Chroniques de déontologie: Recueil
Par Pierre Ganz
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À propos de ce livre électronique
Les journalistes sont sur la sellette. Le public leur dispute sa confiance, les pouvoirs tentent de rogner leur liberté. Réseaux sociaux, informations falsifiées et post-vérités (« fake news ») menacent l’information des citoyens et le fonctionnement des démocraties. Un journalisme professionnel de qualité, indépendant et responsable est la seule réponse possible. Ce livre n’est pas un traité d’éthique. La déontologie est d’abord une pratique, une construction collective pour le respect des faits et des personnes, dans le seul intérêt du public à être informé.
À travers les chroniques publiées depuis 2014 au fil de l’actualité, l’auteur passe en revue les « bonnes pratiques » et indique quelques balises pour aider les professionnels à répondre aux questions qu’ils se posent dans l’exercice du journalisme au quotidien.
EXTRAIT DE Caméra cachée
Transparence et loyauté commandent les relations des journalistes avec leurs sources. La règle est de travailler à visage découvert. Dans certains cas, l’intérêt de l’information à recueillir peut justifier l’anonymat. À la télévision, la nécessité d’avoir des images multiplie les occasions de travailler discrètement.
En reportage, la caméra du JRI est bien visible. Les personnes filmées doivent en être averties. Mais selon l’adage des rédactions de l’audiovisuel, il n’y a pas de sujet s’il n’y a pas d’images. Cela peut se comprendre, bien que cette affirmation posée en dogme ait deux conséquences négatives : négliger des sujets d’intérêt public difficiles à illustrer et inciter à tourner sans se faire voir, voire à utiliser des moyens déloyaux pour enregistrer des images.
La caméra cachée doit donc être l’exception. Ce n’est jamais un simple effet de style ou une facilité. D’autant que les professionnels savent qu’en prenant le temps de comprendre les réticences, de convaincre d’accepter la caméra après un premier refus, on obtient des témoignages beaucoup plus fort que des images volées.
Mais s’il faut y recourir ce ne peut être qu’à 3 conditions : il s’agit d’un important sujet d’intérêt public, il n’y a pas d’autre moyen d’obtenir l’information, le public sera informé du recours à une caméra cachée. Ces conditions doivent être satisfaites ensemble, analysées en amont avec la rédaction en chef qui autorise ou pas l’entorse à la transparence. Dans le cas d’urgence où ce dialogue n’est pas possible, un débriefing doit être fait a posteriori pour valider ou pas la décision de tourner en caméra cachée prise sur le terrain et la diffusion de ces images.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Pierre Ganz est journaliste. Il a travaillé 40 ans dans l’audiovisuel public et privé français comme reporter, responsable d’équipes ou de magazines, rédacteur en chef et directeur. Il est vice-président de l’Observatoire de la Déontologie de l’information (ODI) et donne chaque mois une chronique sur un point concret de déontologie à la Lettre de L’Union de la Presse Francophone (UPF).
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Aperçu du livre
Chroniques de déontologie - Pierre Ganz
Préface
Dans un reportage télévisé sur la presse populaire diffusé en octobre 2015, le rédacteur en chef d’un grand quotidien belge affirmait que sa rédaction respecte « les prescrits légaux ». Point. « Au-delà de ça, ajoutait-il, c’est une question purement subjective et une question de liberté. » Exit donc la déontologie, ces règles internes qu’une profession se donne. Exit aussi l’autorégulation et bienvenue au contrôle externe sur les contenus journalistiques. Ce rédacteur en chef a heureusement cessé de sévir mais l’image d’une déontologie carcan de la liberté des journalistes subsiste. Presque au même moment, lors d’un colloque sur le (pseudo) journalisme citoyen, une blogueuse déclarait pompeusement que « la déontologie, c’est facile. Il suffit de ne pas mentir. » Passons sur la bêtise de cette confusion entre « ne pas mentir » – une attitude passive – et « rechercher et respecter la vérité », exigence éminemment active qui figure en tête de la plupart des codes de déontologie. Concentrons-nous ici sur la relation entre normes et liberté.
Aujourd’hui, à l’époque des nouveaux médias souvent fondés sur la rapidité, la brièveté et une bonne dose d’info-choc, le respect de la déontologie et de l’éthique est parfois perçu dans les rédactions comme un frein empêchant de jouer avec les mêmes coudées franches sur le terrain de l’information devenu particulièrement concurrentiel. Cette perception est fausse.
Certes, la déontologie constitue une contrainte. Mais elle est voulue et définie par les journalistes en raison de l’énorme responsabilité qu’ils portent envers la société, la profession et les personnes mentionnées dans l’information. C’est pour cette raison que partout dans le monde, les journalistes ont élaboré des normes déontologiques que Pierre Ganz présente ici à partir de situations concrètes.
Le respect de ces normes permet de différencier la pratique journalistique des innombrables sites et autres blogs « d’information » dont la crédibilité n’est aucunement garantie. Un citoyen qui tient un blog a le droit de raconter n’importe quoi dès lors qu’il ne verse pas dans l’illégalité. Un journaliste pas. Son activité doit répondre à certains standards qui rendent l’information fiable. C’est par cette exigence de qualité que les médias peuvent sortir gagnants de la concurrence avec ces sites et blogs, pas s’abaissant au niveau de ceux-ci.
La déontologie, vecteur d’autorégulation, constitue aussi, paradoxalement peut-être, un garant de la liberté. Invoquer l’autonomie individuelle pour ignorer la déontologie, c’est mettre en danger la liberté collective du monde journalistique. C’est ouvrir la porte à des velléités de régulation qui reposent au mieux sur de bonnes intentions mais constituent le premier élément d’une spirale de contrôle dont on ne sait où elle s’arrêtera. Ni même si elle s’arrêtera. Le journalisme a pour fonction sociale d’exercer un contre-pouvoir. On imagine aisément les risques de le voir contrôlé par les pouvoirs, qu’ils soient politiques, économiques, judiciaires. Le respect de la déontologie permet de l’éviter. D’où l’importance pour les journalistes de la connaître et de l’endosser. Et dès lors la pertinence de cet ouvrage.
André Linard
Ancien secrétaire général du Conseil
de déontologie journalistique
de Belgique francophone.
Introduction
Ces chroniques ont été publiées depuis 2014 dans la lettre mensuelle de l’UPF. Elles n’ont pas la prétention de former un manuel ou un code de déontologie journalistique. Il en existe d’excellents qui sont cités en annexe.
Certains thèmes sont traités plusieurs fois au fil de l’actualité et d’échanges avec des consœurs et confrères et avec le public. Le lecteur voudra bien excuser les redites, et noter les contradictions inhérentes à la démarche. Il trouvera à la fin de ce volume un index permettant de naviguer dans ce recueil. Quelques textes publiés à des mois d’intervalle mais quasi redondants sur le fond ont été réunis ici en une seule chronique.
Tout le monde parle de la déontologie de l’information. Elle est invoquée par ceux qui redoutent une presse trop libre pour leurs intérêts. Elle est décriée par ceux qui mettent leur engagement ou leur croyance au-dessus de tout. Elle est moquée par ceux qui font du cynisme le moteur des rapports humains.
La déontologie est matière vivante. Les journalistes sont ses premiers défenseurs et ses premiers contempteurs. Comme le disait il y a 20 ans le journaliste, syndicaliste et enseignant Édouard Guibert, « nous sommes quotidiennement porteurs, créateurs ou fossoyeurs de notre propre déontologie ». Si les principes fondamentaux sont intemporels, l’évolution des médias et des technologies interroge les règles concrètes.
La déontologie est une pratique. L’exercice du métier de journaliste confronte chaque jour à des questions sur ses limites, ses interdits, son impact sur le public. Ces questions n’ont pas de réponses « toutes faites ». Chaque cas est particulier et mérite analyse, échanges, arbitrage entre des intérêts divergents.
Ce qui suppose que les journalistes aient les moyens matériels de faire leur travail en toute indépendance. Ce qui suppose que les conditions de production de l’information permettent la prise en compte de cette exigence déontologique au quotidien. Trop souvent, les échanges nécessaires sur la pratique sont éludés quand ils ne sont pas dénigrés par une hiérarchie arrogante. Et c’est a posteriori qu’on s’interroge entre confrères sur ce qu’on a diffusé ou publié, qu’on oppose le « faisable » et le professionnellement inacceptable, qu’on tente de trouver la juste voie dans l’écheveau des contraintes qui est le quotidien d’une rédaction.
En rédigeant ces chroniques mois après mois, je n’ai eu d’autre ambition que d’aider à ces discussions, en espérant qu’elles auront lieu a priori. J’avais aussi présents à l’esprit les journalistes isolés, pigistes ou seuls en poste, qui n’ont d’autres interlocuteurs qu’eux-mêmes quand leur conscience les interpelle.
Les concepts éthiques et les réflexions philosophiques cèdent donc ici le pas aux suggestions pratiques, aux retours d’expérience, aux rappels de bon sens. Trois bornes cadrent ces réflexions : l’exactitude et la véracité des faits rapportés, l’indépendance et la responsabilité du journaliste, le respect de la dignité des personnes et de la vie privée. Toute information de qualité, qui n’a d’autre but que l’intérêt du public à savoir, découle de ces principes.
Leur mise en œuvre concrète n’est possible que dans un cadre légal qui respecte et protège la liberté d’expression comme la liberté d’informer et d’être informé. Ces libertés commandent la qualité de l’information des citoyens plus que les codes et les règles déontologiques. Comme le disait Albert Camus : « La presse, lorsqu’elle est libre, peut-être bonne ou mauvaise. Mais assurément sans la liberté elle ne peut être que mauvaise. »
Caméra cachée
Transparence et loyauté commandent les relations des journalistes avec leurs sources. La règle est de travailler à visage découvert. Dans certains cas, l’intérêt de l’information à recueillir peut justifier l’anonymat. À la télévision, la nécessité d’avoir des images multiplie les occasions de travailler discrètement.
En reportage, la caméra du JRI est bien visible. Les personnes filmées doivent en être averties. Mais selon l’adage des rédactions de l’audiovisuel, il n’y a pas de sujet s’il n’y a pas d’images. Cela peut se comprendre, bien que cette affirmation posée en dogme ait deux conséquences négatives : négliger des sujets d’intérêt public difficiles à illustrer et inciter à tourner sans se faire voir, voire à utiliser des moyens déloyaux pour enregistrer des images.
La caméra cachée doit donc être l’exception. Ce n’est jamais un simple effet de style ou une facilité. D’autant que les professionnels savent qu’en prenant le temps de comprendre les réticences, de convaincre d’accepter la caméra après un premier refus, on obtient des témoignages beaucoup plus fort que des images volées.
Mais s’il faut y recourir ce ne peut être qu’à 3 conditions : il s’agit d’un important sujet d’intérêt public, il n’y a pas d’autre moyen d’obtenir l’information, le public sera informé du recours à une caméra cachée. Ces conditions doivent être satisfaites ensemble, analysées en amont avec la rédaction en chef qui autorise ou pas l’entorse à la transparence. Dans le cas d’urgence où ce dialogue n’est pas possible, un débriefing doit être fait a posteriori pour valider ou pas la décision de tourner en caméra cachée prise sur le terrain et la diffusion de ces images.
La caméra cachée est de plus en plus un téléphone multifonction. Ses règles d’utilisation par les journalistes ne sont pas différentes. Mais des non professionnels enregistrent situations et propos sans se faire voir. L’utilisation de leurs images par un média n’est possible que si elles sont un réel intérêt informatif et si leur origine est claire. L’identité de celui qui a filmé doit être connue, lieu et date de tournage doivent être authentifiés pour ne pas illustrer une situation par des images d’une situation plus ou moins semblable. L’équipe rédactionnelle doit conserver la maîtrise du montage et la responsabilité de ce qui est diffusé.
L’enregistrement clandestin ne doit pas porter atteinte à la dignité de la personne filmée à son insu. Elle ne doit pas pouvoir être reconnue si son identification peut lui porter préjudice.
Le respect de la vie privée ne peut s’accommoder de l’utilisation de caméras ou appareils photos cachés. Filmer ou enregistrer une personne sans qu’elle en