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Transidentité (54)
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Livre électronique325 pages4 heures

Transidentité (54)

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À propos de ce livre électronique

«Quelle identité de genre vous définit ?»
Cette stupide question ! Celle qui me trotte dans la tête depuis que je l’ai lue dans un formulaire. Je dois me rendre à l’évidence, j’y pense constamment. Elle m’a fait comprendre pourquoi je me suis toujours senti différent. J’ai eu beau les enterrer sous une épaisse couche de déni et d’évitement, mes questionnements ne sont pas disparus.


À sa première journée au cégep, Mickaël revoit Chihiro, une connaissance avec qui il se lie rapidement d’amitié. Quand il l’accompagne à une soirée de l’association LGBTQ+ qu’elle fréquente, sa vie bascule. Car derrière la façade parfaite qu’il s’est créée se cache une haine de lui-même et de son corps. Chaque fois qu’il regarde son reflet dans le miroir, il ressent un mal-être plus grand. Un mal-être qui le détruit à petit feu.
Un mal-être qu’il ne peut plus garder pour lui.

M ou F ? À la naissance d’un enfant, l’un des deux genres doit être déclaré. Mais il arrive que la nature fasse les choses autrement. Avec la transidentité surgissent la peur d’être rejeté, la honte et la culpabilité, des sentiments qui peuvent mener à l’isolement, à la dépression et même au suicide. Mais, si la personne décide de faire une transition, un long processus s’enclenche. Un processus qui favorise l’acceptation de soi.
LangueFrançais
Date de sortie10 févr. 2021
ISBN9782897921057
Transidentité (54)
Auteur

Stéphanie Perron

Étudiante en écriture de scénario et création littéraire à l’Université de Montréal, Stéphanie a toujours été une passionnée de l’écriture. Grande fan des séries The Legend of Zelda et Final Fantasy, elle passe son temps au secondaire à écrire des fan fictions avec ses amies en écoutant des soundtracks de jeux vidéo. Puis, à dix-sept ans, elle décide de travailler sur son propre roman, Nées autres, publié en 2014 par les Éditions 3 sista. Après avoir reçu de nombreux messages de lecteurs lui disant que son roman les avait aidés à s’accepter, elle est bien déterminée à inventer d’autres récits dans lesquels les ados et les jeunes adultes pourront se reconnaître. Quelques années plus tard, elle entame l’écriture de Corde raide, paru en 2019 dans la collection «Tabou» des Éditions de Mortagne. Vivant avec un trouble de personnalité limite qui l’a obligée à faire une pause dans ses études et son emploi, elle tenait à briser le silence entourant cette réalité encore méconnue de plusieurs. Aujourd’hui, les histoires bouillonnent dans sa tête et attendent patiemment qu’elle les mette sur papier.

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    Aperçu du livre

    Transidentité (54) - Stéphanie Perron

    corps.

    Chapitre 1

    Juin

    Mes doigts pianotent nerveusement sur la portière de la voiture. J’observe chacun des piétons qui traverse la rue devant nous. Dans mon autre main, les doigts froids d’Elizabeth ne cessent de bouger. Malgré ce contact, je suis loin.

    Je suis ailleurs.

    C’est normal. J’ai toujours été comme ça. Depuis que je suis petit, je suis incapable de rester concentré plus de quelques minutes. Chaque fois qu’on me parle ou qu’un enseignant donne un cours, mes pensées finissent par vagabonder à des kilomètres.

    C’est au primaire que j’ai reçu un diagnostic de TDA. La psychologue de l’école tenait à ce que je sois étiqueté comme « enfant à problèmes ». Ç’a bien fonctionné, car tous mes camarades me fuyaient comme la peste. J’étais le différent. Le spécial.

    Le freak.

    Heureusement, j’ai trouvé du réconfort dans la nature. Les parcs, les boisés, la forêt ; je ne manquais pas d’espace où m’amuser. Alors que les autres garçons jouaient au football ou au ballon-chasseur comme des hommes de Cro-Magnon, moi, j’explorais les forêts, prenais les sentiers entre les arbres, marchais le long des cours d’eau. J’observais les oiseaux, les poissons et les insectes. J’étais seul, mais à la fois en bonne compagnie.

    Ma solitude m’a suivi jusqu’à Montréal, lorsque nous avons déménagé. À ce moment, j’ai commencé, avec angoisse, l’école secondaire.

    Je sens les lèvres d’Elizabeth dans mon cou. Je reviens soudainement à l’instant présent. Le feu passe au vert et nous continuons notre chemin jusqu’au restaurant Le Gourmet.

    — Tout va bien ? me demande-t-elle.

    Elizabeth Després.

    Ma blonde depuis maintenant quatre ans. Nous nous sommes rencontrés à mon entrée à la polyvalente, puis, en deuxième secondaire, me rendant compte que j’éprouvais de l’attirance pour elle, je lui ai déclaré ma flamme. Pour mon plus grand bonheur, c’était réciproque.

    Je hoche la tête en guise de réponse.

    — T’es pas très jasant, hein, Mick.

    Jean-Philippe Simard.

    Mon meilleur ami depuis la première secondaire. Je partage avec lui mon amour pour la nature. Mes promenades seul dans les sentiers de terre sont devenues des excursions à deux. Il y a quelques années, nous étions toujours dans les bois à explorer les broussailles et à attraper des grenouilles. J’avoue que, quelquefois, nous les avons fait fumer. Je me sentais un peu mal pour ces pauvres amphibiens. Mais JP trouvait ça tellement drôle que je faisais semblant de rire, moi aussi.

    J’ignore le commentaire de mon ami et reporte mon regard sur le décor qui défile lentement. Nous nous arrêtons à un autre feu de circulation. J’aperçois un groupe d’hommes et de femmes. Ils marchent en parfaite synchronisation. De véritables automates. Ils ont le regard bien droit, aucune expression faciale et, surtout, aucune lueur dans les yeux. Ils me font penser à tous ces gens bourrés de Prozac dans le roman Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Un roman que j’ai soudainement envie de relire.

    Avec mon père qui enseigne la littérature à l’Université de Montréal, il était inévitable que lire soit l’un de mes passe-temps préférés. Petit, j’avais toujours un livre entre les mains. Tout comme la nature, la lecture m’a longtemps aidé à m’évader. À oublier que je vis dans un monde où je suis différent parce que je suis moi-même.

    Mais, au secondaire, un gars qui lit des romans d’Aldous Huxley… ce n’est pas winner. Alors je me suis inscrit dans les Cobras, l’équipe de soccer de l’école. Et, puisque j’ai de très bons réflexes, ils m’ont désigné comme gardien de but. Pourtant, je déteste le sport. Peu importe lequel : football, basket, baseball, soccer. Mais je n’avais pas le choix de me joindre à eux. Je devais me faire des amis. Je devais être comme les autres.

    Je devais tout faire pour ne plus être le freak.

    Même si, dans le fond, je le suis probablement.

    — Je te sens nerveux.

    Elizabeth a raison. En plus d’avoir des problèmes de concentration, j’ai des problèmes d’anxiété. Et j’ai l’impression que c’est de pis en pis. Pourtant, j’ai toujours été en mesure de calmer mon stress et de le cacher aux autres.

    — Ce n’est rien, que je lui réponds en tentant d’avoir l’air le plus sincère possible.

    J’aime Elizabeth et je ne veux pas qu’elle s’inquiète pour moi. Elle approche son visage et je dépose un baiser sur ses lèvres. Elle affiche un sourire, que je lui renvoie.

    Nous arrivons à la salle où aura lieu notre bal vers dix-huit heures trente. Main dans la main, nous nous rendons dans le hall d’entrée, suivis de Tiffany et JP. Plusieurs personnes que je reconnais font le pied de grue près du comptoir principal. Tous des élèves de cinquième secondaire de mon école. Réunis pour une dernière soirée avant la fin de l’année scolaire.

    JP arrive derrière moi, accompagné de sa blonde, Tiffany. JP et elle sont ensemble depuis un an. Une chance que nous sommes assis à la même table, car il n’y a qu’avec ces deux-là et Elizabeth que je me sens vraiment à l’aise.

    Nous entrons dans la salle et prenons place à notre table. Contrairement à mon habitude, je ne mange presque rien. Un simple filet de saumon avec des légumes aussi froids que l’ambiance à notre table. Tout ça parce que Tiffany et Justine, la fille à sa droite, ont mis la même robe et que, selon elles, c’est une catastrophe.

    — Cet été, une amie de ma tante va me montrer toutes les ficelles du métier de médecin. Comme ça, j’aurai une longueur d’avance sur les autres.

    — Du calme avec tes études, Eli, lâche Tiffany entre deux bouchées de salade César. Prends le temps de relaxer un peu. On vient juste de finir notre secondaire et l’université n’est pas avant plusieurs années.

    — Je n’ai pas le temps de relaxer. Si je veux être un bon médecin, je dois étudier sans relâche. Si vous voulez vedger au cégep et ne rien faire de votre vie, c’est votre problème.

    Et voilà, c’est reparti. Je ne compte plus le nombre de fois où mes amis se sont obstinés à ce sujet. Pour Elizabeth, les études sont primordiales et tout le reste passe au second plan. Bien que je l’aime, je l’ai toujours trouvée excessive lorsqu’il s’agit de ça. Et, évidemment, je ne lui en ai jamais fait part afin d’éviter une dispute.

    — En tout cas, vous rirez moins lorsque Mickaël et moi serons mariés et vivrons dans notre manoir avec nos deux enfants, alors que vous essayerez de survivre dans votre appart avec votre petite job au salaire minimum.

    Comme si mon silence approuvait ce que ma copine vient de leur dire, JP et Tiffany me jettent un regard mauvais. Sans me laisser le temps d’ajouter quoi que ce soit, Elizabeth me prend par le bras.

    — D’ailleurs, j’ai déjà pensé à des noms pour nos futurs enfants. Que dis-tu de Lou ou bien de Colombe ?

    JP tente de retenir son rire. Tiffany semble aussi sur le point de craquer. Eli se tourne vers eux, l’air frustrée.

    — Ce sont de très beaux noms !

    — Pour des animaux, oui ! lâche JP.

    Mes deux amis ne peuvent contenir leur rire plus longtemps, sous le regard irrité d’Elizabeth. Je sens que tout ça va très mal finir. Mal à l’aise, je me lève et me dirige vers les toilettes.

    Aussitôt que je franchis la porte, je tombe nez à nez avec mon reflet dans le miroir. Mes cheveux tombant jusqu’à ma mâchoire, mes sourcils trop épais, les légères repousses sur mon menton ainsi que mon regard absent me troublent de plus en plus.

    Je détourne le regard, honteux de ma propre image.

    J’ai chaud et je me sens anxieux. Je me passe de l’eau froide sur le visage. Ce simple geste suffit à me calmer. Après trois grandes inspirations, je retourne à ma table. Comme je m’y attendais, mes amis sont toujours en train de se disputer. Heureusement pour moi, il est temps pour nous tous de quitter le restaurant et de nous rendre chez Antoine. Puisque ses parents sont en voyage aux États-Unis, c’est chez lui que nous avons prévu faire notre après-bal.

    La tension est toujours à son comble dans la voiture de JP. Ne voulant pas jeter de l’huile sur le feu par inadvertance, je n’ouvre pas la bouche de tout le trajet. Seule la main de ma blonde empêche mes pensées de se perdre.

    Je repense à ce qu’elle a dit au souper au sujet du mariage et des enfants. J’ai dix-sept ans, maintenant, je devrais commencer à penser à l’avenir. Mais je me sens toujours un peu mal à l’aise lorsque nous parlons de ça. Comme si je n’étais pas prêt. Comme si je redoutais ce moment depuis que je suis adolescent. Chaque fois qu’Elizabeth aborde ces questions, je sens de la pression de sa part. Je deviens stressé et je change toujours de sujet.

    Nous arrivons chez Antoine vers vingt-deux heures. La cour est déjà remplie de gens qui crient autour de deux tables de beer pong. Plus loin, un groupe discute dans un spa, alors que d’autres profitent de la piscine. Une trentaine de bouteilles de bière traînent un peu partout. Je sens que plusieurs ici ne se rappelleront plus cet après-bal. Une musique techno couvre les voix de mes amis, qui me désignent de grandes tables au fond. JP en profite pour prendre une bière. Je l’imite. Je n’ai jamais aimé la bière, mais je bois une gorgée pour faire comme lui. Je grimace en sentant l’arrière-goût chaud dans ma gorge. JP se moque de moi. Je tourne la tête et aperçois des membres de l’équipe de football dans laquelle JP est quart-arrière. J’espère qu’ils ne viendront pas dans notre direction.

    À peine quinze minutes après notre arrivée, JP entame déjà sa deuxième bouteille. Je n’ai presque pas touché à la mienne. Tiffany en est à la moitié de la sienne alors que ma blonde s’est abstenue.

    — Hé, big ! Je pensais pas que t’allais être là !

    Merde !

    Un gars assez bien bâti aux cheveux noirs nous rejoint et lève la main. Je sais très bien que ce n’est pas à moi qu’il s’adresse.

    — J’ai pas eu le choix, lâche JP en faisant cogner son poing sur celui de Yan. Ma blonde m’y a obligé. Tu sais, les caprices des filles.

    — T’es vraiment pas drôle ! s’exclame Tiffany en poussant son chum. C’est toi qui voulais que je t’accompagne !

    Elle fait signe à Elizabeth de la suivre, me laissant seul avec JP et Yan. Bien que j’apprécie JP, car nous partageons tous les deux une passion pour le plein air, je déteste Yan depuis des années. Et je sais très bien que c’est réciproque. Capitaine de l’équipe de football de l’école, il est le genre de gars à penser avec ses muscles plutôt qu’avec sa tête. Il n’y a que lui et le nombre de victoires de son équipe qui comptent. Il est très populaire auprès des filles et a probablement couché avec la moitié d’entre elles.

    Yan pose son regard sur moi et s’approche. Il empeste l’alcool.

    — Je vois que la tapette est venue, dit-il en riant comme un abruti. As-tu amené ton chum ?

    Je reste muet. À quoi bon répondre à un commentaire aussi stupide ?

    — Arrête, Yan ! T’es pas drôle ! me défend JP. Mickaël a une blonde !

    — Pfff ! Une blonde, tu parles ! Il n’a même pas encore couché avec ! Hein, Mick ? Ta petite Elizabeth est encore vierge. Si tu veux mon avis, tant et aussi longtemps qu’elle sortira avec un loser comme toi, jamais elle ne connaîtra une vraie bite !

    — La ferme !

    — Oh ! Tu peux te mettre en colère ? T’as des couilles, finalement ?

    Je fusille Yan du regard avant de marcher vers la maison. Je ne me gêne pas pour lui donner un coup d’épaule au passage. À mon contact, il recule et se met à rire comme un babouin.

    Une foule s’entasse dans le salon. L’odeur de l’alcool et du pot me donne mal au cœur. La musique est si forte que je ne m’entends même plus penser. La pièce est soudainement trop petite pour moi. Il faut que je sorte d’ici ! Dans le couloir, je cours jusqu’à la sortie. Mes tempes me font mal. J’étouffe. Je me laisse tomber sur la première marche de l’escalier en pierre. Je ne veux pas me marier, je ne veux pas de manoir, je ne veux pas d’enfants. Je ne veux rien… Je ne veux plus rien ! Les larmes aux yeux, je fixe le vide. J’attends. J’attends qui ? J’attends quoi ?

    Je n’en ai aucune idée.

    J’ai mal à mon cœur. J’ai mal à mon âme. Je me sens tellement perdu dans ce monde. Je ne suis pas à ma place… J’ai l’impression de n’avoir aucun contrôle sur ma vie. Je ne suis qu’un pantin manipulé par les autres. Manipulé par tous ceux et celles à qui je veux plaire. Je ne suis que l’image de ce qu’on espère de moi. Mais si je me sens comme une simple image…

    Qui suis-je vraiment ?

    Chapitre 2

    Juin

    Le tic-tac de l’horloge accrochée dans le couloir à côté de ma chambre va finir par me rendre fou. Comme si chaque petit son enfonçait un clou imaginaire dans mon crâne. Je ferme les yeux en souhaitant ne plus l’entendre. Irrité, je repousse les couvertures et me lève d’un bond. La chaleur me donne la nausée. J’ouvre la fenêtre avant d’étouffer et laisse la brise caresser mon visage en sueur.

    Je reprends peu à peu mes esprits et me tourne vers mon lit. Ensevelie sous une tonne de couvertures, Elizabeth dort profondément. Je m’avance vers elle et l’observe. Ses cheveux roux tombent en boucles sur son visage détendu. J’aime la regarder dormir. La première fois que je le lui ai dit, elle m’a traité de freak. Ça m’a blessé. Ça m’a rappelé l’époque où je n’avais rien d’autre que les insectes comme amis. Malgré tout, je continue de l’observer dans son sommeil. Je n’oublierai jamais le moment où nous nous sommes rencontrés : en première secondaire.

    Je n’avais pas dormi de la nuit. N’ayant pas trouvé ma case dans cette nouvelle école, j’ai apporté mon sac à dos dans mon cours de mathématiques. L’enseignante, une vieille dame aux grosses lunettes, m’a presque engueulé devant toute la classe. Moi qui voulais passer inaperçu, c’était plutôt raté. J’ai eu peur d’être encore celui dont tout le monde se moque. La seule chose que je me disais, c’est…

    Fais comme tout le monde.

    Aussitôt mon cours terminé, je me suis empressé de trouver ma case. Cela fait, je suis resté planté devant comme un idiot. Malgré la combinaison que m’avait donnée le surveillant, je n’arrivais pas à ouvrir mon cadenas. Ma concentration était à son plus bas. Le stress de commencer l’école une semaine après tout le monde y était pour beaucoup et j’avais oublié de prendre mon médicament pour mon TDA.

    Mon père me disait toujours d’apporter mes médicaments à l’école. Son conseil avait du sens, mais c’était hors de question. S’il fallait qu’un élève me voie prendre mon Adderall, il ne se gênerait pas pour le crier sur tous les toits.

    Mickaël Leclerc est un fou qui prend des pilules !

    Et là, tout le calvaire, toute la merde que j’avais vécus au primaire recommenceraient. L’intimidation, l’humiliation, le taxage…

    Pas question !

    Je préférais encore ressembler à un zombie pour une seule journée plutôt que d’être de nouveau le freak pour les cinq années suivantes.

    Le couloir se remplissait peu à peu, ce qui me rendait encore plus anxieux. Alors que je tournais la roulette de mon cadenas pour une dixième fois, une jeune fille aux cheveux roux bouclés m’a interpellé.

    — Qu’est-ce que tu fiches devant ma case, sale voleur ? Tasse-toi ou je demande à mon ami de te casser les deux jambes !

    C’était loin d’être délicat, mais tout à fait compréhensible. Un type qu’elle n’avait jamais vu essayait d’ouvrir sa case. Elle aurait pu être moins méchante avec moi. Pourtant, je n’ai jamais été fâché contre elle. C’est peut-être moi qui suis trop mou avec les gens qui m’insultent. À moins que ce ne soit parce que j’ai peur d’attirer l’attention.

    Au lieu de partir en faisant semblant de n’avoir rien entendu, j’ai paniqué. J’ai regardé rapidement le numéro de la case et je me suis rendu compte que je n’étais pas devant la bonne. J’ai eu l’air d’un imbécile, ou d’un voleur. Elle m’a fixé longtemps. Comme si j’étais la pire créature qu’elle ait jamais vue. Je ne sais par quel miracle, j’ai réussi à ouvrir la bouche :

    — Je suis vraiment désolé… C’est… ma première journée… et… je… suis complètement perdu.

    Son visage s’est détendu. Elle ne semblait plus hostile, mais empathique. Je me souviens qu’elle m’a souri, puis qu’elle a ri de moi. Je ne l’ai pas mal pris. En fait, j’étais content qu’elle s’esclaffe plutôt que de texter son ami pour qu’il vienne me péter la gueule. Après avoir ri un bon coup, elle s’est approchée de moi.

    — Viens, je vais t’aider à trouver ta case.

    Gêné, j’ai marmonné un merci. Je ne le savais pas encore, mais cette rencontre, plus ou moins insolite, marquait le début d’une très grande amitié.

    Le jour même, elle m’a présenté son meilleur ami Jean-Philippe, celui qui devait me casser les deux jambes. Il était receveur de passes dans l’équipe de football de l’école. J’ai trouvé ça étonnant que ces deux-là soient meilleurs amis alors qu’ils n’avaient aucun point en commun. Encore aujourd’hui, il adore le football, elle déteste ce sport. Il passe ses soirées devant Battlefield, elle passe ses soirées devant un livre. Il écoute The Walking Dead à la télé, elle n’écoute jamais la télé.

    On dit que les contraires s’attirent.

    Ce jour-là leur duo est devenu notre trio. Nous étions toujours ensemble à l’école, mais aussi à l’extérieur. Nous regardions des films en mangeant du popcorn. Lorsque Elizabeth assistait à son cours de danse, JP et moi partions faire du vélo dans les sentiers, et, lorsque JP passait la fin de semaine chez son père à Québec, Elizabeth et moi participions à des clubs de lecture.

    — Ça va, Mick ?

    La voix de ma blonde me tire de mes souvenirs. Je me tourne et la vois assise dans mes couvertures. Elle me semble soucieuse.

    — Oui, ne t’inquiète pas, ma belle. C’est juste la chaleur… je vais me chercher un verre d’eau.

    — Tu peux m’en apporter un ?

    — Oui. Je reviens tout de suite.

    — Dépêche-toi. N’oublie pas que nous devons nous lever à huit heures pour ton entrevue.

    Je sors et referme la porte derrière moi. Une boule de stress me coupe le souffle quand je pense à mon entrevue au SAIL. J’espère obtenir le poste de commis dans le rayon pêche, car mes parents veulent que je travaille, cet été. Je suis allé porter mon CV partout. Yan s’est moqué de moi. Facile pour lui. Ses parents lui payent tout ce qu’il veut. Ça m’est égal. Mes parents ont déjà payé tout ce dont j’avais besoin pour mon secondaire. Ils ont raison. Je suis assez grand pour avoir un emploi. Et puis, moins je suis à la maison, moins je risque de croiser mon petit frère Jason.

    Je monte les marches en soupirant. Il fait encore plus chaud que je ne le pensais. Et cette maudite vague de chaleur ne finira pas de sitôt. Je m’arrête devant le tableau du salon. Sur celui-ci, une vingtaine de photos sont épinglées. Membres de la famille et amis y sont tous réunis. Sur l’une d’entre elles, Elizabeth et moi sourions autour d’une table sur laquelle repose une dinde. Je prends l’image et l’approche de la fenêtre pour mieux la voir. Nous avons l’air heureux. Ce moment me semble si loin…

    Elizabeth.

    Durant la même année, nous avons fait la connaissance de Tiffany, une élève de ma classe de mathématiques. JP, Elizabeth, elle et moi avons passé l’année à construire et à solidifier notre amitié. Rien ne pouvait l’ébranler. Nous étions inséparables. Unis par un lien aussi solide que le roc. Nous étions amis pour la vie. Puis, un jour, Yan nous a tous invités chez lui pour célébrer leur victoire contre les Faucons. C’était au début de notre deuxième secondaire.

    Ce soir-là, tandis que JP et d’autres membres de l’équipe fumaient quelques joints que Yan avait trouvés dans la chambre de son grand frère, j’ai proposé à Elizabeth de faire le tour du quartier. Nous avons marché jusqu’au bord d’une rivière. Nous nous sommes installés sur un gros rocher et avons regardé le ciel. Nous parlions tantôt de littérature, tantôt des étoiles. Sous la lueur de la lune, mes yeux se sont posés sur mon amie. En seulement deux secondes, mon regard sur elle a changé et une sensation étrange est née dans mon bas-ventre. Je prenais le temps d’analyser chaque partie de son visage. Ses joues rouges parsemées de petites taches orangées, son nez légèrement retroussé et ses lèvres sur lesquelles elle avait mis du gloss. Ses longs cheveux roux flottaient

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