La Lune dans la Rivière

Par Marzia Bosoni

Six histoires d'hommes et de femmes ordinaires qui se retrouvent, de façon inattendue, dans l'extraordinaire de la vie. Les événements dont ils sont les protagonistes ont le pouvoir de changer leurs vies car ils changent, en réalité, leur façon de percevoir l'existence. Chaque histoire débute par le nom du personnage principal pour transmettre un fait très simple, mais essentiel : les personnages ce sont nous, chacun de nous.
Ces histoires parlent de personnes qui se sont arrêtées, peut-être sans le vouloir. Elles se sont arrêtées, se sont assises en silence le long de leur rivière et ont subitement vu la lune. Elles ont vu son reflet, l'ont senti en elles. En un instant, elles ont compris la nature de ce que cette lune reflétait et sa provenance et cette révélation est devenue une partie d'elles. Et lorsque finalement elles se sont relevées et ont poursuivi le chemin, la lune est restée dans la rivière et sa lumière les a accompagnées.

• Langue: Français
• Éditeur: BadPress
• Date de sortie: 15 août 2018
• ISBN: 9781547540259

Aperçu du livre

À Sara, qui fut ma première aube

À Simone, qui est la lune

À David, qui est le soleil

À Ale, qui est ma mer

Et à Alex, qui est toujours avec moi.

INTRODUCTION

L'œil la voit

Mais aucune main ne peut la saisir

La lune dans la rivière

Voici le secret de mon école.

(maître de Shinkage-Ryu)

Qu'est-ce que la lune dans la rivière ?

La lune dans la rivière n'est que le reflet d'un reflet. La lune réfléchit la lumière solaire et se reflète ensuite dans les eaux de la rivière. On pourrait aussi bien l'appeler « ombre de l'ombre de Dieu ». Ombre et lumière, comme un étrange oxymore pour désigner, en réalité, pareille origine, pareille essence.

Mais bien que j'aime notre Mère Lune, je voudrais d'abord réfléchir sur la rivière. Pour que la lune se reflète, la rivière doit être calme et harmonieuse, sans aucune roche pour briser la surface ou transformer le cours de l'eau et sans aucun tourbillon pour déformer l'image. Et pourtant la rivière doit continuer à couler : si elle se transformait en étang, sa surface serait rapidement envahie par la végétation et rien ne pourrait plus s'y refléter. La rivière doit alors continuer à se mouvoir, à couler sans arrêt tout en restant toujours harmonieusement uniforme et alors la lune y reflètera sa lumière chaque nuit.

Et si nous réussissions à être nous aussi comme la rivière, à vivre et à changer sans renoncer à la paix et à l'harmonie, quelle lumière pourrions-nous refléter ?

Quelle lumière, en vérité, éclaire nos vies sans jamais réussir à s'y refléter à cause des eaux agitées, des rochers ou de l'eau morte stagnante de nos âmes ?

Et nous arrivons alors à cette lune qui se reflète silencieusement dans les eaux de la rivière. Sur la symbolique lunaire, des personnes bien plus cultivées et sensibles que moi ont déjà écrit des pages innombrables et je n'ai nullement l'intention de m'attarder sur le sujet : au fond, pour chacun d'entre nous, la lune a sa propre signification. Mais son reflet ? Ce reflet qui transperce sans la blesser l'eau de la rivière ? Qui s'immerge en elle sans y appartenir ?

Qu'importe nos efforts, nous ne réussirons jamais à capturer ce reflet, une quelconque interférence de notre part entre l'eau de la rivière et la lune ferait disparaitre le reflet, agiterait les eaux et en altèrerait l'équilibre délicat.

La seule façon pour nous de « posséder » ce reflet magique est d'y renoncer.

La seule façon est de s'asseoir calmement sur la rive.

La seule façon est de devenir lentement la rivière et de permettre que nos yeux, comme des eaux placides, accueillent pour un instant le reflet d'un reflet...

Mais puisque je veux être « sage », je suivrai le conseil de Gibran et ne chercherai pas plus à expliquer ce qu'est la lune dans la rivière, mais, au travers de ces courts récits, j'essaierai de vous accompagner au seuil de la demeure de votre savoir.

CHAPITRE I

Combien de personnes rencontrons-nous chaque jour.

À l'école, au travail, au supermarché, dans la rue... Une foule de visages nous croise sans laisser de trace sur notre passage. Et nous aussi faisons partie de cette foule, de cette masse anonyme qui se heurte parfois, dans la hâte, mais qui le plus souvent s'évite, ne serait-ce que du regard.

Quelque visage un peu moins inconnu esquisse un sourire furtif que peut-être nous lui rendons, mais le regard s'enfuit déjà, presque embarrassé d'un tel geste d'intimité.

La règle implicite, mais observée de tous en effet, veut que le regard glisse sans jamais se fixer, sans jamais s'attarder trop longtemps, presque comme s'il voulait franchir le masque d'indifférence si élégamment porté.

Parce qu'en réalité, au milieu de cette foule de gens, nous ne voyons personne et de personne ne sommes vus.

Et c'est là exactement ce que nous voulons : l'illusion de vivre au milieu des autres tout en restant seuls.

Après tout, ils sont étrangers : pourquoi devrions-nous leur montrer nos émotions, leur faire cadeau de ces sourires si péniblement mis de côté ?

Et surtout, pourquoi devrions-nous être les premiers ? Tous portent le masque, tous acceptent en silence la règle du « regard sans voir ». Mieux vaut ne pas l'enfreindre les premiers.

Un jour, pourtant, au milieu de la foule hétérogène et toujours semblable, il arrive de rencontrer quelqu'un : tantôt un invalide, tantôt un fou, plus rarement un simple rebelle.

Celui-ci ne baisse pas le regard, ne le détache pas rapidement comme le veut la règle, mais garde ses yeux attentifs rivés sur nous, la tête légèrement fléchie, comme s'il nous analysait. Et c'est précisément ce qu'il fait : il nous étudie, nous évalue, nous observe. Parfois même en vient-il à nous sourire, à nous adresser la parole.

Et nous avons beau nous échapper rapidement, cette rencontre reste avec nous, suscitant