Kurdistan : Poussière et vent: L'Âme des Peuples
Par Sophie Mousset
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À propos de ce livre électronique
Les Kurdes sont loups et bergers. Leur sens de l’hospitalité n’a d’égal que leur caractère de montagnards trop souvent contraints par l’histoire de lutter pour leur liberté.
Redoutable défi, donc, que ce petit livre publié à l’heure où le Kurdistan, dans l’ombre de la guerre qui ensanglante la Syrie et l’Irak, s’efforce d’offrir un destin à ce peuple éclaté entre plusieurs pays.
Le Kurdistan est fait d’hommes et de femmes, de pierres, de poussière et de vent. Le soleil et le froid y marquent les corps et les âmes. Mais le Kurdistan n’est pas que tragédie. La danse et le goût de la fête font resurgir la sève des montagnes.
Ce petit livre n’est pas un guide. C’est un décodeur. Il nous raconte, avec les mots de la passion et l’exigence de la vérité, cette société qui apprend aujourd’hui à s’ouvrir. Parce qu’on ne comprend pas le peuple kurde sans l’aimer. Et sans le regarder en face.
Un grand récit suivi d’entretiens avec Frédéric Tissot (La religion n'est pas une composante de l'identité kurde), Nazand Begikhani (L'image de la femme kurde libre est un mythe) et Hiner Saleem (La fierté des Kurdes, c'est le refus de la soumission).
Un voyage historique, culturel et social pour mieux connaître les passions kurdes. Et donc mieux les comprendre.
EXTRAIT
Kurdistan. Dans le coeur et l’âme de ceux qui l’aiment, et surtout de ceux qui en sont faits, cette nation sans État, cette matrie est d’autant plus vivante. Elle irrigue ses montagnes et ses plaines, coule comme son miel et son lait, elle est la sensation de la laine dans la main. Elle roule et gronde sous les pas comme les pierres de ses montagnes, elle fait mûrir le raisin des vergers et se nourrit des figues de Shaklawa ou d’Amadie, celles qui sont si longues à mâcher à l’automne. On ferme les yeux et on se souvient de la truite ou du chabut pêché en famille ou avec des amis. On l’enfile sur une tige, le ventre plein d’oignons, on l’assaisonne de citron et de sumac lors d’un pique-nique familial dans la montagne. On revoit les soeurs préparer longuement les kobbeh, la farce de viande agrémentée d’herbes, d’amandes effilées, de petits raisins hachés, puis la pâte de boulgour façonnée en petits nids au creux des mains.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
- "[...] Belle et utile collection petit format chez Nevicata, dont chaque opuscule est dédié à un pays en particulier. Non pas un guide de voyage classique, mais, comme le dit le père de la collection, un «décodeur» des mentalités profondes et de la culture. Des journalistes, excellents connaisseurs des lieux, ont été sollicités [...]. A chaque fois, un récit personnel et cultivé du pays suivi de trois entretiens avec des experts locaux. - Le Temps
- "Comment se familiariser avec "l'âme" d'un pays pour dépasser les clichés et déceler ce qu'il y a de juste dans les images, l'héritage historique, les traditions ? Une démarche d'enquête journalistique au service d'un authentique récit de voyage : le livre-compagnon idéal des guides factuels, le roman-vrai des pays et des villes que l'on s'apprête à découvrir." - Librairie Sciences Po
À PROPOS DE L'AUTEUR
Sophie Mousset se rend très fréquemment au Kurdistan depuis une quinzaine d’années. Elle vit aujourd’hui près de Nantes et travaille notamment auprès d’organismes kurdes.
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Aperçu du livre
Kurdistan - Sophie Mousset
1998.
Poussière et vent
Kurdistan. Dans le cœur et l’âme de ceux qui l’aiment, et surtout de ceux qui en sont faits, cette nation sans État, cette matrie est d’autant plus vivante. Elle irrigue ses montagnes et ses plaines, coule comme son miel et son lait, elle est la sensation de la laine dans la main. Elle roule et gronde sous les pas comme les pierres de ses montagnes, elle fait mûrir le raisin des vergers et se nourrit des figues de Shaklawa ou d’Amadie, celles qui sont si longues à mâcher à l’automne. On ferme les yeux et on se souvient de la truite ou du chabut pêché en famille ou avec des amis. On l’enfile sur une tige, le ventre plein d’oignons, on l’assaisonne de citron et de sumac lors d’un pique-nique familial dans la montagne. On revoit les sœurs préparer longuement les kobbeh, la farce de viande agrémentée d’herbes, d’amandes effilées, de petits raisins hachés, puis la pâte de boulgour façonnée en petits nids au creux des mains.
Le souvenir a le goût du thé brûlant et loin, loin derrière les yeux, on garde la trace de cette inévitable poussière. Toz u ba¹ : poussière chassée ou dansée par le vent, soulevée des routes sans asphalte, de plus en plus fréquentes, dès que l’on s’éloigne des sentiers battus. Mais au Kurdistan, une autre poussière vous guette toujours : celle de l’histoire. Cette poussière à laquelle nous retournons après notre mort. Celle qui, par la pluie, se transforme en boue lourde et pénible pour nos pas et notre cœur. Parfois, le vent peut aussi se montrer très violent. Les tempêtes ne sont pas rares. La poussière fond « sur nos yeux », ser-tchao ou ser-tchavo, selon que l’on parle kurmanji ou sorani. « Poussière et vent » : ce petit dicton est un haussement d’épaules. Le Kurde résiste au vent comme à la poussière. Car il est fait des deux.
Irréductibles montagnes
Nikitine dit que là où commence la plaine, le Kurde cède la place aux Arabes, aux Turcs, aux Persans et, sur les rives du lac de Van, il s’est retiré devant les Arméniens, mais ce n’est pas tout à fait exact. Il existe de vastes plaines au Kurdistan, en Turquie, autour de Mouch, ou autour d’Erbil en Irak, par exemple. Cependant on peut dire que les Kurdes ont un rapport identitaire avec leurs montagnes.
Je suis une femme de la mer, je me suis pourtant laissée prendre par l’Afghanistan et par le Kurdistan. Le Kurdistan surtout que je connais mieux, dont les montagnes continuent de m’impressionner et de m’inquiéter un peu. Je sais que je n’aurais pas le souffle nécessaire pour les longues marches en altitude. Chaque virage serré me crispe. Les sommets me semblent aussi irréductibles que les habitants. Quelle que soit la saison, leurs couleurs sont inatteignables, car souvent un peu brumeuses. La montagne a forgé le caractère kurde. C’est dans la difficulté d’y vivre que le Kurde a puisé sa sauvegarde et s’est identifié. Il n’est pas seulement kurde, il l’est de telle vallée, de tel clan, de telle famille, fils et petit-fils d’untel et il en est plus que fier ! C’est en maintenant ce caractère irréductible par d’incessantes brouilles qu’il reste Kurde, sans en être dupe, d’ailleurs. Et c’est peut-être ce qui est à l’origine de son sens de l’humour, car les Kurdes n’aiment rien tant, après avoir chanté les beautés de leur montagne, que de se moquer d’eux-mêmes. Et c’est pourquoi on leur pardonne tant. Chamailleurs, poètes, ils savent célébrer le fait d’être en vie. À l’image de ce vers : « Tant que tu ne seras pas devant la montée, tu ignoreras combien la descente est agréable [...]. Les roches les plus dures ne le sont que sur place. »²
Je me souviens d’Azad Chawki, un peintre qui habitait près de Souleymanieh. Je le revois sur son divan, recouvert d’une de ces belles couvertures kurdes traditionnelles à carreaux. Son épouse nous avait offert de délicieux petits gâteaux. Nous sirotions un thé brûlant, lui exprimant notre admiration. L’artiste nous affirma ne peindre les saisons qu’en temps de paix. Et j’ai ri, bêtement, en disant qu’il ne devait pas peindre beaucoup. Il a souri tristement. Azad Chawki, le mélancolique, dont les toiles représentent si bien les maisons basses en pisé, rassemblées ou en terrasses, près des cours d’eau, ponctuées de peupliers, à flanc de coteaux. J’ai deux de ses œuvres, un cadeau particulièrement