du ciel, de la terre et de toutes les choses qui sont{38}, en suivant les conseils de Saint Paul{39}, « vaisseau d'élection »{40} et guerrier invincible des choses célestes contre les finesses spirituelles{41}. Et ce, en gardant les mains fermes, assuré que je suis, de ma foi inébranlable.

    Par ce moyen, j'ai approché la parole de Jésus Christ (dont le nom fait fléchir les genoux aux Esprits et au commandement duquel ils sont toujours chassés). Cette parole est le glaive de l'esprit, tranchant des deux côtés{42} et qui me fut utile dans la naissance de la clarté. Elle m'aida du rayon de sa divine lumière et de sa force de raison envers les Maîtres et Gouverneurs des ténèbres de ce monde. Principalement, cette parole m’éclaira contre cette sorte de tromperie, qui jusqu’à présent leur permettait d’obscurcir les yeux des hommes avec des brumes épaisses. Ces nuages sont si puissants, que bon nombre d’hommes ont ignoré comme marchant aveugles au milieu des ténèbres, de quel côté ils devaient s’avancer pour se mettre en sûreté. Ces ténèbres sont le Labyrinthe des enchantements et la raison qui me conduisit à entreprendre cet ouvrage, dont l’unique dessein, ayant trouvé quelques fils, est de montrer une toute autre voie pour s'en retirer. Cette route est différente de celles que j'ai pu observer jusqu’à maintenant. Et, afin que mon discours n'engendre aucune obscurité, je l'ai construit en cinq livres dont l’ordre s'accorde parfaitement à chacune de ses parties, ainsi qu'il se fait pour des ouvrages traitant d’Economie ou d’administration des choses bien entreprises.

    Bien sûr, toute cette œuvre s’entrelace de faits liés aux impostures et aux tromperies des diables. Pour cette raison, et pour préparer le lecteur à l’enseignement des choses qui seront traitées dans les Livres suivants, j'ai décrit dans le premier ouvrage ce qu’est le Diable, qu’elle est son origine et quel est son commencement, quelles ont été ses premières fallacieuses entreprises, quels ont été ses pernicieux progrès et avancés depuis Eve, et ce, depuis le commencement des choses jusqu’à maintenant. Egalement, quel est son pouvoir, quelle est son impuissance, ainsi que les limites que Dieu lui a ordonnées, en dehors desquelles, il ne lui est pas permis de passer.

    De là, voulant montrer les choses qu'il fait par le moyen de ses esclaves, je parlerai des Magiciens infâmes, qui appelant les Diables, mettent de façons diverses devant nos yeux, le résultat de leur propre imposture malicieuse, avec laquelle, sous les masques de leur divination, ils trompent les uns et les autres et souillent vilainement par leurs tromperies sataniques, les divins enseignements de la Médecine{43}. Je sépare en cet endroit les Magiciens des Sorcières, lesquelles, de part leur sexe, sont inconstantes, douteuses en la foi, jamais suffisamment certaines de leur esprit en raison de leur âge. Elles sont ainsi, beaucoup plus sujettes aux tromperies du Diable, qui s'insinue et joue de leur faculté imaginative, qu’elles soient éveillées ou endormies, pour faire apparaître de fantastiques formes qui émoussent leurs humeurs et agissent sur leur esprit et leur corps, en accomplissant des actions d’une finesse et d'une telle dextérité et adresse, que ces femmes ne savent confesser autre chose, hormis qu'elles ont fait réellement elles-mêmes ces choses. Pourtant, ces choses ont été exécutées par le Diable, suivant la permission et volonté de Dieu. Le Diable (et non ces pauvres femmes) reste la cause des calamités advenues aux hommes, ou aux bêtes, ou des pensées méchantes, ou des maux survenus envers l’ordre de la Nature.

    Ainsi, nous percevons que l’esprit de ces femmes est blessé, troublé et rempli de diverses fantaisies et apparitions. Elles ont le cerveau brouillé par la colère noire, ou par leurs vapeurs. Elles n’ont aucun Livre, nul Exorcisme, Caractère, ou semblables Monstres, comme ont les Magiciens infâmes. Et, elles n'ont nul autre Maître ou enseignant que leur propre esprit contrôlé par le Diable, qui s’appuie sur leur imagination corrompue.

     Pour ces causes chacun pourra voir aisément que les Sorcières, se différencient énormément des Magiciens infâmes. Ces magiciens sont souvent des hommes instruits et prudents, mais hélas curieux. Ils font de longs voyages pour apprendre l’Art démoniaque, afin de pouvoir se vanter ensuite de quelques impostures et tromperies des choses qui trahissent l’ordre établi de la Nature. Au contraire, les sorcières sont des femmes ordinaires, vieilles, chancelantes d’esprit, et retirées en leur maison où, comme étant toutes endormies et convenables, elles organisent et font siéger car accommodé de ces faits, ce Diable, dans lequel leur esprit se vautre si facilement.

    Principalement, elles deviennent malades de mélancolie{44}. Ou bien, elles sont attristées et en un désespoir terrible. Le Diable les trompe par ses impostures, en leur assurant qu'elles sont les causes de toutes les infortunes des hommes, des calamités et des morts. Il le fait avec une telle véhémence, que ces femmes ont la certitude comme je le dis, d'avoir commis toutes ces méchancetés, aussi grandes qu’elles puissent être. Toutefois elles en ont été fort étrangères bien qu’elles en soient pourtant coupables. J’ai également distinguées et séparées les Sorcières, des Empoisonneurs que les Grecs nommaient Pharmaciens. Ceux-ci, blessent les hommes ou le bétail par des venins avalés ou appliqués sur le corps, ou bien cachés en quelques endroits et qui peuvent blesser par leur vapeur et fumée. Ainsi, nous verrons qu'il y a une grande différence entre les Magiciens profanes, les Sorcières et les Empoisonneurs, dont jusqu’à maintenant on a parlés, disputés et arrêtés les jugements comme s'ils eussent été les mêmes.

    Afin que l’on comprenne ces choses plus facilement, je parle dans le troisième Livre de ceux que l’on considère être sous l’emprise des maléfices des Sorcières. Je montre qu'ils sont tourmentés par les Diables ou possédés par eux, suivant la secrète volonté de Dieu et sans aucune coopération d’autres Sorcières, ou d'autres hommes.

    De là, suivant l’ordre qui est convenable, je traite au quatrième Livre, de la guérison de ceux que l’on pense être ensorcelés. Cette guérison toutefois est bien différente de celles qui ont été observées jusqu’à maintenant. Je détermine par l’autorité de la Sainte et Sacrée Ecriture, et par la force des raisons, qu’il existe des guérisons illicites inventées par le Diable dans le but de consolider son règne. Celles-ci, se font par Conjurations défendues{45}, par Caractères{46}, par Liens{47}, par le port de Colliers{48} ou de Billets pendus au cou{49}, par des Anneaux{50}, par des Signes{51}, par des Images{52}, et par toutes semblables folies infernales.

    Ce que je sais à ce sujet, c’est que les esprits des hommes purgés de ces ordures, comme le furent jadis les écuries d’Augias par Hercule{53}, ont recours en toutes leurs afflictions aux moyens ordinaires que Dieu a établis. Levant pour ce faire leurs mains pures vers le ciel, ils utilisent également les remèdes sacrés de la médecine. Celle-ci, doit être appliquée dans ces affaires sans corruption, et avec une conscience pure, et cet objectif a été le principal but de toute la peine que j'ai entrepris en cette œuvre. Car, j’ai été quelque temps arrêté et occupé, plus que l’on ne saurait estimer, par la création de ce Pansement, ouvrage de fort grande importance. J’étais misérablement tourmenté de grandes douleurs (Dieu le sait) par la nécessité de ce que je voyais dans ce que subissaient ces pauvres vieilles folles, trompées par le Diable, que vulgairement l’on nomme Sorcières, et qui n'avaient commis aucun forfait particulier (je ne parle point de celles qui empoisonnent). Ces femmes étaient toujours et en tout lieu, cruellement et inconsidérément précipitées et jetées sans aucune pitié dans

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