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Le Post-Impressionnisme
Le Post-Impressionnisme
Le Post-Impressionnisme
Livre électronique441 pages4 heures

Le Post-Impressionnisme

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L’époque post-impressionniste fut celle des peintres solitaires : Gauguin, Sisley, Cézanne, van Gogh etc… « Il n’y a plus d’école unique. Il n’existe plus que quelques groupes, et ceux-ci ne cessent de se scinder. Toutes ces tendances me rappellent ces figures géométriques mobiles du kaléidoscope, qui se séparent un instant pour mieux s’unir, qui tantôt fusionnent, tantôt s’écartent, mais qui demeurent néanmoins à l’intérieur d’un seul et même cercle, le cercle du nouvel art. » (Emile Verhaeren) Nathalia Brodskaïa, conservateur au musée de l’Ermitage, décrit, avec son talent inégalable, les différents chemins qui conduisirent ces héritiers de l’impressionnisme à l’art moderne.
LangueFrançais
Date de sortie11 avr. 2018
ISBN9781785256608
Le Post-Impressionnisme

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    Aperçu du livre

    Le Post-Impressionnisme - Nathalia Brodskaïa

    Notes

    Paul Cézanne, La Montagne Sainte-Victoire, 1902-1904. Huile sur toile, 73 x 91,9 cm. Philadelphia Museum of Art, Philadelphie.

    Préface

    Lumière sur le terme « post-impressionnisme »

    Le terme « post-impressionnisme » signifie uniquement « après l’impressionnisme ». Ce n’est ni un courant, ni un mouvement artistique. C’est une petite période située à la fin du XIXe siècle. L’impressionnisme étant un phénomène propre à la peinture française, le concept de post-impressionnisme est lui aussi étroitement lié, à l’origine, à l’art français. On considère généralement que la période post-impressionniste débute en 1886, date de la huitième et dernière exposition commune des impressionnistes. Elle s’achève après 1900, ne débordant que très peu sur la première décennie du XXe siècle. Puisque le terme de « post-impressionnisme » et ses limites dans le temps sont bien définis, il apparaît que plusieurs œuvres post-impressionnistes se situent hors du cadre fixé. Mais malgré l’exceptionnelle brièveté de cette période, elle est souvent qualifiée d’« époque » post-impressionniste. En effet, ces quelques vingt années ont vu éclore des phénomènes artistiques si marqués, des courants picturaux si différents et des personnalités créatrices si étonnantes que l’on peut sans crainte qualifier ces années à la charnière du nouveau siècle d’« époque ».

    A cette époque, les impressionnistes étaient encore en vie et encore actifs, mais si Claude Monet, Edgar Degas, Auguste Renoir, Camille Pissarro et Alfred Sisley réalisèrent de nombreuses œuvres après 1886, leur unité artistique, leurs aspirations et expositions communes appartenaient déjà au passé. Ils devinrent peu à peu célèbres, tout comme Edouard Manet, décédé en 1883, mais la reconnaissance officielle tardait à venir. Le moment semblait venu de réfléchir au concept même d’impressionnisme, de comprendre ce qu’il avait apporté à l’art de l’époque.

    En 1886, un critique parisien, Félix Fénéon, publia une série d’articles intitulée « Les Impressionnistes en 1886 ». Pourtant, trois ans après la mort d’Edouard Manet, Fénéon se rendait déjà compte que Manet n’était pas un représentant de l’impressionnisme. Ce dernier avait beaucoup appris aux impressionnistes, mais selon Fénéon, son œuvre personnelle, brillante et indépendante, avait également subi, à un moment donné, l’influence « de Camille Pissarro, de Degas, de Renoir et surtout de Claude Monet : ceux-ci furent les chefs de la révolution dont il fut le héraut ». [1]

    En 1886, le nom de leur dernière exposition ne faisait déjà plus référence aux « impressionnistes ». Celle-ci avait été organisée par Berthe Morisot, son mari, Eugène Manet, et Edgar Degas. Dès le début où les artistes s’étaient réunis, Degas s’était opposé au terme d’« impressionnisme » emprunté au critique Leroy, qui se basait sur le nom d’une toile de Claude Monet. En réalité, et ce dès la première exposition, il n’existait pas de véritable unité entre les différents exposants. Afin de former un groupe plus puissant, les peintres avaient invité leurs amis à cette première exposition, même s’ils ne partageaient nullement la moindre orientation. Cependant, la ligne de conduite des expositions fut dictée par son noyau central : trois élèves de Gleyre (Monet, Renoir et Sisley), ainsi que Pissarro et Degas, auxquels vinrent s’ajouter par la suite Berthe Morisot et quelques-uns de leurs amis. De par ses exposants, la dernière exposition n’était déjà plus du tout impressionniste. Ni Claude Monet, ni Renoir n’y participèrent, préférant participer à la Cinquième Exposition internationale de Georges Petit. En outre, vexés de ne pas être associés à l’organisation de l’exposition, Sisley et Caillebotte, l’ami des impressionnistes, refusèrent d’exposer. A leur place exposèrent de nouveaux artistes qui n’avaient rien de commun avec l’impressionnisme : Odilon Redon, Georges Seurat, Paul Signac, Paul Gauguin et son ami Emile Schuffenecker, etc. Fénéon tenta de diviser les participants de l’exposition de 1886 en groupes représentant différentes tendances. Selon lui, Degas était un cas à part ; l’impressionnisme traditionnel et naturaliste était représenté par Berthe Morisot, Gauguin et Guillaumin ; enfin, Pissarro, Seurat et Signac étaient les représentants d’un nouveau courant. Cependant, Fénéon lui-même, pourtant l’un des critiques parisiens les plus fins de l’époque, ne put séparer l’impressionnisme des autres courants qui s’y opposèrent ou en découlèrent. Cela n’a rien d’étonnant : à l’époque certains participants de ces expositions collectives, comme Cézanne ou Gauguin, semblaient appartenir eux aussi à l’impressionnisme.

    Résumé de l’impressionnisme

    Cela étant, Fénéon fut tout de même le premier à déterminer les principaux éléments à la base de la peinture impressionniste, les distinguant de l’art traditionnel : « L’impressionnisme a instauré dans l’Art une vision nouvelle, écrit-il en 1886, résumant le travail des impressionnistes. (…) Proscription de tout sujet historique, allégorique, mythologique, ou trop expressément littéraire ; comme méthode de travail, l’exécution d’après la nature directement, et non dans l’atelier d’après des souvenirs, des croquis, des documents écrits ; le souci de la signification émotionnelle des couleurs ; l’effort pour se rapprocher des éclatantes luminosités naturelles. L’école impressionniste est une école de coloristes ». [2]

    En littérature, la première tentative de réflexion sur l’impressionnisme fut L’Œuvre, le roman d’Emile Zola, qui fut publié à Paris en 1886. Défenseur enthousiaste d’Edouard Manet, Zola écrivit l’histoire de la quête et de la chute d’un jeune peintre « impressionniste ». La biographie du héros ne coïncidait avec la vie d’aucun impressionniste réel. Selon Zola, son tableau rappelait surtout le Déjeuner sur l’herbe d’Edouard Manet. Le héros du roman vivait dans le Paris bohème que tous connaissaient bien. Son art prenait vie dans des doutes et des tourments interminables et, devenant fou, il mit fin à ses jours. Les contemporains de Zola essayèrent de deviner à qui ce peintre ressemblait le plus : Edouard Manet ou Claude Monet ? Seul Paul Cézanne, l’ami d’enfance de Zola, était convaincu d’avoir servi de prototype au héros du livre. Considérant cela comme une trahison, il mit un terme à son amitié de près de trente ans avec l’écrivain. En fin de compte, le roman offensa tout le monde : le tableau que dressa Zola de l’œuvre du peintre impressionniste parut trop pessimiste, et la vision de son destin, trop sombre. Sans doute était-il encore trop tôt. Pour les partisans et critiques et pour les peintres eux-mêmes, l’heure n’était pas encore venue de comprendre ce que représentait l’impressionnisme pour l’art de son temps, et les conséquences qu’il aurait dans l’évolution de la peinture.

    Apparu beaucoup plus tard, le terme de « post-impressionnisme » témoigne de la prise de conscience du rôle majeur que joua l’impressionnisme dans l’art à travers le monde. Ce courant pictural fut si marquant que, parmi les artistes de l’époque qui empruntèrent un chemin différent de la tradition académique, aucun ne put travailler sans subir son influence. Qu’il fût partisan ou adversaire de l’impressionnisme, aucun peintre de la fin du XIXe siècle ne put se détacher, dans ses œuvres, de ce qu’avaient fait Monet et ses amis. L’impressionnisme fut une impulsion puissante dans l’évolution des tendances picturales qui s’opposaient au diktat des canons de l’école artistique classique et qui rejetaient les bases adoptées à la Renaissance par l’art européen, sur lesquelles se fondaient les dogmes académiques italiens, puis français, des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Certes, les canons académiques en matière de formation professionnelle dans le domaine des beaux-arts étaient rigoureusement logiques, rationnels et, semblait-il, immuables. Or la nouveauté naissait non de la négation, mais de l’utilisation de ces canons comme base d’un développement à long terme de la peinture. La liberté que s’accordèrent les impressionnistes révéla les chemins artistiques les plus divers, et donna à chaque peintre la possibilité de faire son propre choix.

    La force des impressionnistes était le point de vue commun qu’ils avaient sur la peinture. Réunis en groupe, ils soutinrent non seulement l’opposition à l’art officiel, mais amplifièrent également la résonance de leurs découvertes. Les impressionnistes ne publièrent jamais de manifeste ; leurs déclarations étaient exprimées non par des mots, mais par leurs œuvres uniquement. Poursuivant leur quête, ils portèrent leurs canons picturaux aux limites de leur développement. Leurs camarades des expositions communes et successeurs immédiats disposaient de bases pour juger de la justesse ou des défauts de ces canons au regard de leur position. D’aucuns utilisèrent des éléments spécifiques de leur peinture, d’autres nièrent l’impressionnisme, lui opposant leurs propres trouvailles.

    Claude Monet, Bouquet de tournesols, 1881. Huile sur toile, 101 x 81,3 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York.

    Vincent Van Gogh, Les Tournesols, 1888. Huile sur toile, 93 x 73 cm. The National Gallery, Londres.

    Paul Gauguin, Jour d’hiver, 1886. Huile sur toile, 71,8 x 55,9 cm. Don d’Aaron M. et Clara Weitzenhoffer, Fred Jones Jr. Museum of Art, University of Oklahoma, Oklahoma City.

    Alfred Sisley, La Neige à Louveciennes, 1878. Huile sur toile, 61 x 50,5 cm. Musée d’Orsay, Paris.

    Paul Cézanne, Quartier Four, Auvers-sur-Oise (Paysage, Auvers), vers 1873. Huile sur toile, 46,3 x 55,2 cm. Philadelphia Museum of Art, Philadelphie.

    Ce qu’a apporté le post-impressionnisme

    L’époque post-impressionniste fut celle des peintres solitaires : un très petit nombre d’entre eux se réunissaient, et encore rarement. Le grand chercheur de l’impressionnisme, John Rewald, s’appuya sur la formulation spirituelle du poète belge Emile Verhaeren : « Il n’y a plus d’école unique, écrit-il en 1891. Il n’existe plus que quelques groupes, et ceux-ci ne cessent de se scinder. Toutes ces tendances me rappellent ces figures géométriques mobiles du kaléidoscope, qui se séparent un instant pour mieux s’unir, qui tantôt fusionnent, tantôt s’écartent, mais qui demeurent néanmoins à l’intérieur d’un seul et même cercle, le cercle du nouvel art ». [3]

    Ils n’avaient pas de regard d’ensemble sur l’art, pas de relation d’ensemble à la nature, pas de style d’écriture unique. La seule chose qui rapprochât ces peintres, c’était l’empreinte qu’avait laissée sur eux l’impressionnisme : aucun d’eux n’aurait pu travailler ainsi si l’impressionnisme n’avait pas existé. Mais un destin malheureux attendait tous ces peintres : aucun d’eux ne pouvait espérer exposer au Salon ou montrer son travail en public. Si les impressionnistes avaient indiqué un chemin possible en montant leur propre exposition, tous ceux qui n’étaient pas avec eux restèrent en dehors. Ils étaient très différents : l’un n’avait pas le niveau professionnel, qui était une condition obligatoire du jury ; d’autres choquèrent par l’audace excessive de leur manière de peindre, leur « laisser-aller » volontaire ou l’intensité de leurs couleurs. En 1884, une nouvelle exposition s’ouvrit à Paris : le Salon des artistes indépendants. Parce qu’il n’y avait aucun jury, personne ne choisissait les travaux qui étaient exposés ainsi, chaque peintre pouvait présenter les œuvres de son choix. La seule réserve était la quantité d’œuvres exposées, qui changeait d’une année sur l’autre. Sa position insolite le rendant indésirable dans les expositions officielles, le néo-impressionniste Georges Seurat joua un rôle actif dans l’organisation du Salon des indépendants. Les indépendants proclamèrent ce qui allait devenir l’accomplissement caractéristique de l’époque post-impressionniste. Comme le disait Henri Rousseau, un naïf « peintre du dimanche », « toute liberté de produire doit être laissée à l’initiateur ».[4] Deux ans seulement après la dernière exposition des impressionnistes, chaque peintre avait désormais la possibilité de montrer ses œuvres au grand public. Bien qu’il fût souvent difficile de dénicher un grand talent parmi les centaines de travaux qui y étaient exposés, c’est ce Salon qui donna justement la possibilité de découvrir le grand art à un peintre non éduqué comme Henri Rousseau. L’instruction scolaire cessa alors d’être une qualité essentielle du peintre, Vincent Van Gogh et Paul Gauguin étant eux aussi, de fait, des autodidactes obstinés. L’« impressionniste » Cézanne, à qui la manière de peindre des impressionnistes ne convenait pas, suivit son propre chemin, tout comme Henri de Toulouse-Lautrec, qui avait reçu un enseignement classique, mais choisi un chemin réprouvé. Les œuvres de tous ces peintres furent conçues pendant l’époque post-impressionniste, et, bizarrement, leurs vies s’achevèrent toutes à la charnière du nouveau siècle : Van Gogh mourut en 1890, Seurat en 1891, Lautrec en 1901, Gauguin en 1903, Cézanne en 1906 et le Douanier en 1910.

    Camille Pissarro, Paysage à Chaponval, 1880. Huile sur toile, 54,5 x 65 cm. Musée d’Orsay, Paris.

    Vincent Van Gogh, Le Matin : Paysans allant aux champs (d’après Millet), 1890. Huile sur toile, 73 x 92 cm. Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

    L’Epoque post-impressionniste : le fond et l’ambiance

    La Révolution technique et scientifique

    La période du post-impressionnisme commença dans l’atmosphère des fantastiques changements du monde environnant. La technique donnait naissance à de véritables prodiges. Le développement des sciences, qui portaient auparavant des noms généraux (physique, chimie, biologie, médecine), s’engageait dans de nombreuses directions toujours plus étroites. Dans le même temps, cela incitait des domaines scientifiques jusque-là très différents à unir leurs efforts, entraînant par conséquent des inventions auxquelles il aurait été impossible de penser deux ou trois décennies plus tôt. Ces inventions bouleversèrent complètement les représentations du monde et de l’homme. Il suffit de rappeler que l’ouvrage de Charles Darwin, La Descendance de l’homme, fut publié dès 1871. Chaque nouvelle découverte, chaque nouveau voyage, apportait du nouveau. Les inventions dans le domaine des transports et des relations conduisirent l’homme dans des coins de la planète inexplorés jusque-là. De nouveaux projets, grandioses, furent encouragés pour faciliter les communications entre ses différentes régions. En 1882, on débuta en Grèce la construction du canal de Corinthe ; en 1891, la Russie se lança dans le projet monumental d’une ligne de chemin de fer transsibérien qui s’acheva en 1902 ; en Amérique les travaux commencèrent pour la construction du canal de Panama. Aussi, la connaissance de nouvelles terres ne pouvait pas ne pas influencer le développement des arts.

    Dans le même temps, les moyens de communication et de transport s’étaient considérablement développés. En 1876, Bell inventait le téléphone et, dès le dernier quart du XIXe siècle, les gens purent se parler malgré la distance. Grâce à l’invention du télégraphe, Marconi, en 1895, développa le réseau des ondes hertziennes et quatre ans plus tard eut lieu la première émission de radio. La vitesse des déplacements terrestres s’accélérait à un rythme incroyable. En 1884, la première automobile à vapeur fit son apparition dans les rues françaises ; en 1886, Daimler et Benz produisaient des autos en Allemagne et le premier Salon de l’automobile se tenait en 1898 à Paris. En 1892, le premier tramway parcourait les rues de Paris, et en 1900 le métro parisien vit le jour. L’homme s’élevait et explorait ses profondeurs. En 1890, Ader fut le premier à quitter le sol dans un aéroplane ; en 1897, il s’envola avec un passager, et en 1909 Blériot traversait la Manche en aéroplane. Zédé conçut le projet d’un navire sous-marin à propulsion électrique dès 1887. C’était à croire que tous les projets fantastiques de Jules Verne prenaient soudain vie.

    Dans le même temps, on faisait des découvertes scientifiques qui, à défaut d’être visibles, étaient néanmoins marquantes pour l’humanité. En 1875, Flemming découvrit les chromosomes ; en 1879, Pasteur découvrit qu’il était possible de vacciner contre certaines maladies ; en 1887, la théorie de l’hérédité apparut avec Weismann. Lawrence découvrit les électrons, Röntgen les rayons X, Pierre et Marie Curie la radioactivité. Si les découvertes scientifiques et techniques semblent éloignées du domaine des arts plastiques, elles n’en eurent pas moins une influence majeure. La technique permit d’ailleurs l’apparition d’une nouvelle forme d’art : en 1894, Edison réalisa la première prise de vue, et en 1895 les frères Lumière montrèrent le premier film.

    Les voyageurs européens formaient des projets de plus en plus audacieux et leurs quêtes rapportaient en Europe un matériel nouveau et sensationnel. En 1874 Stanley traversa l’Afrique. En 1891, Dubois découvrit à Java les restes d’un pithécanthrope. Auparavant, dans les années 1860, les archéologues E. Lartet et H. Christy avaient découvert dans les grottes de la Madeleine l’image d’un mammouth laineux gravée sur une défense. Il était difficile de croire à l’existence d’un art paléolithique, mais les recherches ultérieures des archéologues imposèrent de reconnaître sa valeur esthétique. En 1902, l’archéologue E. Cartailhac publia à Paris le Mea culpa d’un sceptique, qui mit un terme à la longue histoire du mépris de la peinture primitive. Les étonnantes peintures rupestres des grottes d’Altamira, après de longs doutes, furent finalement reconnues authentiques. Débuta alors une époque de recherches intensives de manifestations de l’art primitif, qui au tournant du siècle prit la forme d’une « fièvre des grottes ».

    Paul Gauguin, Nature morte aux fruits, 1888. Huile sur toile, 43 x 58 cm. Musée Pouchkine, Moscou.

    Paul Cézanne, Nature morte au compotier, verre et pommes, 1879-1880. Huile sur toile, 46 x 55 cm. Collection privée, Paris.

    C’est également à la fin du XIXe siècle que naquit l’ethnographie. En 1882, le musée ethnographique ouvrit à Paris et une exposition de l’Amérique centrale se tint à Madrid en 1893. En 1898, dans le cadre d’une expédition punitive dans les colonies africaines, les Anglais redécouvrirent, après les Portugais au XVe siècle, le Bénin et son art étrange. Les produits en or des aborigènes péruviens et mexicains, qui étaient arrivés en quantités massives en Europe au XVIe siècle après la découverte de l’Amérique, n’avaient guère attiré l’attention de l’art à l’époque ; ce n’était qu’un métal précieux destiné à être fondu. L’élargissement des frontières du monde européen à la fin du XIXe siècle ouvrit aux peintres d’incroyables horizons esthétiques. L’Antiquité classique cessa en effet d’être la seule source d’art figuratif. Ce que O. Spengler appela par la suite le « déclin de l’Europe », qui sous-entendait la fin du pan-européanisme au sens large, entretint des rapports immédiats avec l’art.

    L’année 1886 marqua également le début des changements de la physionomie de Paris. Un concours fut organisé pour la construction d’un monument commémorant le centenaire de la Révolution française (1789) qui coïncidait avec l’Exposition universelle. Ce fut le projet de tour de l’ingénieur Gustave Eiffel qui fut adopté. La perspective d’ériger en plein centre de la ville une tour métallique de 300 mètres de hauteur effraya les Parisiens. Le 14 février 1887, le journal Le Temps publia une lettre ouverte que signèrent François Coppée, Alexandre Dumas, Guy de Maupassant, Sully Prudhomme et l’architecte Charles Garnier, auteur du projet ayant abouti à la construction de l’opéra de Paris en 1875. « Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu’ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire français menacés, contre l’érection, en plein cœur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse tour Eiffel, écrivirent-ils. La Ville de Paris va-t-elle donc s’associer plus longtemps aux baroques, aux mercantiles imaginations d’un constructeur de machines, pour s’enlaidir irréparablement et se déshonorer ? (…) Il suffit (…) de se figurer un instant une tour vertigineusement ridicule, dominant Paris, ainsi qu’une noire et gigantesque cheminée d’usine, écrasant de sa masse barbare Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, la Tour Saint-Jacques, le Louvre, le dôme des Invalides, tous nos monuments humiliés, toutes nos architectures rapetissées, qui disparaîtront dans ce rêve stupéfiant. Et, pendant vingt ans, (…) nous verrons s’allonger comme une tache d’encre l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée ».[5] Néanmoins, l’Exposition universelle de 1889 surprit Paris par la belle architecture dentelée d’Eiffel. Pendant l’exposition, la tour Eiffel reçut au moins 12 000 visiteurs par jours, puis trouva ensuite un emploi de tour télégraphique. Mais le plus important était qu’elle compta finalement parmi les dominantes architecturales qui s’opposaient à elle. La ville approchait du XXe siècle et rien ne pouvait arrêter son développement. Avec les structures métalliques du marché Baltard et des gares, le Paris d’Haussmann adopta tout à fait naturellement la tour Eiffel. Parmi les peintres de l’époque post-impressionniste, certains embrassèrent tout de suite la nouvelle esthétique architecturale. Pour Paul Gauguin, l’Exposition universelle fut à sa manière la découverte du monde exotique de l’Orient, avec ses temples hindous et ses danses javanaises. Mais la pureté fonctionnelle de la structure des pavillons l’impressionnèrent également. Gauguin écrivit un texte intitulé « Notes sur l’art à l’Exposition universelle », publié dans le Moderniste illustré le 4 juillet 1889 : « Aux ingénieurs architectes appartient un art nouveau de décoration, tel que boulon d’ornement, coin de fer dépassant la grande ligne, en quelque sorte une dentelle gothique en fer, écrivit-il. Nous retrouvons cela un peu dans la tour Eiffel ». Gauguin appréciait la décoration lourde et simple de la tour, son matériau excessivement industriel. Il était catégoriquement opposé à l’éclectisme et au mélange des styles. La nouvelle époque engendrait une nouvelle esthétique : « Pourquoi aussi repeindre le fer en beurre, pourquoi cette dorure comme à l’Opéra ? Non, ce n’est pas là le bon goût. Le fer ! Du fer et encore du fer ! » [6] L’époque post-impressionniste changea précipitamment les goûts et les passions artistiques. En 1912, Guillaume Apollinaire consacrait déjà la tour Eiffel comme le nouveau symbole de la ville ; elle se transformait dans ses vers en bergère gardant les ponts de Paris.

    L’année 1900 apporta de nouvelles dominantes architecturales dans Paris : sur les berges de la Seine, où l’on construisait traditionnellement les pavillons de l’Exposition universelle, des palais apparaissaient. Eugène Hénard en effet avait conçu les plans d’un ensemble sur la rive droite, dont l’axe principal était « une large avenue dans l’axe de l’esplanade des Invalides et du pont Alexandre III ». Des deux côtés de l’avenue s’élevaient deux pavillons pour l’Exposition universelle de 1900, le Grand Palais et le Petit Palais, deux merveilles des techniques de construction contemporaines. Le principe de la construction était celui d’une architecture métallique entourée d’une façade de pierre. L’utilisation d’une structure métallique permettait ainsi de décorer le palais de lourdes sculptures de pierre et de bronze qui se mariaient parfaitement avec la peinture et la mosaïque. Cette architecture donnait la possibilité de couper l’immense espace du Grand Palais en construisant des

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