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Le souffle du Noroît: Enquête à Yeu
Le souffle du Noroît: Enquête à Yeu
Le souffle du Noroît: Enquête à Yeu
Livre électronique239 pages3 heures

Le souffle du Noroît: Enquête à Yeu

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À propos de ce livre électronique

Échoué sur l'île d'Yeu suite à une tempête, un jeune botaniste mène une enquête sur une série de meurtres...

De retour d’expédition, le navire de Benjamin de Bois-senot échoue à l’île d’Yeu, lors d’une tempête. Le jeune botaniste est alors confronté à une série de meurtres. Il est chargé de mener l’enquête. Qui tue de manière aussi répétée que sauvage ? Est-ce un des matelots de son navire ou bien un habitant de l’île ? La troublante guérisseuse est-elle coupable ? Chez le gouverneur ou dans les rues, l’ambiance est lourde de soupçons et de non-dits. L’enquêteur aura bien des difficultés à ne pas se tromper de coupable et il ne sortira pas indemne de l’aventure.

Benjamin parviendra-t-il à remonter aux racines de ces troublants événements pour trouver le coupable ? Suivez son aventure dans ce thriller historique au suspense grandissant !

EXTRAIT

Pour calmer son esprit bouillonnant, il se leva et s’assit devant sa table. Il consigna par écrit ce qu’il savait, les questions qu’il se posait et les pistes à explorer. Au moment du coucher, il avait interrogé son mousse. Tijean était originaire de La Chaume, un point de la côte proche de l’isle. Pour sa part, c’était la première fois qu’il accostait à Port-Breton, mais il ne pouvait pas garantir que son frère n’y ait pas déjà débarqué. C’était la première campagne que le gamin effectuait avec son aîné. Il ne savait pas tout de son passé. Matthieu pouvait donc avoir été visé personnellement. La vengeance n’était pas à écarter. Comment le savoir ? Les cabaretiers se souviendraient peut-être de lui ? L’activité principale des marins dans un nouveau port étant la visite des estaminets, le botaniste résolut d’interroger dès le matin les tenanciers. S’ils ne savaient rien sur Matthieu, peut-être lui apprendraient-ils des détails intéressants sur la mort de René Guillet. Benjamin n’oubliait pas ce premier crime, qui pouvait être la clef du mystère.
Un peu rasséréné, le jeune homme relisait sa page de notes, lorsqu’un frôlement l’alerta. Quelqu’un se tenait près de sa porte. Benjamin, saisi, écouta de toutes ses oreilles. Qui pouvait rôder dans les couloirs ? Il lui semblait percevoir une respiration. Il se leva sans bruit et, prenant sa chandelle d’une main, gagna l’huis à pas de loup. Il colla son oreille au bois. Il ne percevait plus rien. Il hésita. Il était pourtant sûr de ne pas avoir rêvé. Il fallait en avoir le cœur net ! D’un geste vif, le botaniste tourna la poignée et ouvrit le battant en grand. Personne ! Pourtant, le chandelier haut levé éclairait le couloir. Benjamin était ébahi. Il fit deux pas hors de sa chambre et scruta les deux extrémités du corridor. Il ne vit rien. La personne qui se tenait devant sa porte un instant plus tôt avait fui, plus rapide que l’éclair. Elle avait disparu, soit dans une autre chambre, sans faire le moindre bruit en refermant sa porte, soit dans l’escalier tout proche, dont les marches avaient la mauvaise habitude de grincer. Cela semblait impossible.
Mécontent, Benjamin retourna dans sa chambre. Il pestait contre lui-même. Comment avait-il pu se laisser abuser ? Il n’y avait rien. Son imagination lui avait joué un tour. La tempête lui agaçait les nerfs. L’enquête qui piétinait le mettait à bout, tout simplement.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née en 1972 à l'île d'Yeu, dans une maison pleine de livres, Adeline Paulian-Pavageau a fait des études d'histoire à Nantes. Elle a d'abord enseigné l'histoire-géographie en collège quelques années, à Nantes, en Normandie, puis dans l'Indre. Elle vit aujourd'hui dans le Berry et a abandonné l'enseignement pour l'écriture jeunesse de romans historiques : une autre façon, beaucoup plus libre, de raconter le passé aux enfants. Elle collabore aussi à des guides touristiques comme Le Petit Futé et le guide Tao.
LangueFrançais
Date de sortie23 août 2019
ISBN9791035305727
Le souffle du Noroît: Enquête à Yeu

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    Aperçu du livre

    Le souffle du Noroît - Adeline Paulian-Pavageau

    Chapitre 1

    1778

    Le navire craquait de toutes parts. Néanmoins, Benjamin de Boissenot n’avait pas voulu quitter la dunette. Le jeune botaniste se tenait debout près de l’homme de barre, à deux pas du capitaine. Il s’agrippait à un cordage pour ne pas être emporté par la tempête. Au-delà des hurlements du vent et des grondements de la mer qui lui emplissaient les oreilles, il tentait d’écouter les protestations du bâtiment. À entendre gémir les agrès et grincer les cordages, son angoisse augmentait de minute en minute.

    Il sentait la frégate tout entière se plaindre et crier qu’elle n’allait plus tenir longtemps. Secouée par les flots, battue par les lames, la malheureuse Iris plongeait dans les vagues. Elle se relevait, cabrée, luisante d’écume. Elle s’inclinait sur un bord, remontait, plongeait à nouveau. L’Océan la fouettait, lançant ses paquets de mer contre la coque et sur toute la largeur du pont. Le vent de noroît rugissait dans

    les haubans. Il sifflait le long des cordages. Le peu de toile

    qui n’avait pas été carguée claquait et se tendait à tout rompre.

    Benjamin leva les yeux. Le soleil était caché. Une lumière grise et froide filtrait entre les nuages, faiblement, comme à contrecœur. Le ciel était noir, creusé de volutes plus sombres encore. La mer était blanche autour du navire. Elle prenait une teinte d’un vert cadavérique si on regardait au-delà. Au loin, entre l’eau et les nuages, on distinguait tout juste une côte, une ligne basse, ponctuée par le trait d’un clocher. Se penchant vers le jeune savant, le capitaine tendit le bras et beugla :

    — Nous passons au large de l’isle Dieu !

    Benjamin hocha la tête. Ce simple mouvement le fit frissonner. Il était trempé jusqu’aux os. Sous la cape de laine imbibée d’écume, son habit avait pris la raideur de l’eau salée. Son tricorne avait volé au loin. Ses cheveux noirs avaient échappé au lien de velours qui les attachait sur la nuque et ils lui cinglaient le visage. Dans ses chaussures à boucles, ses pieds vêtus de soie étaient glacés. Benjamin paraissait blême, l’air hagard. Il ressemblait plus à un noyé qu’à un spécialiste de la nature. Il se savait responsable de sa précieuse cargaison, et cette charge l’écrasait. Il en venait presque à regretter d’avoir accepté de participer à l’expédition.

    — Arriverons-nous à Lorient ? s’interrogeait-il, en se remémorant la carte qu’il venait de consulter dans la salle du conseil. Il nous faut encore passer au large de Belle-Isle et, pire encore, éviter Groix pour entrer à Lorient ! Nous devrions faire escale pour attendre que le gros temps se calme, ce serait plus prudent. On dit que Port-Breton est une bonne rade, sur cette petite isle. Seulement, comment éviter les récifs qui protègent le noroît de l’isle, quand le vent nous pousse dessus ? Il faut passer au large des Chiens Perrins, puis du Grand Champ, pour atteindre l’abri du port. Ces récifs sont aussi traîtres l’un que l’autre, a dit le capitaine. Comme lui, je préférerais filer plus loin…

    La tempête ne leur laissa pas le choix. Le vent retint son souffle un instant, laissant espérer une accalmie, puis il se jeta de toutes ses forces sur la frégate. Sous le choc, l’Iris se cabra comme une cavale affolée par l’attaque d’un tigre. Ensuite, elle bondit dans les flots. Une vague lava la dunette, emportant un mousse qui s’accrochait en vain aux cages à poules. Benjamin, atterré, tendit le bras droit pour saisir la main du garçon. Mais il était trop loin et ne parvint pas à l’atteindre. La mer dévora sa prise.

    Le botaniste se cramponnait à son cordage de la main gauche. Le paquet de mer lui fit perdre l’équilibre, il partit en arrière, mais un réflexe de survie lui fit serrer le poing plus fort. Il ne lâcha pas son filin. Au moment où l’eau se retirait, Benjamin entendit un craquement affreux. Il leva les yeux et vit le mât de misaine se rompre et s’abattre sur le pont, écrasant deux gabiers qui hurlèrent. D’horreur, le jeune homme ferma les yeux. Cependant, les cris de douleur lui vrillèrent le cerveau.

    — Cap au nordet ! mugit le capitaine à l’oreille du timonier. Nous cherchons abri sur la côte nord de l’isle Dieu ! Il faut réparer !

    Le marin opina sans un mot. Il pesa sur le gouvernail et la course de la frégate s’infléchit légèrement. Benjamin, qui avait rouvert les paupières en entendant l’ordre du capitaine, vit peu à peu s’approcher les gerbes d’écume qui signalaient les écueils. Il serra les dents, sentant la tempête avide, qui ne demandait qu’à les drosser sur les roches. Leurs crocs noirs éventreraient la coque du navire et l’océan l’avalerait tout entier avec son équipage. L’Iris dansait comme une furieuse, dans l’espoir d’échapper à ce destin.

    Le savant se sentait impuissant dans cette lutte. Il crispa les poings pour ne pas arracher la barre des mains du matelot. L’homme savait ce qu’il faisait ; il avait fait ses preuves à maintes reprises, au cours du voyage. Benjamin s’exhorta à la confiance. Piloter un navire n’était pas son métier. Bien que l’action le démangeât, il devait laisser travailler le timonier et penser à autre chose. Il serra les mâchoires et se récita mentalement la collection de plantes de l’herbier qu’il rapportait de son voyage. Puis il poursuivit sa récitation par la classification du naturaliste Antoine-Laurent de Jussieu, son modèle. Cette litanie le calma un instant.

    Le navire filait, malgré les secousses. Il évita les récifs et contourna l’île. Les Chiens Perrins et leurs mâchoires acérées n’étaient plus visibles. Bientôt, le Grand Champ, blanc d’écume, fut doublé à son tour. Benjamin respira. Devant eux, la mer était libre. Ils seraient bientôt dans la rade, puis au port.

    Chapitre 2

    — Ce vent ! Ce vent ! J’ai mal à la tête ! Ma pauvre tête ! Si je pouvais faire taire ces hurlements, ces sifflements, faire cesser les claquements et les crissements… Si je pouvais arrêter ce monstre…

    — Chhhut, calme-toi. Ce n’est qu’une tempête. Demain ce sera passé.

    — Mais ma tête, ma tête…. je ne sais plus…

    — Calme-toi. Là, ça va aller. Allonge-toi. Tu vas dormir et demain tout ira bien.

    — Je ne peux pas dormir. J’ai si mal. Ma tête… On m’appelle dehors ! Tu entends ?

    — Mais non, ce n’est qu’une tempête.

    — Tu te trompes. L’heure approche. Je l’entends. Il vient. Il est là. Je le sens. Je vais devoir me lever.

    — Tu crois ? Tu n’en as pas déjà assez fait ?

    — Je ne crois pas, je le sais ! Le Noroît m’appelle. Tu ne l’entends pas demander vengeance ? Appeler à la punition ? Il hurle pourtant assez fort.

    — Oui, j’entends le vent, j’entends la tempête. Mais est-ce vraiment toi qu’elle appelle ? Tu te trompes. Ce n’est que le vent qui souffle. Il fait le même vacarme pour tous. Personne ne te parle.

    — Il faut que tu sois sourd pour ne pas entendre ! Le vent me parle, je te le dis. Comme ce soir-là… Je l’ai entendu, alors : il criait sa colère. C’est à moi déjà qu’il parlait.

    — Tu n’as pas pu l’entendre ce soir-là.

    — Si, je m’en souviens. J’étais au sol. Il était parti et Noroît me hurlait à l’oreille : « Venge-toi ! » Je me lève !

    — Ne sors pas, il pleut, il fait nuit….

    — Il fait toujours nuit, il pleut toujours quand le vent souffle sa colère dans ma tête. C’était un soir de tempête, ce fameux soir, celui où la malédiction a commencé.

    — Attends demain. Tu iras mieux quand le soleil sera levé. Peut-être le vent aura-t-il faibli. Il se sera fatigué.

    — Je ne peux pas attendre. J’ai trop longtemps attendu. Le vent dit « maintenant », il dit « tout de suite ». Il m’appelle. Il hurle pour moi. Laisse-moi y aller. Je dois m’habiller.

    — Je ne veux pas que tu sortes ! C’est dangereux ! C’est inutile ! Il ne reviendra pas, tu le sais ! Ce qui est fait est fait. N’ajoute pas de malheur au malheur.

    — Si ! Il revient à chaque tempête de noroît ! Je le sais, à chaque fois je sens qu’il rôde. À chaque fois, je le trouve. À chaque fois je le punis. Je dois y aller !

    — Reste ! Il ne faut pas ! Tu ne sais pas ce que tu fais ! C’est le vent qui rend fou ! Ce vent qui n’arrête pas de hurler, ce vent qui secoue la maison, qui fait claquer les volets et grincer les portes, ce vent qui t’empêche de dormir, ce vent qui te donne mal à la tête, ce vent qui t’empêche de penser !

    — Au contraire ! Le Noroît me guide ! C’est lui qui me fait penser clairement. Il me force à me souvenir de ce soir funeste. Quand il me parle, ma vie a un sens. J’ai une raison d’exister ! Je sais comment agir !

    Chapitre 3

    L’Iris atteignit la rade après la tombée de la nuit. Elle entra dans la passe et gagna le port. Là, on jeta l’ancre. La frégate était toujours agitée de soubresauts, mais cela n’était rien par rapport à la pleine mer. Les plus grosses lames n’entraient pas dans le bassin protégé par une jetée. Les marins se regardèrent, incrédules. Ils ne réalisaient pas encore qu’ils avaient réussi. L’Océan ne les avait pas engloutis, cette fois encore.

    Le capitaine fit le tour de son navire pour examiner les dégâts. En plus du mât cassé, de plusieurs cordages rompus, des cages à poules disparues, il découvrit une voie d’eau, à l’étrave. Le charpentier, un géant roux, tentait de colmater la brèche. Il cloua une planche supplémentaire et s’écarta pour que le maître calfat pût boucher les fissures avec de l’étoupe, tandis que deux matelots écopaient. Mais la réparation ne suffisait pas : la mer continuait à s’insinuer le long du bois. Elle glissait ses doigts innombrables dans des fentes invisibles, pour attirer le vaisseau au fond.

    — Il va falloir réparer cela avant de reprendre la mer, grommela l’artisan. Pour le moment, la fuite n’est pas importante, mais la première vague emportera mon bricolage. Le navire doit être mis en cale sèche, nous devons examiner la coque.

    Le capitaine approuva. Puis il remonta sur le pont où l’équipage l’attendait. Un peu sonnés, les marins ovationnèrent néanmoins leur maître lorsque celui-ci ordonna de servir une rasade de rhum à chacun :

    — Vous avez fait de la belle ouvrage, je vous en remercie, déclara ce dernier. Grâce à Dieu, nous voilà à l’abri. Vous méritez du repos. Le temps de réparer le mât et l’étrave, vous pourrez souffler un peu. Puis nous rentrerons à Lorient. Mais que l’on prenne grand soin de la cargaison, M. de Boissenot y tient fort ! Elle déjà dû être bien malmenée par ce coup de chien. Et, surtout, j’ordonne que l’on se tienne correctement, à terre ! Prenez-y bien garde ! Je vais signaler notre présence au port. Que le charpentier m’accompagne. Il y a bien un chantier naval sur cette isle, pour nous fournir le bois nécessaire.

    Il fit préparer une chaloupe et rejoignit le quai avec quelques marins. Pendant ce temps, le chirurgien examina les blessés. Ceux-ci étaient nombreux. Un gabier souffrait d’une plaie à la tête ; un matelot avait eu les jambes écrasées par la chute du mât de misaine ; plusieurs hommes montraient des plaies, des entailles et des contusions. L’un d’eux, qui avait le thorax broyé, était mort. Un mousse d’une dizaine d’années souffrait d’une fracture au poignet.

    Benjamin aurait volontiers proposé son aide mais il s’y connaissait plus en plantes qu’en anatomie humaine. Par ailleurs, il était sensible à la vue du sang et ne souhaitait pas se ridiculiser auprès des rudes marins. Il savait que ceux-ci le méprisaient. Ils le considéraient comme un monsieur, un étranger fragile et peu au fait de leur quotidien, ce qui, il le reconnaissait, n’était pas entièrement faux. Le jeune botaniste se contenta donc d’aller examiner l’état de ses collections.

    Les caisses de plants qu’il rapportait avaient été entreposées dans l’entrepont dès que la mer avait forci. La cabine de Benjamin était trop petite pour les contenir et celui-ci ne voulait pas laisser ses récoltes sur le pont pendant le gros temps. Il craignait que la tempête ne casse les branches fragiles et que le sel ne les brûle. Le chargement avait été bien fait, il y avait veillé. Il avait confié l’arrimage à Matthieu, le frère aîné du mousse qui prenait soin de sa cabine. Matthieu était un peu rude, mais il semblait sérieux. Benjamin ne doutait pas de son habileté.

    Il fut d’autant plus bouleversé lorsqu’il retrouva les caisses rompues et les arbustes brisés. Le bout utilisé pour ficeler les bacs à fleurs s’était dénoué. Une des caisses, sans doute plus fragile, avait été écrasée. Cela avait donné du jeu aux autres qui s’étaient cognées les unes contre les autres, jusqu’à obtenir ce méli-mélo de planches, de terre et de débris végétaux.

    Benjamin contempla la catastrophe avec horreur. Où étaient passés les goyaviers, les avocatiers, les pamplemousses, les plantules de vanille, qui provenaient du jardin créé par Pierre Poivre sur la lointaine isle de France¹ ? Comment reconnaître le port gracieux du giroflier ou du tulipier dans ces rameaux brisés et ces feuilles chiffonnées ? Le jeune homme en aurait pleuré. Il repensait à toutes ces heures passées à collecter les plantes, au soin maternel qu’il avait mis à les transplanter, au nombre de fois où il les avait arrosées, sorties au soleil, bichonnées… Et voilà qu’il ne restait plus rien de son labeur !

    Il ramassa l’extrémité du fin cordage. Celui-ci n’était pas rompu. Son nœud avait donc glissé. Une colère folle envahit Benjamin : cette brute de Matthieu lui avait fait défaut ! En quelques minutes de négligence, le matelot avait détruit tant d’heures de patient labeur ! Il avait anéanti les espoirs du botaniste et ceux de son commanditaire ! Que dirait donc le jeune homme à M. de Monville qui l’avait chargé de cette récolte : « Toutes mes excuses, j’ai mal placé ma confiance » ? Nul doute que cela ne suffirait pas. Il serait, lui aussi, taxé de négligence ! L’avenir de Benjamin s’engageait bien mal.

    Au pas de charge, il remonta sur le pont. Il devait trouver ce maudit matelot et lui passer un savon dont celui-ci se souviendrait ! Mais l’homme n’était visible nulle part. Les marins qu’il interrogea lui apprirent que Matthieu était descendu à terre avec le capitaine. Le pauvre botaniste devrait donc ronger son frein.

    Fulminant, il regagna la cabine qu’il partageait avec le chirurgien. Là aussi, tout ce qui n’avait pas été arrimé était sens dessus dessous. Son coffre de livres gisait sur le flanc. Benjamin se précipita pour le redresser. Puis il rabattit le couvercle et sortit ses ouvrages. Il constata avec soulagement que le précieux Voyage autour du monde, que M. de Bougainville avait rédigé, n’était pas abîmé. Le récit de voyage de l’amiral Anson n’avait pas non plus souffert de la tempête. Malheureusement, le Traité des vertus des plantes de Bernard de Jussieu n’avait pas eu cette chance. Il était corné. Benjamin ramassa le livre avec la douceur d’une mère relevant son enfant blessé. Il aplatit les pages de la main, espérant faire disparaître le pli disgracieux qui le défigurait.

    Benjamin n’avait jamais rencontré ce botaniste, mort trop tôt, mais il avait conservé un souvenir ému de son frère, Joseph de Jussieu. Ce dernier avait vécu trente-six ans en Amérique du Sud, où il avait découvert les vertus de l’écorce de quinquina et le caoutchouc. Benjamin avait été l’élève de leur neveu, Antoine Laurent de Jussieu, au Jardin du Roi, à Paris². Il appréciait leur esprit méthodique mais ouvert et admirait leurs immenses connaissances. Benjamin était avide de découvertes. Aussi, lorsque le fortuné M. de Monville était venu au Jardin du Roi, à la recherche d’un botaniste qui voyagerait pour lui rapporter des plantes du monde entier, le jeune Boissenot avait saisi sa chance. Il s’était proposé, son professeur l’avait chaudement recommandé, et M. de Monville l’avait pris à son service.

    Benjamin de Boissenot avait alors découvert son fabuleux domaine : le Désert de Retz. François Racine de Monville avait acheté cette demeure, entourée d’un parc de plusieurs arpents, en bordure de la forêt de Marly, huit ans plus tôt. Il avait commencé à y faire construire des fabriques, ces fausses ruines si en vogue, et, chose importante pour Benjamin, il voulait réunir des plantes de tous les climats. Il mettrait les plus fragiles dans des serres chaudes et répartirait les autres dans ses jardins. M. de Monville avait déjà fait de multiples achats au Jardin du Roi. Mais il désirait à présent posséder son propre botaniste, qui lui rapporterait directement les fleurs les plus rares, qu’il serait le premier à cultiver dans le royaume. Il espérait être l’instigateur de nouvelles découvertes, d’une plante qui porterait son nom et qui accroîtrait sa renommée.

    Benjamin avait donc été envoyé à Ceylan et sur la côte occidentale de l’Inde, puis sur les îles et la côte orientale de l’Afrique. C’est de ce voyage qu’il

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