Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Personnes en flammes
Personnes en flammes
Personnes en flammes
Livre électronique321 pages5 heures

Personnes en flammes

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Ce récit débute inéluctablement par la description des circonstances et des conditions de la naissance d’Albino, lesquelles, une quarantaine d’années plus tard, déterminèrent le choix de son nom de guerre. Son bref séjour en France établit, indestructibles, les racines de son existence. Il s’ensuivit son déménagement au Portugal, chez ses grands-parents, avec qui il vécut, après que ses parents regagnèrent la France. Cette époque fut intensément caractérisée à la fois par le néant existentiel et une gaieté enfantine illimitée. Après, quelques années plus tard, alors âgé de 16 ans, il déménagea de nouveau, pour cause de ses études, cette fois-ci chez son oncle, à Lisbonne. Cette nouvelle phase de sa vie ne lui fut guère bénéfique : il connut davantage le nihilisme à tel point qu’il finit par perdre totalement son sourire, même si sans endommager le jardin de son for intérieur.
Pis : autres séismes se produisirent ultérieurement dans sa vie : sa condition psychologique continua à s’éroder, jusqu’à l’os, notamment au moment des troubles survenus en 2003. Les répliques de ce dernier eurent son apogée lors de son séjour en Timor-Est où son âme vola en éclats, fruit de l’action de garces sans scrupules et d’anacondas venimeux.
L’être humain, à l’instar d’un cactus ou de la plante welwitschia mirabilis, est miraculeusement doté de caractéristiques surprenantes qui lui permettent de saisir la vie, et ce en dépit de l’aridité du milieu où il vit, sans avoir égard aux sédiments toxiques compris dans le substrat de son existence.
LangueFrançais
Date de sortie24 oct. 2019
ISBN9782312067247
Personnes en flammes

Auteurs associés

Lié à Personnes en flammes

Livres électroniques liés

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Personnes en flammes

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Personnes en flammes - Abel Lion Albino

    cover.jpg

    Personnes en flammes

    Abel Lion Albino

    Personnes en flammes

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2019

    ISBN : 978-2-312-06724-7

    À tous mes ennemis : Thérèse Soussa, Sus!Anne, Lara, Louise, Cleojas, GNR… Tant d’autres ! Vous m’avez passionné par les horripilantes ombres de vos âmes, par la portée de vos vies toxiques, par la pureté de vos délires vénéneux !

    Vous m’inspirez la pitié, une immense et incommensurable pitié ! Il est triste que vous soyez si obtus !

    J’ai fièrement survécu à vos morsures.

    Il était une nuit très chaude. Le soleil avait embrassé la terre au cours de la journée. Il était toujours ainsi à cette période de l’année, sans faille, entre mi-juin et mi-août. On était en plein été. La force énergique de cette étoile était telle qu’elle forçait tout être vivant à chercher plutôt une ombre pour s’abriter, de préférence auprès d’un cours d’eau. Seule cette force à la fois magnifique et abrupte, certes point clémente, arrivait à revigorer le maїs qui poussait sur les champs, le seigle et les haricots ; à faire saigner les pins aux pommes de leur résine dans la forêt qui s’étendait tout autour d’un village, dans le centre du pays, nommé Brejo de Baixo. Pendant la nuit, jusqu’à vers trois heures et demie du matin, la croûte terrestre dégageait la chaleur accumulée pendant le jour. À midi, un œuf plongé dans un verre d’eau au soleil cuirait facilement en deux ou trois heures.

    Une madame attendait sur son lit. Dès le début de la nuit, dès les vingt et une heures à peu près, qu’elle pronostiquait dans les prochaines heures la venue au monde d’un nouvel être humain qu’elle portait en son ventre. L’inévitable se produisit en fait avec succès, même si très tard, après une attente de plusieurs heures. Voici qu’à deux heures du matin du 5 août de cette année de 1969, jour de Saint Abel, naquit un enfant du sexe masculin pesant trois kilogrammes environs.

    Le cordon ombilical coupé et son corps nettoyé du sang et des fluides utérins, le nouveau-né fut sitôt mis à côté de sa mère. Il se suivit quelques procédés d’agencement de la mise en route d’un nouveau cordon ombilical entre lui et le reste de la famille, en particulier entre lui et ses parents : le choix de son prénom, de son parrainage et du mois et du jour de son baptême. Ceci ne constituait point un simple procédé protocolaire ou un pur rituel symbolique, il ne s’agissait rien de moins qu’une démarche qu’il fallait accomplir pour le rendre membre effectif de la famille, pour l’intégrer parmi les êtres vivants en tant qu’individu et citoyen. À cet effet, il fallait l’attribuer une identité propre, formelle et univoque. Cet acte comprenait en réalité un ensemble de règles déterminées par l’espèce humaine, inhérentes à sa culture, à ses pratiques, celles-ci affinées tout au cours de son évolution. Ces procédés se jugeaient a priori situés dans un échelon supérieur par rapport aux pratiques sociétales rencontrées chez les autres animaux, sur la ligne d’évolution de l’ensemble des espèces. Cette mère n’avait pas mis au monde un nouveau-être avec la même signification qu’une femelle quelconque le faisait au sein du troupeau où elle appartenait, dans les savanes d’Afrique par exemple, dans le règne animal en général.

    Tous les points requis furent observés, y compris l’attribution du parrainage. Néanmoins, à la dernière minute, à la veille de la fête du baptême, une convocation du parrain pour intégrer sans délai le régiment militaire pour Angola força à un changement des plans préalablement établis. Cet imprévu obligea sur-le-champ à faire un nouveau choix pour rendre possible l’observation de ce devoir chrétien. Le bébé prit le prénom de ce nouveau parrain, Albino, suivi du prénom du père de sa mère, après l’un des noms de la famille de la mère de l’enfant et, finalement, le nom de famille du père de l’enfant. Voici la constitution structurelle de la nomination de ce bébé : de ce nouvel habitant d’un petit village du centre de Portugal, de la planète Terre.

    En raison des mauvaises conditions de vie, son père partit pour la France en février de l’année suivante, 1970. Sa mère continua à vivre dans ce village avec son petit fils, en attendant que les circonstances se révélassent adéquates et fructueuses. En fait, tout d’abord le bébé, âgé de cinq mois à peine, ne permettait guère entreprendre un long voyage, une entreprise qui pourrait s’éterniser sur plusieurs jours d’affilée, et ce par étapes, en plusieurs moyens de transports. Autres problèmes de circonstance se posaient aussi : l’inexistence de conditions sociales acceptables de cette famille dans le pays d’accueil eu égard aux aléas de la vie, l’usufruit d’un travail et d’un domicile stable notamment.

    La mère d’Albino décida de rejoindre son mari quand ceci avait deux ans. Une opportunité formidable s’était enfin produite. Certes, la stabilité familiale dans le pays d’accueil ne constituait pas une condition suffisante pour occasionner le départ de la femme avec son fils. La survenue d’un plan crédible de voyage était de même un point essentiel à tenir en compte car rarissime de se présenter. Dans ces années le continent européen, fortement délimité par de frontières, ne permettait point envisager un voyage entre les pays avec les traits linéaires d’aujourd’hui. La simple problématique d’obtenir un passeport constituait une petite partie de l’iceberg de cette échappée à la pauvreté.

    La jeune mère laissa son village avec deux cousines, deux filles d’un frère de sa mère. Un chauffeur de taxi s’était spécialisé dans le transport des gens de Portugal pour l’Espagne, en enjambant la frontière entre ces deux pays, à Vilar Formoso. Un tel voyage renfermait une astuce comprenant plusieurs chauffeurs tantôt du côté portugais, tantôt de la partie espagnole, voire, un professionnalisme des plus raffinés où il se comptait la connaissance de contacts-clefs dans les services de douane.

    En dépit de l’organisation méticuleuse du voyage, par un agencement chronologique entre les plusieurs parties ou étapes, à un moment donné un contretemps se produisit sitôt atteignit le sol espagnol : elles durent s’enfuir de la police, se cachant dans un champ de blé et de chênes verts. Il était nuit mais grâce à la lune, elles arrivaient à entrevoir un chemin de fuite. Le problème majeur ne résidait pas toutefois dans l’obscurité plus ou moins prononcée de cette nuit pour qu’elles pussent se sauver au milieu de nulle part : la présence de l’enfant noircissait davantage une issue heureuse, en raison du fardeau qu’il constituait et de l’imprévisibilité des caprices de ses états d’âme.

    Après plusieurs centaines de mètres de fuite, les trois femmes rencontrèrent finalement un corral vide de son bétail, de portes ouvertes, où elles firent une halte pour reprendre leurs souffles, cachées parmi le foin, des caisses en bois et de récipients en métal. Malgré les avantages d’une nuit relativement claire, cet éclairage survint au cours de la nuit erronée. Celles, jouissant de la nouvelle lune, où l’obscurité est dense et impénétrable comme dans un trou noir ou dans les plis et replis de l’espace intersidéral, bénéficiaient d’un atout majeur : elles permettaient de disparaître par magie par une simple immobilité des gestes, sans trop d’effort, sans s’essouffler dans une longue panique.

    En dépit du lieu, une construction pour abriter des animaux où il puait aux excréments et à leurs odeurs, le seul fait de se sentir protégées par les quatre murs les procuraient une certaine assurance contre les plusieurs dangers de la nuit et de l’inconnu ; il les assouvissait de la peur d’être prises par la police. Toutefois, une grande anxiété se maintenait irrémédiablement à fleur de leurs peaux : elles avaient conscience qu’elles ne pourraient pas y rester indéfiniment.

    Voilà, le premier grand obstacle avait déjà été franchi. Devant elles, un vaste chemin manquait encore à parcourir. L’Espagne était un pays par trop immense, des plus spacieux. Elles y auraient bon nombre d’autres endroits pour se cacher, sans nul doute, mais elles devaient mettre davantage en route un plan de sauvetage dans le sens de trouver les souhaitables moyens de transport qui les mèneraient jusqu’à la frontière française, en Hendaye. Pour l’instant, afin qu’elles pussent sortir de la présente impasse, personne ne pourrait prononcer un mot ou produire un souffle, serait-ce presque muet, les pieds ne pouvaient non plus provoquer des bruits perçants, soit en piétinant une branche d’arbre morte ou de l’herbe, soit en faisant rouler un caillou imprudent. Aucun bruit pourrait résonner à l’intérieur de la nuit.

    Peu à peu elles se dirigèrent dans la direction de la zone d’arrêt des trains. Elles y retrouveraient de même la station des taxis. Elles n’avaient que retrouver un autre chauffeur espagnol, œuvrant dans le transport de sans-papiers pour la France. Les lumières de la ville ne se trouvaient pas loin. Elles avaient couru tout à l’heure, dans la fuite, une large demi-heure devant de la police jusqu’au corral, mais le hasard du chemin parcouru ou piétiné avait occasionné un parcours circulaire, en arcs successifs, nullement si écarté du point de départ. Toutefois, cette courte distance qui les séparaient de la zone qu’elles voulaient gagner de nouveau, serait-elle d’une longueur relative pour de jambes fatiguées, représentait, en termes psychologiques, la différence entre le tout et le rien.

    La mère du bébé essayait de maintenir ceci calme, rassasié. Elle le faisait téter souvent. Elle avait conscience qu’un pleur, strident ou non, se soldait en un échec de l’entreprise. Comment dire à un enfant qu’ils se trouvaient dans l’illégalité ? Comment lui transmettre que quand les seins de sa mère s’épuiseraient de son lait qu’il était nécessaire endurer la faim pendant une ou deux heures, jusqu’à retrouver un magasin, mais qui en attendant qu’il serait totalement inutile revendiquer la moindre goutte de lait ?

    Leurs pires craintes survinrent fatalement. Dans un moment où ces femmes avaient absolument besoin de la chance, la bombe qu’une d’elles transportait en ses bras explosa avec tout son mécontentement : le bébé pleura de fatigue, d’inconfort et de faim. La révélation de leur présence ne pouvait pas s’exhiber plus ostentatoire. La situation présente correspondait à se cacher derrière le chanteur en plein concert pour se soustraire des regards et de l’attention des autres. L’enfant criait avec toute sa force, il s’agitait fébrilement, rien ne concourait à sa satisfaction. Les femmes avaient beau le caresser, lui murmurer de mots rassurants, le bercer dans les bras, lui donner tout ce qui leur était possible, rien ne l’arrêtait de s’escrimer contre le sort. Il ne fut qu’après de longues minutes, à coup sûr épuisé, qu’il laissa, voilà, que le chant des grillons remplisse finalement l’espace. Elles aussi se sentaient toutes exténuées, prises par la faiblesse tant physique que psychologique.

    Il était des temps difficiles !

    Après un moment d’accalmie, avec tact, après une analyse minutieuse de ce qui se passait sous la lumière des réverbères, elles sortirent du secret de la nuit, du soutien de son ombre. Elles avaient besoin de continuer, même si nécessaire à plat ventre ou à genoux. Essoufflées, elles se faufilèrent de nouveau parmi la foule des voyageurs. Le corps humain, par le biais de la volonté d’esprit, constituait en fait une machine exemplaire de résistance à l’adversité, à faire face à l’impossible. De contraire, elles n’auraient pas pu sortir vivantes de ce champ de cailloux et d’herbe par leurs propres pieds.

    Petit à petit elles se mirent dans le contexte de la situation : l’heure des trains, les documents qu’il fallait pour acheter des billets, les prix de ces derniers, les noms de quelques chauffeurs de taxi à chercher en cas de nécessité pour faciliter adroitement le voyage. Peu importait en quelle direction elles se tournaient, les conversations entre les groupes de gens qui demeuraient sur les quais de la gare ne s’écartaient pas du souci et de la problématique du voyage pour la France. L’endroit se trouvait peuplé d’autres portugais sans-papiers. On les repérait au loin par la quantité de sacs qu’ils transportaient, par leur forme de s’habiller et par la fatigue estampillée sur leurs visages.

    En territoire français, elles durent aussi fuir des autorités locales, se cacher. Les difficultés de ce voyage ne permettaient point d’accorder de trêves en aucun moment. Il fallut avoir les cinq sens en alerte en tout instant pour prendre le plus de renseignements possibles, maintenir sous l’œil les groupes de voyageurs qui semblaient bien informés pour les suivre ou imiter leurs gestes, leurs procédures.

    Rien ne les faisait reculer. Dussent-elles verser toutes leurs larmes pour résister aux revers de fortune, elles iraient jusqu’au bout. Elles avaient mis en exergue du principe de leur entreprise le mot « vouloir », préambule de succès. Chaque étape constituait un pas décisif, certes, mais le franchissement des frontières, les points chauds où la peur se sentait plus crue, se révélaient les moments les plus ardus et les plus angoissants. Le bébé, exogène et invariant à ces heures afflictives, continuait tout à fait insatisfait, et ce malgré non seulement l’immense appui donné par d’autres voyageurs par des mots tranquillisants ou attentionnés, mais aussi par l’offre de succédanés divers comme de biscuits et de biberons de lait. Il ignorait encore la vraie signification du mot « vouloir », mais il restait avec les bases de sa signification pratique.

    Les expressions des visages des trois femmes accusaient à ce point du voyage une fatigue extrême, profonde, comme une terre érodée par une forte tempête. Les derniers jours, même s’ils eurent vingt-quatre heures à l’instar de tous les autres, ils avaient été plus longs que l’habituel : le temps chronologique n’avait point coïncidé avec le temps psychologique, le stress ayant opéré cette différence de perception. Il s’agissait de jours béatifiés par le rêve d’une vie plus propice et fortunée, moins simple et ordinaire. La vie au Portugal était difficile. Le travail dans les champs épuisait jusqu’à la dernière molécule d’énergie. À la fin, au bout de plusieurs mois de travail, le résultat de ceci ne se soldait que par un maigre gain de pièces d’argent et par une demie poignée de denrée, cultivée par beaucoup de sueur et à la force des bras. La vie avait de fortes similitudes avec la destinée des fourmis : elles travaillaient intensément entre le début du printemps jusqu’à fin septembre, période où le travail dans les champs et dans la forêt nécessitait d’une attaque immédiate et constante. Elles se préservaient plutôt la partie restante de l’année en vertu de l’inclémence de la fin de l’automne et de l’hiver.

    Derrière elles, il était resté la saudade des gens les plus proches, ce grand sentiment spécifiquement portugais rencontré en nulle part d’autre. La coupure avec le pays d’origine ne se faisait jamais, malgré l’absence sur plusieurs mois d’affilée, sur plusieurs années en continu. Il s’agissait du fado, le destin de la vie.

    La France était un pays complètement nouveau : le niveau de développement, la vie en ville, la langue, la routine, le mode alimentaire. Toutefois, la puissance du verbe vouloir continuait à éponger toutes les affres de l’inconnu. Malgré les plusieurs sursauts qui successivement se produisirent pendant le voyage, eux, d’une noirceur et d’une suffocation comme celles d’un étroit cul-de-sac, elles étaient bel et bien arrivées à la destination. Il ne fallait désormais que continuer à être du fer pour supporter les premiers mois : apprendre la langue, gérer le budget disponible, ceci, d’ailleurs, infiniment limité, trouver un emploi. Le père d’Albino, accumulant déjà deux ans d’expérience, les donneraient une précieuse orientation dans cette nouvelle vie.

    À l’âge de quatre ans, toujours en France, le petit Albino vécu chez son oncle et parrain, et sa respective femme. Ils habitaient dans un autre département, le soixante-quatorze, tandis que ses parents vivaient dans le département de Lozère. Sa mère était entrée à l’hôpital, raison pour laquelle l’enfant changea provisoirement de résidence. Ce fut sa première expérience de vie en dehors du noyau familial. Cette situation vite révéla sa nature timide, un ennui psychologique intense, une grande angoisse devant ces étrangers. Dès l’abord les premières impressions que l’enfant découvrit, et qu’il perçut intensément différent, furent les odeurs. Il ne reconnaissait point les plusieurs exhalations qui émanaient depuis les objets qui existaient à l’intérieur de la maison, ou simplement qui surnageaient dans l’air qui l’habitait, soit les effluves qui ces deux personnes elles-mêmes répandaient. Totalement déconcerté, à l’exemple d’un lionceau soustrait de son berceau dans la savane et déposer dans un zoo ou dans un petit jardin japonais d’une villa, il se sentait embarrassé à parler avec eux, même dans les moments les plus critiques, il déféquait dans les culottes presque tous les jours. Entre la maison proprement dite et les toilettes, à l’extérieur de celle-là, il fallait s’esquiver un chien y attaché, qui l’apeurait par sa taille, la fureur de son hurlement et la blancheur de ses dents. Les premiers jours, son parrain et sa tante perçurent cet acte comme une irresponsabilité de sa part, un fait synonyme de paraisse, une négligence tout à fait grossière. Toutefois, avec le temps, toutes les fois qu’ils le voyaient immobile dans un coin, signe de dissimulation de ses fesses et de confinement de l’odeur, la femme, sa tante, avait appris à diagnostiquer ce problème non seulement en lui menant aux toilettes, mais aussi en le surveillant pour vérifier si en un moment donné quelque bizarrerie se passait avec lui. C’étaient, voilà, de gestes simples très attentionnés qui fort l’aidaient à éviter de reproches.

    Il était encore le seul enfant à la maison. Le couple s’était marié récemment. Peu à peu, au fur et à mesure que les jours s’écoulaient, l’enfant se sentait de plus en plus comme chez lui, à l’aise. Inclusivement la présence du chien devint de moins en moins intimidante. Sa tante avait même montré à plusieurs reprises que ceci ne constituait pas le danger qu’a priori on supposait et qu’on pouvait jusqu’à lui passer les mains par ses poils, caresser son museau.

    Quelques semaines plus tard, il rentra de nouveau à la maison avec ses parents. Il était cependant un autre enfant qu’il ne connaissait pas, un intrus qui obligeait nettement à une réorganisation de la vie en famille. Il s’agissait de son frère qui était né. Le temps heureux et parfaitement conforme à sa vie antérieure à cette coupure était arrivé de nouveau. Les jours reprirent naturellement leur trajectoire cyclique habituelle, leur brillance du partage du même toit.

    Peu à peu le petit Albino connut la fille de ses voisins, Françoise, avec qui il engagea une entente extraordinaire. Elle avait le même âge que lui. On était dans un minuscule village qui s’appelait Boringes. On pouvait le parcourir mètre par mètre dans une trentaine de minutes. Il était un lieu idyllique, admirablement rural et en parfaite communion avec la nature. Les maisons se trouvaient entretenues avec soin, les rues se gardaient impeccables du point de vue de sa propreté et de son adéquation à la circulation piétonnière ; de nombreux jardins et de vases avec de fleurs en face des habitations agrémentaient la petite agglomération de couleurs vives, l’air se voyait fréquemment animé par les résonances des clochettes des troupeaux de vaches se déplaçant soit à son intérieur, soit au loin sur les champs ; la cime des montagnes aux alentours se maintenait enneigée la majeure partie de l’année, le vert exubérant de la flore se développait spontanément par endroits. Il était un village des plus vivants, un paradis terrestre dessiné selon les traits et les goûts des édens originaux.

    Ils ramassaient des escargots ici et là ou simplement ils s’amusaient de même en plein air avec de jeux inventés par eux sur le moment. Parfois les deux enfants jouaient à l’extérieur de la maison d’une autre fille, Jacqueline, dans son jardin. Sa mère les mettait cependant dehors car elle croyait qu’ils endommageaient la pelouse en courant dessus ou qu’ils piétinaient ses précieuses fleurs qu’elle soignait avec toute son attention. Jacqueline était une fille deux ans plus âgée que Françoise et Albino. Elle était une fille très belle, blonde telle la couleur d’une prairie de jonquilles, d’un sourire qui, on ne savait pas si en vertu de sa force féerique ou grâce à la fierté qu’il inspirait, aimantait fort le regard. Elle possédait ainsi deux atouts majeurs point négligeables. Les deux ans de différence d’âge qu’elle avait de Françoise et d’Albino lui permettaient déjà de voir la vie d’une façon différente, elle voyait notamment plus loin que les simples jeux enfantins.

    Malgré le geste de la mère de Jacqueline, celle-ci ne constituait point quelqu’un de froid ou d’impitoyable. Elle juste aimait son jardin, elle seulement s’efforçait à le maintenir entier. Parfois elle les donnait l’option de jouer à l’intérieur de la maison avec le lego, au loto, enfin avec un jeu de société parmi une multitude de possibilités. Mais ils préféraient l’extérieur. Ils ruaient alors vers les champs. Jacqueline ne les accompagnait pas, elle préférait, ou elle devait, rester à la maison pour faire les devoirs de l’école.

    La topographie de la zone qui entourait le village se caractérisait par des terrains plats. Il était de grands champs d’herbage intercalés par des étendues de forêt d’une dizaine de kilomètres carrés. Les éleveurs de vaches équipaient tout le long du périmètre de leurs champs des fils métalliques dans lesquels circulait une petite tension électrique. Cette installation servait pour encercler les vaches. Parfois, quand il y avait à l’intérieur du champ un champignon, un escargot ou une herbe que les deux enfants voulaient cueillir ou ramasser, ils entraient ou simplement ils mettaient un bras entre les fils. Par manque dextérité ou par accident il arrivait qu’ils les touchassent. Ils subissaient instantanément une légère électrocution. Ils frémissaient pendant une dizaine de secondes au bout desquelles la tension s’annihilait, certes, engloutie par la matière. Grâce à la répétition de ce genre d’accident, le choc devint indolore jusqu’au point de provoquer une certaine euphorie en les touchant avec un doigt.

    Il était un lieu magnifique pour les randonnées. Au loin il s’étendait un massif de montagnes dont le sommet arborait de la neige la majeure partie de l’année. Albino accompagnait souvent à bicyclette un éleveur de moutons qui menait les animaux aux champs, puis, à la fin de l’après-midi, après qu’ils se furent rassasiés d’herbe, au moment où il les ramenait derechef à leur étable. Le garçon, avec ses cinq ans de vie uniquement, trouvait fantastique l’acheminement par les sentiers d’une si grande quantité d’animaux, tous disposés d’une manière inextricable en une énorme surface de laine.

    Il s’amusait souvent avec ces bêtes. Les plus jeunes se montraient toujours disponibles et réceptifs au divertissement. Son enthousiasme finit cependant lorsqu’il se récréa avec un bélier fort corpulent et qui arborait, en outre, de grandes cornes. Il s’agissait d’un animal majestueux, partant intéressant de découvrir. Au début, il s’était laissé caresser en même temps qu’il se nourrissait de brins d’herbes qui poussaient sur le sol. Sa presque immobilité permettait à l’enfant de lui frotter son tapis de laine blanche, constitutive de son corps, et de tâter jusqu’à ses respectueuses excroissances spiroïdales. Le mouton, ou dérangé par de mains importunes ou indisposé par la présence d’un intrus si bizarre, le jeta à l’improviste avec un coup de tête sur une touffe d’orties qui par hasard poussait à côté. L’éleveur, très soucieux de l’état de l’enfant, vite courut pour le redresser. La forte démangeaison des bras de l’accidenté l’obligea à mener tout de suite vers chez lui à dessein d’imbiber la peau avec du vinaigre afin d’apaiser la forte douleur urticaire causée par les plantes.

    Les vaches ne l’avaient jamais inspiré ce genre d’amusement. Elles avaient une anatomie par trop pesante et de difficile accès. Il ne les admirait qu’à la distance. Il aimait voir en particulier l’enlèvement du lait par les parents et les frères de Françoise et le fonctionnement du mécanisme électrique qui enlevait les détritus de leur alimentation et leurs excréments de l’étable vers l’extérieur. Les parents de celle-là avaient un troupeau d’une quarantaine d’animaux. Il était chez elle qu’allègrement le jeune Albino s’approvisionnait, à la demande de ses parents, du lait que cette famille consommait aux petits déjeuners.

    Françoise constituait une autre sœur pour Albino. Ils passaient ensemble la totalité du temps libre. Un jour leur amusement fut subitement interrompu par la mère de Françoise. Ils s’amusaient en simulant une scène cinématographique. La fille remplissait le rôle de femme, lui, le garçon, soit de mari, soit de médecin. Le sketch où Françoise eut besoin de faire une visite médicale, le professionnel de la santé, pour un examen adéquat, fut obligé de l’enlever le tee-shirt et la jupe pour l’ausculter sans le moindre obstacle. La mère de Françoise apparut toutefois à l’improviste. À la perception du jeu, elle proféra de vociférations contre l’amusement des deux en même temps qu’elle prit sa fille par une main. Elles se retirèrent en toute hâte dans le même instant. Le petit garçon se sentit troublé en vertu de l’attitude de la mère de Françoise : il ne comprit pas son mécontentement. Ce faisant, malgré l’innocence du jeu, le garçon Albino fut pris d’assaut par une totale difficulté à trouver vis-à-vis non seulement la mère de Françoise, mais aussi Françoise elle-même.

    Les jours suivants il refusa jusqu’à chercher le lait comme d’habitude. Il passa désormais son temps à s’amuser seul avec ses jouets ou à ramasser des escargots sur les murs, loisir qui le plaisait d’ailleurs énormément. Son père les gardait vifs dans un bidon, aménagé pour cet usage, pour les consommer avec des amis. Ses parents avaient souvent de visites de courtoisie à la maison. À dessein de concrétiser une socialisation parfaite entre les convives rien de mieux qu’un repas gourmand comprenant du vin ou de la bière avec des escargots dûment cuisinés par sa mère. Quel qui fut son occupation, à l’extérieur ou à l’intérieur de l’enceinte de la maison, elle se déroulait absolument loin du regard

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1