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Et l'Homme créa le Monde et les dieux
Et l'Homme créa le Monde et les dieux
Et l'Homme créa le Monde et les dieux
Livre électronique336 pages5 heures

Et l'Homme créa le Monde et les dieux

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À propos de ce livre électronique

Les religions, mais aussi les idéologies fondées sur l'athéisme du ressentiment, relèvent de la croyance, au moins sur la question du divin et de ses attributs. Mais la croyance n'est pas la connaissance. Croire c'est faire crédit , c'est ajouter foi à un discours dont on n'a nullement vérifié le bien-fondé. Dire « je crois en Dieu » ou dire « je ne crois pas en Dieu », affirmer que « Dieu existe » ou affirmer que « Dieu n'existe pas » c'est parler pour ne rien dire, et se quereller à ce sujet n'a aucun sens, car dans les deux cas on est dans l'incapacité d'apporter la preuve de l'existence ou de l'inexistence de Dieu. L'intime conviction ne suffit pas pour poser une vérité.
LangueFrançais
Date de sortie20 déc. 2013
ISBN9782312019482
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    Aperçu du livre

    Et l'Homme créa le Monde et les dieux - Robert Soustre

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    Et l’homme créa le monde et les dieux

    Robert Soustre

    Et l’homme créa le monde et les dieux

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01948-2

     « L’état d’ignorance, à des degrés divers, est l’état de chacun d’entre nous. Le choix des plus communs est de s’y complaire et de refuser tout changement. Cela constitue l’assise de tous les conservatismes et de tous les fanatismes qui conduisent aux totalitarismes. »

    GUY VIGEOIS

    « Les nouvelles doctrines ne s’établissent pas sans l’opposition de la part de la vanité, de l’ignorance et de l’intérêt. »

    DENIS DIDEROT

    Du même auteur

    Poésie

    La pierre et le sang, Éditions P. J. O. 

    L’errance, Éditions J. Millas-Martin.

    Des ronces et des mains, Éditions J. Millas-Martin.

    Mots et rivages, Éditions L’Amitié par le Livre

    Centuries et autres massacres, Auto-Edition.

    Florales, Auto-Edition.

    Galatée, Éditions Barré et Dayez.

    Roman

    J’ai ordre de tout brûler, Éditions L’Amitié par le Livre.

    Mémoires d’une deudeuch ou Deuch, la P… irrespectueuse,

    Éditions Barré et Dayez. Réédtion Publications A.. E. Pro Memoria chez The Book Editions. com.

    Les fils de Bélial, Publications A. E. Pro Memoria chez The Book

    Editions. com.

    Le rêve du Léviathan, Publications A. E. Pro Memoria

    Un cancre au Lycée, Publications A. E. Pro Memoria chez The Book Editions. com.

    Introduction

    Les religions, toutes les religions, mais aussi les constructions idéologiques fondées sur l’idée d’un homme auto-promu à un statut divin, sur celle d’un sauveur qualifié de « providentiel », ou encore sur l’athéisme du ressentiment incarné dans un personnage nécessité par l’histoire, relèvent de la croyance, au moins sur la question du divin et de ses attributs ou sur la question d’une société-termitière à pérenniser. Mais la croyance n’est pas la connaissance au sens rationnel de ce terme. Croire, c’est faire crédit, c’est ajouter foi à un discours construit au cours du temps dont on n’a pas cherché à critiquer les fondements. Par contre, savoir, au sens rationnel et scientifique du terme, c’est établir une adéquation entre la réalité dont on parle et les mots qui prétendent en rendre compte. Il y a un objet délimité dont on parle et un sujet qui l’observe et l’étudie afin de formuler des propositions pour en dire les caractéristiques. Le dialogue ainsi institué entre le sujet et l’objet ne saurait impliquer l’intervention de facteurs explicatifs a priori émanant, c’est ce que prétend le croyant, de quelque Autre intervenant en tiers. C’est pourquoi, dire que le matérialisme méthodologique et l’exclusion de tout principe explicatif a priori sont les conditions premières de toute recherche scientifique est une évidence à laquelle nul ne saurait échapper… Encore faut-il dépasser l’acception ordinaire des termes et définir, à partir de l’instance unique de savoir qu’est la conscience verbale, ce que sont ou ne sont pas les termes de « matière » et d’« esprit », si tant est qu’ils puissent être distingués.

    Par ailleurs, dire « je crois en Dieu » ou dire « je ne crois pas en Dieu », affirmer que « Dieu existe » ou affirmer que « Dieu n’existe pas » c’est, implicitement, se référer, pour la nier ou non, à une singularité lexicale pourvu de sens, c’est à dire à une entité individualisée appelée « Dieu », de nature plus ou moins anthropomorphe, distincte de la conscience qui l’évoque et à laquelle, ne serait-ce que pour la nier, on donne du sens. A vrai dire, c’est, en ce cas, parler pour ne rien dire, et se quereller à ce sujet n’a aucun sens, car dans les deux affirmations on est dans l’incapacité d’apporter la preuve de l’existence ou de l’inexistence de Dieu. L’intime conviction ne suffit pas pour poser une vérité acceptable par tous. La profession de foi est un acte volontariste qui n’a de sens que pour celui ou celle qui parle et la seule présence attestée de Dieu est donc celle que lui donne le langage dans un mot du lexique de la langue considérée. Contrairement à ce qu’affirment la plupart des religions, notamment les religions monothéistes issues du Proche-Orient, il n’y a pas une parole de Dieu distincte de celle des hommes, seulement une parole des hommes parlant et inventant la parole de Dieu. Qu’il existe ou non, Dieu vient au monde dans la conscience du primate qui en crée le nom. Et c’est par le langage de l’homo sapiens (paléolithique moyen et supérieur) que les hommes entrent en quelque sorte dans l’histoire en inventant (de l’indo-européen GwEN-, venir) le monde, c’est-à-dire en donnant du sens à ses diverses composantes pour les faire exister dans sa conscience et dans sa mémoire, en créant les rites funéraires, puis les dieux que la nostalgie de leur histoire affective infantile réclame. Que la croyance en Dieu ait été un réconfort pour le plus grand nombre, que cela ait amené à produire beaucoup d’œuvres admirables tant en architecture que dans les autres domaines de l’art, que cela ait amené, au nom d’une conception universelle de l’homme et de l’éthique, à pallier souvent les carences des pouvoirs civils en matière de justice sociale, nul ne saurait le nier. Mais que les contes, les fables, les légendes, et ce qu’on appelle « mythes » afin de les distinguer culturellement de ce qu’on appelle « religions », aient pu faire réfléchir les hommes et inspirer nombre d’œuvres aussi admirables ne contraint nullement à considérer pour vrais les mondes qu’ils évoquent. Et que certains croient à leurs rêves nocturnes comme à une réalité jumelle de la réalité de l’éveil n’oblige personne à les suivre.

    Il faut, en effet, se rendre à l’évidence suivante : toute affirmation à propos du monde, à propos de la nature, à propos de l’homme ou à propos du sens de la vie et du sens de la mort s’exprime au sein de la seule conscience de l’homme. Et la conscience ne se dit que par ce qu’elle contient ; elle passe d’une potentialité « involuée » à une réalité évolutive dans les mots qu’elle invente et autorise. Elle est principe et unique instance de vérité ou d’erreur. C’est au sein de la conscience – conscience de soi et d’autre chose que soi - que naît le langage, c’est en elle que le temps s’ébauche par l’intentionnalité posant un futur sur un fond mémoriel qui est un passé ; il n’y a, en effet, de passé et de futur que dans une conscience au présent. C’est dans la conscience que s’élaborent les vérités scientifiques et c’est aussi en elle que se construisent les mythes qui narrent la création du monde, celle de l’homme et de son destin. Il n’y a pas, ici, de tiers pensant pour servir de référence et d’étalon à tout ce qui est affirmé ou nié en dépit de ce qu’affirment les dogmes en parlant de prophètes divinement inspirés. L’homme seul fait surgir le monde et lui-même comme savoirs selon les deux instances logiques du langage, celle de l’identité qui ramène l’inconnu au connu, c’est-à-dire au contenu rationnel de la conscience de l’homme même, et celle de l’analogie qui cherche à restituer la totalité symphonique de tout ce qui est de manière métaphorique au moyen des mythes, des religions et de l’art. Mais, d’un point de vue rationnel, ces deux domaines de production du savoir n’ont pas le même statut. L’un se fonde sur la raison élaborant les faits et l’expérimentation en s’appuyant éventuellement sur l’inventivité comme fruit d’une imagination sous contrôle, l’autre, de manière prépondérante, sur l’affectivité sollicitant l’imagination ; l’un produit l’accord des esprits, l’autre, souvent, les divise quand il prétend, en matière religieuse ou idéologique, imposer comme vérité intangible ce qui ne relève que de la subjectivité individuelle et collective.

    En tout état de cause, c’est l’homme qui fait naître le monde et lui-même comme faits de conscience, qui les fait passer de l’inexistence à l’existence, de l’involution à l’évolution ; c’est l’homme qui intellectualise progressivement ce qu’il fait exister (ex-sistere, de ex, « hors de », et sistère, « être placé », lui-même venu de l’indoeuropéen sta, « être debout ») et le « spiritualise » afin de le relier à la source constituée par l’Inconscient collectif, ceci pour exister pleinement dans la Conscience collective. Il y a co-extensivité de la conscience critique, de l’intelligence donc, et du monde en tant que savoir. Remarquons, de surcroît, que la conscience en tant qu’elle produit la temporalité introduit conséquemment la transcendance, celle-ci exprimant le fait de se saisir comme partie prenante d’un futur, lequel produit, outre l’aventure intellectuelle et technique de l’humanité, la foi religieuse. Mais celle-ci devrait fondamentalement, sans référence à quelque dogme que ce soit, être seulement un élan confiant vers cette « transcendance » de l’aventure humaine produisant son futur et exprimant une sympathie plénière (sympatheia, au sens stoïcien d’affinité) à l’égard de toutes les formes d’existence et à l’égard de la vie de la matière-esprit évoluant dans les savoirs au sein de la conscience collective. Car la conscience est nécessairement la substance de ses propres savoirs et de la temporalité qui les sous-tend, notamment du futur qui l’engage dans un devenir.

    Il nous faut donc nous en convaincre, personne, sur cette terre, ne pense à côté de nous en tant que tiers pensant. Nous pouvons attribuer nos pensées à un être cher décédé, à un esprit plus évolué, au Dieu des sémites, à Jésus, à Mahomet, à Brahmâ, à Bouddha ou à d’autres encore, c’est toujours nous qui disons entendre, qui interprétons et formulons. Dieu ne sort que de notre bouche. Dieu ne peut naître que de nous-même, dans notre conscience verbalisée. Ce qui implique une entière responsabilité quant au sens à donner à l’univers, à la nature et à l’homme. Notre destin, c’est nous qui le réalisons à travers une liberté créatrice qui est celle de notre conscience. Et rien ne peut accéder à l’existence (de ex-sistere) sur cette terre en dehors d’elle.

    Cette évolution de la conscience dans des savoirs vérifiables, au moins en Occident, conduit souvent à une désaffection à l’égard des discours sur la transcendance confisqués par les dogmes religieux, ces derniers durcis dans le formol de leurs discours psittacistes. Les sciences sont créditées de réussites incontestables tant dans l’intellectualisation progressive du monde que dans les applications pratiques que cela autorise. La coexistence du scientifique et du religieux dogmatique, hier et aujourd’hui très souvent conflictuelle, n’a pu généralement s’établir dans les sociétés laïques que sur une volontaire et réciproque ignorance ou sur des ambiguïtés traduisant un instable équilibre de pouvoirs au sein de la conscience collective. Cependant, les hiérarchies dogmatiques ne renoncent jamais, car il ne s’agit pas pour elles d’autre chose que de conquérir ou de reconquérir un pouvoir sur les consciences afin de préserver des intérêts rien moins que spirituels ; de façon silencieuse et sournoise, dans des démarches sirupeuses ou agressives, parfois violentes, elles reviennent à la charge pour imposer leurs discours fossilisés, au lieu et place de la vie rieuse, curieuse et nécessairement blasphématoire.

    Pourtant, l’évolution des savoirs rationnels, mais toujours relatifs, ne pourra conduire qu’à la transformation profonde, voire à la disparition, non du sentiment religieux en tant qu’élan affectif vers le monde et les hommes dont on se sent nécessairement solidaire, mais des religions telles qu’elles existent dans leur diversité conflictuelle. Aucune religion n’est en mesure de satisfaire l’intellect et l’affectivité, ou alors c’est de manière illusoire et frauduleuse. Le prétendu « amour de Dieu » de tout homme religieux est un sentiment amoureux exalté dirigé vers une réalité anthropomorphe, féminine ou masculine, produite au sein de la seule conscience humaine. La désincarnation souhaitée est, quant à elle, l’exaltation du sentiment d’affinité à l’égard de tout ce qui existe en tant que porteur d’un sens qui ne peut s’élaborer qu’au sein de la seule conscience de celui qui contemple le monde. Le choix, par le fanatique religieux, du suicide, témoigne seulement d’une conscience ignorante et immature qui fait du peu de savoir acquis un absolu de vérité. Par contre, pour l’être en quête de savoir, le monde émerge et s’extrait, en tant que discours, de sa propre réalité ontologique qui n’est autre que la conscience verbalisée. Car la conscience, à quelque niveau d’expression qu’on la prenne, est l’Etre même qui se réalise et s’intellectualise en produisant le monde et l’homme dans ses savoirs. Exprimant une réalité biologique en proie à l’angoisse, à la peur, à l’espoir et à la joie de vivre, la conscience produit les dieux de son ignorance avant de produire l’humanité de ses savoirs. Elle devra nécessairement évoluer à mesure de la progression des connaissances sur l’homme et l’univers. Ainsi, la conscience révélée à elle-même en devenant Verbe se construit peu à peu comme savoir sur des bases rationnelles à propos de ce qui la constitue. Elle se narre elle-même dans la connaissance de l’homme, de la nature, du cosmos et des univers proches ou lointains.

    Cette ontologie, évolutive en tant que Verbe inachevé, à la fois immanence et transcendance, exprime l’« énergie-matière » comme réalité première et originelle, donc au cœur de la conscience en l’homme. L’anthropocentrisme des religieux et de certains scientifiques, dans les temps à venir, apparaîtra progressivement pour ce qu’il est, à savoir l’expression de savoirs insuffisants, partiels, et d’une psychologie immature. Du reste, on remarque que cette ontologie à l’état embryonnaire inspire déjà une éthique universaliste qui devrait, dans le futur, constituer la référence d’un état de droit mondial ouvert sur une approche rationnelle et esthétique, c’est-à-dire authentiquement spirituelle, concernant l’univers. Non que les religions n’aspirent à une universalité ontologique, mais elles n’y aspirent qu’au travers de prosélytismes et de conquêtes de nature impérialiste, ceci pour régner sur notre planète comme si elle était le centre de la « création » dont elles seraient, chacune d’entre elles de manière exclusive, dépositaires. Chacune souhaite, si elle le peut, s’imposer comme l’expression de la seule vérité possible, celle du divin qu’elle a défini. L’œcuménisme, la concélébration pacifique ne sont jamais sans arrière-pensée, car toujours demeure l’espoir de convaincre les autres de la vérité du message dont on se dit porteur, le seul qui vaille selon leurs pontifes et leurs thuriféraires. Ces derniers, en réalité, n’oeuvrent que pour la préservation de leurs pouvoirs et pour les avantages matériels qu’ils en peuvent extraire. Les « princes » et les « éminences » des églises diverses tiennent à l’ordre social et aux hiérarchies qui distinguent les dominants et les dominés et se sentent particulièrement solidaires des sociétés autoritaires qui leur garantissent une place éminente.

    Pourtant, une évidence devra, au cours des temps à venir, s’imposer à tous : si l’homme, sur cette planète, construit seul ses savoirs et ses divinités, cela signifie que Dieu, comme construction mentale évolutive, est bien à l’image de l’homme. L’homme n’est pas à l’image d’un Dieu mâle, représenté de droit par une cléricature mâle, comme le suggèrent et l’imposent des dogmes monothéistes fondamentalement misogynes, mais Dieu est à l’image de l’humanité, querelleur, jaloux, vindicatif, haineux et violent si l’homme est tel ; magnanime, solidaire des faibles, indulgent, fraternel et juste si l’homme se montre ainsi avec ses semblables.

    Dieu, le père de l’âge infantile, les mythes construits autour de lui, les différentes expressions esthétiques et les savoirs scientifiques comme représentations vraies des mondes physique, biologique et mental s’élaborent dans la seule conscience de l’homme. L’homme seul est à la fois inventeur, garant et critique de ses savoirs, car il n’y a pas, nous l’avons dit, de tiers pensant pour juger de ce qu’il produit. Il ne s’agit plus de croire mais de savoir, ce qui est beaucoup plus difficile que de s’asseoir pour écouter d’édifiantes histoires invitant à la résignation et à la soumission.

    Croire ou savoir ?

    L’alternative nous renvoie au moins à une différence, probablement même une opposition entre croyance et connaissance à propos de la saisie du réel. Les deux termes, produits de la conscience humaine dans quelque langue que ce soit, sont souvent donnés l’un pour l’autre, notamment dans le langage commun et dans les religions. Mais est-ce que dire « je crois » implique le même degré de certitude que de dire « je sais » ? L’exigence rationnelle quant à la vérité de ce qu’on affirme est-elle la même dans les deux affirmations ? Cela conduit à s’interroger sur les fondements psychologiques, intellectuels et sociaux de la croyance et sur ceux de la connaissance. Remarquons tout de suite que généralement nous croyons faute de savoir. Mais aucune croyance ne tarit tout à fait notre désir de connaissance. Toujours l’objet de notre croyance affronte notre désir de connaissance. Et il suffit qu’une affirmation rationnelle nouvelle surgisse pour que nous tendions l’oreille, même si cela introduit une situation de conflit entre cette donnée neuve et nos convictions antérieures.

    Le verbe « croire » vient du latin credere (pour cred-dere), creditum (croire, confier) ; il est issu de la racine indo-européenne kret- (idée de croyance, notamment religieuse). D’autres termes sont issus de cette même racine : credibilis, croyable ; accredere, ajouter foi ; discredere, refuser de croire ; mais aussi credulus, crédule, ce qui n’est pas sans intérêt pour notre propos.

    Nos relations avec nos semblables, nos propos à visées utilitaires immédiates, nos controverses, les expressions de notre affectivité impliquent spontanément de faire crédit. Ce que nous recevons de la parole d’autrui, jusqu’à preuve du contraire, nous le croyons, ou plutôt nous le recevons pour éventuellement le soumettre à notre jugement, car sans cela il n’y aurait pas de dialogue possible. La sociabilité implique la recevabilité d’autrui et de sa parole, quitte à contester dans la controverse la valeur de celle-ci.

    Ceci dit, l’usage du verbe « croire » montre des variations dans le sens dont il peut être porteur. Dire « Je crois qu’il fera beau demain » n’implique pas une certitude, mais un doute optimiste. Dire « Je crois avoir aperçu un ami de mon père. » n’implique pas non plus une certitude, mais un léger doute. Dans l’expression « Je crois que tout ira bien » il y a, outre la confiance, un doute qui n’insiste pas. Au contraire, dire : « Je crois en sa parole » implique une confiance certaine, mais pas nécessairement partagée par tous. En ce qui concerne l’affirmation « Je crois en Dieu » nous avons affaire à un acte de foi (de l’indo-européen bheidh-, idée de confiance, de persuasion qui donnera en latin fides, foi, bonne foi) impliquant une certitude, tout comme l’affirmation inverse « Je ne crois pas en Dieu ». Par contre, le doute s’insinue dans les deux expressions suivantes : « Je crois que Dieu existe » et « Je crois que Dieu n’existe pas ».

    On le voit, le verbe « croire » renvoie essentiellement à la subjectivité, à la persuasion, au doute et à l’opinion, même si cette dernière veut le plus souvent se présenter comme l’expression du bon sens et de la vérité. Car ce qui s’affirme généralement dans les conversations ordinaires, quel qu’en soit le sujet, c’est ce que les grecs appelaient la « doxa », ce qui est reçu, c’est-à-dire l’opinion commune. C’est notamment le cas pour la croyance, généralement reçue avec le lait de l’enfance, non discutable car perçue comme une évidence, au moins pour la majorité des membres du groupe qui en fut imprégné. La maïeutique socratique visait à débusquer dans les propos des disciples ce qui se répétait après avoir été reçu, mais sans jamais avoir été vraiment pensé, c’est-à-dire pesé. Dans « Croire n’est pas penser », (Ed. Golias), Bernard W. Sigg écrit :

    « Obscurité ou ténèbres enveloppent donc le « croire ». Le nombre et la variété des signifiés rendent difficile de s’y retrouver sans que cela soit l’apanage du français : le believe anglo-saxon et le glauben germanique présentent le même flou sémantique. »

    Pourtant, pour nombre de personnes, le verbe « croire » se présente comme une évidence de sens. Son univocité, chez des journalistes comme chez beaucoup de locuteurs, apparaît comme une donnée incontournable quand ils parlent de la « nécessité de croire » ou « du besoin de croire ». Mais s’agit-il d’une nécessité biologique comme le besoin de nourriture, d’eau ou d’oxygène ?

    « Surprenante tendance qui proclame la nécessité du croire, sa normalité et pourquoi pas son éternité… au mépris de tous les penseurs qui, de Lucrèce jusqu’à Stephen Jay Gould en passant par Montaigne et Diderot, ont montré, démontré que le penser juste s’acquiert dans la confrontation à soi et à l’autre en réexaminant toute proposition et en n’admettant rien sans réflexion. » (Bernard W. Sigg, ouvrage cité, p. 17.)

    Dire que « croire » est une activité subjective singulière, qu’elle ne relève pas d’une nécessité fonctionnelle en tous et en chacun, c’est dire que si elle est généralement fréquente et si nul ne peut s’en dire totalement libéré, il importe de la repérer et d’en rechercher les causes.

    L’enfant, tout naturellement, arrive, dès sa naissance, et même avant, dans un monde où tout est signifiant. La nécessité d’y vivre impose de dépasser les sensations en leur donnant du sens. Tout est à interpréter, les réalités matérielles, les gestes et les attitudes des proches et le langage, celui-ci dans la dénotation et dans la connotation. L’enfant pose des questions, parce qu’il est tout entier, objectivement et subjectivement, comme tout un chacun, inscrit dans un vécu qui est celui de la causalité. Dès qu’il parle, il ne cesse de poser la question « Pourquoi ?… ». Il est une éponge qui raisonne, mais qui fait confiance aux référents que sont les adultes avec lesquels il est en contact. Comme tout mammifère évolué, avec le langage en plus, il imite et répète, car c’est pour lui une question de survie. Mais cela se fait sans effort, au fil des jours et des années, et c’est sécurisant. L’interrogation sur la vérité de ce qu’on lui propose comme réponses à ses questions ne pourra venir que de la rencontre de propositions contradictoires dans la famille, hors de celle-ci et à l’école.

    Ainsi, « croire » c’est

    « admettre un énoncé prédictif exogène (la croyance) comme assuré et certain, sans réflexion ni vérification et sous emprise collective. Ce qui est bien différent de la pensée, laquelle construit son propre énoncé à partir d’observations, expériences, souvenirs et inventions, sur un mode singulier, subjectif. » (Bernard W. Sigg, ouvrage cité, p. 15).

    Il nous faut bien le reconnaître : notre vécu linguistique commun nous immerge à notre insu, à propos de multiples domaines d’expression, dans la croyance, de même que dans l’opinion. La superficialité caractérise la plupart de nos jugements tant en ce qui concerne les autres que nous-mêmes, notre vécu social et nos réponses aux questions fondamentales que toute vie intelligente pose à sa mort future. Ce qui est en cause ici c’est l’imprécision et la fréquente pauvreté des compétences linguistiques. Comment s’étonner alors que des gens mus par le seul souci du pouvoir et de l’argent utilisent ces carences pour assurer leur domination des foules. Ainsi font les idéologies et les religions aux discours totalisants – par essence totalitaires -, certains camelots et bateleurs de la politique, ou les prédateurs arrogants de l’économie et de la finance. Ces derniers, au moyen de la publicité, qui n’est que la propagande diarrhéique des voies stercoraires, tendent à renvoyer l’humanité et la pensée vers la seule fonction sociale qui les intéresse, celle de la panse. Leur impudente propagande tend à asservir, pour d’énormes profits, les différentes composantes de la société. Ainsi, l’introduction des enfants dans les scénarios publicitaires tend à susciter chez leurs semblables un désir d’identification en créant la croyance commune. Le logo de tel ou tel produit a pour fonction d’engendrer la croyance selon laquelle on ne saurait exister dignement dans la société sans l’usage du dit produit. Les « marques » sont ainsi censées faire la qualité sociale et opérer la sélection de l’élite éclairée qui aura du pouvoir sur le peuple des ignorants. On comprend dès lors le refus opposé par la puissance publique aux publicités comparatives dont le but serait de substituer le sens critique et la connaissance à la croyance. Parvenir, en effet, à être l’élu de la croyance est plus facile que d’y parvenir au nom de l’intelligence critique.

    Mais la variabilité dans l’offre marchande, toujours à la recherche de la nouveauté à propos du leurre mis en oeuvre, engendre une versatilité certaine dans l’opinion commune. La conviction demeure fragile, toujours menacée par les désillusions quant à la qualité et la fiabilité des produits offerts. Il en va tout autrement quand la croyance s’exprime à propos d’une idéologie politique ou d’une religion. La relative stabilité des références sur lesquelles s’est construit le discours présenté comme vérité, sa nature totalisante, en ce sens qu’il concerne tous les aspects éthiques, politiques et pratiques d’une société, tout en s’inscrivant dans l’intemporel, font que l’inconscient collectif et l’individu se trouvent imprégnés au point que la plupart des membres du groupe s’imaginent porteurs de la seule parole qui vaille, celle de l’évidence qui leur parle. Le but qu’on leur propose, la récompense et le bonheur qu’on leur promet ne sont pas essentiellement de l’ordre du tangible ; ils expriment l’illusion de la plénitude et de la satiété à propos de toute question existentielle. C’est le retour à la quiétude infantile dans le sein maternel. Il n’y a pas d’effort à fournir pour croire, il suffit de se laisser convaincre ; il n’y a rien à donner, du moins pour l’immédiat, il n’y a qu’à recevoir. Il en va tout autrement à propos de la connaissance ; le savoir s’acquiert lentement, péniblement, et ne propose aucun achèvement quant à sa construction. Il ne vise pas l’absolu d’un achèvement, mais la collecte des faits permettant de construire le monde et l’homme dans la connaissance évolutive qu’il s’en fait.

    Le verbe « savoir », de l’indo-européen occidental sap-, suc, saveur, à travers un certain nombre de termes exprimant également en latin (sapere) l’idée de suc et de goût, fut conduit à exprimer l’idée de sagesse (sapientia), c’est-à-dire d’équilibre et de mesure dans le « goût » des choses à apprécier en faisant preuve d’intelligence et de jugement. D’où le passage de « sage » à « savant » et à « savoir » qui montre qu’atteindre la « sève » de ce qui est l’objet de notre attention et de notre étude c’est en atteindre l’essence, c’est-à-dire la vérité. Transitivement le verbe signifie « comprendre », « connaître ». Le latin classique scire, « savoir » (de l’indo-européen skei-, couper, fendre, passé par le grec skhizô) n’est représenté en français qu’à l’intérieur de mots tels qu’« escient », « science », « conscience », « omniscient », « schizoïde », « schizophrène », etc. Savoir a d’abord le sens général de « avoir la connaissance de quelque chose ». Suivi d’un infinitif (savoir marcher, savoir conduire, savoir parler, etc.), il est ce qu’on maîtrise après apprentissage. Dès l’ancien français, il prend le sens de « avoir conscience de quelque

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