La comédie française: Marginales 281
Par Collectif
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À propos de ce livre électronique
Politiquement, la Belgique est plus poreuse au Sud qu’au Nord. Demandez à un Flamand qui est l’actuel Premier ministre hollandais, il se grattera la tête et finira par avouer son ignorance. Ou il citera un certain Wilders, qui se situe dans une opposition coopérante, mais est surtout connu pour sa tignasse jaunâtre et ses convictions d’extrême droite. Et cela s’arrêtera là, à moins qu’il ne cherche vainement le nom d’un chef de gouvernement portant les lunettes rondes de Harry Potter…
Découvrez le numéro 281 de la revue Marginales, la voix de la littérature belge dans le concert social. Sous la direction de Jacques De Decker.
EXTRAIT DE Paris, Tunis, c'est kif, kif par Françoise Lalande
Alors qu’ils ont tant de qualités, pourquoi s’arrangent-ils pour être souvent détestés dans le monde ? Et souvent détestables ? Pas tous, évidemment, mais pas mal d’entre eux, oui, surtout ceux qui ont du pouvoir, petit pouvoir ou grand pouvoir, mais quand ils en ont, du pouvoir, on peut parier qu’on aura droit à une comédie de première, par exemple, ici, à Tunis, depuis que j’y suis, j’ai rencontré des Représentants de la Grande République qui horripilaient les Tunisiens (il paraît qu’avant, il y a eu de grands formats, mais pas de chance pour moi, je ne les ai pas connus !), oui, depuis que j’y suis, j’ai plutôt rencontré des hommes-reflets, reflets de quoi ? De qui ? Eh bien de celui qui dirige la Grande République, pas forcément méchants, pas du tout stupides, pas vraiment plus arrogants qu’un autre, mais gaffeurs, si vous saviez !
Comédie française :
Acteur n° 1.
Il organise une soirée, projection d’un film français, suivie d’un buffet dînatoire.
Devinez quel film est projeté ?
Vous ne trouvez pas ?
Mais si ! Cherchez bien, un film qui représente la Grande République au mieux… Mais non ! Pas Le père Noël est une ordure, pourquoi vous me dites ça ? Mais non ! Pas la Grande Vadrouille, c’est rigolo, d’accord, mais enfin l’ambassadeur d’Allemagne était parmi les invités, cela aurait été d’une telle indélicatesse…
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Aperçu du livre
La comédie française - Collectif
Éditorial
Jacques De Decker
Politiquement, la Belgique est plus poreuse au Sud qu’au Nord. Demandez à un Flamand qui est l’actuel Premier ministre hollandais, il se grattera la tête et finira par avouer son ignorance. Ou il citera un certain Wilders, qui se situe dans une opposition coopérante, mais est surtout connu pour sa tignasse jaunâtre et ses convictions d’extrême droite. Et cela s’arrêtera là, à moins qu’il ne cherche vainement le nom d’un chef de gouvernement portant les lunettes rondes de Harry Potter… Un francophone belge, par contre, fera volontiers étalage de sa connaissance très poussée de la politique française. Il pourra réciter dans l’ordre les noms de tous les présidents de la Ve République, comme jadis les écoliers ânonnaient la dynastie des Louis. Il pourra même vous dire sans trop d’effort contre qui ces chefs de l’État furent élus, voire la réplique de débat télévisé qui leur permit de l’emporter, avec en tête le « Vous n’avez pas le privilège du cœur », la formule giscardienne qui retarda de sept ans l’accès de François Mitterrand à la magistrature suprême.
Comment expliquer ce phénomène ? Il est culturel d’abord. La francophonie belge lit la presse d’outre-Quiévrain, regarde ses chaînes de télévision, est plus friande de livres français que les Français eux-mêmes, toutes proportions gardées bien entendu. Elle ne produit pratiquement pas de films, puisqu’elle est le premier marché d’exportation du cinéma français, qu’elle alimente abondamment en acteurs de talent qui de temps à autre consentent à faire bénéficier les productions belges de leur notoriété, comme vient de le faire Cécile de France (un non-pseudonyme qui est tout un programme) dans le dernier film des frères Dardenne. Les Flamands, pour reparler d’eux, produisent leur propre cinéma, même « commercial », et n’ont de cesse de le diffuser en France. Pourquoi ne réussiraient-ils pas dans ce secteur ce qu’ils ont accompli dans le théâtre ? Il y a plus de spectacles flamands à Paris, en Avignon, dans la décentralisation hexagonale, que de productions belges francophones, qui restent confinées à Bruxelles et en Wallonie. De même que les ouvrages littéraires publiés en Belgique n’infiltrent pas la France, alors que, comme on l’a dit, les livres français inondent les librairies belges.
On peut donc parler de colonisation, devant laquelle la Belgique de langue française est beaucoup moins bien armée que le Québec, situé de l’autre côté de l’Atlantique et animé par un chauvinisme de combat qui a fait ses preuves sur bien des plans.
Mais d’autres facteurs expliquent le phénomène. Entre la Belgique méridionale et la France, il n’y a pas l’obstacle de la langue qui la sépare de la Flandre et de ses leaders politiques. Et ceux-ci ont beau décider, au niveau fédéral du moins, du sort de tous les Belges, ils apparaissent, à quelques exceptions près, comme des étrangers aux yeux de l’opinion. Avec des cas d’espèce cependant : Guy Verhofstadt a visiblement fait sauter ce verrou, ce qu’explique en grande partie son sincère engagement européen. Et puis, il y a le paradoxe De Wever. Tout en étant le porte-parole sûr de lui et dominateur de l’autonomie flamande, il s’est imposé auprès des francophones comme une figure emblématique de la Belgique dans son ensemble. Au point que l’on peut douter qu’il mette son idéal nationaliste à exécution : il y perdrait une part énorme de son audience…
La relation à la France constitue un autre paradoxe. Les Belges l’adorent dans une espèce d’irresponsabilité grisante. La France est leur terre de vacances préférée (qui d’ailleurs les attire d’autant plus que la Flandre les rebute souvent en revendiquant la flamandisation du littoral, accès de lèse-belgitude caractérisée à leurs yeux), ils s’y complaisent dans une sorte d’innocence enfantine. Ils ne sont pas citoyens du pays qui les enchante et où ils se sentent parfaitement chez eux. Partout, ils y retrouvent leurs marques : les bières belges sont disponibles et appréciées, les frites, réputées belges, leur « goûtent » plus encore dans leur accommodation hexagonale, ils aiment y restaurer les vieilles briques et en accumuler de nouvelles, passion qui leur est consubstantielle. Remarquons que devant ces plaisirs, les Belges du Nord et du Sud retrouvent leur nom de famille, les Flamands laissant affleurer à leur mémoire cette langue française qu’ils s’épuisent à refouler au pays.
Et puis, surtout, il y a la politique ! Ils les connaissent tous, les personnages qui s’affrontent sur le théâtre du pouvoir. Parmi les vedettes périmées, ils voient avec désolation le vieux sachem Chirac relégué dans le coin coiffé du bonnet d’âne, se souviennent que Jacques Delors, ex-président de la Commission, fut un Bruxellois convaincu, ils jugent légitime que Giscard siège à l’Académie française : n’est-il pas, à leurs yeux, un serviteur insigne de la langue, même si l’organe lui joue quelques tours ?
Mais il n’y a pas que les sages plus ou moins vieux ou les vieux plus ou moins sages. Il y a les premiers rôles, ceux qui depuis cinq ans sont dans la course non pas du « coup d’État permanent » que Mitterrand reprochait à De Gaulle, mais engagés dans la plus ininterrompue des campagnes électorales. Et là, le public est servi ! Entre les discours dignes de Jaurès (Brel ne l’a-t-il pas chanté ?), de Chevènement et de Mélenchon, les accents lamartiniens de Villepin, ou les leçons de l’instituteur d’école publique à la Ferry qu’est François Bayrou, ils ne savent où donner de l’oreille.
Quant aux têtes d’affiche, elles valent, cette fois, toutes les ovations. La mini-compétition au sein du parti socialiste, dont les médias ont démultiplié l’importance, fut une sorte de bande-annonce du vrai combat des chefs. Avec un casting d’enfer : s’y affrontaient un couple séparé dont quatre enfants communs scellaient la conjugalité manquante, un jeune loup qui sacrifiait à un usage très français (la condition de « fils de » étant un brevet belge), à savoir l’union avec une célébrité médiatique, une fille de candidat avorté lors d’un suffrage précédent portant presque le même prénom qu’une autre descendante directe d’un candidat plus heureux, d’extrême droite celui-là, qui avait envoyé la gauche au tapis en 2003. Cette brochette de haut vol étant éclipsée par l’ombre d’un maniaque sexuel qui s’était mis lui-même hors jeu dans une chambre de Manhattan pour une simple confusion de consonne : un « r » malvenu s’était substitué au « l » dans son usage du mot « élection ».
Face à ce dramatis personæ de derrière les fagots se dresse sur ses ergots un tenant du titre inespéré, un président taillé pour le rôle depuis l’âge le plus tendre (une photo de lui dans le fauteuil de mayeur de Neuilly dit tout sur le caractère fatidique de son ambition), dont la notoriété planétaire a crevé les plafonds cependant légendaires du général de Gaulle et qui risque, peut-être en raison de sa présence mythologique, de permettre à l’électorat de mettre à mal un superman politique tout simplement parce que le sort d’Icare est de s’abîmer dans les flots. Sauf que cette fois le laboureur belge négligera sa charrue pour jouir, de son champ devenu terrasse, pleinement du spectacle.
Jacques De Decker
27 décembre 2011
La Cour vit sur un grand pied
Alain van Crugten
Madame de la Faryette n’était pas seulement renommée pour l’attrait de sa conversation et son talent d’écriture, mais la Cour et la Ville discouraient à l’envi du charme que dégageait toute sa personne. Elle avait le pied petit et fin, ce qui faisait l’admiration de nombre de gentilshommes de la Cour mais provoquait aussi la jalousie de Madame de Maintenant, l’ancienne favorite du Roi qui avait réussi à se faire épouser morganatiquement par Sa Majesté. Il était notoire que la nouvelle épouse, une Transalpine anciennement nommée Carlotta Brunisconi et devenue ensuite marquise de Pompabruni par la grâce et le bon vouloir de Sa Majesté, avait, pour sa part, le pied fort long. Quoiqu’elle le dissimulât le plus souvent sous des robes très élégantes tombant presque jusques à terre, les bien informés de la Cour savaient qu’elle chaussait du quarante-deux ou peut-être même quarante-trois, une mesure italienne correspondant grosso modo, comme ils disent là-bas, à une longueur de treize pouces, soit un pouce de plus que la mesure que nous avons coutume d’appeler pied-de-roi. Le pied de la nouvelle « reine » plus long que le pied-de-roi ! Tout Versailles en faisait des gorges chaudes en catimini et cela mettait en fureur la Pompabruni, laquelle cachait un caractère irascible derrière les sourires doucereux qui ne dérangeaient pas les traits de son visage, vu qu’un chirurgien milanais lui avait posé des pommettes artificielles.
Comme, outre qu’elle avait le pied long, elle avait, chose normale dans sa position, le bras également long, elle avait tenté à plusieurs reprises d’éloigner de Versailles Madame de la Faryette, dont la grâce et le pied menu lui faisaient décidément ombrage. Toutefois, de manière quelque peu étonnante, le Roi ne prêtait point oreille à ses demandes et suggestions. Sans doute était-il influencé par les avis de Monsieur de Jacquelangue, conseiller ès sciences et belles-lettres, qui répétait à la ronde, avec ses faconde et emphase habituelles, que Madame de la Faryette avait la plume la plus alerte du monde et que son roman de la Princesse de Rêves était un chef-d’œuvre de style et de finesse d’esprit. Or, la Pompabruni se piquait également d’être avertie de littérature et d’art, elle se faisait toujours représenter par des portraits livre en main ou feuilletant une partition de musique et les courtisans se répandaient en flatteries lorsqu’elle prenait en main une mandoline, instrument de son pays d’origine, pour chanter des mélodies napolitaines, d’une voix au reste très peu audible, aux dires des vrais connaisseurs. Forte de ses prétentions de lettrée, elle entendait régenter les lectures de son royal époux en lui mettant entre les mains des romans de chevalerie ainsi que des traités de philosophie fort ennuyeux, dont les malicieux murmuraient qu’ils étaient œuvres de deux de ses anciens amants.
Ce nonobstant, non seulement le Roi faisait publiquement l’éloge des écrits de Madame de la Faryette, un éloge d’autant plus outré qu’il ne les avait pas lus, assuraient les railleurs, non seulement il ne la bannissait pas de son entourage, mais alors qu’elle résidait sur ses terres auvergnates d’Heurtefeux, il fit même envoyer des messages par son courrier spécial, Monsieur d’Ymaile, afin de lui signifier qu’elle manquait à la Cour. La marquise de Pompabruni, qui l’apprit fortuitement, sentit encore s’accroître son sentiment jaloux. Cette Faryette semi-provinciale importait-elle donc tellement au Roi ? Serait-ce parce que Sa Majesté, dont la taille médiocre lui faisait obligation de porter des talonnettes, avait lui-même le pied minuscule au point qu’il confondait parfois ses souliers avec ceux du Dauphin, son fils de douze ans ?
La Pompabruni en conçut une rage qui ne se remarqua point, grâce à l’empire qu’elle avait sur ses passions, une maîtrise facilitée par le fait qu’elle ne pouvait hausser les sourcils, car son chirurgien milanais lui avait tiré la peau du haut du visage jusque derrière les oreilles, ce qui paralysait l’expression de sa face mais ne lui interdisait pas de remuer lesdites oreilles. Le bruit lui étant revenu que Madame de la Faryette se présenterait bientôt à la Cour, elle décida de passer à l’action. Ne pouvant agir en personne, elle convoqua un fidèle, pour ne pas dire un de ses affidés, un pseudo-gentilhomme d’origine italienne comme elle, qui se faisait appeler vicomte d’Estrosi-Nizza. Elle l’appelait familièrement Estro, ce qui eût pu paraître osé, si les gens avaient su que dans leur idiome transalpin commun estro signifie « rut ». « Estro, lui dit-elle, vous êtes devenu vicomte grâce à moi et les vicomtes font les bons amis. On sait que vous êtes rompu aux exercices du corps, vous fûtes même champion de célérifère, ce qui vous valut la réputation d’avoir le quotient intellectuel d’un céleri et ce pourquoi vous fûtes surnommé le Céleri Fier. Faites quelque chose, intervenez énergiquement, physiquement s’il le faut, pour me débarrasser de cette Faryette qui m’insupporte avec son pied prétendument si léger. Je ne veux savoir comment, mais renvoyez-moi cette haïssable pécore dans ses forêts de châtaignes. »
Cet Estrosi-Nizza, qui ne pouvait rien refuser à la Pompabruni et dont le raisonnement était limité mais le caractère impulsif, s’exécuta dès l’arrivée de Madame de la Faryette à Versailles. Vers la fin de la matinée, après la première audience royale, il se posta sous l’un des escaliers que devaient emprunter les courtisans. Bien que fort incommodé par les odeurs de défécation qui régnaient en cet endroit comme sous la plupart des escaliers du château, il eut la patience d’attendre, en se bouchant toutefois le nez d’un mouchoir de batiste parfumé à l’eau d’oranger, que passât Madame de la Faryette. Au moment où celle-ci allait franchir la pénultième marche, le scélérat tendit brusquement la jambe tout en demeurant dans sa cachette. Il fit ainsi un croc-en-jambe, c’est-à-dire qu’il crocha le pied de la pauvre Madame de la Faryette. Elle poussa un cri et s’effondra brutalement au pied des degrés, le visage tordu par la douleur. Profitant de l’affairement et de l’affolement des courtisans qui se pressaient autour de la dame à terre, Estrosi-Nizza sortit de sa cache, l’air le plus naturel du monde, rajustant son haut-de-chausses comme s’il venait banalement d’uriner sous l’escalier.
Nul ne sut, pas même la victime, comment elle avait trébuché d’un pied et malencontreusement brisé l’autre. La malheureuse se vit poser de solides attelles par le médecin personnel de Sa Majesté, qui lui recommanda plusieurs semaines, sinon mois, de repos. Elle en fut fort marrie