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Évolution et troubles de personnalité: Pour une compréhension de la maladie mentale par la psychiatrie évolutionniste
Évolution et troubles de personnalité: Pour une compréhension de la maladie mentale par la psychiatrie évolutionniste
Évolution et troubles de personnalité: Pour une compréhension de la maladie mentale par la psychiatrie évolutionniste
Livre électronique336 pages4 heures

Évolution et troubles de personnalité: Pour une compréhension de la maladie mentale par la psychiatrie évolutionniste

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À propos de ce livre électronique

Les théories évolutionnistes peuvent-elles expliquer certaines pathologies de la personnalité ?

L’homme a besoin d’explications. Y compris sur ses propres comportements. Dans les pays occidentaux, les troubles de la personnalité touchent environ une personne sur dix. Pourquoi ces troubles, qui sont pour moitié sous influence génétique, ont-ils persisté dans le temps et n’ont pas été éliminés au cours de l’évolution humaine ? Y aurait-il eu, dans un lointain passé, un bénéfice pour les individus ou plus largement pour les groupes à maintenir ces troubles ? Et si oui, lesquels ?

Dans ce livre, l’auteur apporte des éléments de réponses à ces questions en se basant sur la psychiatrie évolutionniste, discipline nouvelle qui tente d’intégrer la dimension évolutionniste dans la compréhension de la maladie mentale. Mais il va au-delà de cette discipline en cherchant une explication au niveau du groupe et pas seulement de l’individu. Inenvisageable il y a encore une quinzaine d’années, la sélection naturelle au niveau du groupe est désormais reconnue comme un des moteurs possibles de l’évolution. Ainsi, selon l’auteur, les individus atteints par ce qu’on considère aujourd’hui comme un trouble de personnalité auraient joué un rôle déterminant dans la structuration des groupes d’Homo sapiens. Par exemple, la personnalité dépendante – ce besoin d’être pris en charge par les autres – aurait permis le maintien d’une forme d’altruisme non « institutionnalisé » par la société et indispensable à la survie des groupes. Ou encore la personnalité schizotypique, avec ses visions et hallucinations, aurait facilité la compréhension de l’« autre monde », permettant d’éviter à chaque membre du groupe d’affronter ces angoissants mystères, et se serait ainsi posé comme précurseur de l’homme religieux.

Cet ouvrage de référence souligne les articulations entre psychologie du comportement et sélection naturelle.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE 

- "La psychiatrie évolutionniste est une discipline récente qui  tente d’intégrer la dimension évolutionniste dans la  compréhension de la maladie mentale. La sélection naturelle  au niveau du groupe est désormais reconnue comme un des  moteurs possibles de l’évolution. Ainsi, selon l’auteur, la  personnalité obsessionnelle compulsive aurait permis la  persistance d’une certaine vigilance vis-à-vis des dangers  extérieurs."  (Anne Fornoville-Dubois, Psychologos, 3/2014)
- "L’ouvrage de Dragoslav Miric [...] est dans la "littérature" médicale francophone un des rares représentants du courant de la psychiatrie darwinienne ou évolutionniste. Évolution et troubles de personnalité permet ainsi au lecteur français de prendre la mesure de ce courant qui replace la psychopathologie dans une perspective darwinienne (sur fond de sélection naturelle des groupes donc)." (Arthur Mary, Lectures.revues.org)
LangueFrançais
ÉditeurMardaga
Date de sortie10 juin 2014
ISBN9782804702267
Évolution et troubles de personnalité: Pour une compréhension de la maladie mentale par la psychiatrie évolutionniste

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    Aperçu du livre

    Évolution et troubles de personnalité - Dragoslav Miric

    Introduction

    Les troubles de la personnalité se rencontrent fréquemment. Tous troubles confondus, ils touchent à peu près un dixième de la population dans les pays occidentaux, cette prévalence étant un peu moindre à l’échelle mondiale. Pourquoi?

    Pourquoi certains d’entre nous sont-ils obsessionnels ? Antisociaux ? Paranoïaques ? Pourquoi d’autres ont-ils des pensées étranges ? Pourquoi d’autres encore veulent-ils être, en toutes circonstances, le centre de l’attention ou au contraire limitent-ils leurs interactions avec autrui au minimum?

    Les tentatives d’explications, souvent issues des théories du développement de la personnalité, ne manquent pas : culturelles, psychanalytiques, biologiques, génétiques, cognitives, sociales, behavioristes… Elles sont la plupart du temps mutuellement exclusives et leurs promoteurs, publiant des études méthodologiquement irréprochables dans des revues de plus en plus spécialisées, communiquent très peu entre eux.

    Le débat sans fin entre la part de l’acquis et celle de l’inné dans l’édification et le développement d’une personnalité, normale comme pathologique, semble heureusement s’apaiser peu à peu. La participation à peu près égale des facteurs génétiques et environnementaux (pris au sens large), ainsi qu’une interaction permanente entre ces facteurs est maintenant reconnue par la plupart des auteurs.

    Cet essai, qui ne prétend pas proposer un nouveau modèle explicatif global mais plutôt apporter un éclairage différent sur l’origine de ces troubles, s’intéressera avant tout à leur composante génétique. En effet, comment, et surtout pourquoi, de tels troubles ont-ils pu se transmettre d’une génération à l’autre au cours de l’évolution humaine alors que, par définition, ils entraînent un handicap social important?

    Une discipline nouvelle, la psychiatrie évolutionniste, appelée aussi darwinienne, tente de résoudre ce problème en expliquant que les individus présentant certains de ces comportements, à l’instar de ce qui existe pour d’autres pathologies mentales, auraient pu être tout à fait adaptés à l’environnement ancestral, mais ne le seraient plus à l’environnement moderne.

    En se servant de ce modèle, le point de vue exposé dans ce livre est à la fois opposé et complémentaire : c’est la société, le groupe, et non l’individu, qui bénéficie – ou plutôt a bénéficié-– de ces troubles de la personnalité. D’emblée cette proposition peut apparaître choquante, ou au minimum contre-intuitive. Quel bien un paranoïaque peut-il faire à un groupe ? Comment la société peut-elle profiter de ses antisociaux ? Quel bénéfice une communauté peut-elle tirer d’un comportement hystérique ou obsessionnel?

    On verra combien il est important de resituer notre place dans l’évolution pour que cette proposition prenne son sens. En effet nos sociétés actuelles, en particulier occidentales, ne ressemblent en rien à ce qu’étaient les groupements humains avant la domestication des plantes et des animaux et la création consécutive des cités-État. Citadines, énormes en nombre de personnes, souvent très individualistes, elles sont en tout point opposées aux groupes de quelques dizaines de chasseurs-cueilleurs nomades, solidaires par nécessité, qui existaient jusqu’alors. La formation de ces groupes, l’ajustement nécessaire, comme dans toute espèce sociale, entre les différents membres qui les composaient, se sont effectués sur plusieurs centaines de milliers d’années, alors que nos sociétés modernes ne datent que de quelques siècles, au plus quelques millénaires. C’est-à-dire que 99 % de notre évolution s’est déroulée dans un environnement complètement différent de celui que nous connaissons actuellement.

    Or la sélection naturelle, qui sera l’un des principaux cadres de référence de ce livre, aboutissant, très schématiquement, aux individus les mieux adaptés à leur milieu, s’exerce sur le long terme. La probabilité est donc grande que les caractéristiques, en particulier comportementales, retrouvées chez Homo sapiens, aient été forgées par ces centaines de milliers d’années d’évolution (Homo erectus qui représente le début du processus d’hominisation était présent il y a presque deux millions d’années – vingt mille siècles¹ !) plutôt que par les cinq mille ans de la période historique, et donc aient été plus adaptées au milieu des chasseurs-collecteurs vivant en petits groupes qu’aux concentrations urbaines d’aujourd’hui.

    Les critères utilisés pour définir les troubles de la personnalité seront ceux de la Classification Internationale des Maladies (dixième édition) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), connue sous le sigle CIM 10, et surtout ceux du DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, quatrième édition), manuel spécifiquement orienté vers les pathologies mentales, et largement utilisé dans le monde entier. De nombreuses critiques peuvent être portées à leur encontre, mais l’avantage de ces outils est qu’ils sont descriptifs, issus de données statistiques, et ne proposent pas d’explication quant à l’origine (l’étiologie) des pathologies mentales. Ainsi les définitions des troubles de la personnalité de ces ouvrages, lorsqu’elles sont acceptées, permettent à ceux qui s’intéressent à l’origine des troubles mentaux, de parler de la même chose à partir d’un matériau commun. Cela revient à dire qu’il y aura le moins possible de distorsion diagnostique, d’approximation, de construction ad hoc pour faire entrer le trouble de personnalité dans le cadre fixé, pourtant très rigide.

    Cet essai est divisé en trois parties. La première partie est consacrée à préciser le contexte évolutionniste dans lequel se situe cet ouvrage : une présentation générale de la psychologie et de la psychiatrie évolutionnistes sera d’abord effectuée, car cette approche particulière n’est quasi jamais abordée dans les traités francophones ni même anglophones de psychiatrie; ensuite une tentative de reconstruction des rapports sociaux dans l’environnement ancestral sera proposée à partir des informations, issues de différentes disciplines, dont on dispose actuellement. Enfin sera examinée la question centrale de la particularité des groupes humains. La deuxième partie débutera par une présentation schématique de la conception des troubles de la personnalité aujourd’hui. Ensuite, chaque chapitre traitera d’un type de personnalité pathologique selon un même plan, et sera principalement axé sur le bénéfice qu’a pu en tirer le groupe, raison d’être de cet essai. La troisième partie sera consacrée aux principales critiques et questions induites par ce travail : comment un trouble de la personnalité peut-il être « hérité » de nos lointains ancêtres ? Le groupe peut-il être la cible de la sélection naturelle ? L’homme étant un être de culture, quelle part celle-ci jouet-elle ou a-t-elle joué ? N’est-ce pas l’éducation parentale, ou bien alors l’environnement actuel, ou les deux, qui sont à l’origine des troubles de la personnalité ? N’existe-t-il pas, d’un point de vue évolutionniste, d’autres alternatives ? Enfin, en conclusion, comment tester cette hypothèse et quelles perspectives ouvre-t-elle?

    En tentant d’apporter un éclairage différent sur la rigidité parfois extrême de certains comportements, cet essai emprunte, inévitablement de manière superficielle, à un grand nombre de disciplines, comme l’anthropologie, la génétique, la primatologie ou les sciences sociales, sans oublier bien sûr la psychiatrie et la psychologie. Que les lecteurs spécialisés pardonnent les insuffisances, les approximations et les carences qu’ils ne manqueront pas de relever ici et là… Et que les moins initiés y trouvent – souhaitons-le – des informations et des pistes de réflexion stimulantes !


    1. Certains toutefois proposent de réserver le terme d’Homo erectus à ceux qui ont essaimé à partir de l’Afrique et d’utiliser le terme d’Homo ergaster pour ceux restés sur le continent africain. Notre propos n’est certes pas ici d’entrer dans ces débats de spécialistes, mais, pour que l’information du lecteur soit complète, voici ce qu’en dit Jean-Jacques Hublin, de l’Institut d’anthropologie évolutive Max Planck à Leipzig : « Quel est le premier homme qui quitta l’Afrique ? Trois variantes du scénario apparaissent ici. Selon une première hypothèse, une espèce humaine encore inconnue mais proche d’Homo habilis aurait quitté le continent africain et serait à l’origine d’Homo ergaster en Afrique et d’Homo erectus en Asie. Un deuxième scénario fait sortir du continent Homo ergaster, qui aurait évolué vers Homo erectus stricto sensu seulement en Asie. Une troisième version, de plus en plus largement reprise, juge que le nom d’Homo ergaster est quelque peu abusif et que les fossiles désignés ainsi en Afrique ne sont que les plus anciens Homo erectus. Après être apparus en Afrique, ceux-ci auraient conquis l’Eurasie pour connaître ensuite un sort différent selon les régions. » Voir Hublin, J.-J. & Seytre, B. (2008; 2e éd. 2011). Quand d’autres hommes peuplaient la terre : nouveaux regards sur nos origines. Flammarion. Paris.

    PREMIÈRE PARTIE

    Quel cadre évolutionniste?

    Chapitre 1

    Psychologie et psychiatrie évolutionnistes

    Chaque être vivant obéit à deux nécessités : survivre et se reproduire. De la plus simple des plantes ou des bactéries jusqu’à nous, le même impératif est à l’œuvre. Ce qui nous distingue de ces formes simples du vivant, c’est la complexité de notre organisation, qui n’est pas, elle, une obligation. Pourquoi cette complexification, cette « évolution » ? Une des hypothèses avancées est celle d’une « course aux armements » entre les organismes, qui seraient obligés d’augmenter leurs potentiels défensif et offensif pour survivre et se reproduire (par exemple dans Brüne, 2008). La notion d’évolution des êtres vivants date de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, avec Buffon et Lamarck en particulier. Il revient à Darwin d’avoir proposé en 1859 un mécanisme pour expliquer cette évolution : la sélection naturelle. C’est dans ce premier cadre extrêmement général que se situent la psychologie et la psychiatrie évolutionnistes.

    Ces deux disciplines appliquent le principe darwinien de la sélection naturelle à l’esprit humain. L’esprit est considéré comme l’activité du traitement de l’information par le cerveau (Pinker, 1997). Nos capacités cognitives, nos émotions et nos comportements, ce qui fait notre esprit, est en dernière analyse réductible à l’activité de notre cerveau. Et celui-ci est, comme n’importe quel organe du corps, l’aboutissement d’une adaptation, la meilleure (ou la moins mauvaise) possible, à son environnement, par le biais de la sélection naturelle.

    Le cerveau humain, qui contient environ 100 milliards de neurones et 100 000 kilomètres de câblage, est probablement l’organe le plus complexe ayant jamais évolué. Il représente 2 % du poids du corps mais consomme 20 % de l’énergie totale, ce qui demande une explication particulière, car les processus physiologiques sont plutôt parcimonieux en général. Les avantages évolutifs procurés à l’organisme tout entier par ce gros consommateur d’énergie doivent donc être largement supérieurs aux coûts qu’il engendre (voir en particulier Brüne, 2008).

    Les premiers neurones, qui sont à la base de tout système nerveux, sont apparus chez certains poissons il y a 500 millions d’années. Ils ont ensuite évolué en organes structurés de manière hiérarchique, les cerveaux. On peut « lire » dans le cerveau humain, comme dans celui de tous les mammifères, notre histoire évolutive. Il revient à Mac Lean (1990), dans les années 1960, d’avoir proposé la division du cerveau en trois couches qui correspondent à leur émergence au cours de l’évolution : cerveau reptilien, paléo-mammalien et néo-mammalien.

    La couche la plus profonde correspond au cerveau reptilien. C’est évidemment la couche la plus ancienne. Les structures qui la composent sont responsables des fonctions fondamentales de régulation de la respiration, de la température et du cycle veille-sommeil par exemple. Mais elles sont aussi le siège de comportements sociaux ritualisés comme la sexualité ou la chasse. Globalement elles sont responsables de comportements assez rigides.

    La couche intermédiaire est le siège du cerveau paléo-mammalien, qui régule les émotions fondamentales comme le comportement maternel (« l’instinct maternel »), la peur et la colère. C’est le cerveau de la « connaissance affective ».

    Enfin la couche superficielle est représentée par le cerveau néomammalien ou néocortex. C’est celui qui a profité des changements les plus importants au cours de l’évolution humaine. C’est principalement au bénéfice de sa partie frontale (le cortex préfrontal en particulier) qu’il s’est développé. Or c’est notre cerveau social. C’est celui qui permet l’anticipation et la programmation de l’action à venir, qui nous rend aptes à comprendre et analyser des situations complexes, qui nous incite à contrôler nos pulsions et à réfléchir avant de passer à l’action. Un patient atteint d’un syndrome frontal, terme faisant référence aux symptômes secondaires aux dysfonctionnements du cortex préfrontal, quelle qu’en soit l’origine (traumatisme crânien, accident vasculaire, tumeur, maladie neurodégénérative), est, à des degrés divers, soit très apathique, incapable de planifier même une action proche et très simple comme de porter une cuillère à sa bouche, ou bien très agressif, verbalement comme physiquement, vis-à-vis de ses proches comme de ses soignants. La désinhibition sexuelle (pelotage ou propositions salaces), la désinhibition vis-à-vis de la nourriture (goinfrerie, utilisation des mains pour manger dans une société où ce n’est pas la règle), la désinhibition verbale (insultes, grossièreté, chez une personne jusque-là polie) sont fréquentes. Il est intéressant de noter que cette « perte de contrôle » des structures plus anciennes phylogénétiquement s’accompagne souvent de la réapparition de réflexes archaïques comme le grasping ou réflexe d’agrippement (voir infra). Le cas emblématique de cette corrélation entre la partie préfrontale du cerveau et notre comportement social est celui du désormais célèbre Phineas Gage, décrit initialement par Harlow (1848), puis par Damasio dans L’erreur de Descartes (1994). Cet ouvrier, travaillant à la construction d’une ligne de chemin de fer en Amérique dans les années 1850, était considéré par ses pairs et ses employeurs comme un modèle, tempérant, poli avec son entourage, etc. À la suite d’une explosion de chantier, une barre à mine a pénétré dans son crâne par son orbite gauche et en est ressortie par le sommet de son crâne de manière presque verticale. Aucune partie vitale ou fonctionnelle motrice du cerveau n’ayant été atteinte, malgré l’importance du traumatisme, le patient survécut, qui plus est sans dommage majeur apparent. Un miracle ! Pourtant cet ouvrier modèle, est rapidement devenu grossier, alcoolique, sale, l’opprobre de sa petite communauté. La barre à mine avait justement détruit son cerveau social, celui qui lui avait permis des années durant de vivre en harmonie avec les autres.

    L’une des thèses centrales de la psychologie et de la psychiatrie évolutionnistes est que le cerveau (et donc l’esprit) a évolué pour résoudre les problèmes rencontrés par nos ancêtres chasseurs-cueilleurs durant ce que John Bowlby (1969), psychiatre anglais, a appelé, dans les années 1960, l’EEA, terme fréquemment rencontré dans les écrits évolutionnistes. L’EEA est l’acronyme de Evolutionary Environment of Adaptedness. L’expression est difficile à adapter en français. Le traducteur de Bowlby propose « Environnement d’adaptétude évolutionniste ». Françoise Parot, la traductrice de « Psychologie évolutionniste » de Workman et Reader (2007) suggère quant à elle « Environnement de l’Évolution Adaptative », qui est probablement la moins mauvaise approximation, mais ces deux expressions ne signifient pas grand-chose en français. Aussi se contentera-t-on du terme moins précis d’« environnement ancestral », tout en utilisant parfois l’expression d’EEA. Cette désignation met en évidence que nos comportements, comme nos émotions et nos capacités cognitives, sont le fruit d’une évolution et d’une adaptation au milieu dans lequel Homo sapiens, et plus généralement le genre Homo, a existé, c’est-à-dire pendant une période couvrant plus de deux millions d’années (Ma) (voir le chapitre 2) et correspondant à la période géologique appelée Pléistocène. Pour beaucoup pourtant, y compris les psychologues évolutionnistes, cet environnement n’est situé ni en un lieu (Afrique) ni en un temps précis. Il repose sur une fiction (Tooby & Cosmides, 1990a). En effet pourquoi faire commencer l’EEA au moment de l’apparition du genre Homo, alors que – on l’a vu avec la stratification du cerveau – les problèmes adaptatifs rencontrés par nos ancêtres sont bien antérieurs à cette époque. Par ailleurs, géographiquement, il pourrait y avoir eu beaucoup d’EEA en raison de la migration précoce d’Homo erectus en dehors de l’Afrique. On peut, avec Tooby et Cosmides (1990a), considérer que l’EEA est mieux conceptualisée comme un « composite statistique d’aspects variés qui ont duré assez longtemps pour créer des pressions de sélection sur les humains en évolution ».

    LA PSYCHOLOGIE ÉVOLUTIONNISTE

    Les prémices de la psychologie évolutionniste se trouvent déjà chez Darwin dans L’origine des espèces qui date de 1859:

    J’entrevois dans un avenir éloigné des routes ouvertes à des recherches encore plus importantes. La psychologie sera solidement établie sur une nouvelle base, c’est-à-dire sur l’acquisition nécessairement graduelle de toutes les facultés et de toutes les aptitudes mentales, ce qui jettera une vive lumière sur l’origine de l’homme et son histoire. (p. 547)

    On peut faire remonter l’origine de la psychologie évolutionniste moderne à la sociobiologie, discipline développée à partir de l’éthologie (par exemple, Lorenz 1965), et qui a suscité tant de controverses. En 1975 est publiée une monographie de E.O Wilson intitulée Sociobiologie : la nouvelle synthèse. Ce livre posait les fondements d’une approche évolutionniste dans l’étude du comportement. La sociobiologie était définie par Wilson lui-même comme « l’étude systématique des bases biologiques de tout comportement social », et concernait essentiellement les sociétés d’insectes, dont il est un spécialiste reconnu. L’ouvrage ne contenait qu’un seul chapitre destiné au problème du comportement humain, intitulé « L’homme : de la sociobiologie à la sociologie », notion ensuite développée dans L’humaine nature (1978). Mais c’est ce chapitre qui a déclenché un tollé, en particulier en dehors de la communauté scientifique. En effet Wilson fut insulté, traité de raciste, de « prophète du patriarcat conservateur », tant était grande la crainte d’un retour au « darwinisme social », à l’eugénisme, ou à la justification d’idées racistes ou sexistes, qui expliquaient les différences socioculturelles entre les individus en termes de différences biologiques (voir Workman & Reader, 2007). Le sujet est d’ailleurs toujours sensible.

    Aussi la notion de psychologie évolutionniste, plus « politiquement correcte », a-t-elle succédé à celle de sociobiologie. Par exemple une revue comme Ethology and Sociobiology a pris, à partir de 1996, le nom plus acceptable de Evolution and Human Behavior. Ses principaux promoteurs furent John Tooby et Lea Cosmides au début des années 1990. Dans The Adapted Mind, (L’esprit adapté; Barkow et al. 1992), la proposition centrale est la suivante : l’esprit – et son support physique, le cerveau – n’est pas, à la naissance, une cire vierge, une page blanche, sur laquelle va s’inscrire l’expérience de l’individu, modelée par l’apprentissage parental et sociétal. Ce n’est pas la « tabula rasa », l’ardoise vierge de Locke. Le nouveau-né présente des réflexes archaïques, testés à la naissance, connus depuis longtemps, disparaissant par la suite et qui témoignent de notre phylogénie de primates. C’est le cas par exemple du grasping, ou réflexe d’agrippement, qui permettait au nouveau-né de s’agripper à la toison de sa mère. Quiconque a soulevé un nouveau-né en glissant ses index à l’intérieur de ses minuscules paumes peut témoigner de la force de préhension incroyable qu’il développe. Et il en va de même du réflexe qui lui fait orienter son visage vers le stimulus buccal permettant ainsi la tétée. Bowlby (1969) avait déjà montré dans les années 1950 que les liens entre la mère et l’enfant étaient de nature instinctuelle et non secondaires à une forme d’apprentissage, ce qui était considéré comme la règle jusque-là. Pour la psychologie évolutionniste, comme pour les disciplines qui y sont associées, l’éthologie et l’écologie comportementale, le cerveau humain est préadapté aux situations rencontrées dans l’environnement ancestral permettant par exemple, comme chez les autres animaux, d’identifier la nourriture comestible, chercher un partenaire, élever ses enfants, reconnaître les cris d’alarme ou les tendances agressives chez autrui (Tooby & Cosmides, 1990 b).

    Toutes ces préadaptations sont encore, à quelques nuances près, présentes dans le monde contemporain. De même, on le verra dans le chapitre suivant, presque toutes se rencontrent chez les grands singes anthropoïdes vivant en société, ce qui témoigne d’une grande constance phylogénétique. Il est fort peu probable que de notre ancêtre commun jusqu’à nous, chaque individu de chaque génération ait développé l’ensemble de ses connaissances sur son environnement uniquement à partir de mécanismes d’apprentissage !

    Pour un grand nombre de psychologues évolutionnistes (mais pas tous), l’esprit fonctionnerait de manière modulaire. Chaque préadaptation correspondrait à un « module » issu d’un « algorithme darwinien préstructurant l’expérience selon des dimensions adaptatives variées » (Gayon, 2007). Ainsi, pour les psychologues évolutionnistes et modularistes, il existerait entre quelques centaines et deux ou trois mille modules mentaux innés. Cette idée de structure modulaire de l’esprit, selon laquelle à chaque module correspondrait un trait adaptatif complexe, n’est pas nouvelle. Ce concept a évolué depuis la « phrénologie » de Franz Gall. Ce médecin allemand ayant vécu à cheval sur les XVIIIe et XIXe siècles avait développé une théorie selon laquelle les irrégularités du crâne (bosses) étaient l’expression des « organes » spécialisés sous-jacents, comme celui du besoin d’être approuvé ou celui du goût pour les bonnes boissons (Gayon, 2007). Dans la première moitié du XXe siècle, cette conception se poursuit et s’amplifie chez Jung (1954) avec l’hypothèse des archétypes, fonctionnant comme « des unités neuropsychiques ayant évolué par le mécanisme de la sélection naturelle et responsables des caractéristiques comportementales ainsi que des expériences affectives et cognitives typiques des êtres humains » (dans Stevens & Price, 1996, p. 6). Les idées de Jung sont ainsi très proches des propositions de la psychologie évolutionniste actuelle, et pourtant cet auteur est bien peu cité en ce domaine. Au début des années 1980, un philosophe, Jerry Fodor, a publié un livre qui a eu un grand retentissement, intitulé La modularité de l’esprit. Il considérait que chaque module dont serait constitué l’esprit humain pourrait être responsable d’un aspect particulier du comportement. Proche de cette notion est celle d’« organes cérébraux » de Noam Chomsky (1980). Par la suite les psychologues évolutionnistes ont considéré que chacun de ces modules avait pu répondre à un problème particulier dans l’EEA et donc avoir été la cible de la sélection naturelle. Le fait que le cerveau fonctionne de façon modulaire et non de façon globale est d’après eux lié au fait qu’il n’y

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