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Le serment du maître ignorant: Roman
Le serment du maître ignorant: Roman
Le serment du maître ignorant: Roman
Livre électronique277 pages3 heures

Le serment du maître ignorant: Roman

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À propos de ce livre électronique

Elle, c’est une jeune étudiante Afropéenne de 3e Cycle, chercheuse en Histoire des Idées. Lui, un ex-universitaire, mais aussi un artiste martial médaillé, avide lecteur et apprenti écrivain-philosophe, devenu un ermite qui, un jour, aurait apparemment échoué sur « le Continent ». Dans une autre vie, en effet, il était expert en Études Culturelles et Sciences de L’Éducation ; ses travaux tournaient autour de questions telles que : peut-on se remettre d’une éducation scolaire abrutissante ? L’explication et l’instruction ne sont-elles pas qu’une pathologie ou une drogue nocive à l’élève ? Est-il nécessaire d’entourer l’enfant de garde-fous aptes à l’empêcher d’être un(e) abruti(e) ? Ou tout simplement, peut-on guérir de son enfance ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Saer Maty Ba a enseigné la Littérature, le Cinéma, et les Études Culturelles pendant une vingtaine d’années au Royaume-Uni. Il aime les voyages, la philosophie, les cultures du monde noir et les arts martiaux. Auteur d’un récit, Prothèses poussiéreuses : Le Continent au cinéma en 2019, Éditions Sydney Laurent, Le serment du maître ignorant est son premier roman.
LangueFrançais
Date de sortie8 mai 2020
ISBN9791037707406
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    Aperçu du livre

    Le serment du maître ignorant - Saer Maty Ba

    Prologue

    Un Aller…

    Que des rumeurs opaques ?

    Parti au pays des tubaab (blancs) par les airs, dont on ne sait où, l’homme en revînt par les eaux salées, on raconte. Qu’il fut largué par le bateau d’un de ses amis tubaab, battant pavillon quelconque, près de l’île inhabitée de Sarpan-nul, située au sud-ouest de ce pays côtier de l’ouest du Continent où il réside présentement. Une fois sur l’île, à l’aide de matériaux ramenés dans un raft de sauvetage, il aurait construit un cabanon de fortune, aurait vécu de ses provisions durant quelque temps (des semaines ou des mois, personne ne savait vraiment), puis débarqua un beau matin sur cette côte ouest rocailleuse, adjacente à Sarpan-nul, on raconte. Que personne ne l’a vraiment vu s’installer sur ladite côte ; on l’aurait juste trouvé là, tôt le matin d’un jour ordinaire, devant un baraquement qu’on avait cru être abandonné, assis sur une chaise de fortune, en bois, à lire un livre. Toujours selon des racontars, c’est une famille de pêcheurs, rentrant d’une nuit de pêche, qui l’aurait remarqué en premier, vers sept heures du matin ; il les aida à amarrer leur embarcation, à la vider de sa cargaison ; ils lui auraient fait cadeau d’un petit panier de poissons ; il en aurait cuit une partie au feu de bois, offert le reste aux enfants qui erraient dans les parages, certains à longueur de journée, on raconte. Que cet homme-là, un lecteur apparu d’on ne savait où, est un pratiquant assidu de ce qui ressemble à un mélange d’Arts Martiaux et de Close Combat ; des pêcheurs, encore eux, l’auraient vu plusieurs fois s’entraîner tôt le matin, ce qui, selon d’autres rumeurs, était faux car l’homme aurait plutôt l’habitude de s’entraîner en pleine nuit.

    Dans les semaines qui suivirent la « découverte » de cet homme, un métis aux yeux bridés, solitaire et mystérieux pour certains locaux, les habitants du village de pêcheurs voisin auraient remarqué un va-et-vient presque incessant de tubaab, venus rendre visite à cet homme qui, récemment, a commencé à sembler for-accueillant et sociable à ces mêmes habitants. À travers ces visites de tubaab étrangers, les villageois apprirent, certainement par le biais de leurs enfants scolarisés, que cet homme parlait quatre langues de blanc, auxquelles s’ajoutaient deux langues locales (on l’aurait entendu les parler, parfaitement), et ils en étaient stupéfaits, par avance ravis de pouvoir un jour échanger avec lui. Ainsi, seul le quotidien du temps présent de cet homme pourrait être conté avec certitude ; d’où le fait que, pour ce récit, un axiome de départ ou hypothétique feuille de route devra être proposé, il le sera plus loin et, peut-être bien, se laissera vérifier. En attendant, le quotidien du temps présent de cet homme semble démontrer qu’il tente de passer le temps, de le faire passer ou même de l’évacuer, parce que ses journées sont faites de lectures et baignades dans l’océan, entrecoupées de deux visites rendues au chef et à la matriarche du village de pêcheurs. L’homme semble être respectueux des coutumes locales, mais avait-il connu ces deux figures coutumières dans un passé lointain ? De coutume, au cours de ces visites, l’homme fait aussi un détour par la Grand-Place dit « des jeunes », un grand arbre à ombrage géant et sous lequel des jeunes et moins jeunes passent les trois quarts de la journée, à essayer de tuer le temps (savent-ils seulement que le temps est indéniablement immortel ?). Sur cette place, l’homme initie certains de ces jeunes aux échecs, un jeu de l’esprit plus utile pour eux que la loterie, le Pari Mutuel Urbain, les jeux de cartes ou même leur jeu de dames basique, pense-t-il, et indiscutablement préférable aux joints de marijuana ou pots de colle forte avec lesquels beaucoup d’entre eux se détruisent, en essayant d’échapper à la réalité. Bref.

    Revenons à cet homme, pour dire qu’en fin de compte le mystère entourant ses passé et futur ne fait que s’accroître ; plus les villageois et d’autres habitants de la côte essaient d’en savoir sur lui, moins le puzzle Guchi, c’est son nom, enfin certains l’appellent ainsi, donne l’air de prendre forme correctement. Un beau jour, Guchi a mis fin au ballet de tubaab venus d’ailleurs, raconte-t-on dans une partie de la communauté de pêcheurs, communauté enceinte d’un grand monde qui semble certain de l’avoir entendu menacer « haut et fort » de régler son compte à tout tubaab qui viendrait le déranger pour une quelconque raison, surtout si c’est pour lui parler de livres qu’il aurait écrit et publié des décades auparavant. C’est ainsi que, paraît-il, l’on saurait que Guchi écrivait jadis, mais sur quoi et dans quelles disciplines, personne ne semble certain : rien d’autre que lumière aveuglante et trou noir ne règnent sur son rapport à l’écriture. Quid de son nom ? là aussi, que des rumeurs, semble-t-il, car, pendant que les uns disent qu’il porte un nom japonais, d’autres affirment qu’il est originaire de l’intérieur de ce pays côtier. Lui forger des origines, on veut. Les uns vont jusqu’à avancer le nom de H. Yamaguchi K. (surnom ? Sobriquet ?) pendant que d’autres se focalisent sur son phénotype, à savoir ses yeux bridés genre Khoi-San du Sud de ce Continent, ou de l’Est asiatique, son nez semi-épaté et son teint marron, issus d’un métissage entre « exotique » (leur terme) et Noir-e (encore, leur terme). Et ça continue : ses ancêtres noirs, originaires de ce Continent, où lui-même est né, y auraient résisté à la colonisation afrançoise, et sa mère au nom de famille hérité des Pharaons d’Égypte, à savoir « ba », qui signifie « force vitale » et « âme » en Égyptien ancien, lui aurait légué des liens culturels solides avec l’Égypte ancienne et la Nubie, même s’il faut préciser que tout ceci semble trop beau pour être vrai, spécialement lorsqu’il est question de produire une preuve quelconque des ascendances susdites, parce que des conjectures tendent à toujours prendre le dessus, notamment en ce qui concerne le nom de famille présumé de Guchi lui-même, qu’aucun villageois n’est peut-être en mesure de confirmer : « Kanazawa » ou « ba » ? That’s the question, c’est ça la question.

    Il semble néanmoins clair que cet homme, dont on ne sait apparemment pas grand-chose, s’en amuse, accepte qu’on l’appelle « H », « Guchi », « Gaïndé », c’est-à-dire Lion, « l’homme G », ou « Guch’ » tout court (son surnom préféré). En fait on raconte tellement de choses à son sujet qu’il en est devenu invisible, non pas comme le personnage principal du chef-d’œuvre romanesque de Ralph Ellison, L’Homme invisible, ou encore à la manière d’un Bigger Thomas dans Enfant du pays, célèbre second roman de Richard N. Wright, tous deux étant invisibles parce que l’on refuse de les voir. Guchi, lui, est invisible parce qu’il s’est tellement bien mis en vue qu’il parvient à être opaque, à se voiler de nudité, c’est-à-dire, vêtu de son corps qui est mystère, il hypnotise le regard d’autrui en lui renvoyant des images aussi décalées et déformées et tronquées que celles du miroir de Mirror (1975), film culte d’Andrei Tarkovski. Oui, tout le monde semble en savoir tant sur lui que sa présence n’intrigue plus, sa visibilité même en est devenue opaque pendant que lui, le solitaire-bouquineur, ne confirme ni n’infirme quoique ce soit ; on pourrait même dire qu’il se contente d’égrener le temps, tel un moine Tibétain son chapelet, par le biais de la lecture, des programmes musicaux écoutés sur son poste radio pré digital, ou encore par le truchement de cette autre musique émanant des rainures de sa collection de disques vinyles, musique jouée sur une vieille chaîne Hi-Fi héritée, jadis, d’un oncle maternel tué par un terroriste. Lecture et musique, deux activités accroissant et perpétuant le mystère qui enveloppe Guchi comme une toge semi-transparente un corps sensuel. En effet, si l’on en croit d’opaques rumeurs, glanées çà et là et suspendues dans de l’éther, le peu qu’on puisse dire de ses choix de textes, écrits comme sonores, c’est qu’ils constituent un mélange on ne peut plus inhabituel, voire déroutant. Ainsi, question : que l’aurait-on vu lire ou tenir entre ses mains ? pour y répondre, allons chercher le diable dans les détails. Autrement dit, listons : 1Q84 (trilogie de Haruki Murakami), L’aventure ambiguë (Cheikh Hamidou Kane), Les Damnées de la terre (Frantz Fanon), L’Homme invisible, La Joie d’amour (Robert Misrahi), L’Étranger (Albert Camus), Le Manifeste du parti communiste (Karl Marx et Friedrich Engels), Nations nègres et culture (Cheikh Anta Diop), Le Maître ignorant (Jacques Rancière), Le Manuel du guerrier de la lumière (Paolo Coelho), ou encore Petit Bodiel (Amadou Hampathé Bâ). Les sons musicaux que l’on aurait entendu s’échapper de son baraquement ? « So, What? » (Jazz, Miles Davis), « Don’t believe the hype » (Rap, Public Enemy), « les colonies » (Rap, MC Solaar), « Gorée » (Zouk, Kassav »), « A Change Gonna Come » (Soul, Sam Cooke), « 9e Symphonie » (Classique, Beethoven), et « Bittersweet Melody » (Pop, The Verve). Écrit-il encore, à ses heures perdues ou trouvées ? Personne ne sait vraiment mais les plus hardies dans la communauté répondent par l’affirmatif, s’empressant d’ajouter des questions rhétoriques comme « autrement dit, pourquoi lire autant de livres ? à ce rythme ? Les dix cahiers entourés d’élastique qui sont toujours à ses côtés, cahiers qu’il lit par moments, ne les aurait-il pas écrits lui-même ? », etc. Bien sûr, Guchi pourrait bien être lecteur par simple et pur amour de la lecture, lire juste pour laisser passer le temps : pourquoi pas ? En revanche, une chose est certaine : la nuit il s’éclaire à la bougie, peut-être par manque d’argent, « mais sûrement pas ! », arguent en chuchotant certaines villageoises à l’imagination fertile et débordante, « cet homme est un solitaire, relativement jeune sportif, très viril (« ah ouais ?! », s’exclama une fois Guchi, en écoutant Daado Dècaff, dont nous ferons la connaissance plus loin, lui rapporter moqueusement les ragots de certaines commères du village dont il était la cible), un homme qui couche régulièrement avec des prostituées. Et, d’ailleurs, il faut bien sûr se rendre à l’évidence que le temps imparti à ces actes sexuels se mesure à l’aide d’une bougie allumée, serge qui fixe, détermine et chronomètre leurs nature et durée ; l’homme et ses prostituées s’y donnent à cœur joie, tels des singes bonobos, tous les soirs et des heures durant ». Après quoi, l’Homme G se lèverait tôt le matin, toujours, pour son entraînement d’Arts Martiaux suivi de baignade, visites de courtoisie, jeux d’échecs, lecture, musique, cours d’Anglais pour cette adolescente espiègle (Dècaff), et le soir (re) venu, séance de cuissage-marathon avec une ou plusieurs prostituées. Voilà ce que racontent les chuchoteuses hardies du village, au sujet des (soi-disant) exploits sexuels nocturnes de Guchi qui aurait pu ne rien en savoir, n’eût été les échos qui atteignaient son oreille par le truchement de Dècaff, à qui il finit par dire, rire-dans-voix-grave, « chère Dècaff, à partir d’aujourd’hui, épargne-moi de telles foutaises, s’il te plaît ! » Un retour sur tant de rumeurs opaques concernant Guchi s’impose, peut-être. En attendant, en tout cas, de bien entrer dans le récit qui le met en scène nécessite l’ébauche d’une feuille de route, d’un axiome…

    I

    Balbutiements

    Feuille de route ?

    Or donc, voici l’axiome, l’hypothétique feuille de route, ou encore le postulat de ce récit en devenir : seul le quotidien du temps présent de la vie de Guchi, pourrait être pris comme une certitude, et conté, pendant que son futur, simple ou continu, n’est pas encore. Partant de là, à moins de spéculer sur son passé, ou de l’entendre en parler, il serait prudent de dire que Guchi serait dépourvu de tout mystère, enfin sauf un, peut-être : on ne sait pourquoi, les samedis, et seulement les samedis, il n’ouvre sa porte qu’après douze heures. Cet homme-là, une femme apparemment jeune (par la voix, audible) ose venir déranger un samedi matin et, jamais deux sans trois, avant midi : toc, toc, tooc.

    — Doc-tor Yamaguu-chii, vous êtes là ? dit-elle, d’une voix hésitante mais déterminée, je suis venue de très loin pour m’entretenir avec vous. Un silence. Court. Au sujet de vos travaux.

    — C’est quoi ce délire ? de quels travaux parle cette voix ? », marmonne Guchi, encore allongé sur son semblant de lit, avant de hurler « qu’est-ce qui vous fait croire que j’ai quelque chose à vous dire ? et puis, d’où est-ce que vous tenez ce sobriquet de Doc-tor Yamaguu-chii ?! » La jeune femme est tout de suite pétrifiée par cette voix rauque, aussi grave que celle de Barry White mais, note-t-elle mentalement, sans toutefois cette dose sensuelle de luuuuv (love, amour) propre au chanteur noir Américain, paradoxalement (ou pas) l’un des favoris de Ma », la mère de Guchi : si seulement la jeune femme, doctorante dans une université du faux-vieux continent, autrement connu sous le nom d’Europe, savait…

    Elle avait lu les travaux de Guchi, écrits qui l’on intéressés pour des raisons qu’elle clarifiera sûrement, peut-être, mais toujours est-il qu’à la suite de ses recherches dans cinq pays, sur deux continents de tubaab, elle eût vent de l’embarquement subit de Guchi, sur un bateau dont elle finit par retrouver et scruter l’itinéraire. La doctorante avait même pu localiser le vieux capitaine du navire, récemment retraité et résident d’une maison de retraite médicalisée en pays balte. Munie d’une vieille photo de Guchi, trouvée sur quelque site web d’université ou de centre de recherches que ce dernier avait croisé sur sa route-quête de Savoir, elle obtint de l’ex-marin la confirmation qu’il avait laissé embarquer l’homme sur la photo, « un type sympa et calme », sur ordre de son Boss à lui, un célèbre armateur Grec. L’homme sur la photo, ajouta laborieusement l’ex-capitaine, quitta le paquebot au large d’un pays côtier, euh, il ne se souvenait plus du nom mais, « en tout cas, tout s’était passé comme convenu avec mon Boss, » lui confia le marin retraité, saisi d’une quinte de toux si subite et intense qu’une soignante fut appelée, et la doctorante sommée d’en prendre congé. Quelques semaines plus tard, rassérénée d’avoir colmaté assez de bribes d’information pour reconstituer les mouvements de Guchi, la jeune femme rallia « Le Continent », sur lequel elle pensait Guchi devoir être ; elle sillonna la côte d’un pays qui sourit à l’océan, deux mois durant, soixante jours pour être précis, avant de localiser l’ermite Guchi. Mais aujourd’hui, à quels « travaux » fait-elle référence, qu’attend-elle de Guchi, et que lui veut-elle vraiment ?

    Elle souhaiterait écrire sur son expérience, sa vie jusqu’au jour où il quitta son pays natal (jadis un casse-tête à identifier, pour la jeune femme) et s’en alla vers une île anglo-celtique, nordique, du nom de Britland. Dans cette optique, la jeune femme doctorante s’intéressait particulièrement à l’expérience scolaire de Guchi, son opinion sur l’école comme institution, sur l’acquisition des connaissances ou fait d’apprendre, ainsi que sur le système éducatif de son pays d’origine : tout ceci avait-il poussé Guchi à partir ? tel Aimé Césaire de sa Martinique natale, pour aller apprendre en pays dominant, c’est-à-dire chez ceux qui aiment tant vaincre sans jamais se soucier d’avoir raison ? Elle voulait savoir, elle veut encore savoir, même si, au moment où elle toc chez Guchi, la jeune femme sait déjà que, sous le pseudonyme de Gaïndé (Lion), Guchi avait formulé quelques théories sur l’éducation et l’acquisition des connaissances chez l’enfant et l’adolescent, arguant par là même, pense la jeune doctorante, qu’il s’écartait de la notion selon laquelle les connaissances peuvent se transmettre, concept en lequel il ne croyait tout simplement pas. De même, la jeune doctorante est aujourd’hui convaincue que Guchi avait pris ses distances par rapport à d’autres notions, centrales au statu quo savant de l’époque où il sillonnait une partie du globe, allant de colloques en séminaires ou autres conférences universitaires, pour des joutes de regards et frictions avec celles et ceux qu’il considérait comme des théoriciens-moutons-de-panurges. Et enfin, la jeune doctorante qui frappe à la porte de Guchi ce samedi matin sait que les travaux d’un philosophe des sciences anarchiste, Paul Feyerabend, lui sont bien connus, notamment le refus de l’Américain d’origine autrichienne d’accepter qu’en termes de « Méthode », il existerait des règles universelles ; elle fut particulièrement surprise, agréablement s’entend, de s’être vue dire, par deux amis de Fac proches de Guchi, que ce dernier aurait rencontré Feyerabend peu avant sa mort, qu’il avait été question pour Guchi d’en apprendre sur la vie du philosophe anarchiste, même si ce ne fut qu’en marge des idées de ce dernier : « et d’ailleurs, il faudrait peut-être lui poser la question ? », la lui poser surtout parce que les recherches de la jeune doctorante sur Guchi lui avaient révélées une sorte de faille au sein de l’interprétation des théories Guchiennes, notamment sur l’intelligence, l’épistémologie, l’enseignement, et la méthode, pour ne citer que quatre exemples. En effet à sa connaissance, jusque-là, personne ne s’était penché sur comment le vécu de Guchi a pu avoir influencé les théories susdites. Autrement dit, comment se fait-il que les chercheurs ne se soient pas intéressés aux possibles origines empiriques de telles théories ?

    Selon elle, cette espèce de faille constitue une anomalie et un écart, qui sont également vide et lacune, à un tel point qu’ils doivent être comblés, quand bien même à nombre d’universitaires renommé-e-s, il avait semblé logique de l’occulter durant tant de décennies. Imbue de cette fougue, de cet enthousiasme presque arrogant commun à tous les nouveaux doctorants pensant tenir le bon bout d’une idée géniale, ou d’une trouvaille inédite, la jeune femme se murmure « ouais ! je vais tous les baiser, ces faignants ! », son euphorie n’étant pas étrangère au fait que la jeune doctorante pense avoir trouvé Guchi. Donc, en se focalisant sur le vécu de ce dernier elle espère pouvoir éclaircir substantiellement toute zone d’ombre qui émergerait des liens (qu’elle espère, existent !) entre la vie de Guchi d’une part, vie qu’elle ne connaît pas du tout, et de l’autre son œuvre, qui n’a peut-être plus de secrets pour elle, des éclaircissements qui devraient lui permettre de bien formuler et présenter une bonne partie de sa Thèse de 3e Cycle, notamment le chapitre « H Y Kanazawa et la transmission des connaissances – titre provisoire », se rappelle-t-elle avoir inscrit sur son bloc-notes. Cependant voilà, on est samedi et il n’est que 10 heures du matin : toc, toc. Un temps. Court. Puis, très fort : TOC, TOC-TOC ! Un temps. Plus long.

    — Dr Guchi, vous êtes là ?! » Dehors, il fait bon, vent léger, Guchi bercé, à peine éveillé parce qu’encore plongé dans un de ses nombreux songes, ces rêves qui le font voyager dans les méandres de son passé, toujours ce passé et seulement lui, ténu et têtu, et dont le truchement fut constitué de bons et moins bons moments, ce passé vécu au sein des femmes (beaucoup de glissades jouissives mais très peu d’amour, trop peu même) mais aussi dans le sport et les Lettres. Ainsi, songe oblige, jusque-là Guchi ne perçoit que de timides toc-tocs sur une porte imaginaire, aussi énigmatique que celle d’Émérence dans La porte, beau roman de l’Hongroise Magda Szabò. Sauf que, de suite, la jeune doctorante revient à la charge, insistante, en appuyant ses frappes sur le bois rouge : TOC T-TOC, T-TOC, TOC ! Guchi tend l’oreille et regarde en direction de sa porte du non-retour, qu’il appelle ainsi lorsqu’elle est ouverte car, généralement, quiconque la traversait, dans le sens de la sortie de son baraquement, ne revenait plus le voir, mais aussi et surtout porte de non-retour parce que, sur cette haute côte rocailleuse qui descend vers la plage, le modeste logis de Guchi est si surélevé que, de l’intérieur, ou lorsqu’il s’assoit devant, face à la mer, il ne peut voir rien d’autre que l’océan et sa ligne d’horizon, pas même les nombreuses pirogues amarrées sur la plage, encore moins les badauds, vendeuses, baigneurs ou passants, qu’il peut entendre assez distinctement pourtant. Océan et ligne d’horizon lui rappellent toutes ces autres portes de non-retour, ouvertures jonchant les côtes des pays qui pleurent ou rient face à l’océan, d’où partirent contre leur gré et dans des conditions inhumaines, des millions d’âmes noires, ses ancêtres maternelles, vers des terres de tubaab mal acquises, des âmes qui, elles, au contraire de Guchi dans un tout autre contexte, venaient à croire,

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