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Je n'étais qu'une enfant
Je n'étais qu'une enfant
Je n'étais qu'une enfant
Livre électronique305 pages6 heures

Je n'étais qu'une enfant

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À propos de ce livre électronique

Un récit de vie, de folie,de mort et d'amour sur fond d'enfance pervertie. Une immersion troublante dans l'univers de la psychanalyse qui dérange, révolte, peut même semer le doute dans les esprits rationnels mais, au grand jamais ne laissera indifférent. Déroutante, sans concessions comme tous les exorcismes. Un véritable parcours du combattant, mais ne suis-je pas Xéna, la guerrière? Mon récit de vie peut intéresser les spécialistes de la petite enfance, les psychologues mais également et surtout ceux qui souffrent en silence.
LangueFrançais
Date de sortie4 déc. 2013
ISBN9782312026596
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    Aperçu du livre

    Je n'étais qu'une enfant - Corinne Antorel

    cover.jpg

    Je n’étais qu’une enfant

    Corinne Antorel

    Je n’étais qu’une enfant

    Préface de Nazir Hamad

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-02659-6

    À mon père,

    qui n’a pas su lorsque j’étais enfant,

    au travers de gestes simples

    et de petits mots affectueux,

    me rassurer et me montrer

    qu’il m’aimait.

    Il y a quelques années, après avoir écrit un premier jet de mon histoire, alors que j’essayais de trouver un éditeur, Nazir Hamad avait eu l’immense générosité d’accepter de préfacer mon manuscrit.

    À l’époque, son investissement désintéressé à m’épauler dans ma démarche, ainsi que sa confiance en mes écrits, m’ont donné la volonté et l’envie de persévérer, de retravailler mes écrits et de peaufiner mon histoire.

    Aujourd’hui, des années plus tard, j’ai grandi, je ne suis plus une enfant, et bien que cette préface ne soit plus en totale adéquation avec celle que je suis devenue, je tiens à vous la faire partager car elle fait partie de mon héritage, ce legs lié à mon patronyme mais également du cheminement qui a été le mien, et elle a fortement contribué à m’aider à devenir celle que je suis désormais.

    Merci à lui.

    À Corinne Antorel.

    En tor-elle.

    Dans mon travail clinique avec les enfants, je leur dis d’emblée que nous sommes là pour parler. On peut tout dire et ce n’est jamais méchant. Les enfants, c’est bien connu, font des bêtises et se font souvent gronder. Les parents grondent. D’ailleurs, c’est tout ce qu’ils savent faire. Ils cherchent rarement à donner la parole à leurs enfants afin qu’ils apprennent à s’expliquer en toute confiance. Et quand cette confiance tombe, les parents ne sont plus en position d’allié et de soutien pour leurs enfants.

    Chaque fois qu’un parent traite son enfant de menteur, et c’est une plainte connue des psychanalystes, nous savons que l’enfant n’a plus d’interlocuteur bienveillant.

    Il ment parce qu’il ne sait plus faire une distinction nette entre le statut de coupable et le statut de victime, entre les faits graves et les faits banals. Il peut être agressé, abusé ou exposé aux dangers les plus graves tout en se vivant comme étant le méchant.

    Il est en tort. C’est tout.

    Quand tel est le cas, l’enfant est livré à l’angoisse, ou pour le dire autrement, il est livré corps et âme à ceux qui savent le recevoir et l’assurer. Si beaucoup d’intervenants, souvent mandatés par le corps social pour intervenir auprès de l’enfant et de sa famille, savent les prendre en charge et les rassurer, il arrive malheureusement, que le pervers vient occuper la place laissée vacante par l’entourage familial. Le pervers pêche dans ces eaux troubles. Et quand il gagne la confiance et l’amour de l’enfant, il en fait l’objet de sa jouissance. Il n’a plus à lui forcer la main, l’enfant par la suite peut se faire de lui-même, l’objet de jouissance pour le bourreau, son pervers. L’exemple de l’auteur est à ce propos tout à fait éloquent. L’auteur avait aimé son bourreau. Il représentait pour elle, le père, l’amant et l’initiateur. Cela se passait alors que ses parents, ses vrais parents, ne voyaient rien, ne pressentaient rien de son malheur. Les parents sont là pour gronder et le tort est celui de l’enfant.

    Quand on lit ce livre et qu’on suit le parcours de cette jeune femme, on découvre que « Justine » est la vraie héroïne de ce récit. « Justine » la fille trop innocente, et dont l’innocence fait le bonheur des pervers n’est autre que l’auteur. « Justine » la vertueuse, et dont la vertu ne récolte que des déconvenues, est présente tout au long du récit. Seulement, l’auteur, contrairement à « Justine », sait qu’elle était quelque peu responsable dans ce qu’il lui est arrivé, et cela la rend humaine et profondément attachante à nos yeux. Elle ne revendique pas le statut de la victime absolue, au contraire, elle sait se reconnaitre responsable et complice, tout en dénonçant le monstre qui a fait effraction dans son corps et l’a initiée à un plaisir que ce même corps n’était pas en mesure d’assumer.

    Nous savons que les enfants nous aiment, et sont parfois prêts à tout pour nous le témoigner. Cet amour est d’autant plus structurant pour l’enfant qu’il rencontre la chasteté de l’adulte. Cet amour s’intègre comme la pierre angulaire dans tout travail d’éducation. L’enfant, dans les conditions normales aime et fait confiance à tous ceux qui ont la charge de sa socialisation. Faut-il s’étonner alors, chaque fois qu’on entend un enfant appeler son maître ou sa maîtresse maman ? Faut-il s’inquiéter chaque fois qu’on découvre que son enfant apprécie mieux la compagnie et la cuisine des voisins ou les parents de ses copains ? On l’accepte parce qu’on sait que ces gens jouent, dans la plupart des cas, un rôle important dans la vie de notre enfant. De temps en temps, quelqu’un se révèle indigne de la confiance et de l’amour de l’enfant. Mais la personne indigne trouve d’autant plus sa place auprès de l’enfant quand les parents, pour une raison ou une autre, ne savent plus être à son écoute.

    Quand l’auteur pense dans un premier temps, qu’elle a été abusée par son père, elle nous fait comprendre avec beaucoup de finesse, l’importance et la fragilité de cette fonction. A ses yeux d’enfant, son bourreau représentait le père auquel elle faisait appel alors que son père biologique brillait par inefficacité. Le bourreau n’a pas eu de mal à occuper cette place parce qu’elle était tout simplement vacante. Et voilà comment la boucle est bouclée.

    En tor-elle est le signifiant de ce récit. Il y a un tort, mais dans sa tête de petite fille livrée à elle- même, ce tort est le sien. Et ce sentiment d’avoir tort l’a rendue muette.

    Pire encore, dans sa détresse de petite fille et de jeune femme, elle voyait son salut dans la mort. Comme si porter le tort dans cette affaire à la place du vrai coupable n’était pas assez comme charge, il lui fallait par sa mort, consacrer la victoire et la jouissance de son bourreau pervers.

    Heureusement pour l’auteur, il y a un homme dans sa vie. Cet homme l’aime, la soutient et sait être là pour prendre sur lui l’angoisse et la détresse de sa femme. Cet homme est son mari et le père de ses enfants. Si une vie de couple se justifie et à laquelle on tient, c’est sûrement à cause d’une pareille rencontre.

    Autant ce récit nous invite à être vigilants en ce qui concerne la vie de nos enfants, autant il rappelle qu’il est de notre devoir d’être prudent face aux accusations de pédophilie qui sont nombreuses de nos jours. L’auteur nous démontre que se contenter de prendre toute accusation au pied de la lettre risque d’être grave de conséquences. Elle aurait pu elle-même faire condamner son père pour abus sexuels. L’enfant ne dit pas toujours la vérité, mais il ne ment pas pour autant. Les fantasmes infantiles peuvent prendre appui sur des évènements et des personnes pour surgir comme un vécu réel dans les récits des enfants. Freud a été le premier à s’en rendre compte. Il a fini par abandonner la voie du traumatisme précoce pour introduire dans sa théorisation le fantasme comme étant à l’origine de ce que ses patientes tendaient à présenter comme des faits réels. Pire encore, la parole de l’enfant peut être orientée par une écoute qui manque de distance ou de partialité. Les derniers faits divers sont là pour nous le confirmer. Cela nous semble d’autant plus important à souligner que l’accusé n’a souvent que sa parole pour s’innocenter et se défendre. Mais à confronter parole contre parole, la tendance générale de la presse et de la majorité d’entre nous consiste à sacrifier parfois l’innocence de l’adulte à l’autel de l’innocence supposée de l’enfant et de sa famille.

    L’auteur mérite notre respect pour le témoignage qu’elle donne et surtout pour la qualité de réflexion qu’elle suscite chez le lecteur.

    Nazir Hamad

    Prologue

    Avant toute chose, sachez que ce récit est l’aboutissement des sept années de lutte acharnée que j’ai dû mener pour arriver à vaincre la folie et redonner un sens à ma vie. Mon plus grand souhait serait que l’écriture de cet ouvrage soit interprétée davantage comme l’élément déterminant qui, associé à une thérapie, a favorisé ma guérison plutôt que comme une vulgaire histoire de voyeurisme.

    Je tiens à dire que je revendique la totale responsabilité de tous les actes que j’ai dû entreprendre pour arriver à rester en vie.

    En douter serait m’offenser.

    Je souhaite également souligner que certaines répétitions dans mes écrits, ne sont pas le résultat de mon inexpérience en matière d’écriture mais une volonté réelle de ma part.

    De la même façon, je tiens à préciser que tous ceux qui s’attendent à de la grande littérature, passent leur chemin, car ils seront déçus.

    Ce n’est pas mon but.

    Ce récit est avant tout le fruit d’un ressenti et d’un vécu et n’a aucune autre prétention, je ne suis pas écrivain.

    Il faut le prendre pour ce qu’il est, un témoignage.

    Il a l’avantage, ou le désavantage penseront certains, d’avoir été écrit par moi et d’être moi dans son intégralité car aucun mot dans ce livre n’est lié au hasard et ça, je n’en ai pris conscience que récemment.

    Il est moi dans tous ses manques et dans tous ses excès.

    Il est moi dans le fond et dans la forme, bourré de stéréotypes, de lacunes littéraires et de tout ce qui a fait ce que je suis : mon éducation, mon milieu familial et ces études supérieures que je n’ai jamais faites.

    Il est aussi moi dans ce trop plein de mots (maux), ce trop d’histoire, ce trop de tout.

    Mais incontestablement malgré ses imperfections, je dois lui rendre justice, il m’a maintenue en vie. Il m’a insufflé à certains moments, la force dont j’avais besoin pour continuer à avancer.

    Il m’a tout simplement permis de ne pas crever.

    Je me suis cramponnée à mes écrits comme un naufragé à sa planche de bois, en me disant qu’un jour, je témoignerai.

    En mon nom, mais aussi au nom de tous ces enfants abusés et torturés qui se sont tus et de ceux à venir qui se tairont. Ces autres… les mêmes que moi.

    Ce sont eux qui m’interpellent. Ceux-là même qui ont honte d’eux, comme moi j’ai eu honte de moi. Ceux qui se sentent en dessous de tout et inaptes à réussir quoi que ce soit.

    Mais n’est-ce pas le propre de la majorité des enfants violés ou maltraités ?

    Mon message d’espoir leur est destiné.

    S’ils me lisent, ils comprendront qu’en parlant, on n’inspire pas forcément la pitié car s’il y a bien une chose dont beaucoup ne veulent pas, c’est susciter la pitié.

    Les autres comprendront aussi, qu’adulte, ce qui nous pousse à continuer à nous taire, c’est la peur de perdre en parlant, le peu de dignité qu’on n’a pas encore réussi à nous enlever et qui nous permet tout simplement de continuer à tenir debout. Et ce, indépendamment du fait de risquer de ne pas être cru, de vouloir protéger un être cher ou comme moi, d’avoir en partie tout occulté.

    Bien sûr, le risque est également énorme de passer pour le méchant, qui n’hésite pas à jeter l’opprobre sur sa propre famille, en mettant ses failles à jour.

    Mais ne sommes-nous pas tous faillibles ?

    N’est-ce pas inhérent à la nature humaine ?

    Est-ce une raison pour se taire ?

    NON, car je ne vois pas d’autre solution pour que nos enfants et les descendants de nos enfants n’aient à subir le poids de nos secrets et ne finissent par produire au fil de non-dits écrasants, des graines de folie ou de stérilité.

    À ceux qui subissent en silence, je dis que la parole guérit. Que l’on est vraiment en danger que… parce que l’on se tait. Qu’il faut se faire aider, que seul on ne peut pas s’en sortir, qu’il existe de nombreuses structures pour ça.

    Osez parler, même au risque de passer pour mythomane aux yeux de certains, tout simplement parce qu’il est difficile de concevoir qu’il puisse exister des hommes capables d’actes aussi ignobles sur les enfants. Il ne faut pas se voiler la face, ils ont toujours existé, la seule différence c’est qu’avant, on les taisait.

    Parler, ne pas s’arrêter, même si ça fait mal, l’immense pouvoir de libération que cela procure vaut bien cette peine.

    Mettre des mots sur sa souffrance, s’affranchir enfin du joug du silence et de la peur ; retrouver sa dignité d’être humain vaut bien ce risque.

    Moi, je dis que la honte est ailleurs, qu’elle doit retourner à celui qui a généré de telles ignominies, le tortionnaire, et non à celui qui les a subies, la victime. Car être et se sentir victime est un passage obligatoire pour celui ou celle qui se voyait jusque-là comme le responsable, voire le pire des coupables.

    Je clame haut et fort, et cela consciente du malaise que ça va forcément entraîner chez les gens « comme il faut » ou chez ceux qui n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe dans la tête d’enfants qui subissent ce genre de calvaire, que même si un enfant abusé devient ensuite, en quelque sorte complice de celui qui l’abuse, il n’a rien fait pour en arriver là. La spirale dans laquelle il a mis les pieds a fait de lui l’élément consentant de sa propre destruction, il n’a plus la possibilité d’en sortir. Il est ce que l’on nomme « sous emprise » et en prise à ce sentiment très complexe et ambivalent qui mélange le dégoût et la répulsion qu’il a de lui-même, à l’attirance et au désir qu’il a de l’autre, cet autre qui l’abuse.

    La dernière page tournée, beaucoup diront que j’affabule car mon histoire est incroyable, à plus d’un titre d’ailleurs. Pour être plus exacte, elle est difficilement croyable. J’en suis tout à fait consciente.

    Certains penseront que j’en rajoute. Pour être franche, j’en ai plutôt retiré, j’ai pensé que l’individu « normal » n’était pas prêt à tout entendre.

    Mon récit, pour le coup, n’aurait pas été taxé d’incroyable mais d’invraisemblable.

    Et pourtant…

    D’autres enfin affirmeront que je suis juste bonne à enfermer, car ces mots témoignent d’une réalité dérangeante et taboue qui montre l’enfant tel qu’on n’a pas envie qu’il soit et ça, c’est insoutenable pour les parents que nous sommes.

    Et puis…il y a l’inconscient.

    Cette partie sombre et incontrôlable de notre être, fait peur et l’homme a la fâcheuse tendance à nier tout ce qu’il ne maîtrise pas, une façon de se rassurer sans doute !

    Chapitre l

    J’avais toujours pensé que j’avais connu une enfance heureuse et privilégiée contrairement à beaucoup d’autres enfants. J’en étais d’ailleurs infiniment reconnaissante à mes parents. J’avais malgré cela, du plus loin que je me souvienne, toujours été quelqu’un de très angoissée à l’intérieur, mais j’avais fini par mettre ça sur le compte des gènes.

    Faisant partie d’une lignée de femmes extrêmement fragile, ma mère, mais aussi et surtout ma grand-mère maternelle, j’en étais moi-même arrivée, au fil des années, à m’en persuader, tout comme les autres personnes de mon entourage proche.

    D’autant que je donnais plutôt l’apparence d’une ado puis d’une femme libérée, décidée, féminine presque jusqu’au bout des doigts. Je dis presque, car j’ai toujours détesté et malmené mes mains.

    Pour tout vous dire aussi, j’étais devenue en grandissant, une de ces femmes sur lesquelles les hommes ne peuvent s’empêcher de se retourner. Une femme qui semblait pleinement assumer sa féminité, qui semblait même la revendiquer. Ce qui en réalité, n’avait jamais été le cas. Mais ça, en dehors de moi, personne ne le savait.

    Donc, pas de quoi se poser de questions !

    L’acharnement avec lequel j’avais tenté de réussir ma vie de femme et par la suite ma vie de mère, aurait pourtant dû me mettre la puce à l’oreille…

    Quoi qu’il en soit j’avais trouvé l’amour un peu avant mes dix-neuf ans. Quand je rencontrai celui qui devait devenir mon mari quelques années plus tard, je pensai qu’il viendrait simplement s’ajouter à la liste des petits copains que je collectionnais depuis un certain temps déjà. Il dépareillait singulièrement avec tous ces garçons de bonne famille, si parfaitement polis et soucieux de leur apparence que j’avais l’habitude de fréquenter. Il se dégageait de sa personnalité une ténacité que je n’avais jusqu’alors jamais décelée chez les garçons de son âge. Son côté un peu voyou, taillé dans le roc, associé à des yeux d’un bleu vert profond, achevèrent de me séduire. Derrière ce jeune homme aux abords abrupts se cachait en réalité un être merveilleusement doux.

    Jaloux aussi, un peu trop, même.

    Je sentis très vite qu’il était celui que je cherchais. Lui seul saurait prendre soin de moi, j’en étais convaincue.

    Ma quête de l’âme sœur prit donc fin.

    Après avoir respectivement terminé nos études, nous décidâmes de vivre ensemble, dans les deux ans qui suivirent, d’officialiser notre liaison par le mariage, puis de fonder une famille.

    Rien ne pressait, nous avions toute la vie devant nous.

    Je fus enceinte à vingt-cinq ans.

    La grossesse m’allait bien, j’étais rayonnante, je pouvais le lire dans le regard des autres. J’arborais un ventre énorme, pourtant à aucun moment je ne me sentis déformée, ni enlaidie. Ce petit « nous » qui avait choisi d’hiberner douillettement dans l’antre de mon corps, avant de devenir au terme de neuf mois un petit « lui » à part entière, me donnait bien au contraire, l’impression d’être pour la première fois, pleinement, entièrement moi.

    Même si j’arrivais à mon terme complètement épuisée par cinq mois d’insomnies, j’étais heureuse, j’allais donner la vie.

    Ma fille naquit sous péridurale et par les forceps.

    Le gynéco déposa sur mon ventre un nourrisson au crâne étiré comme une poire, flanqué d’énormes marques rouges de chaque côté des tempes et doté d’une poche de sang à l’arrière du crâne.

    D’emblée, j’aimai d’un amour inconditionnel cette petite chose visqueuse et gluante à peine sortie d’entre mes cuisses que l’on appelle bébé,… mon bébé… Notre enfant.

    Il est vrai qu’il est difficile de trouver des mots suffisamment forts pour exprimer ce que l’on ressent lorsqu’on donne la vie pour la première fois, ou alors il faudrait les inventer.

    Le problème majeur est que j’ai toujours cruellement manqué d’imagination. Dommage.

    Cet événement hors du commun mais un peu terrifiant, je fus soulagée de ne pas avoir dû l’affronter seule. Mon mari resta à mes côtés du début du travail jusqu’à l’accouchement.

    Ce bébé ne correspondait pas à l’image du beau bébé que toutes les personnes de mon entourage proche s’attendaient à me voir mettre au monde (- j’étais si belle ! -), mais je n’en avais cure.

    Dans les jours qui suivirent, ma fille développa un ictère très important qui nécessita son transfert immédiat sous lampes UVA et sous perfusion. Et si cela s’avérait insuffisant, les médecins m’annoncèrent qu’ils seraient alors obligés de lui transfuser tout son sang.

    Ce fut une épreuve particulièrement difficile pour moi et je supportai très mal qu’ils m’enlèvent mon bébé si peu de temps après sa naissance.

    La mort dans l’âme, je dus quitter l’hôpital, amputée de cette partie de moi tout juste née. L’angoisse me tenaillait mais je ne devais pas flancher, j’étais mère. Je me devais de faire confiance aux médecins et de m’accrocher à l’idée que mon bébé allait s’en sortir.

    Il ne pouvait pas mourir, il n’en avait pas le droit. Pas déjà, pas comme ça, nous avions tellement d’amour à lui donner.

    L’angoisse de perdre mon enfant avait remplacé l’immense bonheur de l’avoir mis au monde.

    Mes craintes étaient disproportionnées par rapport à la réalité, j’en suis consciente aujourd’hui. Mais à l’époque, je pensais au pire, à une maladie incurable qui forcément allait me l’enlever.

    À peine en vie, mon enfant devait déjà lutter contre la mort, triste ironie du sort.

    J’avais beau me faire violence, je n’arrivais plus à raisonner de façon cohérente, j’avais l’impression de me retrouver au bord d’un gouffre dans lequel, à tout moment, je risquais de basculer.

    Si je tombais, j’en étais persuadée, jamais plus je n’arriverais à reprendre pied. S’ajoutait à cela un sentiment d’impuissance tellement intolérable.

    Si j’avais pu m’insuffler son mal pour l’en libérer, je l’aurais fait sans l’ombre d’une hésitation, ça m’aurait même soulagée. Mais je ne pouvais qu’être spectatrice et souffrir, en espérant surtout que la maladie ne l’emporte pas.

    La guérison s’amorça au bout du cinquième jour.

    Le doute, la nausée, les palpitations anarchiques de mon cœur, c’était trop, je

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