Le monde de Petre Dan: Roman sociétal
Par Jean Vincent
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À propos de ce livre électronique
Petre Dan, issu d’une famille bourgeoise qu’il a quittée sans prévenir à l’âge de quinze ans, exceptionnellement grand et déterminé, qui ne parlait pas, est entré dans une vie d’adulte dès cet âge. Son histoire semble être celle d’un homme qui n’appartient à personne, dont la vie est faite d’un mouvement permanent, et qui s’avèrera possédé par une vocation : celle de changer le monde. Le livre décrit la vie très agitée de ce personnage et de ses idées, mi-utopiques, mi-crédibles, qui prennent de l’importance à mesure qu’elles se propagent à l’échelle des réseaux numériques et d’évènements qu’il organise. Mais l’essentiel n’est pas forcément là, car on s’attache à ce personnage, à ses proches, et on a peur pour lui, lui qui n’a peur de rien. On a peur également pour les peuples adolescents qu’il entraîne dans son activisme.
Ce livre a été écrit en 2009, dans une sorte d’état d’urgence. Publié en 2020, il se révèle prémonitoire tant les dix années écoulées ont montré que les peuples ont, comme dans ce livre, soif de reprendre en main leur destin.
Suivez le parcours de Petre Dan tandis que se développe sa conscience politique.
EXTRAIT
Le vrai départ eut lieu par accident. Son silence irritait les professeurs et l’un d’entre eux, plus stupide que les autres, entreprit de le faire parler, et pour cela de l’humilier devant ses camarades.
— Si tu dis « oui », j’arrête le cours et on va tous au cinéma ! Alors, tu dis « oui » mon garçon ?
Ses camarades, jaloux de sa force, avaient repris « Dis oui ! » « Dis oui ! », hurlant de plus en plus fort et tapant sur les tables. Petre Dan est resté calme, visage fermé. Il mit son manteau, assomma le professeur d’un coup de poing et quitta la classe. Pour de bon.
Nul doute que ça avait marqué les esprits. Celui des filles, car tout de même, un type aussi fort ça devait vous emporter sacrément loin. Quant aux garçons, ils n’avaient encore jamais vu un coup de poing d’homme, un vrai.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean Vincent, né en 1958, est auteur de textes (poèmes, romans, nouvelles, polars) donnant forme à ses rêveries et à un imaginaire prolifique. Avocat d'artistes, il n'avait jusque là publié qu'un ouvrage intitulé Le tour du jour en 80 rêves (2015, édition de la marche).
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Aperçu du livre
Le monde de Petre Dan - Jean Vincent
Jean VINCENT
Le monde de Petre Dan
Roman sociétal
ISBN : 978-2-37873-830-3
Collection : Hors-Ligne
ISSN : 2109-629X
Dépôt légal : janvier 2020
© 2019 couverture Éditions Ex Aequo
© 2019. Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.
Toute modification interdite
Éditions Ex Aequo
6, rue des Sybilles
88370 Plombières les Bains
www.editions-exaequo.com
À Charlotte, mes enfants et la tribu Monfort
I
Petre Dan avait quinze ans. Il ne parlait pas. Ses yeux noirs étaient ceux d’un faucon. Sa taille surprenait – près de deux mètres – de même que son corps d’homme aux épaules larges, alors qu’il portait un visage d’enfant sage.
Un corps assez étrange à vrai dire, car ses jambes semblaient arriver au milieu de son buste. Petre était un peu comme un échassier, ce qui allait bien avec sa condition de migrateur. Il ne grandirait plus.
Sa volonté de voyager était probablement née de sa différence, ou à partir d’un ressort caché dans des gênes bien étranges. Pourquoi un enfant parfaitement normal refuserait-il de parler ? Pourquoi passerait-il des heures à suivre les fourmis ou à écouter les variations du vent qui siffle sur les tuiles de sa maison ? Pourquoi refuserait-il la fête de Noël et les interminables séjours dans la grande maison familiale réunissant tous ses cousins autour de ses grands parents ? Pourquoi aurait-il mis le feu au drapeau du Danemark qui s’affichait fièrement à l’entrée du jardin ?
Il se voulait apatride. Pourtant rien ne le prédestinait au nomadisme. Ses parents, bourgeois de la presqu’île silencieuse de Molls, à l’est du Danemark, le chercheront encore deux ans après sa disparition. Mais lui s’en fichait, pensant qu’il n’appartenait à personne. Il n’y avait chez lui ni amertume, ni animosité. Son paysage était ailleurs où ses père et mère ne figuraient pas. Il habiterait là où le menait son intuition et le cœur des hommes. La vie rangée d’une famille danoise était à mille milles de ça.
Depuis l’âge de sept ans, Petre allait tous les jours sur le port dès la sortie de l’école puis du collège. Il avait observé les manœuvres de ces hommes, y compris les mauvaises qui le passionnaient, et s’était fait quelques amis parmi les marins.
La plupart des marins aiment le silence et bien souvent se sentent exclus par les « baveux », ces terriens éduqués qui savent les bonnes manières. Eux vivent en affrontant la mer, le froid et le danger. Ils vivent avec la mort aux trousses.
Petre aimait ce monde-là et se contrefoutait de l’affection des siens. Du moins, le croyait-il.
Le vrai départ eut lieu par accident. Son silence irritait les professeurs et l’un d’entre eux, plus stupide que les autres, entreprit de le faire parler, et pour cela de l’humilier devant ses camarades.
— Si tu dis « oui », j’arrête le cours et on va tous au cinéma ! Alors, tu dis « oui » mon garçon ?
Ses camarades, jaloux de sa force, avaient repris « Dis oui ! » « Dis oui ! », hurlant de plus en plus fort et tapant sur les tables. Petre Dan est resté calme, visage fermé. Il mit son manteau, assomma le professeur d’un coup de poing et quitta la classe. Pour de bon.
Nul doute que ça avait marqué les esprits. Celui des filles, car tout de même, un type aussi fort ça devait vous emporter sacrément loin. Quant aux garçons, ils n’avaient encore jamais vu un coup de poing d’homme, un vrai.
Petre était allé directement au port, il s’était caché sur un bateau russe de transport de marchandises ; son sac rempli de provisions volées dans une épicerie.
Deux ans plus tard, il semblait avoir déjà vécu une vie complète. Tout lui était arrivé : travail au noir, mutinerie, fièvres folles à en crever, violence, amitié à la vie à la mort, et… prières !
Le bateau russe transportait officiellement des pièces de grues fabriquées en Ukraine. Il transportait surtout la misère du monde et ce qui la nourrit, dont une quantité énorme de produits chimiques dont il ne fallait pas s’approcher.
Comment ces vieux cargos rouillés et tellement lourds peuvent-ils flotter ?
Petre Dan se demandait aussi comment la mer ne brise pas sur ses lames, quand elle se déchaîne, un navire qui ne cesse de gémir, craquer, se tordre ; au point que les parois métalliques séparant les salles bougent sans cesse.
Petre Dan était resté silencieux, impressionnant son monde par sa force, son habileté, sa vitesse et, peu à peu, ses connaissances dans les domaines les plus divers. Des connaissances qu’il exprimait de temps à autre à l’aide de bouts de papier qui encombraient ses poches.
Petre avait bénéficié très tôt d’une autorité naturelle, liée à sa taille bien sûr et surtout à son regard pénétrant.
Silencieux, il se nourrissait de lectures.
Petre n’était resté que six mois sur le bateau russe ; vivant l’enfer. Un enfer qui le rendait incapable de pleurer. La seule chose à laquelle il aura échappé, à part la mort, c’est le viol. Non pas à cause de sa force – il y avait beaucoup plus fort que lui sur ce bateau - mais parce qu’un vieux yougoslave fumeur d’opium l’avait pris sous sa protection. Ce vieux terrorisait les marins et leur livrait, s’ils obéissaient, de quoi s’évader un moment, drogues et filles confondues.
— Petre, on n’y touche pas sinon je te laisse pourrir, attaché sous l’hélice du bateau, c’est clair ?
L’enfer, ce n’était pas seulement le bruit en mer et le sentiment d’insécurité qui va avec. Et aussi savoir que les canots de sauvetage étaient pourris. Il y avait bien pire. Petre découvrait la violence bestiale des hommes perdus. Perdus et réunis dans ce même espace. Isolés.
Il découvrait ce qu’est la vie quand les hommes n’ont pour loi que la force, la haine, la jalousie et la vengeance. Il découvrait que les hommes ignorants sont des machines aux réactions parfaitement prévisibles, manipulables, et que les mots, avec eux, n’en acquièrent que davantage de force.
Le capitaine ukrainien portait sur son visage effrayant la vérité de ce qu’il était : un fou dangereux, seul capable de maîtriser quand il le fallait un équipage pareil sur un bateau pareil.
Un capitaine qui embarquait des enfants, de l’âge de Petre Dan, afin de satisfaire ses appétits sadiques.
Petre avait vu tout ça.
Il avait aussi vu les combats dans les ports, de nuit. Les « combats russes » sur le pont, qui commencent à mains nues, au centre d’une foule de marins qui parient leur argent, et se terminent avec les pires objets lancés sur eux.
Pendant six mois, Petre Dan restera en mer sur ce bateau.
La peur, qu’il affrontera avec un courage incompréhensible, lui cachera même la vue du soleil. Une peur noire.
***
Puis Petre s’était réfugié sur un autre navire, au port de Lubeck. Un drôle de navire qui, passant de port en port sur la mer baltique, prenait à son bord des migrants. Petre devenu un migrant comme les autres.
Le capitaine était français, anciennement trafiquant d’armes ayant acquis une fortune personnelle importante. Un homme que rien ne prédestinait non plus à son nouveau sort.
L’amour l’avait transformé. L’amour d’une femme et l’amour de la vie.
Paul Imbert, de son beau nom, était condamné. Il faut dire que l’hépatite dont il était victime devait normalement l’emporter. Sa peur de la mort s’était révélée terrifiante. Lui qui faisait preuve d’un courage apparent et parfois d’inconscience lors de ses trafics, lui qui n’avait pas hésité à corrompre et même à faire exécuter des gens gênants, s’était retrouvé là minable, à trembler des genoux, claquer des dents, pisser de trouille, parce que la mort allait le bouffer et lui faire payer ses forfaits.
L’hôpital du port de Hô-Chi-Minh, où il avait dû faire escale, était vétuste. Les médecins y étaient dépassés et surtout démunis.
Geidy, jeune cambodgienne tout juste diplômée, n’avait pas lâché l’affaire ; se procurant des médicaments, normalement impossibles à trouver, et réussissant même le tour de force d’obtenir le secours d’un professeur américain venu donner une conférence dans son université.
Paul Imbert, sauvé par elle, l’avait épousée. Il avait accepté à la demande de sa femme, après avoir presque tout dit sur sa vie d’avant, de cesser toute activité de banditisme. C’est ainsi qu’ils s’étaient lancés dans cette étrange aventure de bienfaisance.
Le bateau de Paul Imbert s’appelait Le Phare. Un immense coach en bois de 90 pieds.
Il était doté d’une imposante bibliothèque que Geidy, grande lectrice éclectique, ne cessait de remplir de ses nouvelles acquisitions.
Les migrants pris à son bord étaient soumis à trois obligations : entretenir le bateau, apprendre le français et lire.
Nombre d’entre eux repartaient vite car celui ou celle qui ne respectait pas le pacte ne mangeait pas. Tout simplement.
Il y avait en permanence une douzaine de migrants qui entraient dans cet « ordre » et… ne s’en plaignaient pas ; peu à peu conscients d’accéder ainsi à une certaine dignité.
Les cabines étaient propres et la nourriture excellente.
Les pensionnaires effectuaient de temps en temps quelques travaux sur une base volontaire. Par exemple, ils aidaient au développement de réseaux sur Internet pour soutenir des actions humanitaires ou altermondialistes. Geidy s’était lancée dans cette voie depuis qu’elle avait abandonné, pour suivre son mari, le métier de médecin.
***
Petre Dan, très au-dessus du lot, avait été témoin d’un fait dont il ne parlerait jamais et qui expliquait son silence.
Il avait six ans, vivant dans la douceur d’une vie simple et au chaud. Son père était souvent absent parce qu’il « réglait les trains », disait-il. Il était ingénieur et savait comme personne intervenir en cas de panne sur les nouvelles générations de trains. On l’appelait « professeur TGV » !
Sa mère ne travaillait pas. Elle s’occupait avec ce fils unique et une apparente passion pour la décoration intérieure. Apparente, car le vrai passe-temps de sa mère était d’une tout autre nature. Madame Dan était une addicte du corps des hommes. Toute sa vie était là. Y compris son âme, car en dehors des bras d’un amant, la belle danoise était parfaitement éteinte.
Petre, à six ans, ne pouvait ni imaginer, ni comprendre une chose pareille. Mais il avait suffi d’une absence imprévue de l’institutrice, et d’un voisin négligeant l’ayant laissé devant sa maison sans vérifier si sa mère était bien là, pour que Petre Dan se retrouve debout, sac au dos, devant la scène la plus choquante de sa jeune vie.
Sa mère avait tout oublié. Elle était, à ce moment précis, au sommet de l’extase, criant son plaisir comme pour remercier Dieu et le lui faire entendre.
Petre n’avait pas bougé tout de suite. Il était resté témoin de ça, elle allongée par terre sous un homme dans le salon ; un homme qu’il connaissait.
Alors il avait cessé de parler.
Les mots entendus jusque-là étaient faux. Son père qu’il admirait n’était qu’un être absent de sa maison et de sa famille.
À six ans, Petre avait, en un seul instant, compris que le mensonge était au cœur de la vie des adultes.
Ce choc éveilla beaucoup en lui : il mit en mouvement sa solitude, la volonté de s’en aller, au sens noble de « s’en aller », et il exacerba l’intelligence transmise par son père, la soif d’accéder à la connaissance, pour devenir adulte plus vite que les autres.
***
Petre créa ses propres coutumes. Par exemple, il ne mangeait qu’aux heures de son choix et refusait ainsi d’être assis à table avec ses parents.
Pourtant, le besoin que ressent tout enfant d’être aimé ne l’avait pas abandonné. Quand son père rentrait épuisé de voyage, qu’il s’endormait devant un film ou après un verre de cognac qui l’assommait vite, Petre se couchait sur ses jambes, blotti contre celui avec lequel il aurait tant aimé parler, s’imprégnant de l’odeur de ses vêtements. Mais jamais son père ne l’avait su. Jamais sa mère n’avait prêté attention à cette manière de faire. Il était pareil à ces hommes bleus du désert qui apparaissent et disparaissent sans que l’on sache trop comment.
Cette passion pour son père l’avait provisoirement quitté vers l’âge de douze ans, lorsque l’idée de partir avait commencé à germer en lui.
A quinze ans donc, il était un homme, à part entière.
Il était aussi quelqu’un qui, ne parlant à personne, lisait à tout moment. Sa soif de lecture était aussi forte que le besoin vital de respirer. Petre avait horreur de partager ses livres et encore plus de jouer avec. Celui qui s’était amusé à cacher « L’écume des jours », pendant que Petre s’était endormi à l’avant du Phare, avait alors vu de la haine sur le visage du grand muet pendant qu’il lui serrait le cou d’une main puissante.
Petre lisait beaucoup la nuit, profitant