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Mission Cratyle: Roman de science-fiction
Mission Cratyle: Roman de science-fiction
Mission Cratyle: Roman de science-fiction
Livre électronique480 pages5 heures

Mission Cratyle: Roman de science-fiction

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À propos de ce livre électronique

Mars 2060 : sous les yeux ébahis de milliards d'êtres humains, une nouvelle planète apparaît dans le ciel, en un simple claquement de doigts.
Baptisé Cratyle, cet astre apporte plus de questions qu'il ne fournit de réponses. C'est un nouveau monde à explorer, à découvrir... il faut donc envoyer une mission pour fouler son sol et tenter d'en apprendre un peu plus.
Dans les bureaux de Média+, Isodore Sax, le grand patron de l'overland audio-visuel mondial, saute sur l'occasion. C'est le moment de lancer une grande opération à l'occasion de ce voyage d'exploration, en créant un nouveau concept de télé-réalité. Il choisit ainsi sept personnes, selon des critères tenus secrets. Sept personnes qui ne se connaissent pas. Sept personnes qui n'ont, à part pour l'un d'entre eux, quasiment aucun lien avec l'espace.
Est-ce donc pour leurs capacités à faire de l'audience qu'on les a envoyé à l'assaut de cette étrange planète ?
La mission ne cache-t'elle pas d'autres buts plus obscurs ?
Se montreront-ils à la hauteur de l'enjeu ?
Média+ est fier de vous présenter "Mission Cratyle", un compte rendu détaillé de sa nouvelle émission de télé-réalité, et vous invite à ne rater aucun épisode de cette création originale...

LangueFrançais
ÉditeurOtherlands
Date de sortie10 févr. 2020
ISBN9782797301737
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    Aperçu du livre

    Mission Cratyle - Bernard Léonetti

    intellectuelle.

    MISSION CRATYLE

    Bernard Léonetti

    Le 10 mars 2060, la navette low cost de la transystème Compagnie, effectuant le trajet Terre-Mars, fut attaquée par un dragon d’apparence vaguement orientale. Selon les témoignages, la créature ressemblait au monstre des « Derniers Temps », film multi-sensoriel qui connaissait alors un franc succès sur les écrans plasmiques.

    L’inspection effectuée sur la navette miraculeusement revenue à sa base dut admettre qu’elle avait bien été endommagée par des griffes et des crocs. A si haute altitude, cela semblait invraisemblable. Le communiqué officiel préféra donc évoquer une agression météoritique. Effectivement, les données vidéo ne signalèrent aucune créature se prétendant être un dragon ou tout autre monstruosité. Le compte-rendu de l’équipage ne pouvait être raisonnablement pris en considération au regard de l’énormité de la chose. Les enquêteurs conclurent à un incident dans le dosage de l’atmosphère interne de la navette, qui aurait généré ce qui ne pouvait être qu’une hallucination. L’origine chinoise de l’équipage expliquait les archétypes ayant décidé de la tonalité de la vision. La ressemblance de l’apparition avec un monstre cinématographique s’expliquait, aux dires des néo-jungiens, par l’imprégnation des produits multimédias sur l’imaginaire collectif. De plus, l’année 2060 était celle du Dragon. Les néo-freudiens raillèrent leurs confrères néo-jungiens en signalant que si l’année avait été celle du Rat, la navette aurait été agressée par un ou plusieurs rongeurs spationautes. Ils rirent encore plus franchement lorsqu’ils évoquèrent l’année du Cochon, et ce trait d’esprit avait sans doute un rapport avec leur inconscient.

    Seuls les tenants de la séquantique hochaient  la tête d’un air entendu.

    L’événement en précéda un autre plus magistral : l’apparition d’une nouvelle planète dans le système solaire. Du jour au lendemain. Par un curieux hasard, personne sur la Terre n’assista à son surgissement du néant. Le ciel était vide à cet endroit. Le temps d’un clignement de paupière et un nouveau corps céleste s’imposait, visible nuit et jour comme en position géostationnaire. Sa taille avoisinait celle de la lune. La planète se positionna à une distance équivalente et, depuis ce jour, les habitants de la Terre purent s’adresser à deux déesses à la fois. La planète ne subissait aucune attraction des corps voisins. Elle demeurait stable dans l’espace, sans rotation ni révolution. Elle semblait posée là comme le point d’interrogation, d’une interrogation ayant l’intention de le rester. Une couche de brume recouvrait la totalité de sa surface, avec un épaississement au niveau des pôles. Elle se présentait telle une sphère blanche qui évoquait un globe oculaire sans pupille ni iris. Les observateurs évoquèrent cette brume, mais rien ne leur permettait de déduire qu’il s’agissait bien de cela.

    Les astrophysiciens notèrent aussitôt quelques aberrations. L’apparition donnait l’impression de suivre la rotation de la Terre en demeurant fixe au niveau de l’observateur. La chose avait déjà été remarquée. Le problème était que la planète distribuait cette impression à tous les observateurs où qu’ils se trouvent sur la Terre. Comme si la planète était à la fois une et multiple. En définitive, il était impossible de la localiser dans l’espace, bien qu’elle demeurât au-dessus de chaque tête.

    La planète restait opaque aux investigations. Les instruments d’exploration reçurent une fin de non-recevoir. Elle apparaissait à l’œil nu  à quiconque levait la tête, mais se refusait à être saisie par les télescopes de haute technologie autogérés par des ordinateurs dernière génération — le genre à détecter une mouche sur Pluton, en supposant qu’il pût y en avoir une. En revanche, ceux moins perfectionnés comme une simple lorgnette ou un jouet pour enfant parvenaient à la scruter avec plus de bonheur. C'est-à-dire un zoom réduit sur une couche de brume peu loquace. Allez donc comprendre ! Les plus grandes sommités scientifiques se grattaient la tête jusqu’au cuir chevelu. Aucune donnée ne put être récoltée. Les appareils restaient muets. Ce qui était en soi un grand mystère dans un mystère encore plus grand — de la taille d’une planète. Le Sénat décida donc de programmer une expédition pour le résoudre.

    Il y eut une première expédition, puis une deuxième, et on disait qu’une troisième était en préparation. Rien ne se passa comme prévu. Le Sénat imposa la censure, mais les rumeurs en contournèrent les effets.

    Sur terre, on ne parlait plus que de cela. En soi, l’apparition de la nouvelle planète était une incongruité, mais elle n’était pas la seule. Les événements qui en découlèrent jetèrent le trouble dans la population, et ce n’était pas une simple façon de parler. S’il pouvait exister des dragons attaquant des navettes entre la Terre et Mars, rien n’interdisait alors la survenue de phénomènes inexpliqués. Les services psychiatriques notèrent une recrudescence de bouffées délirantes et d’épisodes psychotiques chez des sujets n’ayant jamais été portés à ce genre de perturbations. Certains rencontrèrent des morts, d’autres parlèrent à des créatures étranges venues du fin fond de leur psyché, les plus chanceux eurent droit à ce que des lutins fassent leur ménage.

    Des théories du complot furent chuchotées. Du LSD dans les réservoirs d’eau des mégapoles. Diffusion de produits perturbateurs à partir des chemtrails. Intoxication subliminale d’une campagne méga-publicitaire, programme d’ingénierie sociale, voire attaque d’extra-terrestres —  depuis qu’on les attendait, ceux-là ! Les plus politisés, c’est-à-dire une frange infime de la population, voyaient au travers de ces évènements une magouille du Sénat en vue de détourner l’attention sur son incompétence. Puis les citoyens reprirent leur habituelle consommation  de produits multimédias et s’accordèrent le bonheur d’avoir deux lunes à leur disposition,  dont l’une ne cessait jamais d’être présente au-dessus de leur tête.

    Média + appela la planète la Planète du Dragon, ce qui laissait supposer qu’il existait une relation entre le corps céleste et l’hallucination d’un équipage chinois. Ce fut ce nom qui s’imposa dans les sphères médiatiques et dans l’esprit de leurs clients.

    Un autre circula bientôt dans les milieux proches du Pouvoir. Sa provenance demeura longtemps incertaine, mais cela devint comme un nom de code pour une affaire réservée aux hautes sphères.

    Cratyle !

    Le Sénat s’affolait.

    Quelque temps avant l’apparition de Cratyle, la partie nord de la mégapole Occident connut une panne d’électricité qui dura plusieurs heures. Dans l’excitation générale, personne ne s’en alarma outre mesure. Les techniciens rétablirent le réseau. Le contenu des congélateurs put être sauvé. Un rapport d’intervention fut envoyé aux autorités compétentes, mais dut s’égarer dans les mémoires informatiques. Certains citoyens plus sensibles aux ondes ou plus fragiles psychologiquement se plaignirent que, depuis cette coupure, ils percevaient une étrange vibration qui se glissait au travers des bruits quotidiens. Comme le murmure d’un frigo de l’ancien temps, comme un générateur au ralenti, comme un chant de sirène. Les gens avaient de ces idées !

    Seuls les Créas hochaient la tête d’un air entendu.

    Number One, number One,

    I am the number One...

    Lady Gogol

    Chanson sponsorisée par Soda-Cola.

    Numéro Un.

    Le vaisseau file vers la planète. Je dois me contenter des vibrations transmises à travers la coque jusqu’à mon siège pour comprendre que j’ai quitté ma terre natale. Aucun hublot ne me permet d’apprécier le spectacle. Seul le pilote y a droit pour des raisons de non-interférence psychique. J’avoue ne pas savoir ce que ces mots recouvrent vraiment. La Prod n’a guère été explicite.

    Je ne peux donc m’empêcher d’être inquiet. Je suis allé plusieurs fois sur la Lune — la première, serait-on tenté de dire à présent — et le voyage en lui-même n’a pas lieu de m’angoisser. C’est plutôt l’incertitude qui s’attache à cette aventure. Je ne sais à quelle aberration je vais être confronté. Mais le pire qui pourrait m’arriver, au point de vue de ma célébrité future, c’est qu’il ne se passe rien. Que ce soit un bide.

    Nous sommes sept. Je suis le number one comme on dit à Babywood. J’ignore tout de mes compagnons. Je sais seulement que numéro Quatre est notre caméra-woman. Puisque nous portons des casques au verre opaque, je ne connais même pas leur visage. Qui se cache derrière ? Je ne peux que supposer qu’il s’agit de scientifiques émérites, de journalistes célèbres, de personnalités médiatiques, peut-être de Lady Gogol en personne. Comment pourrait-il en être autrement ? Une telle opération ne saurait se dispenser de mettre en avant quelques sommités.

    Et, parmi eux, me revient le statut de number One.

    D’après ce que m’a assuré la Prod, tout a été organisé de sorte qu’il n’y ait aucune affinité entre nous. Pas de lien d’amitié, encore moins de relation amoureuse – trois femmes sont parmi nous et je n’ai jamais rencontré Lady Gogol. La Prod en a décidé ainsi pour des raisons qui demeurent obscures. Elle a veillé à ce qu’il n’existe aucune accointance de quelque ordre que ce soit entre nous. Ce sont des gens efficaces. Je ne peux faire autrement que leur faire confiance. Pas d’interférence donc. Il fallait une relation la plus neutre possible entre nous, et qu’elle le demeure le plus tard possible.

    Anonymat complet.

    Pourtant il faudra bien que, tôt ou tard, les masques tombent, ne serait-ce que pour amener un coup de théâtre dans un scénario qui n’est pas encore écrit. Je saurai alors qui sont les seconds rôles.

    Nous avons abandonné nos noms sur la terre. Nous arborons de simples numéros de un à sept, tagués au laser dans la texture de nos combinaisons mauves aux reflets argentés. Je suis numéro Un, j’aime à me le répéter. Je suis le numéro Un et, comme dit la chanson, tout le monde me suit, tout le monde m’admire. Vie et mort, tout dépend de moi, … la, la la !

    Près de moi, sanglée sur son siège, une femme détient le numéro Deux et ainsi de suite. Quatre hommes et trois femmes. La prestation  à accomplir est simple, presque simpliste. Nous devons rallier le pôle en partant de l’équateur. Sur cette trame doit se développer notre performance.

    Nous portons chacun une caméra, fixée à notre poitrine et spécialement mise au point pour les besoins de l’aventure, un appareil de technologie archaïque puisque élaboré à partir d’un procédé à base de nitrate d’argent  et de bandes magnétiques —  l’ancêtre des technologies audiovisuelles de notre temps. Les ingénieurs nous ont suffisamment  fournis en bandes pour que nous puissions enregistrer nos péripéties jusqu’à la fin de l’aventure, évaluée de façon très large à une année terrestre, et en temps continu. Numéro Quatre possède une caméra supplémentaire et plus perfectionnée, qu’elle peut manipuler à sa guise ou placer sur un trépied. Pour l’heure, elle balaie l’habitacle de la navette d’un geste que je considère négligent pour la professionnelle qu’elle est censée être. Quant aux images de notre arrivée sur la planète, seule la caméra intégrée à la navette  en détient la primeur.

    Nous sommes partis pour la Montée des Marches et pour le trophée de la meilleure télé-réalité.

    En tête d’affiche, le number One.

    La Prod nous a conseillé d’éviter toute conversation superflue. Mieux, de parler le moins possible, avec un souhait difficile à atteindre : contrôler ses pensée, penser à minima, ne plus penser du tout. Ma formation — je ne sais pas pour les autres — a principalement été axée sur ce contrôle. J’ai passé trois mois à l’Institut Korzibsky à contenir mes pensées dans les rets d’un langage dépourvu de subjectivité. On appelle ce langage le novglais. Depuis, je me répète souvent que le mot « chien » ne mord pas, que la carte n’est pas le territoire et, formule plus hermétique, quoi que je dise d’une chose, elle ne l’est pas. Mais la vieille langue est toujours là, prête à réinvestir mon champ psychique. « Soyez vigilant », m’ont dit mes formateurs.

    C’est sans doute pour cette raison que nous n’avons pas de sponsor, ni aucun slogan, ni logo publicitaire sur nos accoutrements. Cela pourrait nous perturber. Seule exception : numéro Deux, qui pavoise pour le compte de MacFood. Un MacFood pour la faim, un Soda-Cola pour la soif. Devant, derrière, sur le côté, avec de petits dessins stylisés représentant une canette et un hamburger. MacFood a dû payer cher cette dérogation.

    J’ai eu aussi droit à des séances de relaxation qui n’en étaient pas. Je me retrouvais branché par des électrodes à une machine bourdonnante. Je sentais alors pénétrer en moi une vibration trop proche d’un son primordial pour s’abaisser à être un mot. Chaque fois que je me sens débordé par le flux de mon psychisme, lorsqu’une émotion trop vive me perturbe, je sens cette sonorité agir en moi. J’en ai déjà expérimenté les effets sur terre. Cela agit comme un tranquillisant. J’ai la sensation, dans ces moments-là, que mon esprit se vide de sa négativité et se répand par ondes dans le monde environnant. Sont-ils intervenus dans mon cerveau d’une façon irréversible ? Ont-ils joué avec mes connexions neurologiques ? M’ont-ils programmé pour une finalité qui m’échappe ? J’ai toutes les raisons d’être inquiet et l’obligation de ne pas en tenir compte.

    Car il est primordial, sur cette planète, de savoir gérer ses affects.

    Le novglais et le conditionnement que j’ai subi sont là pour m’y aider.

    Cela durera le temps que cela durera.

    Une pensée indocile m’a traversé comme une flèche. Ne pas en tenir compte. Ne pas la formuler. Se méfier. Le mot « flèche » ne pique pas.

    Le vaisseau mis à notre disposition par la Prod est une simple navette à commande manuelle, en soi une antiquité même si tous les systèmes de sécurité semblent être à jour. Le design de l’appareil me rappelle mes années de jeunesse. Je me suis posé la question de savoir par quel moyen nous allions nous rendre sur une planète qui ne peut être localisée. Étant toutes parts, elle n’est nulle part. La Prod a trouvé la solution et n’a pas jugé bon partager son secret.

    Sorti de l’aire de l’attraction terrestre, numéro Cinq, notre pilote, a pris le contrôle de l’engin et, quittant le faisceau de guidage qui nous a menés jusqu’à la haute atmosphère, est passé en manuel. J’ai cherché quelle Médiatique avait les compétences nécessaires à la conduite d’un vaisseau spatial, même archaïque. Je n’en ai pas trouvé. Nous en aurons la surprise lorsque les masques tomberont.

    Le lancement a eu lieu dans le plus grand secret. Le peu que j’ai entrevu des alentours de la base m’avait fait penser aux Zones Interdites.

    Pour le pilote et lui seul, la planète Cratyle doit grandir sur l’écran de navigation. Faute de mieux, je ne peux que me l’imaginer. Une planète qui apparaît blanche comme de la craie… Je dois rectifier. Éviter les comparaisons, les métaphores, les figures de style. Décrire de façon neutre. La planète est blanche à cause des brumes qui l’ensevelissent et s’épaississent aux pôles. Voilà du novglais descriptif sans aucune subjectivité !

    Les nuages blancs sont des nuages blancs.

    Les collines bleues sont des collines bleues.

    La tautologie pour traiter l’information. Le novglais à l’état pur. Telle peut se résumer en somme la formation que j’ai subie.

    La planète doit occuper à présent la totalité de l’écran. Soudain, les hublots s’ouvrent au niveau des passagers. La cible étant atteinte, il n’y a plus lieu de nous maintenir en état de cécité. Mais je ne vois pas grand-chose. Le vaisseau pénètre la masse brumeuse et s’y engloutit. Puis la surface de Cratyle apparaît. Un aspect lunaire, une plaine désertique sans particularité aucune. Une bonne chose en somme. Nous sommes au niveau de l’équateur. Le vaisseau actionne ses rétro-réacteurs et entame sa descente. Un léger choc. Nous voilà à pied d’œuvre.

    J’ai à ma disposition pour réaliser notre objectif un briquet, un thermomètre, une boussole et une montre. Cela semble une plaisanterie.

    Je ne sais pas ce qui nous attend.

    N’aurais-je pas dû décliner la proposition de la Prod ? Les deux premières expéditions ne sont jamais revenues. Elles étaient programmées par le Sénat, et le Sénat n’a pas l’habitude de faire les choses à la légère. Bien sûr, la Prod n’a pas évoqué ces tentatives, mais j’en  avais entendu parler au Grand JT avant que les communiqués laissent place à d’autres informations. Censure sénatoriale.

    Si cette aventure était un piège ? Quel genre de piège cela serait ?

    Il me semble le savoir intuitivement.

    Nous sommes sur la planète que les habitants de la Terre appellent la Planète du Dragon. Moi qui suis dans le secret, je la connais sous un autre nom.

    Cratyle !

    Et cette planète est un monstre !

    Maintenant il est trop tard. Si l’offre était à décliner, il fallait le faire il y a trois mois.

    Silence,on tourne…

    Trois mois auparavant.

    Gérard Pardieu levait les yeux sur la tour de la Bouche à l’Oreille. Elle ressemblait au mégalithe d’un vieux film de Kubrick. Il ne connaissait pas encore les raisons de sa convocation — non, il devait dire « invitation », c’était plus valorisant — et il n’osait trop décider des conséquences.

    Cela avait plutôt mal commencé. Il se trouvait dans un bar de rencontres lorsque deux hommes étaient venus le voir. Il était accoudé au comptoir, considérant du coin de l’œil les nouvelles recrues du Bateau Ivre. C’étaient pour la plupart des femmes encore jeunes, fraîchement débarquées de l’Économie par une vague de licenciement. Chômeuses, elles n’avaient pas d’autre choix que d’offrir leurs services à ceux qui bénéficiaient toujours d’un emploi. C’était le cas de celui qui allait devenir numéro Un. Il bénéficiait d’un second rôle récurrent dans une série interminable, un job sans aucun intérêt et peu payé, mais qui lui assurait le continu d’une petite rente. Il craignait qu’un jour le scénariste ne décidât de son inutilité et, par conséquent, de son licenciement. Pour le moment, il avait encore les moyens de s’offrir les prestations d’une déclassée. Il avait remarqué une brune un peu âgée, donc moins onéreuse, et s’apprêtait à entamer les manœuvres d’approche. Les deux hommes étaient alors intervenus.

    Deux gaillards en costume noir, avec l’arrogance assurée par un pouvoir lointain. Des avocats sans doute, car cette profession était devenue omniprésente dans le monde des Overlands, et présentait une nuisance grandissante. Ils intervenaient en tout domaine en tant qu’huissier d’injustice, percepteur d’impayés, conseiller occulte et entremetteur. Quelquefois seulement ils étaient des avocats, et ni victimes, ni délinquants n’avaient grâce à leurs yeux. Avoir affaire à eux n’était pas de bon augure et leur entrée ne fut pas des plus discrète. Chacun, dans l’établissement de rencontres, trouva en lui-même des raisons d’être ennuyé, surtout les chômeuses dont beaucoup n’avaient pas l’autorisation administrative de se prostituer. Mais les deux hommes en voulaient à Pardieu, qui devint la personne suspecte de la soirée. Ce n’était pas ce soir qu’il trouverait un peu de tendresse à se mettre sous la dent. Déjà les femmes s’étaient éloignées de lui. Il chercha quel problème pouvait lui valoir l’intervention des deux hommes. Il était à jour de ses taxes sur la vie courante. Il avait bien payé le loyer de son petit studio, n’avait commis aucun délit devant une caméra de surveillance, ne pensait pas avoir péché en un domaine quelconque. Pourtant les hommes étaient là comme des vautours autour d’une charogne.

    —  Gérard Pardieu, dit l’un des hommes.

    Il ne pouvait s’échapper. Il hocha humblement la tête.

    —  Notre client désirerait vous entretenir d’une affaire de grande importance.

    Il lui fallait réagir, ne pas rester tétanisé par la menace que représentaient ces deux hommes.

    —  M’entretenir ? Mais de quoi parlez-vous ?

    —  Vous devez vous présenter à la Bouche à l’Oreille demain à 14 heures précises.

    —  La Bouche…

    —  Vous avez bien compris.

    Sur ce, les deux hommes disparurent, laissant leur victime sous le regard suspicieux des clients du Bateau Ivre. Il comprit qu’il ne pouvait plus rester ici, que sa soirée était gâchée et que personne ne tenterait de s’approcher de lui.

    Il se retrouva dans la rue sous une pluie fine et pénétrante. Les nuages dissimulaient la lune et sa nouvelle compagne. La Bouche à l’Oreille, avaient dit les hommes. Donc l’overland Média +. Que lui voulait-on ? Avait-il bien compris ? Jusqu’à présent, il n’avait eu affaire qu’à des cabinets d’impresarii un peu miteux, à des agents sans envergure, jamais avec la maison mère. Il en avait des sueurs froides. Il était si facile de perdre son emploi. Allait-on supprimer son rôle ? Lui annoncer la mort prochaine de son personnage ? Lui retirer sa licence d’acteur ? Il était tout de même au 32ème épisode de la saison trois. Il était temps qu’un producteur le remarquât.

    Il passa une nuit difficile. Le lendemain, en bon citoyen obéissant, il entra dans la tour où s’élaborait la majorité des programmes plasmiques à l’usage du public planétaire. « La Bouche à l’Oreille ! Quelle consécration cela pourrait être ! » rêva-t-il. Aussitôt, les vigiles cyborgs l’entourèrent. Il leur présenta son code universel greffé sous la peau de son avant-bras. Ce ne furent que formalités. Il passa le barrage et se retrouva de l’autre côté de la barrière de contrôle. Les autres visiteurs semblaient subir des vérifications plus poussées. Il en conclut que des ordres avaient été donnés à son égard, et il en ressentit une certaine fierté, ce qui en soi était absurde.

    En pénétrant dans le hall, de la taille d’une cathédrale, de la Bouche à l’Oreille, Gérard Pardieu se sentit intimidé par la somptuosité des lieux. En bon acteur, il avait le trac. Tout n’était que murs de marbre et parterres de pseudobsidienne, agrémentés ça et là  de fontaines ruisselantes. S’il avait pu se hisser de quelques mètres au-dessus du sol, il aurait pu découvrir l’emblème de la filiale de Média + — la lettre aleph, ce X un peu déstructuré —  mosaïque précieuse insérée dans les dalles. Quel artiste n’aurait pas rêvé travailler dans un cadre pareil ! Surtout que Pardieu était sensible à la grandiloquence.

    Depuis que chaque citoyen était pucé, donc ramené à un code-barre, changer de nom ne présentait aucun inconvénient, l’identité réelle étant détenue dans les banques de données ADN. Il avait acheté le sien en souvenir d’un vieil acteur français sur la tombe duquel, un jour de dévotion, il avait déposé une rose. Il avait espéré que ce nom, telle une formule magique, lui accorderait gloire et renommée. Hélas, Pardieu n’avait été de toute sa carrière qu’un second rôle. Pourtant, il avait travaillé d’arrache-pied. Il connaissait tous ses classiques, de Molière à Jimmy B, mais il n’avait jamais rencontré l’opportunité de voir son talent reconnu. Molière n’était plus joué et Jimmy B avait été discrédité pour ses rapports avec la Dissidence. De plus, comme il œuvrait essentiellement dans le domaine de la francophonie, les propositions se trouvaient limitées. Être acteur devenait une gageure, surtout passé un certain âge qu’il hésitait à chiffrer pour s’éviter une bouffée d’angoisse. Par chance, le comprimé qu’il avait avalé avant de venir le maintenait dans une relative ataraxie biochimique.

    Une charmante assistante le prit en charge. La femme, vêtue d’une robe moulante en synthélatex, joua des hanches en le précédant. N’avait-il pas aperçu son photogénique décolleté et sa bouche butox  au hasard d’une émission, indispensable bibelot près du commentateur vedette ? Il songea aux filles du Bateau Ivre. Ce n’était pas le même registre. La créature s’effaça pour le laisser passer dans le tube ascensionnel. A peine la porte fut-elle refermée qu’ils s’élevaient déjà vers les étoiles, c’est-à-dire vers le dernier étage de la tour. Par les immenses baies vitrées, il découvrait la mégapole comme jamais il ne l’avait vue — il n’était jamais monté si haut. La ville s’étalait à ses pieds comme une immense maquette avec les taches de verdure des parcs, la ligne droite de ses artères à circulation programmée où, comme des moustiques, filaient à vive allure drones et autoplanes, les blocs de verre des bâtiments administratifs et les pieux des buildings. Il reconnut au loin la coupole du Sénat. Au-delà de la première ceinture, s’étalaient les quartiers de vie. Il chercha sans le trouver le lieu où il habitait. Il lui semblait qu’il s’agissait d’un autre monde, lointain et dérisoire, et il éprouva un sentiment de honte à vivre là. Plus loin, au-delà du périphérique, se répandaient les bidonvilles où échouaient tous les demandeurs d’emploi de la planète. Dans les campagnes, inaccessibles à sa vue, protégés par un no man’s land appelé « zone protégée », existaient les luxueux complexes résidentiels où les grands acteurs se prélassaient.

    Là où il aurait dû trouver la place qui lui revenait…

    Comme tant d’autres, il était monté à la mégapole. Jadis, comme son acteur fétiche, il se serait contenté de monter à la capitale. Il avait échappé à l’ultime exclusion en jouant au bonimenteur publicitaire et en exerçant la fonction épisodique d’escort-boy auprès de rombières défraîchies. C’était tout. Aucun metteur en scène ne lui avait proposé le rôle de sa vie. Il songea au rêve qu’il avait fait quelque temps auparavant. Le souvenir était confus, mais pouvait se résumer ainsi : d’immenses grilles d’or s’ouvrant devant lui alors que le chant des anges l’acclamait… Il ne pouvait qu’espérer que ce rêve était prémonitoire.

    L’ascenseur s’ouvrit. Son accompagnatrice l’abandonna, l’invitant par un grand sourire sans chaleur à sortir de l’habitacle. Elle ne lui avait adressé aucune parole. La porte du tube ascensionnel se referma, emportant la femme. Il se trouvait dans une coursive qui lui évoqua tout d’abord une galerie antique récemment découverte par des archéologues. Cela devait être dû aux résidus mnésiques d’un documentaire sur la redécouverte de Ninive après la 6ème Guerre du Golfe, et devant lequel il s’était endormi quelques jours auparavant. La peinture dorée qui recouvrait les murs et qui s’écaillait accentuait cette impression ainsi que les divers tubes en métal destinés à quelque échafaudage, des caisses à outils et des cartons au contenu indéterminé. Cette impression ne dura pas. Il y avait comme un bourdonnement continuel dans l’air, qui ne cadrait pas avec une ambiance de ruine. Au plafond couraient diverses canalisations et installations électriques qui, contrastant avec le clinquant délabré des parois, conféraient définitivement aux lieux une ambiance d’usine. Un panneau avertissait : Soyez vigilant. Ne touchez pas aux câbles. Une seule porte, d’aspect banal comme la porte de son studio, s’offrait à lui au bout de la coursive. Il sentit son cœur battre plus fort. Des caméras étaient-elles braquées sur lui  et dévoilaient-elles son inquiétude sur des écrans de contrôle ? N’était-il pas  confronté à  une affaire qui risquait de le dépasser ? Il respira profondément pour ne pas succomber à un trouble qui aurait été invalidant. Ce n’était pas le moment de flancher. Le décor le déroutait aussi. Il ne pensait pas que le sommet de la tour ressemblerait à ça. Il avait plutôt fantasmé un immense bureau directorial couvert de marbre et d’art contemporain.

    Deux cyborgs de type Excel montaient la garde et qu’il n’avait pas aperçus, car ils se cachaient dans un renforcement du mur qui leur servait de guérite. A son approche, comme des coucous sortant de la pendule, ils s’étaient placés devant la porte. Il trouva que leur uniforme ressemblait à un bleu de travail. Il passa sous un dernier portique de détection —  «  Même les VIP le font », pensa-t-il — et sous leur regard morne d’humain robotisé.

    La porte s’ouvrit. Il entra.

    Deux hommes dans un train. Le premier au second : « Vous avez l’heure ? » Le premier sort un thermomètre et répond : « Il est mercredi. » «  Merci, c’est là que je descends. » D’ouvrir la porte et de sauter du train.

    Histoire absurde.

    Numéro Deux.

    J’ai faim.

    Les voyages m’ont toujours ouvert l’appétit. Quand je dis voyage ! Tout m’ouvre l’appétit. Lorsque le vaisseau s’est posé sur la planète, je n’ai pu m’empêcher de me dire que nous étions venus pour un pique-nique, une idée un peu bête. Les blouses m’ont dit de me méfier des idées un peu bêtes. Une autre idée : ces hommes en blouses blanches me faisaient penser à des ouvriers-bouchers de l’agro-alimentaire. On a les références qu’on peut. J’ai longtemps travaillé en tant que chimiste pour l’overland MacFood. Mon rôle consistait à définir les quantités de glucides proposables à la gourmandise des clients sans porter atteinte à leur intégrité physique. Il faut lire le cahier des charges pour comprendre la problématique. Ce que j’aimais dans cet emploi guère valorisant, c’était que je pouvais goûter à tous les produits que je définissais. Une étude attentive aurait pu démontrer que, durant mon activité, la plupart des produits labellisés MacFood avaient connu une augmentation conséquente de sucre et de graisse saturée.

    Bien évidemment, cette expédition n’est pas l’occasion d’un déjeuner sur l’herbe. D’ailleurs, il n’y a pas d’herbe. Le décor autour de nous ne semble guère s’y prêter. La terre est grise, terne, recouverte d’une fine poussière qui fait penser à du sucre glace dégradé — même dégradé, j’en raffole. Nous nous trouvons au centre d’une plaine qui ne semble pas finir, sinon qu’elle va buter sur une brume écœurante qui nous encercle comme dans une arène de crème fouettée.

    Je jette un regard à mes compagnons, un à droite, un à gauche. Ils sont tous cachés derrière leur casque opaque. Je ne connais ni leur nom, ni leur

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