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Ardahel le Santerrian
Ardahel le Santerrian
Ardahel le Santerrian
Livre électronique404 pages6 heures

Ardahel le Santerrian

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À propos de ce livre électronique

La puissance des armes et celle de l'esprit. Ces deux forces doivent s'unir face à Vorgrar, l'Esprit Mauvais, qui cherche à imposer sa domination.

A l'origine du Monde d'Ici, et assisté de ses cinq froeurs, Vorgrar était le Guide bienveillant de tous les peuples. Or, sa Pensée devint différente et ainsi naquit le Mal. Ecarté par les siens, déterminé à se venger, il entraîne ses serviteurs dans l'engrenage de la guerre. Devant son pouvoir grandissant, un Prince de Santerre sera appelé à lever le Glaive Nouveau. A ses côtés, une jeune femme aura à lui opposer les ressources insoupçonnées de son esprit. L'affrontement se déroulera dans toutes les dimensions, tant sur les champs de bataille que dans les cœurs.


Fils de simples bateliers ou d'un Roi de légende? Ardahel l'ignore. Tout comme il ne saisit pas la portée du titre de Santerrian qu'on lui impose soudainement. Pourtant, les Sages le chargent d'aller combattre le Maître Sorvak, puissant allié de Vorgrar qui a déjà conquis les lointains Pays du Levant. Confronté à ses interrogations et à ses peurs, Ardahel prend la route avec son ami d'enfance, Loruel de Nulle-Part, appelé lui aussi à jouer un rôle primordial contre l'envahisseur. Ce voyage conduira le Santerrian au coeur du Lentremers... et, surtout, de lui-même.

Ainsi débute l'Elnade, une fabuleuse épopée en quatre volets.
LangueFrançais
ÉditeurDe Mortagne
Date de sortie17 août 2011
ISBN9782896620890
Ardahel le Santerrian

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    Aperçu du livre

    Ardahel le Santerrian - Luc Saint-Hilaire

    Données de catalogage avant publication (Canada)

    Saint-Hilaire, Luc

    L’Eldnade

    Édition revue et augmentée

    (Les Histoires du Pays de Santerre)

    L’ouvrage complet comprendra 4 volumes.

    Les 2 premiers volumes de cette série ont été publiés antérieurement sous le pseudonyme Gouand sous le titre : Le Santerrian. 2005.

    Sommaire : v. 1. Ardahel le Santerrian — v. 2. Loruel l’Héritier.

    ISBN 978-2-89662-089-0 (v. 1)

    ISBN 978-2-89662-088-3 (v. 2)

    I. Gouand. Santerrian. II. Titre. III. Titre : Ardahel le Santerrian. IV. Titre : Loruel l’Héritier.

    PS8613.O79E422 2007

    C843’.6

    C2007-941228-9

    PS9613.O79E422 2007

    Édition

    Les Éditions de Mortagne

    Case postale 116

    Boucherville (Québec)

    J4B 5E6

    Distribution

    Tél. : 450 641-2387

    Téléc. : 450 655-6092

    Courriel : edm@editionsdemortagne.qc.ca

    Tous droits réservés

    Les Éditions de Mortagne

    © Ottawa 2007

    Aspects visuels

    Conception de l’auteur

    Illustration de couverture : Carl Pelletier

    Cartes : dessin de François St-Hilaire, graphisme de Roger Camirand

    Conversion numérique

    Mathieu Giguère, www.studioC1C4.com

    Dépôt légal

    Bibliothèque nationale du Canada

    Bibliothèque nationale du Québec

    Bibliothèque Nationale de France

    3e trimestre 2007

    ISBN : 978-2-89662-089-0

    1 2 3 4 5 — 07 — 11 10 09 08 07

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) et celle du gouvernement du Québec par l’entremise de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour nos activités d’édition. Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Luc Saint-Hilaire

    Les Histoires du Pays de Santerre

    L’Eldnade

    1. Ardahel le Santerrian

    Remerciements

    Je veux remercier tellement de gens que j’ai peur d’en oublier. Voici donc, de façon bien incomplète assurément, quelques personnes dont l’apport a été précieux.

    Mon épouse Hélène, qui facilite à sa manière mes incessants voyages en Monde d’Ici. Mon fils François, qui a fait les magnifiques finaux de mes cartes du Monde d’Ici. Mon chum Roger, à qui je dois de voir tant de mes brouillons devenir si beaux. Paul Bordeleau, illustrateur du manuscrit original dont le génie visuel demeure toujours présent. Olivier Angers, lecteur critique et apprécié. L’équipe des Éditions de Mortagne — Alexandra, Caroline, Carolyn, Marie-Claire, Mathilde, Max, Sandy —, chacune et chacun m’étant si précieux par leur enthousiasme et leur complicité.

    Je tiens surtout à remercier tous les lecteurs qui me font l’honneur de m’accompagner en Pays de Santerre. Vos impressions de voyage sont chaque fois une récompense inestimable.

    À Hélène

    À tous ceux qui savent s’émerveiller

    … J’arrivai alors dans un monde que ses habitants nomment tout simplement le Monde d’Ici. Je fis connaissance avec les Races Anciennes au regard plein de nostalgie, réfugiées dans la mémoire de leur gloire, ne dominant plus que des Ombres Oubliées par le Destin.

    Je fus accueilli par les Basses Races qui sont chargées de moins de pouvoirs et qui sont en apparence bien démunies. Cependant, je les vis bâtir l’avenir du Monde d’Ici.

    Car il y avait en elles le même Esprit

    que dans l’œil du cheval qui me porte,

    que dans la queue du chat qui m’accompagne,

    que dans le colibri plus rapide que ma pensée,

    que dans l’arbre qui me donne de l’ombre,

    que dans le blé qui me nourrit,

    que dans les pierres où je m’assois pour écrire.

    Car le Dieu de tous les Mondes de l’Univers leur donnait son Esprit Bienveillant…

    Gouand

    Avant-propos

    Vouloir situer le Monde d’Ici se révèle à la fois facile et impossible. Gouand, troubadour et chantre du Moyen Peuple, a rédigé moult récits qu’il assembla en des livres fort instructifs. Il eut accès à des cartes très précises qu’il recopia minutieusement, illustrant les régions connues des marins, depuis la Terre Abal à la Terre Cahan, du Lentremers, le plus important continent, ainsi que du Pays de Santerre où il élut domicile durant son séjour en Monde d’Ici. Donc, rien n’est plus simple que de situer les lieux qu’il connaissait alors qu’il entreprit de transcrire la tradition orale des Gens du Moyen Peuple. Toutefois, il s’avère utopique de situer Santerre par rapport à nous puisque Gouand ne donna aucun point de repère sur les Mondes d’Ailleurs, cela autant en ce qui concerne les endroits que les époques.

    Et Gouand lui-même, qui est-il vraiment ? Bien malin celui qui pourrait affirmer quoi que ce soit à son sujet. Il va et vient de par les Mondes de l’Univers, sage ou naïf, peut-être les deux à la fois, posant sur les gens et les événements un regard qui sait toujours s’émerveiller. C’est probablement, et même certainement, ce qui compte le plus. Qu’importe de savoir d’où il vient, vers où il se dirige ? Il ne demande qu’à raconter ses histoires à ceux qui savent encore s’ouvrir au féerique, se laisser emporter dans ses mondes magiques conçus pour charmer. Nous savons toutefois, grâce à un petit récit autobiographique, que Gouand possède le don des langues et qu’il peut ainsi converser aussi bien avec les Races Premières qu’avec des membres de la Race Ancestrale ainsi que de toutes les Basses Races. Gouand rencontra maintes gens au cours de voyages qui lui permirent d’apprendre en détail les événements survenus dans le Monde d’Ici. Son désir de mettre tous les faits par écrit, d’en séparer le véridique de la légende et d’en faire un document à transmettre par tous les Mondes lui ouvrit même le fameux Vérécit méticuleusement tenu à jour en Augenterie. La profonde sincérité de Gouand apparaît si manifestement dans ses écrits qu’il n’y a aucune raison de douter que le troubadour ne s’acquitta avec le plus grand sérieux de cette tâche.

    Les Histoires du Pays de Santerre

    Parmi les écrits de Gouand figurent les Histoires du Pays de Santerre qui sont, et cela, de son propre avis, ses plus belles chroniques. Il s’agit en fait d’une multitude d’histoires, contes ou poèmes de ce conteur prolifique qui décrivent la vie du Moyen Peuple, ses légendes, ses espoirs ainsi que toute l’histoire du Monde d’Ici. Bien qu’ils couvrent des événements ayant eu lieu par tout le Monde d’Ici, Gouand les intitula ainsi car ce fut le Pays de Santerre qui devint sa patrie d’adoption durant son séjour en ce monde.

    En abordant ces histoires, le lecteur comprendra que le texte qu’il lit est une traduction de la langue du Moyen Peuple, fort différente de la nôtre. Les noms des gens ou les toponymes prennent donc une saveur nouvelle. Parfois, le lecteur trouvera des désignations qui traduisent le sens littéral, parfois ce sera le terme d’origine qui sera utilisé. Il faut se rappeler que tous les titres tels que Prince, Sage, Noble, Prétendant, Capitaine ou Gens s’utilisent indifféremment pour les hommes et pour les femmes. La langue du Moyen Peuple ne fait aucune distinction entre le féminin et le masculin. Que le lecteur note, en lisant des mots comme Roi ou Reine, que cette différenciation est apparue seulement à la traduction.

    D’autre part, les désignations comportent des nuances parfois très subtiles selon les circonstances et les interlocuteurs. Par exemple, « mi-jour » écrit en minuscules signifie un moment de la journée, le midi, tandis que « Mi-Jour » avec des majuscules désigne un point cardinal, le Sud. En outre, comme si la tâche de traduire les récits de Gouand n’était pas assez ardue, certains mots de la langue du Moyen Peuple n’ont aucun équivalent dans notre langage. Notons ainsi l’emploi du mot frœur utilisé uniquement pour désigner les liens familiaux des membres de la Race Ancestrale qui sont des hermaphrodites. Ce texte-ci diffère légèrement de celui de Gouand, mais malgré tout, que le lecteur soit assuré que l’essence des récits de ce troubadour enchanteur ne fut en aucune manière altérée.

    Introduction à L’Eldnade

    L’œuvre de Gouand s’articule autour de deux récits clefs : L’Eldnade et Les Princes de Santerre qui font chacun l’objet de plusieurs tomes. Le présent livre — Ardahel le Santerrian — est le premier de quatre tomes consacrés à L’Eldnade dont l’action se déroule sur plus de vingt ans. Ces événements se situent à l’époque où Vorgrar, depuis très longtemps en conflit avec ses frœurs de la Race Ancestrale, décide de finalement imposer sa Pensée en Monde d’Ici. Il concentre ses efforts sur le continent du Lentremers, le plus important de tous.

    Il reste un dernier fait à souligner. Gouand utilise une formule bien connue de nous : Il était une fois… Si cette expression n’est pas toujours reprise dans la traduction, c’est qu’il fallait inclure dans le récit certaines descriptions de pays ou de peuples que Gouand avait consignées dans d’autres livres et que le lecteur devait connaître pour mieux suivre la présente chronique. Mais il aurait été dommage de passer ce détail sous silence, car il prouve que dans tous les Mondes de l’Univers, les récits merveilleux demeurent les mêmes, c’est-à-dire des moments privilégiés où l’esprit oublie la raison pour rêver à des histoires peut-être plus vraies que la réalité perçue par nos sens. Sait-on jamais…

    Alors donc : Il était une fois en Monde d’Ici…

    Chapitre premier

    Frères d’espoir

    — Tout cela n’est que pure folie. Confier le destin du Monde d’Ici à des enfants, dont un Prétendant arrogant et un inconnu qui ignore lui-même son ascendance. Vous croyez être les guides des Races Nouvelles et vous n’êtes que des aveugles !

    La voix grave, un peu traînante, de l’imposant personnage semblait épouser le tourbillon du vent balayant la colline. Étrangement, sa colère ne s’exprimait pas en gestes brusques ni en éclats sonores. Il s’agissait d’une impression, d’une évidence qui remplissait l’espace, qui enveloppait la scène. Les trois membres de la Race Ancestrale demeuraient en apparence sereins et courtois, mais l’affrontement ne faisait aucun doute.

    L’un d’eux n’acceptait pas le plan proposé.

    — Cet Ardahel est imbu de lui-même. Il veut être Prince pour le prestige que cela procure. Il se considère comme une personne de grande valeur, mais il ne le prouve guère, ni dans ses pensées, ni dans ses paroles ou ses gestes. Quant à ce Loruel, il est né en Pays de la Mer du Levant, soit. Au Pays de Gueld, possiblement. Par contre, peut-on le croire Héritier du Trône simplement parce qu’il a échappé à la mainmise des Sorvaks sur son pays ? Les enjeux sont par trop importants pour s’en remettre à des suppositions, à des intuitions et à des probabilités. Mon frœur, tu déraisonnes…

    Le membre de la Race Ancestrale s’était adressé plus directement à celui qui portait la bure typique des Sages du Pays de Santerre. Ce dernier ne sourcilla pas, se contentant de répondre avec une douceur qui ne masquait en rien sa détermination.

    — Il n’y a bien sûr aucune certitude absolue quant à la valeur de ces jeunes gens et le plan que je propose est bien imparfait, mais j’ai confiance. Souviens-toi combien Orvak Shen Komi était sûr de lui, inébranlable dans ses arguments et convaincu de la perfection de la voie qu’il traçait. Pourtant, c’est encore une fois son œuvre qui menace le Monde d’Ici. Voilà pourquoi je demande votre accord pour intervenir sur le destin de ces gens.

    Celui des frœurs qui avait réservé sa réponse jusque-là releva la tête, comme soudainement soulagé d’un dilemme harassant. Comme pour tous les membres de la Race Ancestrale, on n’aurait pas pu affirmer s’il — ou si elle — était homme ou femme car tout en cette Race, tous leurs gestes, toutes leurs paroles, tout leur être exprimait un équilibre absolu. Ils étaient masculin et féminin, doute et certitude, pouvoir et faiblesse, savoir et ignorance… Pourtant, ils devaient décider et assumer le poids de leurs choix. Or, justement, le souvenir de décisions douteuses prises en des temps anciens venait soudain éclairer sa réflexion. Il y puisa l’argument final pour se prononcer.

    — Je partage l’avis de mon frœur et je lui donne mon accord.

    — Nous devons être unanimes pour que j’agisse. Alors ?

    Cette fois, le frœur qui avait manifesté son opposition devait accepter ou rejeter la demande qui était faite. Il n’était plus question de faire valoir des arguments. Pourtant, comme il lui paraissait insensé de confier ainsi le sort du Monde d’Ici à des membres des Basses Races à la valeur bien incertaine ! Il respira lentement et profondément l’air chargé des odeurs de la terre du Pays de Santerre. Voilà leur pays, leur richesse à eux, des Races Nouvelles. Eh bien, qu’ils le méritent ou le déméritent, que peuvent vraiment y faire les plus grands Sages ?

    — Je donne mon accord. Qu’il soit fait comme notre frœur le demande.

    Aucun sourire n’accueillit ces paroles. Au contraire, le principal intéressé ferma doucement les yeux, maintenant chargé d’un poids immense.

    * * *

    Un soleil écrasant pesait sur la Grand Place du Temple du Roi et des Sages. Réfugiés dans l’ombre des statues de marbre, les Prétendants et leurs amis trompaient de leur mieux les longs moments d’attente du verdict des Sages. Un siège était libre auprès du Roi et l’un des Prétendants ayant terminé ses sept années d’apprentissage serait désigné comme Prince du Pays de Santerre.

    Parmi eux, Ardahel le Secret semblait le candidat désigné à l’avance. Encore jeune, à peine vingt-deux ans, il se démarquait nettement des autres. Grand, avec une longue chevelure dorée — fait plutôt rare en Santerre —, des yeux d’un bleu profond, des traits fins et nobles, il dégageait une rare prestance. Son visage symétrique ne portait aucune barbe ou moustache. Comme tous les Prétendants, il était vêtu d’une ample chemise blanche sans couture, croisée par-devant. Le bas de son pantalon de cuir noir se parait d’anneaux d’argent. Une large ceinture, aussi de cuir noir et ornée d’une boucle d’argent finement travaillée, retenait la longue épée des Prétendants. Le manche en était assez long pour la manier à deux mains ; la garde recourbée protégeait la main qui la tenait, la lame large et plate présentait deux tranchants redoutables, mais grâce à l’habileté des forgerons artans, elle restait légère dans son fourreau de cuir. L’habillement des Prétendants se complétait par des bottes solides, à la semelle épaisse, montant sans ornement jusqu’aux genoux, et par une longue cape aux motifs noirs et blancs. Celle d’Ardahel était à l’effigie du bac de Noak le Batelier, son père : une ligne blanche représentait la Grande Rivière, surmontée d’arbres stylisés symbolisant la Forêt des Renards. De là, des lignes verticales blanches et noires convergeaient vers l’encolure selon le signe consacré signifiant Passage.

    Aux côtés d’Ardahel, on voyait inévitablement Loruel de Nulle-Part. On le nommait ainsi car personne ne connaissait son pays d’origine. Vers l’âge de sept ans, il avait abordé la Baie Joyeuse dans une petite embarcation d’un modèle inconnu au Pays de Santerre. Il paraissait totalement épuisé et semblait avoir souffert des privations d’une longue errance en mer que l’on imaginait facilement avoir suivi un naufrage. Le Sage Féror l’avait accueilli durant cinq années, puis il lui avait conseillé de se présenter au Temple du Roi et des Sages. Le Sage Golbur, qui venait de prendre Ardahel en amitié, lui présenta Loruel comme Compagnon d’apprentissage. Ils vécurent ces sept années ensemble, devenant des amis inséparables. Le Sage Golbur pressentait chez tous deux un destin hors du commun.

    De deux ans son cadet, Loruel égalait Ardahel en taille. Plus massif cependant, il ressemblait aux Fretts de la Région des Neiges, ces Gens de Santerre d’une force imposante, mais calmes, dénués de toute brutalité. Les longs cheveux châtains et la barbe aux reflets roux de Loruel encadraient un visage où brillaient des yeux vifs, d’un bleu qui tournait parfois presque au vert. Une cape verte à capuchon le couvrait ; par-dessous, il portait une chemise de cuir effrangé descendant sur un pantalon fait d’une toile résistante. Les bottes de cuir brun montaient jusqu’à la mi-cuisse, renforcées au-dessus du genou à la manière des cavaliers de son pays, disait-il. La chemise, fendue sur les côtés, laissait sortir l’épée recourbée, passée sans fourreau à la ceinture, et la dague d’argent incrustée de joyaux qui étaient les seuls souvenirs tangibles de son passé. Le Sage Golbur pensait, sans le dire, que le laisser-aller de la tenue de Loruel dissimulait sa véritable personnalité… ou lui permettait de l’oublier. Cependant, il s’était toujours montré loyal, digne de confiance et satisfait de sa condition en Pays de Santerre.

    Tandis que les autres Prétendants cherchaient l’ombre, Ardahel se tenait fièrement au soleil, tout en haut de l’escalier de pierre menant à la Tour Privée, une tour sobre aux murs de marbre d’une blancheur éclatante et réservée aux Sages pour leurs délibérations. Malgré la sueur qui lui collait de longues mèches dorées sur le front et qui détrempait ses vêtements, Ardahel persistait à se tenir le plus près possible du lieu des discussions. Les Sages ne pouvaient l’ignorer ; il serait certainement l’Élu.

    Le bruit des pas de Loruel tira Ardahel de ses pensées alors que celui-ci arrivait avec un pichet de vin et quelques fruits. Le jeune homme manifesta son irritation devant l’entêtement de son ami à rester en un tel endroit au lieu de se joindre aux autres Prétendants. Sa voix à l’accent chantant avait perdu ses habituelles intonations joyeuses.

    — Même si tu ne te mêles pas facilement aux autres, on pourrait aller à l’ombre. Je te ferai remarquer qu’être cuit comme une tranche de viande ne te rendra pas plus appétissant aux yeux des Sages !

    Ardahel était habitué à l’humour souvent sarcastique de son compagnon, mais il nota son agacement bien réel. Il fut sur le point de répliquer, se retint et se contenta de hausser les épaules. Un long moment s’écoula encore avant que Loruel laisse une nouvelle fois libre cours à son impatience.

    — Le Conseil des Sages délibère depuis près de deux jours entiers, maintenant. Il est donc difficile de faire le choix du Prétendant qui occupera le siège du Prince Ekoriar, que son âme soit en paix.

    — Et qu’il partage le Festin d’Elhuï, répondit Ardahel, respectant la coutume de son peuple pour parler des gens gagnés par le Repos Éternel. En effet, je n’aime pas cela. Les Sages en ma faveur auraient-ils quelque difficulté à m’imposer comme celui qui doit siéger au Conseil ?

    — Que tu sois le plus méritant, Ardahel, ne fait aucun doute. Tous s’attendent à ta nomination, même si tu es le fils de simples bateliers. Tu es aussi le plus jeune et ton apprentissage vient à peine de se terminer. Probablement que cela joue contre toi et que les Sages en pèsent soigneusement le pour et le contre.

    Loruel achevait à peine sa phrase que les portes de la Tour Privée s’ouvrirent pour laisser passer les seize Sages vêtus de leurs bures blanches des grandes occasions. Cordal l’Aînée marchait la première. Derrière elle venaient les Sages des quatre régions du Pays de Santerre : Blanc, le Frett de la Région des Neiges ; Moucidar, le Baïhar de la Région de la Baie ; Féror, l’Artan de la Région des Métiers, et Golbur, le Culter de la Région des Récoltes. Suivaient les onze Sages Voyageurs, le puissant Delbon fermant la marche. Ils s’alignèrent devant la Tour, face au soleil. Tous levèrent en silence les mains vers le ciel, puis ils se penchèrent vers le sol. Ces gestes symboliques indiquaient que leur choix était arrêté et que les Sages iraient dans quelques instants se présenter au Roi.

    * * *

    Ainsi se répétait le rituel inspiré par Alahid, premier Roi et premier Sage du Moyen Peuple, et institué par Mithris Santhair dit Francœur. Depuis maintenant cinquante générations, l’Appel d’Alahid germait dans le cœur et l’esprit de certains adolescents. De quelque région ou famille qu’ils soient en Pays de Santerre, ils se rendent alors au Temple du Roi et des Sages. Les aînés les jugent afin de guider leur apprentissage.

    Les plus versés dans les choses de l’esprit s’attachent aux Sages. Durant leur Apprentissage, ils ont accès à la mystérieuse Forêt des Renards. Personne ne sait ce qui se passe à l’abri de ces boisés verdoyants, ces lieux étant formellement interdit. Les Sages sont les guides religieux du Moyen Peuple, ainsi que les guérisseurs des âmes et des corps. Il se trouve toujours seize Sages à la fois au Pays de Santerre, dont l’Aîné, qui représente l’autorité morale suprême, un responsable pour chacune des quatre grandes régions du pays et, enfin, onze Sages Voyageurs qui parcourent continuellement le pays.

    Parmi les Appelés d’Alahid, il y a les Prétendants au sein desquels seront choisis les Princes de Santerre. Eux aussi se présentent au Temple du Roi et des Sages vers l’âge de quinze ans. Ils passent sept années à découvrir et à étudier les responsabilités d’un Prince. Plus tard, les Prétendants relèvent directement du Conseil des Princes et ils deviennent à la fois les coordonnateurs de l’administration du pays et les chefs militaires au besoin. Lorsqu’un Prince du Conseil est gagné par le Repos Éternel, le plus méritant des Prétendants est désigné afin d’occuper le siège vacant. L’attente peut être parfois très longue et même demeurer vaine. Un Prétendant peut ne jamais connaître cet honneur — et cette responsabilité —, tandis qu’un autre sera nommé Prince à peine son apprentissage terminé. En cela, les desseins des Sages sont imprévisibles. Toutefois, dès la fin de son apprentissage, le Prétendant a pour mandat d’accompagner les Sages dans leurs déplacements, de parcourir le pays en tant que messager du Roi, d’écouter les doléances des gens, de régler leurs différends, d’intervenir en cas d’urgence et de s’informer de la situation de chacun. Ainsi, les Prétendants sont les yeux, les oreilles et la bouche du Roi, rôle qui suffit de toute façon à la plupart.

    Le Roi incarne l’autorité suprême en Pays de Santerre. Au Palais Royal, bâtiment principal du Temple du Roi et des Sages, se trouve la Salle des Paroles où le Roi siège sur le Trône d’Alahid, un simple banc de bois équarri à la hache. Derrière lui, une tenture blanche descend du plafond et passe sous le Trône pour se terminer à ses pieds. Lorsqu’un nouveau Roi est choisi au sein du Conseil des Princes, on brode une nou- velle tenture portant le sigle de l’Élu, le même qui décorait sa cape de Prétendant. Des tentures rouges, unies, couvrent les murs. Le plafond, fait d’une matière translucide, laisse entrer la lumière du jour en abondance dans la vaste pièce, deux fois plus longue que large, au plancher formant des gradins pour accueillir ceux qui désirent assister aux assemblées. Toute parole prononcée en ces lieux doit être calme, réfléchie et constructive. Les cris et les éclats de colère sont autant d’insultes à l’autorité royale.

    Du côté cœur du Roi sont disposés selon un arc de cercle les sièges du Conseil des Princes. De l’autre côté — du côté raison —, et avec une disposition symétrique, se trouvent les sièges du Conseil des Sages. Dans ce demi-cercle, le plancher est décoré d’une carte de Santerre peinte en or et en argent sur les dalles de marbre. On ne doit jamais poser le pied sur cet ouvrage délicat. Lorsqu’une personne désire s’adresser au Roi, elle se tient debout, à l’entrée du demi-cercle, la carte du pays s’étalant entre elle et le Roi. Comme le Trône d’Alahid n’est pas surélevé et que le Roi se tient assis, son interlocuteur paraît plus grand. Cela se conforme à la devise royale du Pays de Santerre : Plus grand que le Roi est le plus petit de ses sujets. En effet, Roi, Sages, Princes et Prétendants sont considérés comme les serviteurs du Moyen Peuple. Leur seul but est d’assurer la prospérité, la sécurité et la bonne entente à tous ceux qui appartiennent au Pays de Santerre. Tous sont des arbitres pour qui aucune cause n’est trop petite pour mériter leur intérêt. Les décisions du Roi ne sont aucunement contestées et ses avis sont suivis à la lettre.

    * * *

    Ardahel, le cœur rempli d’espoir, se joignit aux autres Prétendants tout excités qui se hâtaient vers le Palais. Ils se calmèrent pour pénétrer dans la Salle des Paroles. Partout, le rouge et le blanc dominaient, couleurs traditionnelles de l’Autorité en Santerre. Le bon Roi Thadé s’y trouvait déjà, toujours impressionnant malgré son âge avancé. Droit et vigoureux, ses yeux brillaient autant d’énergie que de bonté dans un visage constamment serein et souriant. Les Princes et le Roi portaient leurs vêtements de cérémonie et ils attendaient calmement que chacun prenne sa place. Le siège d’Ekoriar avait été placé au bout de l’arc de cercle de gauche, signifiant ainsi que celui qui allait y prendre place dans un instant parlerait le dernier au Conseil des Princes. Les neuf Prétendants se campèrent debout, face au Roi. Derrière eux se tenaient les Apprentis et les Compagnons. Puis l’on voyait, sans ordre précis de préséance, les messagers qui iraient annoncer le choix du nouveau Prince à tous les gens du pays. À l’intérieur ainsi qu’au-dehors se pressait une foule bigarrée, curieuse et heureuse de savoir que le Conseil des Princes serait bientôt au grand complet.

    Soudain, les conversations cessèrent et les gens s’écartèrent pour laisser le passage aux Sages. Silencieusement, ils gagnèrent leurs places, à l’exception de Cordal. Tournée vers le Roi, l’Aînée lui adressa la parole selon les Rites.

    — Roi Thadé, Ekoriar a été gagné par le Repos Éternel, que son âme soit en paix.

    — Et qu’il partage le Festin d’Elhuï, répondit le Roi. Nous avons fait sa louange et brûlé son corps avec de grands honneurs qu’il méritait fort bien. Il nous manquera à tous. Un siège est donc libre au Conseil des Princes. As-tu un nom à me proposer pour que le Conseil soit de nouveau entier pour m’assister ?

    — Oui, Roi Thadé. Je vais te le confier. Je suis certaine que ce Prétendant acceptera humblement sa place parmi les Princes de Santerre.

    Le Roi se leva. Cordal s’approcha, lui glissa un nom à l’oreille puis elle alla s’asseoir. La tradition voulait que le choix des Sages ne soit connu que du Roi. Celui-ci pouvait le refuser et demander aux Sages de retourner méditer pour lui faire une nouvelle proposition. Toutefois, même en avalisant le choix des Sages, il revenait au Roi d’appeler officiellement le nouveau Prince. Le Roi Thadé s’inclina devant Cordal, marquant ainsi son approbation. Ardahel attendait avec impatience l’appel qui viendrait assurément. Déjà, il se répétait les mots avec lesquels il accepterait de prendre place au Conseil.

    Le Roi s’adressa aux Prétendants d’une voix solennelle.

    — Aujourd’hui se tiennent devant moi neuf Prétendants aux grandes qualités. Vous avez ressenti l’Appel d’Alahid et, quittant terres et familles, vous êtes venus apprendre tout ce qu’un Prince doit savoir pour seconder le Roi dans sa tâche. Un siège est libre : pour le combler, j’appelle Tiras de la Famille Bosaril, de la Région des Neiges.

    En entendant prononcer un nom autre que le sien, Ardahel sentit tout son intérieur se flétrir. Le cœur lui faisait mal et il lui fallut un grand effort pour ne rien laisser paraître de son trouble. À peine vit-il Tiras mettre un genou au sol et s’adresser au Roi.

    — La confiance que mon Roi investit en moi me touche. Je lui assure que tout mon être sera maintenant plus que jamais voué à son service et, par là même, au service de tous les Gens du Pays de Santerre.

    Le Roi se rendit au siège libre d’Ekoriar, prit la cape des Princes qui s’y trouvait et marcha jusqu’à Tiras. Celui-ci fit tomber sa cape de Prétendant et laissa le Roi le vêtir de ce nouveau vêtement symbolisant les devoirs de sa charge. Puis les paroles rituelles furent récitées, mais Ardahel ne les entendit pas. Il concentrait tous ses efforts à ne pas laisser paraître l’intense douleur qui lui brûlait le cœur. Les autres Prétendants l’observaient à la dérobée, certains esquissant un sourire de satisfaction à l’idée que ce brillant mais arrogant fils de bateliers soit ignoré des Sages. Quant à Loruel, il redoutait la réaction de son compagnon. Bien qu’il soit toujours réfléchi et posé dans ses actes, Ardahel n’hésitait pas à faire valoir ses arguments, quelle que soit la circonstance. Or, la ligne est parfois floue entre la plaidoirie sincère de celui qui a la passion de ses convictions et l’arrogance de celui qui est plus doué que les autres.

    Ardahel sortit de son trouble au moment où Tiras prenait sa place parmi les Princes. Quittant alors son rang, à la surprise générale, il alla ramasser la cape de Prétendant de Tiras. Quelques murmures étonnés, voire choqués, se firent entendre, mais ils cessèrent rapidement lorsque Ardahel s’adressa à son tour au Roi de sa voix basse et riche qui avait retrouvé tout son aplomb.

    — Roi Thadé, mon Roi, ton choix guidé par les Sages est juste. Tiras en est digne et je lui offre, en mon nom et en celui des autres Prétendants qui ont partagé l’Apprentissage en sa compagnie, notre respect et notre dévouement. Je prie Tiras de m’accorder l’honneur d’accrocher moi-même sa cape de Prétendant dans la Salle des Enseignements. Il fut pour moi un Compagnon d’apprentissage fort agréable que j’estime énormément. Il me trouvera prêt à bondir à son service en tout temps. Honneur à Tiras !

    L’assemblée répéta alors par seize fois l’acclamation d’une voix joyeuse, la main gauche levée vers le nouveau Prince.

    — Honneur à Tiras !

    Lorsque les exclamations se turent, le Roi reprit la parole en souriant avec bienveillance au Prétendant.

    — Je reconnais là ton bouillant caractère, Ardahel. Tu as bien parlé et agi, mais sans attendre d’y être convié. J’oublierai ce manquement aux règles, car je sais à quel point cela fut important pour toi, et je laisse Tiras te répondre.

    — Ardahel, on te nomme le Secret et je crois qu’aucun de tes Compagnons d’apprentissage n’a su te connaître jusqu’au fond de toi.

    Encore ému par sa nomination, Tiras parlait comme s’il venait de recevoir un honneur qu’il ne méritait pas ; bien plus, il donnait l’impression d’occuper un rang qu’il aurait ravi à son interlocuteur.

    — Tes gestes et tes paroles provoquent souvent la surprise. Maintenant, ton souhait me touche et emplit mon cœur d’allégresse. Je n’aurais pu espérer de Porteur plus significatif pour mon ancienne cape. Je te la confie donc et j’émets le souhait, bien qu’un Prince ne doive pas citer de nom, que tu viennes bientôt siéger avec nous.

    Le Sage Delbon esquissa un sourire. Il savait fort bien qu’Ardahel, déçu au plus haut point, avait pris soin de sauver la face et de bien faire sentir qu’on ne pouvait pas le négliger. Manœuvre habile, que ces paroles soumises attirant le respect et l’attention ! Dans les conversations, on parlerait certainement autant d’Ardahel que de Tiras. Delbon continua de sourire doucement sans que personne le remarque et comprenne la satisfaction du Sage, qui avait usé de son influence pour empêcher la nomination d’Ardahel, que tous estimaient le plus méritant pour devenir Prince de Santerre.

    Tandis que les conversations à voix basse se multipliaient pour commenter le choix de Tiras, Ardahel quitta la Salle des Paroles en tenant bien haut

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