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La biodiversité en question: Enjeux philosophiques, éthiques et scientifiques
La biodiversité en question: Enjeux philosophiques, éthiques et scientifiques
La biodiversité en question: Enjeux philosophiques, éthiques et scientifiques
Livre électronique449 pages5 heures

La biodiversité en question: Enjeux philosophiques, éthiques et scientifiques

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À propos de ce livre électronique

Un regard critique sur la notion de biodiversité

La diversité des êtres vivants est depuis fort longtemps un objet de réflexions scientifiques et philosophiques, mais le mot « biodiversité » est apparu seulement en 1986, rencontrant immédiatement un énorme succès. L’intérêt des biologistes, agronomes, écologues, etc., pour la conservation et la valorisation de la nature a été renouvelé et amplifié par l’adoption consensuelle de l’objet « biodiversité ». Il a également permis une mobilisation inédite des économistes, des gouvernements et des médias. Pourtant, ce terme s’avère fort ambigu et problématique, comme le présent ouvrage s’attache à le démontrer. Malgré toutes les études consacrées à ce sujet, la compréhension de ce qu’est la biodiversité, sa description, et l’établissement de politiques appropriées visant à sa conservation et à son amélioration, restent des tâches toujours en chantier. Cet état de fait n’est pas uniquement imputable à des inerties ou des obstacles politiques et étatiques  ; il est sans doute aussi redevable des insuffisances d’une notion versatile dont, toutefois, on ne saurait se passer, tant est entériné son usage, dans les discours des écologues, des ONG, des États. En plein dans ce que l’ONU déclare être la « décennie de la biodiversité » (2011-2020), ce livre vise à faire un bilan critique de l’état du discours sur la biodiversité, rassemblant les compétences de philosophes, de biologistes et d’écologues.

Découvrez une étude approfondie de l’état du discours sur la biodiversité, qui rassemble les compétences de philosophes, de biologistes et d’écologues.

EXTRAIT

Il en résulte que les concepts de diversité et d’équitabilité ne contiennent pas d’information sur l’abondance absolue des espèces et sont moins liés qu’on ne le pense a priori avec une des raisons qui a promu l’émergence du terme biodiversité, à savoir la conservation des espèces : en effet, la viabilité d’une espèce – ou son contraire, sa probabilité d’extinction – est bien davantage liée à l’évolution de son abondance absolue qu’à celle de son abondance relative. Ce constat explique le paradoxe selon lequel les outils utilisés concrètement pour analyser les données de biodiversité n’utilisent pas directement les concepts de diversité et d’équitabilité tels que nous les avons introduits.

À PROPOS DES AUTEURS

Elena Casetta est chercheuse postdoctorale au Centre de philosophie des sciences de l’Université de Lisbonne et membre du Laboratoire d’ontologie de l’Université de Turin. Ses recherches portent sur la philosophie et les politiques de la biodiversité, la nature des espèces et les théories des genres naturels mais également sur le lien entre sexe et genre sexuel. Julien Delors est maître de conférence en histoire et philosophie des sciences à l’université de Bretagne occidentale, Brest. Sous leur direction, plusieurs auteurs ont contribué à la rédaction de La biodiversité en question : Anouk Barberousse, Patrick Blandin, Denis Couvet, Vincent Devictor, Jean Gayon, Frédéric Gosselin, Philippe Huneman, Christian Lévêque, Yves Meinard, Julien Mestrallet, Sarah Samadi et Jean-Christophe Vandevelde.
LangueFrançais
Date de sortie29 mars 2018
ISBN9782919694532
La biodiversité en question: Enjeux philosophiques, éthiques et scientifiques

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    La biodiversité en question - Elena Casetta

    Couverture de l'epub

    Sous la direction de

    Elena Casetta et Julien Delord

    La biodiversité en question

    Enjeux philosophiques, éthiques et scientifiques

    2014 Logo de l'éditeur EDMAT

    Copyright

    © Editions Matériologiques, Paris, 2016

    ISBN numérique : 9782919694532

    ISBN papier : 9782919694549

    Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales.

    Logo CNL Logo Editions Matériologiques

    Présentation

    La diversité des êtres vivants est depuis fort longtemps un objet de réflexions scientifiques et philosophiques, mais le mot « biodiversité » est apparu seulement en 1986, rencontrant immédiatement un énorme succès. L’intérêt des biologistes, agronomes, écologues, etc., pour la conservation et la valorisation de la nature a été renouvelé et amplifié par l’adoption consensuelle de l’objet « biodiversité ». Il a également permis une mobilisation inédite des économistes, des gouvernements et des médias. Pourtant, ce terme s’avère fort ambigu et problématique, comme le présent ouvrage s’attache à le démontrer. Malgré toutes les études consacrées à ce sujet, la compréhension de ce qu’est la biodiversité, sa description, et l’établissement de politiques appropriées visant à sa conservation et à son amélioration, restent des tâches toujours en chantier. Cet état de fait n’est pas uniquement imputable à des inerties ou des obstacles politiques et étatiques ; il est sans doute aussi redevable des insuffisances d’une notion versatile dont, toutefois, on ne saurait se passer, tant est entériné son usage, dans les discours des écologues, des ONG, des États.

    Table des matières

    Préface (Jean Gayon)

    Introduction. Diversités théoriques et empiriques de la notion de biodiversité (Philippe Huneman)

    1 - Les sens et les usages de la biodiversité : un survol préliminaire

    2 - La biodiversité et les diversités : le contraste

    Partie I. La notion de biodiversité : sémantique et épistémologie

    Chapitre 1. La diversité du vivant avant (et après) la biodiversité : repères historiques et épistémologiques (Patrick Blandin)

    1 - Pourquoi y a-t-il un si grand nombre d’espèces ? Hommage à George Evelyn Hutchinson

    2 - Le désir numérique : indices de diversité et distributions d’abondance  

    3 - Diversité, complexité et stabilité : des relations davantage désirées que prouvées

    4 - Après 1988 : résurgences ou avancées ?

    5 - La biodiversité, terme « valise » ou nouveau paradigme ?

    Chapitre 2. La polycrise de la biodiversité : les métamorphoses de la nature et de sa protection (Vincent Devictor)

    1 - La métamorphose de l’objet « biodiversité »

    2 - La métamorphose des moyens pour étudier et protéger la biodiversité

    3 - La métamorphose des fins pour justifier l’étude et la protection de la biodiversité

    4 - Conclusions

    Chapitre 3. La biodiversité : imposture scientifique ou ruse épistémologique ? (Julien Delord)

    1 - L’indulgence des scientifiques envers le concept de biodiversité

    2 - Les définitions de la biodiversité : concept « flou » ou concept « grappe » (cluster) ?

    3 - Des controverses sur la « diversité biologique » à l’émergence de la « biodiversité »

    4 - La construction dualiste du concept général de biodiversité

    5 - Usages et rôle (non) explicatif de la biodiversité

    6 - Les indices de biodiversité comme sortes théoriques (theoretical kinds)

    7 - Conclusion

    Partie II. Évaluer la biodiversité : écologie et taxinomie

    Chapitre 4. Diversité du vivant et crise d’extinction : des ambiguïtés persistantes (Frédéric Gosselin)

    1 - La variété des définitions de la biodiversité

    2 - La diversité et l’équitabilité dans tous leurs états

    3 - La diversité spécifique comme la résultante de deux composantes indépendantes, richesse et équitabilité ?

    4 - Diversité et abondance : un chaînon manquant ?

    5 - Discussion et conclusions

    Chapitre 5. Évaluer et conserver la biodiversité face au problème des espèces (Elena Casetta)

    1 - « Biodiversity » : une invention récente

    2 - Le « problème de l’espèce » et le comptage des espèces

    3 - « La biodiversité, ce n’est pas les espèces »

    4 - Trois scénarios face au pluralisme taxinomique

    5 - Le pluralisme taxinomique comme ressource pour la conservation de la biodiversité

    6 - Conclusion

    Chapitre 6. La taxonomie et les collections d’histoire naturelle à l’heure de la sixième extinction (Anouk Barberousse et Sarah Samadi)

    1 - La structure de la taxonomie

    2 - Le Barcoding of Life

    3 - Une complémentarité nécessaire

    4 - Conclusion

    Partie III. Préserver la biodiversité : biologie de la conservation et éthique

    Chapitre 7. Biodiversité ordinaire : des enjeux écologiques au consensus social (Denis Couvet et Jean-Christophe Vandevelde)

    1 - La biodiversité ordinaire : de l’espèce à la communauté

    2 - La biodiversité ordinaire à la lumière des normes des sciences de la conservation

    3 - Représentations de la biodiversité ordinaire

    4 - Biodiversité ordinaire : quel compromis pour quel consensus social ?

    5 - Conclusions

    Chapitre 8. Biodiversité : mythologies et dénis de réalité (Christian Lévêque)

    1 - L’auberge espagnole de la biodiversité

    2 - La biodiversité, un produit d’appel ?

    3 - Érosion de la biodiversité : l’écologie en position ambiguë

    4 - De l’excès en toutes choses : comment manipuler les chiffres

    5 - L’écologie serait-elle devenue raciste ?

    6 - Dénis de réalité : une vision mythique de la nature

    7 - Quelles natures voulons-nous ?

    8 - En guise de conclusion…

    Chapitre 9. La signification du statut de bien public de la biodiversité (Yves Meinard et Julien Mestrallet)

    1 - Les faiblesses épistémologiques de la théorie standard des biens publics

    2 - Vers une théorie alternative des biens publics : le cas paradigmatique de la biodiversité

    3 - Esquisses d’implications pratiques

    4 - Conclusions

    Conclusion. Versatile biodiversité (Elena Casetta et Julien Delord)

    Préface

    Jean Gayon

    Jean GAYON est professeur à l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, membre senior de l’IUF (Institut universitaire de France), directeur de l’IHPST (Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques, UMR 8590 CNRS/P1/ENS).

    Voici un livre qui ne nourrira pas le ronron autosatisfait et intimidant des zélateurs de la biodiversité. Pas davantage ne sera-t-il récupérable par les contempteurs – rares mais puissants – de ce mot fétiche. Fruit d’une remarquable collaboration entre des écologues, des naturalistes et des philosophes, cet ouvrage offre une critique de la biodiversité. Les auteurs semblent unanimes à penser que le concept de biodiversité, les sciences qui en traitent, le débat public qui le porte, sont en crise . Je prends ces mots de critique et de crise au sens le plus fondamental, le sens étymologique, le seul qui selon moi a de l’intérêt. Le terme de crise hérite des connotations entremêlées du mot grec krisis , qui veut désigner l’acte de juger, et de son homologue latin crisis , qui a retenu la signification particulière du mot grec en médecine, une « crise » étant alors une perturbation grave et soudaine de la santé (un assaut, une « attaque »). Le mot moderne de « crise » retient quelque chose de cette double filiation antique : une crise est un moment difficile où l’on est confronté à des choix et, qu’on le veuille ou non, où l’on fait un choix. Quant à la critique, c’est l’exercice réflexif qui passe le problème au crible d’un jugement et conduit, si possible, à dégager des critères de choix (« crible » et « critère » ont au demeurant la même origine étymologique que « crise » et « critique »).

    L’ouvrage aurait pu avoir pour titre Critique de la biodiversité, mais il n’est pas sûr que ce titre aurait été bien compris. Au regard des remarques étymologiques qu’on vient de faire, il me paraît que c’est bien d’une « critique », au sens le plus fondamental et le plus précis, qu’il s’agit. Tous les auteurs notent la diffusion spectaculaire du mot dans les années 1990. L’un d’entre eux (Vincent Devictor) note que la « crise de la biodiversité » a coïncidé avec la prise de conscience de l’érosion de la diversité biologique du fait des activités humaines à l’époque contemporaine. L’invention de ce mot a constitué une trouvaille linguistique ingénieuse. Bien que, littéralement, la biodiversité ne soit rien d’autre que la « diversité biologique », terme abondamment utilisé depuis les années 1950, tandis que la notion remonte au moins au XVIIIe siècle (comme le remarque à juste titre Patrick Blandin), on imagine mal que les associations de protection de la nature, le grand public, les décideurs se soient emballés aussi facilement pour une « crise de la diversité biologique » qu’ils ne l’ont fait pour la « crise de la biodiversité ». Il est aisé de faire rimer la crise de la biodiversité avec la « sixième grande extinction d’espèces », avec la « détérioration de l’environnement », voire avec une « crise de la modernité ». La popularité immédiate de ce mot constitue en soi-même une belle énigme pour l’historien. Ce n’est pas tous les jours qu’un concept scientifique, ou supposé tel, conquiert les esprits à l’échelle planétaire au point de susciter des conventions internationales, et de mobiliser toutes sortes d’acteurs sociaux et politiques.

    Quoi qu’il en soit, les scientifiques (notamment les écologues), le public, les politiques vivent avec ce mot depuis un quart de siècle. L’intention du présent ouvrage est d’éclairer une crise de second degré, en quelque sorte, une crise liée à l’usage même du mot « biodiversité ». D’où cet ouvrage critique, dont on apprécie le titre ouvert : La biodiversité en question, que le sous-titre (Enjeux philosophiques, éthiques et scientifiques) invite en fait à lire au pluriel : « La biodiversité en questions ».

    À première vue, l’ouvrage est « critique » au sens usuel du terme, c’est-à-dire au sens d’un jugement négatif, tantôt franchement hostile, tantôt sceptique, sur les discours relatifs à la biodiversité. Au hasard, ou plus exactement à escient, je relève quelques formules fortes. Philippe Huneman fait le constat de discours et de pratiques qui nous présentent cette réalité comme « volatile, fragile, toujours susceptible de s’amenuiser ou de nous glisser entre les doigts ». Christian Lévêque parle d’un « terme valise », où « chacune projette ses représentations du monde naturel ». Julien Delord, codirecteur du volume, n’hésite pas à dire que la biodiversité n’est pas du tout un concept scientifique, car ce terme est mal défini, ne correspond pas à une propriété naturelle objective, et ne sert dans aucune théorie scientifique car il n’explique rien. Christian Lévêque, dans un impressionnant réquisitoire, reproche aux écologues (dont il est) d’avoir surfé sur la vague de la biodiversité pour donner du lustre à leur discipline. Il dénonce la dramatisation à outrance, l’hypocrisie consistant à oublier les prédictions catastrophistes et non vérifiées d’il y a trente ans. Les directeurs du livre eux-mêmes (Elena Casetta, Juien Delord), dans leur riche conclusion, soulignent la versatilité de la notion, les imprécisions scientifiques qui l’entourent, l’instrumentalisation dangereuse de la science au service d’idéaux eux-mêmes incertains et discutables.

    Ces jugements sévères avertissent le lecteur : on ne trouvera pas ici trace de la bouillie bien-pensante qui fait du mot un fétiche, suggérant comme par magie la solution au problème posé (« préserver la biodiversité », réponse pauvre à une vraie question, celle de « l’érosion de la biodiversité »). Toutefois, le livre ne relève pas du genre de la polémique. On pourra le dire sceptique, mais certainement pas polémique. Car à côté des jugements sévères portés ici où là, les auteurs (y compris les auteurs des propos cités) fournissent des clés interprétatives précises, qui laissent en définitive au lecteur la responsabilité de juger et invitent à éviter les simplifications. Les directeurs du livre reconnaissent que leur « scepticisme initial » a été partiellement battu en brèche : le thème de la biodiversité, disent-ils, a joué le rôle d’un puissant stimulant scientifique, tandis qu’il a stimulé « la conscience écologique du grand public ». Tous les auteurs du volume font d’ailleurs le même constat : un mot somme toute vague et mal défini d’un point de vue scientifique s’est révélé fécond du double point de vue de la connaissance et de la pratique sociale.

    &&&&&

    Par-delà les crispations sur un mot fétiche, il me semble que ce livre fournit des réponses claires à trois grandes questions au sujet de la biodiversité, que je nommerai par commodité « scientifique », « épistémologique » et « pratique » : Quel concept scientifique de biodiversité ? Quel genre de science ? Quels enjeux sociaux, politiques et éthiques ?

    La question scientifique est sans aucun doute la plus délicate. Il n’y a consensus ni sur le contenu du concept de biodiversité, ni sur sa mesure. Toutefois une littérature savante considérable s’est accumulée depuis 1950 environ, c’est-à-dire bien avant que le mot de « biodiversité » ne s’impose. De ces débats passionnants – et difficiles –, on peut retenir deux sortes d’hésitation. L’une a trait aux niveaux de description adéquats de la biodiversité. En général on retient trois niveaux : biodiversité génétique, biodiversité spécifique (c’est-à-dire richesse et variété des espèces), biodiversité écologique (écosystèmes ou niveaux supérieurs, comme le paysage). On trouvera dans l’ouvrage des avis divergents sur le niveau de biodiversité le plus important : gène, espèces, écosystème, pour l’essentiel. Tous les auteurs reconnaissent qu’il est important d’appréhender la biodiversité à des échelles variées. Mais certains insistent sur le niveau spécifique, car c’est celui où les mesures sont les plus aisées, celui qui est sans doute le plus important du point de vue des processus et des effets de l’évolution, et celui aussi, si l’on en croit les auteurs, qui fournit les repères les plus vérifiables pour le débat gestionnaire et politique sur la biodiversité (par exemple Elena Casetta, qui plaide pour maintenir le concept d’espèce en dépit de son ambiguïté ; Anouk Barberousse et Sarah Samadi, qui insistent sur la nécessité de renouveler les outils de l’identification et de la nomenclature pour répertorier la biodiversié spécifique). D’autres, écologues professionnels, mettent l’accent sur le niveau écologique, et soulignent l’importance scientifique et gestionnaire de la notion de « redondance » ou « vicariance » fonctionnelle de certaines espèces dans des écosystèmes donnés (par exemple Patrick Blandin).

    En étroite relation avec le problème des niveaux de biodiversité, quasiment tous les auteurs soulignent à quel point les écologues ont hésité sur les indices adéquats de diversité biologique. Faut-il mesurer le nombre des espèces (dans un espace donné), la variété de composition, la complexité (réseaux des interactions), la stabilité ou au contraire l’évoluabilité (evolvability, ou capacité à évoluer) ? Les écologues se sont largement inspirés sur ces questions de travaux antérieurs de statisticiens, économistes, théoriciens de l’information, pour qui la question de la mesure de la diversité d’une collection de données (ou d’acteurs) a depuis longtemps été l’objet d’une littérature technique abondante et souvent contre-intuitive. Patrick Blandin, dans son magistral chapitre initial, procède à une revue critique de ce genre de littérature sur soixante ans environ. Il fait un constat intéressant : avant l’apparition du mot « biodiversité », les définitions opératoires de la diversité biologique ont principalement tourné autour des notions de diversité (stricto sensu, par exemple nombre d’espèces, nombre de variants génétiques, etc.), de complexité (réseaux d’interactions trophiques en particulier) et de stabilité – la stabilité semblant aller avec de plus hauts degrés de complexité. Après l’apparition et la diffusion massive du mot « biodiversité » (donc en gros à partir de la fin des années 1980), les écologues se sont davantage intéressés aux rôles fonctionnels des espèces dans les ensembles écologiques dont ils font partie : à quel point peut-on dire qu’une espèce joue un rôle essentiel ou non pour la stabilité d’un écosystème ? Quel est ce rôle ? Et si un tel rôle est avéré, une espèce est-elle remplaçable par une autre dans ce rôle ? Une autre question méthodologique importante est enfin évoquée par certains auteurs (notamment Frédéric Gosselin). Convient-il de mesurer la biodiversité (locale ou globale) en termes relatifs ou en termes absolus ? Frédéric Gosselin plaide pour une prise en compte de l’abondance absolue, car c’est le facteur principal à considérer lorsqu’on veut évaluer le risque d’extinction d’une espèce.

    Les discussions nombreuses du livre sur la signification scientifique du terme « biodiversité » et sur la mesure de la biodiversité constituent sans doute sa part la plus technique. On trouvera ici une information remarquablement décantée. Ce sont, on s’en doute, les auteurs écologues de profession qui ont privilégié ce sujet. Je voudrais signaler que je n’ai guère observé de désaccords profonds, mais plutôt une conscience aiguë de la difficulté des problèmes. Ceci atteste que les scientifiques ne sont pas restés les bras croisés. Les problèmes, les méthodes, les théories ont incontestablement avancé. Bien sûr, une fois ce constat fait, le paysage conceptuel apparaît comme singulièrement complexe, au point que le mot même de « biodiversité » peut apparaître comme un obstacle, car trop vague et trop simple. Je n’ai pas eu cependant l’impression que les auteurs, surtout les auteurs scientifiques, plaidaient massivement pour un abandon pur et simple du terme. Comme les mots « espèce », « écosystème », « environnement », « évolution », celui de « biodiversité » renvoie à une réalité complexe. La multitude des sens, des mesures, des méthodes d’étude n’est sans doute pas une bonne raison de l’abandonner. Il en va un peu de même que pour le terme de « matière » en physique. Bien sûr, il n’y a pas de concept précis de la « matière » dans la physique contemporaine, mais on n’imagine guère les physiciens ne jamais utiliser le mot.

    Tous les auteurs ont été manifestement préoccupés par ce que j’appelle la question épistémologique. Quel genre de science l’étude de la biodiversité produit-elle ? Je serai plus bref sur cette question, non parce qu’elle est moins intéressante, mais au contraire parce qu’elle donne lieu à une évaluation convergente de l’ensemble des auteurs. De la première à la dernière page de l’ouvrage revient la même interrogation : la biodiversité est-elle le nom d’un concept scientifique ou d’une notion populaire ? Patrick Blandin pose la question en ces termes : « Le mot biodiversité ne serait-il qu’un mot de passe utilisé par les scientifiques pour alerter le monde politique et en obtenir des crédits, ou a-t-il été le catalyseur d’une nouvelle approche scientifique du monde vivant ? » Vincent Devictor fait une proposition radicale à cet égard : confrontée à la biodiversité, l’écologie est « une science qui n’a plus rien à voir avec la science moderne du début de l’écologie scientifique ». C’est, dit-il, une technoscience fortement médiatisée et politisée. Dans le même sens, et plus radicalement encore, Christian Lévêque, dont on a déjà noté la sévérité à l’égard des « mythologies » et « dénis de réalité » qui accompagnent les discours contemporains sur la biodiversité, conclut sa contribution en ces termes : « La question de la biodiversité n’est plus du ressort exclusif des sciences de la vie », elle est désormais du ressort principal des sciences sociales. Enfin, dans leur conclusion, Elena Casetta et Julien Delord n’hésitent pas à dresser une comparaison historique entre l’eugénisme et la nébuleuse scientifique aujourd’hui mobilisée autour de la sauvegarde de la nature. Dans les deux cas, écrivent-ils, des théories scientifiques sont instrumentalisées au service d’idéaux qui ont peu à voir avec la science. Cette comparaison, si elle n’est pas dénuée de sens du point de vue d’un régime de fonctionnement idéologique, est sans doute à manier avec prudence, car à ce jour, me semble-t-il, on ne peut imputer aux défenseurs de la biodiversité des exactions comparables avec celles auxquelles a mené l’eugénisme. Quoi qu’il en soit, les « sciences de la biodiversité » et plus encore les « sciences de la conservation » ont un statut épistémologique qui tranche avec les disciplines biologiques traditionnelles : on peut parler à leur égard d’une « transdiscipline » (Denis Couvet et Jean-Christophe Vandevelde) ; comme bon nombre de secteurs majeurs de recherche scientifique contemporaine, cette transdiscipline enveloppe des enjeux économiques, éthiques, politiques de premier plan. On pourrait faire ici un parallèle avec les technologies convergentes (NBIC) [1]  : résultant de plusieurs niveaux de convergence disciplinaire, et visant à réaliser des objectifs atteignables, les sciences de la biodiversité sont sans doute un exemple parmi d’autres d’une science moderne dans laquelle le faire (la production d’effets dont l’incidence pratique est immédiate) prend le pas sur le connaître.

    Reste la question pratique, celle des enjeux économiques, éthiques et politiques. Je préfère ici l’expression d’« enjeux sociétaux », ce terme d’apparence anodine et « bien-pensant » ayant toujours été mis au service de visées de gouvernance, dans le meilleur des cas, et de manipulation de l’opinion, dans le pire des cas. Je voudrais retenir ici deux propositions remarquables de cet ouvrage, qui viennent à la fin de celui-ci, comme pratiquement toujours dans des livres de réflexion sur la science et la technologie : le social, l’éthique, le politique à la fin, sans doute parce que c’est à ce niveau que les questions les plus complexes et les plus ouvertes se posent. Yves Meinard et Julien Mestrallet nous invitent à considérer la biodiversité comme un bien public, c’est-à-dire, dans le langage des économistes, un bien dont l’utilisation est non rivale (un bien, comme l’air, dont la consommation ne prive pas les autres de ce bien) et non exclusive (en gros, un bien qui, une fois produit, profite à tout le monde). Un bien public est différent d’un « bien commun » qui, lui, est non excluable mais rival. L’eau douce, les ressources marines, une forêt sont des biens communs (des biens à gestion partagée). La qualité de l’air, la biodiversité, la situation climatique mondiale sont considérées par les économistes comme des biens publics, et en l’occurrence des biens publics d’une sorte particulière – les biens publics mondiaux. La proposition de Meinard et Mestrallet est de renoncer à traiter ce bien public qu’est la biodiversité dans les termes standards de la théorie économique. Ces auteurs invitent à penser de manière ouvertement normative : dire que la biodiversité est un bien public, c’est porter un jugement sur « la manière dont nous devons nous comporter par rapport à notre environnement naturel ». Ce faisant, estiment-ils, on relativise l’abstraction et le caractère polysémique de la notion de biodiversité. En tant que philosophe, je qualifierai volontiers les notions que Meinard et Mestrallet ont du bien public et de la biodiversité comme des notions régulatrices susceptibles d’aider les agents à définir leurs objectifs, leurs moyens et leurs pratiques.

    Notons enfin la proposition faite par Denis Couvet, éminent spécialiste de la biologie de la conservation, et Jean-Christophe Vandevelde, secrétaire scientifique de l’IPBES (Plate-forme scientifique et politique intergouvernementale sur la biodiversité et les services de l’écosystème). Prenant pour objet de réflexion les interfaces science/société impliquées dans les problèmes de biodiversité, ils attirent l’attention sur l’hétérogénéité des « ordres de justification » utilisés par les acteurs sociaux pour justifier leur action en matière de biodiversité – par exemple « l’ordre industriel » (performance d’une pratique du point de vue de la production), l’ordre marchand (en quoi la pratique est-elle source d’échange économique), l’ordre « inspiré » (valeur symbolique ou esthétique), etc. En appliquant cette grille d’analyse sociologique, ils montrent que, non seulement les évaluations des acteurs divergent selon la forme de justification utilisée, mais qu’elles divergent aussi selon le problème écologique soulevé (par exemple : valeur des espèces menacées, valeur de la biodiversité ordinaire – celle qui n’est pas affectée par les activités humaines –, projets d’aménagement, etc.). Ce genre de travail, inspiré par des méthodes sociologiques éprouvées [2] , montre que la notion de biodiversité n’est pas moins complexe d’un point de vue sociologique qu’elle ne l’est dans la recherche scientifique fondamentale. Ce n’est pas le moindre mérite de l’ouvrage rassemblé par Elena Casetta et Julien Delord que d’avoir réussi à embrasser un tel éventail de questions, toujours avec courage et avec rigueur.


    Notes du chapitre

    [1] ↑  Converging Technologies  : nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information, technologies cognitives.

    [2] ↑  L. Boltanski & L. Thévenot, De la justification : les économies de la grandeur , Paris, Gallimard, 1991.

    Introduction. Diversités théoriques et empiriques de la notion de biodiversité

    Philippe Huneman

    Philippe HUNEMAN est directeur de recherche à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (CNRS/Université Paris I Sorbonne). Philosophe de la biologie, il travaille sur des questions liées aux modalités explicatives de la biologie de l’évolution et de l’écologie, sur le statut de la sélection naturelle, sur le concept d’émergence et sur l’individualité biologique. Auteur de nombreux articles sur ces sujets dans de revues académiques, il a publié Métaphysique et biologie : Kant et la constitution du concept d’organisme (Paris, Kimé, 2008) et dirigé Functions : selection and mechanism (Springer, Synthese Library, 2013), et avec Frédéric Bouchard, From groups to individuals (MIT Press, 2013). Il est codirecteur (avec Thomas Heams, Guillaume Lecointre, Marc Silberstein) des Mondes darwiniens. L’évolution de l’évolution (2009 ; nou- velle édition aux Éditions Matériologiques, 2011 ; traduction anglaise chez Springer, à paraître en 2014).

    Parmi les termes d’invention récente dont la fortune lexicale fut rapide et considérable, on peut raisonnablement parier que « biodiversité » vient au premier rang. Inventé en 1985, le terme a en effet très vite conquis des publics divers : écologues au premier chef, puis conservationnistes – la biologie de la conservation étant une discipline finalement presque aussi neuve que le terme « biodiversité » –, puis décideurs politiques, militants écologistes, et enfin médias et grand public tout entier. Rares sont d’ailleurs les termes inventés par des scientifiques qui à la fois conquirent aussi vite le public, et dans le même temps ne perdirent pas totalement le contact avec leur sens originel ou du moins – puisque ce sens, à la lecture des pages qui suivent, va se révéler une affaire bien complexe – l’intention de leurs inventeurs.

    On pourrait comparer en effet « biodiversité » à « ADN » ou « écosystème » … Ces termes d’origine biologique ou écologique ont en effet investi notre langage courant, mais pour féconder souvent des usages plus comiques que réellement instructifs : la première demande sur Google pour ADN (en français) est « ADN de la marque » [1] , la troisième recherche pour « écosystème » est « écosystème numérique » …

    « Biodiversité » a certes conquis les locuteurs francophones ou anglophones, comme l’indique sur la figure 1 sa courbe de croissance de fréquence depuis les années 1980 (les statistiques prennent en compte tous les livres numérisé Google Book, ce qui inclut livres académiques ou populaires) ; mais son sens est resté bien moins métaphorique que celui des deux termes que je mentionnais. Avec toutes les réserves d’usage sur ce genre d’outils, qui ne sont bien sûr pas des attestations définitives mais ont toutefois un intéressant rôle d’indicateur, la croissance du terme « biodiversity » ressemble beaucoup à celle de « climate change », dont l’emploi date des mêmes années (figure 2a). Et curieusement, l’évolution suit une courbe parallèle à celle, deux décennies plus tard, du terme « al Qaeda » – ce qui indique un indéniable succès sémantique, et une concentration majeure d’intérêt (figure 2b).

    Figure 1  –  Évolution des occurrences de « biodiversity »

    D’après Google NGram

    Figure 2

    Évolutions comparées des occurrences de « biodiversity » et « al Qaeda » (3a), et « climate change » (3b) (relativement aux terme « ecology » lui-même, et à deux termes plus techniques, « species richness » et « global change ».

    Avant de rentrer davantage dans le sujet, regardons encore les indications grossières que nous donne l’Internet : la première recherche annoncée quand on tape « biodiversité en … » (donc la recherche à ce jour la plus demandée, au moins en France) est « biodiversité en danger » ; elle donne autour de 100 000 pages. En anglais, « biodiversity is… » nous renvoie comme première recherche « biodiversity is important » ; quant à « biodiversity loss », ce sont environ 7

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