Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

TBA: Roman
TBA: Roman
TBA: Roman
Livre électronique473 pages5 heures

TBA: Roman

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Une œuvre un peu complexe sur la perte d’un être cher et l’épreuve du deuil. TBA, c’est l’histoire de Sophie qui vient de perdre son père parti rejoindre un au-delà fictif et qui prend conscience, peu à peu, de sa condition humaine. Cette oeuvre est surprenante et drôle, rocambolesque, théâtrale pour la forme, et pour le fond, romanesque. On peut le lire comme un duplex : d’un côté une pièce de théâtre un peu décalée et très imaginaire, de l’autre, un roman aux accents poétiques, épistolaires, bien ancré dans le monde concret. TBA passe du théâtre au roman, du tragique au comique, de la fiction au réel avec une seule ambition : rendre justice à la complexité de la vie… et de la mort, aussi.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Julie Fontaine est née en région parisienne en 1987. Elle choisit d’abord de poursuivre des études en Littérature et Sciences Humaines et obtient un Master à l’UPEC (Université Paris-Est, Créteil). En parallèle, elle poursuit tout de même ses études et obtient un Doctorat en Philosophie et Sciences Sociales (EHESS / IJN, Paris). Aujourd’hui, elle enseigne au Maroc et anime pour les Instituts Français des ateliers de Philosophie pour enfants.
Avec deux collègues marocains, elle crée l’Association Sève Maroc, une antenne de la Fondation Sève, sous l’égide du Philosophe français Frédéric Lenoir, afin de former d’autres intervenants potentiels. Sa passion reste l’écriture.
LangueFrançais
Date de sortie4 déc. 2019
ISBN9791037702753
TBA: Roman

En savoir plus sur Julie Fontaine

Auteurs associés

Lié à TBA

Livres électroniques liés

Fiction générale pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur TBA

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    TBA - Julie Fontaine

    Habibati¹,

    Je te fais copie du roman dont je te parlais. Celui sur la vie, la mort, la vie d’après, la vie d’avant, la vie pendant, blablabla. Oh ! Bien sûr, il n’est pas parfait, mais la perfection, c’est une ambition, et de l’ambition… Je n’en ai pas tellement… Tu sais. Aussi, je crois qu’il est difficile. C’est-à-dire qu’il est dense. Mais tu me connais, je n’ai jamais su choisir… Rarement satisfaite, toujours indécise, je suis trop curieuse. Je voudrais goûter à tout, tout découvrir et tout connaître. Je sais que je ne sais rien. Et puis qui sait ? Qui peut bien savoir ? Ce qui se trame ici-bas, ce qui nous attend ensuite, s’il y a une suite, s’il n’y en a pas, de quoi demain sera fait, et comment, et pourquoi ?

    Et malgré tout, il faut vivre. Il faut faire des choix. La vie est une question de choix. C’est une question de préférences. Il faut se fixer des buts, se projeter, et faire comme si. Il faut faire comme si on avait vraiment le choix… Il faut de l’existentialisme. Tout un programme ! De là, peut-être, le sentiment de ne pas être faits pour cette vie, ou pour ce monde. Il y a des êtres, vois-tu, qui se sentiront toujours étrangers. Il y a des êtres qui ont la sensation d’être différents, trop différents : inadaptés.

    Tout ça à cause de cette fichue gourmandise ! Je veux dire : cette envie de goûter à tout, et de tout découvrir ! C’est une vraie boulimie ! C’est tellement difficile de choisir… Choisir, ça veut dire préférer. Et préférer, c’est exclure. C’est logique. Un peu trop, peut-être… Heureusement, on peut aussi choisir… de ne pas choisir. La belle affaire ! C’est le parti que j’ai pris. Je n’ai rien exclu. Mélanger les genres : c’est le principe… C’est un choix.

    Tu viens de perdre ton oncle. Je sais. Tu sais que je sais. Mais pour toi, c’est tout nouveau. J’imagine que tu découvres. Et j’espère que tu comprends… Enfin, tu fais partie des nôtres. C’est l’instant de conscience. Tu as saisi le principe. La vie est courte, et elle est imprévisible. Maintenant, tu fais partie du monde. Le monde dans ce qu’il a de plus sombre : le monde dans ses moindres recoins. Oh ! Dans ses moindres faits et gestes ! Celui de l’existence… Ah ! Je me trompe, peut-être. Mais si je me trompe, je suis, et je ne m’en plaindrai pas.

    Alors il faut le lire comme un projet. C’est une sorte de duplex. Je l’ai conçu sans y penser. Sans y penser, comme si souvent… Tu me pardonneras. À la vie, à la mort, si je dois résumer, je ne sais pas trop si je parle de la mort dans ce roman, ou seulement de la peur. Je parle de la conscience – conscience de notre condition, humaine, trop humaine. Je parle du temps qui passe, et des vies qui se perdent. Mais je parle de l’espoir, aussi. L’espoir… C’est comme un besoin. Je voulais croire, rien qu’un instant, je voulais croire qu’il y a une vie après cette vie, un quelque chose plutôt que rien. Je voulais m’en convaincre, peut-être… Après tout, c’est humain.

    Tu trouveras un peu de moi, dans ce roman, mais un peu seulement. C’est la partie roman, avec, de temps en temps, quelques textes plus intimes : de l’épistolaire, du carnet intime, et quelques envolées lyriques. Un peu de tout ça. Un peu de tout, surtout. Disons que c’est le premier étage. Et au-dessus, au second, tu trouveras une histoire. Certes, c’est comme une pièce de théâtre. C’est un format, mais je ne peux pas l’expliquer. Du reste, c’est un récit. Avec un début, un élément déclencheur, des péripéties, un élément de résolution et… Je ne suis pas sûre d’avoir conclu, mais tu trouveras un début de fin.

    Je pensais le continuer. J’y pense encore. Mais je ne suis sûre de rien. Les personnages ont disparu. Je ne les entends plus, je ne les vois plus. Je ne sais même plus s’ils existent… Oh, peut-être qu’ils n’ont jamais existé ! Dans mon esprit, pourtant… Ils vivaient si fort ! En fait, ils me manquent. Mais je m’attends à tout. Ils reviendront, peut-être. Peut-être ou peut-être pas.

    Ce récit n’est pas commun : je n’ai rien décidé. Il s’est écrit tout seul. Apparemment, il est question d’un univers parallèle, avec ses propres lois, ses espaces et ses règles. C’est le monde de l’après-vie… Un « au-delà ». Si j’ai bien compris le principe, c’est le monde de ceux qui nous ont quittés. Comme ton oncle. Comme Lui… Lui, mon père, dont le souvenir me reste, sans cesse, imperméable, infatigable, mais supportable… réconfortant, parfois. Les souvenirs, c’est tout ce qui nous reste. Il faut les accepter.

    Dans ce monde, tu le trouveras, Lui. Lui, parti trop tôt, tout juste débarqué dans cet univers parallèle, dont il peine (encore) à comprendre les règles. Lui n’est pas seul : sa famille l’accueille. Dans l’idée, je crois, c’est une sorte de récompense : ceux qui auront vécu dignement gagnent leur ticket pour l’au-delà. Rien de très original. Là, ils rejoindront leurs familles – des sortes de « clans », reconnaissables, d’abord, par leur emblème. C’est la situation initiale. Mais ces clans sont instables. Ici comme ailleurs, il y a des rivalités, de la compétition, des manigances et des intrigues. Leur monde est différent, mais leur nature reste inchangée : dans ce monde, tu trouveras des hommes et des femmes, tout ce qu’il y a de plus humain. La suite est un secret : il faut la lire.

    Ce monde me manque, parfois. Sans doute, j’aurais pu me contenter de ce monde. Il pourrait se vivre… Mais ça ne suffisait pas. Je n’ai pas vraiment décidé, mais je ne pouvais pas l’ignorer. Sophie, personnage du premier étage, ma projection romanesque, si j’ai bien compris, revenait sans cesse. Avec elle, je retraçais les étapes : Sophie perd son père, ses repères, prend conscience et se réinvente. Elle comprend que la vie est courte et entame, authentique, le processus et l’épreuve : elle fait son deuil. Je ne crois pas qu’elle soit allée jusqu’au bout… Elle n’en a pas eu le temps. Au premier étage, les choses se sont compliquées. Je n’ai rien pu faire. J’assistais, impuissante, à une guerre de clans, à des conflits absurdes, des dilemmes sans précédent. Mais je te laisse en juger.

    Bessaha²habitati !

    Ta Sophie

    Acte I

    Chapitre 1

    Un Espace.

    Lui, Le brave type.

    Tout est calme. Quelques âmes se promènent, d’un pas tranquille et assuré. Il est assis, en bonne compagnie. Un brave type qu’il a rencontré la veille. Un barbu, bien bâti, avec une longue queue de cheval qui le chatouille parfois.

    Lui. – Mais c’est bizarre, quand même, toute cette histoire… Je ne m’attendais pas à ça…

    Le brave type. – Ah, ça ! C’est sûr que ça surprend !

    Un bref silence. Lui regarde tout autour, curieux. Le brave type l’observe.

    Le brave type. – C’est tout naturel.

    Lui. – Oui…

    Lui fait quelques pas encore, regarde ici et là, même jeu. Puis s’arrête, et se tourne vers Le brave type.

    Lui. – Et toi ? Tu réalises, toi ?

    Le brave type. (surpris) – Moi ? Je… Je crois surtout que j’ai fini par m’y faire.

    Lui fait quelques pas, son regard se fixe.

    Lui. – Et eux, là-bas ?

    Le brave type. – Eux, ce sont les Loutres.

    Lui. (rit) – Les Loutres ! Oh non, j’y crois pas ! … Et vous ?

    Le brave type. – Nous, on a choisi les Ours.

    Lui. – Tu m’étonnes !

    Lui rit encore.

    Le brave type. – Et les tiens ?

    Lui. – Faudrait déjà que les trouve… Et comment ça se passe, d’ailleurs ? C’est à moi d’y aller, ou bien ?

    Le brave type. – Ils sont prévenus, donc…

    Lui. – Bon, ben je vais les attendre, alors…

    Lui regarde autour de lui, comme s’il les cherchait du regard.

    Lui. – Je me demande ce qu’ils ont choisi, du coup !

    Le brave type. – À ton avis ?

    Lui. – Alors, là, j’en sais rien ! Je sais que Daniel aimait bien les poissons rouges…

    Lui rit. Un silence.

    Le brave type. – Et toi ? T’aurais choisi quoi ?

    Lui. – Je sais pas… Un loup, peut-être. C’est pas mal un loup… C’est Rock and roll.

    Le brave type sourit. Un silence.

    Lui. – C’est bizarre, quand même, cette histoire !

    Lui ? C’était un homme discret. Pas comme ce fou furieux, qui me dévisage depuis tout à l’heure, avec son regard de sociopathe. Le monde est plein de fous furieux. Le monde est plein… Plein d’êtres humains. Il y en a partout ! C’est l’horreur.

    Si je devais me réincarner, va sans dire, j’éviterais le genre humain. Je le connais trop bien, le genre humain. Une étoile de mer, peut-être… Ça me plairait bien d’être une étoile de mer.

    Les bouddhistes pensent que la réincarnation, c’est une histoire de plans d’existence. Avec un peu de chance, et un bon Karma, on peut viser l’incarnation humaine. C’est le plan d’existence trois étoiles, si on peut dire. Sinon, il faut se contenter d’une incarnation animale.

    Bien sûr, il y a des incarnations plus flatteuses que d’autres. Et il y en a des plus confortables. Mais pour tout dire, je ne comprends pas. Pourquoi l’humain ? Qu’est-ce qu’il a de plus, l’humain ? Qu’est-ce qu’ils peuvent bien lui trouver ? Se gloser à ce point…

    Ils pensent que l’ego est un piège. Ils disent que c’est une illusion. C’est une illusion, disent-ils, parce que nous ne sommes jamais vraiment les mêmes. Il n’y a rien de stable, rien de fixe, rien de permanent : tout est vacuité. Il suffit de s’introspecter. Introspectez-vous, vous autres ! Demandez-vous : qui suis-je ? Vous n’y verrez que du feu ! Un feu transi d’émotions, turbulent, intarissable… C’est le flux de conscience. Qui palpite s’irrite, crépite ! Il change d’état comme d’avis…de plaisir, de peine, euphorique ou enthousiaste, de surprise et de colère, fou de rancœur, agité, insouciant puis triste, et puis discret, et puis bruyant, parfois inquiet, insupportable et inconstant, étourdi, malmené, ranci d’amertume, épuisé, famélique ou débordé, c’est un puits sans fond ! Et c’est ce puits qu’on galvaude ! C’est l’ego, disent-ils, la source de nos tourments – la suprême ignorance, la condition humaine… Et c’est l’humain, pourtant – bon sang, l’humain ! C’est l’humain, dis-je, qu’ils chérissent à ce point !

    Definitely³. À choisir, une étoile de mer, ça m’irait très bien.

    Elle ferme son carnet, jette un coup d’œil sur le quai, à travers la vitre, et peste. Elle a encore raté sa station. Elle est en retard. Et elle a affreusement envie de fumer.

    Bref. La routine.

    Le même Espace.

    Lui, Eux.

    L’air est plus chaud, mais on ne s’en plaint pas.

    Eux s’avancent… L’instant est chargé d’émotions. Ses proches l’accueillent à bras ouverts, émus jusqu’aux larmes. Ils peinent à sourire, mais ce n’est pas l’envie qui manque. Ils l’ont attendu la veille, même s’ils ne s’y attendaient pas. Ils sont peinés de sa présence, mais ravis de l’étreindre. Ils ne savent plus quoi penser ni ressentir, et que dire ? Un sacré bordel. Puis ils l’emmènent, parce qu’il faut lui expliquer : les règles, la suite, le pourquoi du comment, le comment du pourquoi, et cetera.

    Lui. – Et alors, qu’est-ce que vous avez choisi, vous ? Les crevettes ?

    Un rire.

    Eux. – Les dauphins.

    Un silence.

    Lui. – J’aurais dû y penser.

    Ils se regardent, sourient.

    Lui. – Quand même, c’est bizarre, cette histoire…

    Eux. – À qui le dis-tu !

    Chapitre 2

    — Je n’aime pas les effusions. Ça me gêne.

    Il l’avait rejointe dans le lit et lui souriait tendrement.

    — Pourtant, tu peux avoir un côté très…

    — Bisounours ? avait-elle répondu, dans un rire.

    Son homme… Il partageait sa pudeur. Il respectait ses silences…Bien sûr, toute cette distance… On ne peut pas dire que ça lui plaisait. Il aurait aimé qu’elle lui témoigne… plus de confiance, peut-être ? Un privilège. Qu’elle lui confie ses pensées, qu’elle ait besoin de lui, qu’elle se blottisse tout contre lui, et qu’il la prenne dans ses bras. Ces choses simples, qui font qu’on se sent important… Mais elle n’aime pas ça, les effusions. Elle le dit elle-même : ça la gêne. Et lui, ça l’arrange. C’est un artiste : un sensitif, aux cordes sensibles – un vrai violoncelle ! Il n’aurait pas su le gérer. Ça l’aurait tué, tout ce chagrin. Il partage sa pudeur… Mais il n’a pas sa retenue. Et elle, elle ne s’en plaint pas. Et comment lui en vouloir ? C’est elle qui complique tout. Il faut toujours qu’elle complique tout. Il n’a rien fait de mal. Il sait contenir ses larmes… Ce n’est pas un mal. Ce n’est pas plus mal…

    Et pourtant, il faudra bien qu’elle le quitte.

    Mais quand ? Comment ? Il faut s’occuper des moindres détails, ne rien laisser au hasard… C’est tellement dramatique, ce genre de choses… Au sens classique : celui du dramatique qui n’est ni joyeux ni triste ; juste palpitant. Dramatique, ça veut dire qu’il se passe un truc, là, tout d’un coup, et qui pourrait tout chambouler, ou presque. C’est le contraire d’anodin. C’est un « bim » ou un « badaboum », un renversement de situation…

    — Un retournement, tu veux dire ?

    Elle soupire, baisse la tête, trempe sa cuillère dans son Cappuccino, la fait tourner et retourner, la lèche, s’allume une cigarette, jette un regard autour d’elle – rien de très palpitant.

    — Les deux. Et on s’en fiche, non ? L’important dans tout ça, c’est que je dois le quitter.

    Son amie ne dit rien. En fin de compte, elle ne comprend pas. Mais la gamine… C’est une embrouilleuse. Faut toujours qu’elle brouille les pistes. Peut-être qu’elle a peur ? Ou peut-être qu’elle n’a pas envie ? Ni l’un ni l’autre : les deux. Se faire comprendre, c’est trop compliqué. Et surtout, ce n’est pas drôle. C’est d’un banal !

    Alors, les autres s’y perdent ; ils n’ont plus envie. Ça ne les amuse plus de démêler les fils. Ils s’embourbent dans ses méandres. Pour eux, ce n’est pas banal, mais ce n’est pas drôle pour autant. Ils doivent penser que ce n’est pas juste, surtout, que ce n’est pas à eux de faire tout le boulot.

    — T’es une fille bizarre, quand même. Je croyais que tu l’aimais…

    — Mais bien sûr que je l’aime. Ce n’est pas le problème !

    Se faire comprendre, c’est accepter de dire : je fais ma part. J’y mets du mien. Je veux bien te faciliter les choses, à toi, qui voudrais bien comprendre, et je vais faire tout mon possible pour rendre ce fatras plus explicite. Je vais te sortir de ce bourbier où je t’ai conduit, ne t’en fais pas – je te tends une perche, tu la saisis, je te tire de là… Et contemple l’horizon… Vois comme le soleil brille. Il fait si jour ! Tout est si lumineux ! Un nuage passe, tu as des doutes : il y a comme un hic, me dis-tu. Même pas peur des hics ! Je vais démêler les fils, c’est un hic de rien du tout : vois, tu vois toute cette lumière ? Tu les sens, ces rayons, comme ils nous éclairent ? Qui vient s’infiltrer dans ton regard, maintenant ? C’est la lumière, mon ami ! Tes yeux brillent… Et au milieu, en plein dans l’iris, une lueur : tu me comprends, tu as tout compris, c’est très clair à présent. Mais c’est d’un banal !

    Elle prend sa tasse, une gorgée, puis regarde au loin. Le regard dans le vide… Un passant lui jette un regard. Elle s’en moque et le méprise. C’est le vide qu’elle veut contempler. Elle s’allume une cigarette, un sourire un peu vague, sans sourciller, elle finit par lui dire… Qu’il lui manque.

    — Comment ça, il te manque ? Je ne comprends pas, il te…

    — Mais non, pas lui… Pas lui… Lui, ça ne compte pas. Plus rien ne compte…

    Ne lui dis pas, voyons… Il ne faut pas en dire autant ! Ça fait peur, ces choses-là !

    — Il n’y a plus que Lui… Et le vide.

    — Tu parles de ton père ?

    — De Lui. Évidemment… Qui d’autre ? Il n’y a plus que Lui ! Rien que Lui.

    Elle finit son Cappuccino, paie la note, prend son sac. Elle n’est même pas gênée. Et elle a raison. Il y a des choses qu’il faut garder pour soi. Des choses qu’il faut rendre confuses… Elle marque un point. Un point qui compte double, même. Ou triple.

    Le 09/09/2014

    à Paris

    Ma Clo,

    Comment vas-tu ? Que fais-tu ? Et la musique ? Nos rires me manquent !

    De mon côté, je… Bref. Tu sais bien. Tout est si différent… J’essaie de trier mes pensées. Comme tu disais. Mais rien n’y fait. Il me hante littéralement. Littéralement, pour tout dire ! Mais je tiens le cap. Je tiens le cap… Simplement, il y a les « et si… » Tu connais ça, toi, tu sais de quoi je parle. Les « si seulement… » Si seulement j’avais pu lui dire…

    Mais à quoi bon les regrets ? Je sais. Et puis, ce n’est pas tout à fait juste : j’aurais pu lui dire. Mais est-ce qu’il aurait voulu que je lui dise, Lui ? Est-ce qu’il m’aurait laissé lui dire ? Il était si fier ! Ça compliquait tout ! Ça a toujours tout compliqué ! Tu me diras, il est parti comme il a vécu : sans un mot, d’un coup, d’un seul… Qu’est-ce qu’on peut y faire ? Qu’est-ce que qu’on peut bien répondre, à ça ? Rien : on ne dit rien. On ne disait jamais rien. On se faisait comprendre… En silence. Avec les regards, les sous-entendus, les gestes, et les actes, on communiquait en silence. Tu imagines le fardeau ! Parler sans mots ! J’aurais voulu lui dire…

    Je ne sais pas ce que j’aurais voulu lui dire… Mais j’aurais voulu le dire quand même.

    Est-ce que tu aurais voulu lui dire, toi aussi ? C’est important, tu sais, d’exprimer ce qu’on ressent. J’ai mis du temps à le comprendre. Est-ce que tu comprends ? C’est tellement important, d’exprimer ces choses-là… Si tu as besoin d’en parler, à défaut de lui en parler, à Lui, je suis là, tu sais. Tu pourrais me le dire, comme s’il s’agissait de Lui. Ou je pourrais te lire, si tu préfères l’écrire. Je peux te lire ou t’écouter : c’est à toi de choisir. Mais les silences… Les silences, j’aimerais mieux qu’on les enterre avec Lui.

    Il fallait toujours qu’il se terre… Pourquoi fallait-il qu’il se terre sans cesse ? 

    Je pense à toi.

    Ta Sophie.

    Chapitre 3

    L’Espace Commun, côté Est.

    Lui, Eux – dont La mémé Lucette, Le gentil Daniel.

    Quelque temps se sont écoulés – ni des heures, ni des minutes, et des jours, encore moins : ici, le temps ne se compte pas. Il ne se mesure pas. Il passe, c’est tout.

    Le clan s’est réuni, pour une séance pleine. Personne ne manque à l’appel. Les Ours se sont postés à côté. Ils tapent du poing, et parlent fort. Le brave type lui sourit. Lui, il lui sourit aussi, et va le saluer, avant de rejoindre son clan. Le clan des Dauphins…

    Lui. – Sont sympas, les Ours… Non ?

    La mémé Lucette. – Oui, ils sont très bien, les Ours. On se fréquente parfois… On n’a jamais eu aucun problème avec eux.

    Le gentil Daniel. – C’est pas comme les Pies !

    La mémé Lucette. – Oh, les Pies, Vévé ! Surtout, ne laisse rien traîner ! Avec elles, ça ne loupe jamais ! Si je devais compter tout ce qu’elles m’ont chapardé, les terribles ! Tu te souviens de ma gourmette en or ? Celle qu’on m’avait offerte pour mon seizième anniversaire, la toute fine ? Et ma collection de fèves ?

    Lui. – Non ?! J’y crois pas ! On t’a tiré ta collection de fèves ?!

    La mémé Lucette. – Ça faisait même pas une semaine que je m’étais installée ! Des sacrées, les Pies, je te le dis !

    Le gentil Daniel. – Je t’ai dit de me laisser faire. Moi je voulais régler ça dès le début, qu’on n’en parle plus !

    La mémé Lucette. – Pas de ça, non. Suffit. On en a déjà parlé.

    Lui. – Et pourquoi pas ? Attends, je comprends pas là, pourquoi tu…

    Le gentil Daniel. – Non mais c’est normal que tu comprennes pas.

    La mémé Lucette. – C’est qu’il s’en passe des choses, ici, Vévé !

    Le gentil Daniel. – Ah ça ! Tu m’étonnes qu’il comprend pas !

    La mémé Lucette. – Bah ! Ça viendra…

    Sur ce, ils sortent, le laissant seul, mais pas longtemps, puisque Le brave type vient le rejoindre finalement.

    Le même Espace – l’Espace Commun, côté Est.

    Lui, Le brave type.

    Une tout autre atmosphère. L’air s’est considérablement alourdi, il fait chaud à en crever.

    Lui. – T’aurais vu la gueule qu’il tirait, quand on est rentrés ! « Mes têtes de lapins », qu’il criait ! Faut dire qu’il en avait une sacrée collection, t’aurais vu ça… Il m’a fait de la peine.

    Le brave type. – Et c’est tout ce qu’elles ont pris ? Ses « têtes de lapin » ?

    Lui. – C’est tout. C’est pour ça, si tu veux. Je vois pas ce qu’elles pourraient en foutre, de ses têtes de lapins. Je les connais pas, ces « Pies », mais… C’est de la provoc.

    Le brave type acquiesce, puis se tripote la barbichette, pensif.

    Le brave type. – Dis à ton clan de rejoindre le mien, quand ton frère sera revenu. Il faut qu’on parle… (Un bref silence) On ne peut plus laisser passer ça.

    Le 09/10/2014

    à « quelque part… »

    Twin,

    Depuis le temps qu’on se connaît ! Dix ans, peut-être ? Presque dix ans ! Déjà ! Alors, ne m’en veux pas. Je sais que je te dois des excuses. Mais je n’en ai pas. Je m’excuse, mais je n’ai pas d’excuse. Alors, s’il te plaît… Pardonne-moi.

    Twin, j’ai fait un rêve. J’ai rêvé qu’on s’échangeait des billets, au bord d’une falaise, en Irlande… Je sais, c’est stupide. Qu’est-ce qu’on irait bien faire sur le bord d’une falaise, en Irlande ? Oh, en fait, on pourrait y faire tant de choses… Twin, est-ce qu’il faut je renonce à ce rêve ? Parce qu’entre nous, j’aimerais qu’il soit prémonitoire. J’ai toujours eu un faible pour le prémonitoire. Dis, me pardonnes-tu ?

    Te souviens-tu de cet après-midi, près du lac Daumesnil ? Nous avions discuté des heures, comme d’habitude, nous promenant au fil de nos digressions, bavards que nous sommes, et puis, tout d’un coup, cette question… Tu étais gêné, comme si tu ne savais pas comment aborder le sujet… Cette fois, je pouvais sentir ton malaise… Alors, penses-tu, je craignais le pire ! Puis, cette question : « qu’est-ce que je représente pour toi, au juste ? »

    Imagine comme j’étais confuse ! J’étais venue pour parler de philosophie, de psychologie, de littérature. J’espérais que tu me prêtes tes volumes de Nerval, que tu me racontes tes aventures dans cet hôtel de province, que tu me parles de cette brune mystérieuse avec qui tu devais passer la nuit. Je voulais que tu m’en dises plus sur Bali, le mouvement Zadiste, et les enfants autistes, et cetera – un, et cetera massif ! Mais tu as préféré parler… En fait, c’est moi que tu voulais faire parler.

    Et tu devrais savoir combien je déteste ça.

    Mais tu regardais au loin, et ton regard me semblait triste. Et je ne supporte pas que tu sois triste, Twin. Tu sais bien. Ce fut l’instant, si mes souvenirs sont justes, où je décidai de négocier. Puisque tu y tiens. J’arrachai une feuille de mon carnet, pour te la tendre. Et griffonner ma réponse.

    A twin soul. « Une âme sœur », as-tu répété. Et tu veux que je te dise ? Tout était dit. Les autres billets, je n’y pense même plus.

    Twin, ce n’est peut-être pas toi que j’aime, à présent, mais tu es celui à qui je veux confier mes peines, mes doutes, mes joies, mes espoirs, quelques-uns de mes rêves, de mes désirs et souvenirs – nos souvenirs communs, entre autres, et tant d’autres choses encore… C’est toi, la réminiscence que je veux conserver, réactiver sans cesse, contempler, pérenniser et galvauder. Tu es la réminiscence dont je veux prendre soin. Parce que tu es celui qui me comprend, celui qui me connaît mieux que je me connais moi-même. Je te devine, quand tu te perds, et tu me rattrapes quand je m’égare. C’est comme ça. On pourra se séparer autant de fois que nécessaire, se détester au point de se haïr, ça ne changera rien, parce que le fait est là : tu es mon Twin. Tu es le miroir. Celui qui te montre tel que tu es. Sans faux semblants.

    J’aime cet homme qui s’est introduit dans ma vie. Je l’aime avec une sincérité maladroite, et je ne suis pas toujours tendre – et pourtant je me retiens ! Mais je l’aime. Et j’ai beau me raisonner, et chercher le moindre prétexte, je ne fais que compliquer les choses, sans jamais y mettre un terme. Et je ne comprends toujours pas ! Pourquoi je n’ai pas fui dès le début, et pourquoi je suis encore engouffrée tout entière dans une relation que je croyais éphémère, et pourquoi je persiste à répéter les mêmes schèmes, moi qui pensais la connaître si bien, la mécanique humaine ! Et j’aimerais tellement qu’il me donne (enfin !) une bonne raison de le quitter ! Parce je pense le quitter tous les jours, ou presque… À tout instant, je veux croire que je suis prête, et si je reste, ce n’est pas par choix, mais parce que je cède. Je cède au sentiment. C’est à n’y rien comprendre, et tout serait tellement plus simple si je t’aimais toi, Twin… Mais tu vois, en dépit de tout, je l’aime. C’est logique : l’amour, ce n’est pas rationnel.

    Twin, tu as dû apprendre ce qu’il s’est passé… Alors, pardonne-moi, je t’en prie. Excuse toutes les bêtises que j’ai dites, et ne m’en veux pas. J’étais en colère. J’étais tellement en colère… Il ne faut pas m’en vouloir. Je ne savais pas. Je ne pouvais pas imaginer un instant… Je pensais te comprendre, tu sais. Prétention ! Je ne pouvais ni te comprendre ni t’aider. Tout ce complexe d’affliction et de mélancolie, la solitude, le vide, et le cynisme, cette colère si particulière, résolument indignée, il faut le vivre… Et maintenant, je comprends.

    Encore une fois, pardonne-moi, Twin. Oublions nos éclats. Allons nous balader le long de la Seine, mine de rien, et parle-moi de lui. Comme autrefois… Parle-moi de ton paternel, rappelle-moi aux bons souvenirs que tu voudrais déterrer, répète à quel point il était formidable, et à quel point tu pouvais l’admirer… Je saurais t’écouter. Cette fois, je saurais t’écouter. Du temps est passé. Et je sais. Parle-moi de lui, si tu en as envie… Et comprends que je ne te parle pas de Lui. Comprends que je préfère t’écouter, et me taire, et penser. Je ne veux parler ni de moi ni de Lui. Pas en ces termes. Je veux bien parler de l’homme qu’il était, et de la vie qu’il a menée. Mais pour le reste… C’est en silence que je veux porter mon deuil.

    Mais je veux t’entendre. Toi qui as connu le fait, le précurseur. Tu sauras parler de tout ça tellement mieux que moi ! Tu as l’avantage du temps, de la distance, et de la maturité. Tandis que moi, je ne saurais pas trouver les mots. Je serais confuse. La colère est trop récente. Perdue, lamentable, j’accuse le coup, je l’accuse tout juste. Tu trouveras les mots, je n’en doute pas. C’est ta spécialité, non ?

    Et ne m’épargne rien. Pas de ça entre nous. Je veux l’entendre à nouveau, ce petit pincement dans ta voix, si doux, si plaintif, ce petit pincement qui trahit ta peine, chaque fois que tu parles de ton paternel. Pour l’heure, j’étouffe, et la gorge me serre. Je préfère ton petit pincement, et la douceur de ta peine. Elle me laisse espérer qu’un jour, le souffle me reviendra, la peine se sera adoucie, elle sera plus supportable, les mots trouveront leur place, et tout rentrera dans l’ordre.

    Reviens-moi, Twin.

    Ta Sophie.

    L’Espace Commun de l’Espace Total.

    Le brave type, Lui, Le gentil Daniel, L’imprévisible Tony, La mémé Lucette, La cousine Tania, La Mama Soria, La Grande Dame. 

    Il fait toujours aussi chaud. Les Pies ont sorti les éventails. Elles en ont massé, de toutes les tailles, de toutes les couleurs. Lui se dit qu’elles doivent avoir amassé un sacré butin depuis le temps… Il a fait venir son clan. Le gentil Daniel est revenu bredouille. Le clan des Ours doit venir.

    Le brave type fait son entrée. Il lui fait signe de les rejoindre. Ils se saluent, puis s’installent.

    Le brave type. – Les amis… Je suis content qu’on ait pu se réunir…

    Le brave type jette un regard aux Pies, lesquelles se baladent, mine de rien.

    Le brave type. – Faut qu’on parle.

    Le brave type montre les Pies, d’un regard subtil. Un silence… Ils ont compris.

    Lui. (au gentil Daniel) – Des nouvelles de tes têtes de lapins ?

    Le gentil Daniel. – Rien de rien.

    Lui. – Bon, mais y’a un truc que je pige pas : tout ce qu’elles ont tiré à tout le monde, faut bien qu’elles le planquent quelque part, non ?

    Le brave type. – Tout juste. Dis-leur Tony.

    L’imprévisible Tony hésite.

    Le brave type. – Dis-leur, cousin. Y’a rien à craindre. On peut leur faire confiance, je te dis.

    L’imprévisible Tony. – OK, ça va. Bon, j’ai vu une Pie, la petite brune, avec les gros lolos, suivez mon regard… Je l’ai vu avec sa sœur, la grande, pas moche. Elles sont allées dans l’Espace Est. Et elles ont une clé. Et la petite brune, un jour, je l’ai vue sortir la clé une fois, pour la donner à sa sœur, pour qu’elle aille lui chercher un chapeau qu’elle voulait me montrer…

    La mémé Lucette. – Et pourquoi qu’elle voulait te montrer son chapeau, la p’tite ?

    L’imprévisible Tony. – Ben… Elle voulait faire sa belle, et…

    La mémé Lucette. – Et pourquoi qu’elle voulait faire la belle ?

    L’imprévisible Tony. – Je sais

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1