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La Tradition Pop Art - Une reponse a la Culture de Masse
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Livre électronique442 pages4 heures

La Tradition Pop Art - Une reponse a la Culture de Masse

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Pop Art : art consumériste ou art traditionnel ?
Né d’initiatives individuelles, le mouvement « Pop Art » reflète la consommation de masse qui s’installe dans la société des années 1950. Par l’usage de la sérigraphie et de nouvelles techniques, ces nouveaux artistes révolutionnent la notion même d’art en brisant l’unicité propre au chef-d’œuvre, et le rendent accessible et « populaire » grâce à l’utilisation des icônes de l’époque et des objets du quotidien.
L’auteur, Eric Shanes, analyse la démarche des artistes incontournables du Pop Art mais souligne également les influences qui subsistent aujourd’hui dans l’art contemporain, faisant désormais de ce mouvement un art institutionnalisé.
LangueFrançais
Date de sortie9 déc. 2019
ISBN9781783108398
La Tradition Pop Art - Une reponse a la Culture de Masse

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    Aperçu du livre

    La Tradition Pop Art - Une reponse a la Culture de Masse - Eric Shanes

    ILLUSTRATIONS

    Andy Warhol, Campbell’s Soup (Turkey Noodle) [Soupe Campell (Nouilles à la dinde)], 1962. Sérigraphie à l’encre sur toile, 51 x 40,6 cm. Collection Sonnabend.

    AVANT-PROPOS

    Depuis la fin des années 1950, une nouvelle tradition a fait son apparition dans l’art occidental. Sa phase initiale, qui dura de 1958 à 1970 environ, fut rapidement baptisée Pop Art – terme qu’on s’accorde depuis toujours à réfuter puisqu’il embrouille souvent plus qu’il n’éclaire. L’appellation d’ Art de la culture de masse conviendrait davantage : en effet, lorsque le critique britannique Lawrence Alloway inventa le terme Pop en 1958, il ne l’associait à aucune forme artistique existante, et certainement pas à la culture pop telle qu’on l’entend aujourd’hui (même si ce mot a tendance à tomber en désuétude), désignant cette culture de jeunesse contestataire qui en était alors à ses premiers balbutiements. Il faisait allusion, au contraire, aux nouvelles formes d’expression créées par un nombre croissant d’individus d’un bout à l’autre du monde occidental, qui partageaient les mêmes valeurs et qui, grâce au niveau de vie en hausse et au développement des loisirs et des technologies bon marché, commençaient à avoir accès à toute une culture de masse. Le Pop Art, nous allons le voir, s’est toujours intéressé avant tout aux effets et aux produits d’une telle culture. L’expression Art de la culture de masse est donc plus exacte, (même si, pour éviter toute confusion, le mot Pop sera maintenu tout au long de ce livre). La culture de masse dans tout ce qu’elle a de riche et de complexe a, en outre, inspiré d’autres générations d’artistes qu’on n’associe jamais avec le Pop Art : il est donc essentiel de désigner sous le nom d’Art de la Culture de Masse la tradition que ceux-ci ont partagée avec les représentants du Pop Art des années 1960, sans quoi il serait pratiquement impossible d’établir un lien entre ces groupes d’artistes vivant à des époques et en des lieux différents. Ce livre a donc quatre objectifs : revenir sur les distinctions faites communément entre ce qui ressort du Pop Art et ce qui ne lui appartient pas grâce à cette nouvelle appellation ; explorer la tradition et les causes du Pop Art/Culture de Masse ; évoquer ses principaux acteurs ; et étudier en détail un échantillon représentatif d’œuvres créées par ces artistes.

    Edgar Degas, Au Café, vers 1876. Huile sur toile, 92 x 68 cm. Musée d’Orsay, Paris.

    POP ART ET CULTURE DE MASSE

    D’un point de vue historique, l’émergence d’une culture de masse était inévitable, tout comme l’impact qu’elle allait avoir, tôt ou tard, sur la création artistique. Nous vivons à une époque de démocratie et d’innovations technologiques qui a débuté avec la Révolution Industrielle en Grande-Bretagne et les bouleversements politiques de la fin du XVIIIe siècle en France et aux Etats-Unis. L’industrialisation et la démocratisation se sont étendues et un nombre croissant d’individus qui en ont peu à peu récolté les bénéfices, à savoir la participation politique, l’épanouissement par le travail, le développement de l’individualisme, ainsi qu’un meilleur accès au logement, aux soins médicaux, à l’éducation, et à la mobilité sociale et physique. Ils en ont aussi payé le prix fort : la manipulation politique motivée par l’égoïsme et le cynisme ; l’exploitation économique tous azimuts ; la mondialisation aux dépens des identités nationales, régionales et locales ; un travail souvent ingrat et aliénant ; l’urbanisation effrénée ; l’industrialisation des zones rurales, avec tous ses méfaits pour l’environnement ; la pollution industrielle ; enfin, la perte généralisée des repères spirituels et sa cohorte d’irrationalisme, de superstition, de fanatisme religieux et de cultes divers, de nationalisme exacerbé, de romantisme quasi-politique, de massacres primitifs et industriels, et autres matérialisme, consommation affichée et culte des personnalités médiatiques. Toutes ces transformations et bien d’autres ont impliqué les institutions, les techniques industrielles et les produits créés pendant cette période, même si ce n’est qu’à partir de la naissance du Pop Art/Culture de Masse à la fin des années 1950 que certains artistes ont commencé à s’intéresser exclusivement aux tendances culturelles, aux techniques et aux produits de leur époque.

    Au moment où Lawrence Alloway rédigeait sa définition du Pop en 1958, il faisait partie de l’Independent Group, cercle qui réunissait artistes, créateurs, architectes et critiques au sein de l’Institute of Contemporary Arts de Londres. Ceux-ci estimaient qu’il était temps, en ce milieu du XXe siècle, de prendre en compte l’essor considérable de la culture populaire et des formes d’expression qui lui étaient propres, le snobisme consistant à les rejeter en bloc pour leur vulgarité n’étant plus de mise. Bien entendu, c’est seulement à l’époque des technologies modernes que les artistes, qui souhaitaient s’adresser à un nombre croissant de consommateurs de produits industriels, ont eu les moyens techniques de le faire. Chaque nouvelle technologie de masse, depuis l’imprimerie de journaux jusqu’à l’appareil photo, en passant par la radio, la pellicule et le projecteur de cinéma, le poste de télévision, et jusqu’aux nouveaux médias, qui supplantent à l’heure actuelle leurs prédécesseurs à une vitesse vertigineuse et les relèguent aux oubliettes, a suscité de nouvelles réactions et créé un nouveau type d’imagerie visuelle, qui ne manquent pas d’intéresser artistes et créateurs. D’autre part, la culture populaire de masse est puissante et énergique : ses modes de transmission, tels que l’image filmée, la publicité, l’affiche et l’illustration dans les magazines ont une immédiateté que n’ont pas les œuvres plus intellectuellement complexes. Une pièce de Shakespeare, une symphonie de Beethoven ou une toile de Rembrandt, par exemple, nous demandent un peu plus d’effort qu’un film de Hollywood, un disque de musique pop, ou une affiche publicitaire. L’Independent Group arrivait donc à point nommé lorsqu’il proposa aux artistes et aux créateurs de s’inspirer de l’énergie et de la vitalité de la culture de masse – n’oublions pas qu’on était alors dans les années 1950, décennie marquée à travers le monde occidental par le redressement et la prospérité économiques d’après guerre. De nombreux autres artistes issus d’horizons divers qui n’avaient aucun lien direct avec le groupe britannique, ni même entre eux, en arrivèrent d’ailleurs aux mêmes conclusions au même moment, ce qui prouve bien la pertinence de leurs idées.

    Cette convergence de groupes distincts vers les mêmes conclusions explique pourquoi, dans l’ensemble, le Pop Art/Culture de Masse ne constitua jamais un mouvement à proprement parler. Même si, à ses débuts, on assista à quelques échanges d’idées entre des artistes britanniques qui adhéraient à ses principes, ce ne fut pas le cas aux Etats-Unis, où il n’y eut que très peu de contacts entre ses sympathisants. C’est pourquoi il est peut-être plus judicieux de parler d’une dynamique culturelle plutôt que de mouvement. Il est vrai que sa naissance dans les années 1950 fut rendue possible par divers facteurs historiques, même si elle avait été précédée de nombreux signes avant-coureurs.

    Edward Hopper, People in the Sun (Gens au soleil), 1960. Huile sur toile, 102,6 x 153,4 cm. Smithsonian American Art Museum, Washington, D.C.

    Grant Wood, Daughters of Revolution (Les Filles de la révolution), 1932. Huile sur masonite, 58,8 x 101,6 cm. Cincinnati Art Museum, Ohio.

    Les Précurseurs du mouvement Pop

    Bien entendu, l’humanité dans son ensemble avait été l’objet d’étude de nombreux artistes avant le milieu du XXe siècle. Les plus mémorables d’entre eux sont, aux XVIIIe et XIXe siècles, les peintres Francisco Goya, J.M.W. Turner et David Wilkie, qui montraient des personnages ordinaires occupés à leurs tâches et loisirs quotidiens. Ces deux derniers affectionnaient tout particulièrement les sujets populaires et représentaient leurs personnages dans leur vie de tous les jours, chez eux, au café ou à la fête du village, renouant ainsi avec une tradition qui remonte aux XVIe et XVIIe siècles, avec les peintres Pieter Bruegel l’Ancien, Adrian van Ostade et David Teniers le Jeune. Plus tard, au XIXe siècle, Gustave Courbet, Edouard Manet et Edgar Degas, entre autres, puisèrent eux aussi leur inspiration dans les milieux modestes, comme le montre Au Café, magnifique étude de l’aliénation, réalisée par ce dernier aux alentours de 1876. Ce tableau représente un homme à l’allure brutale et une femme maltraitée qui sont isolés mentalement l’un de l’autre et séparés spatialement de nous. Degas exerça par ailleurs une influence importante sur deux peintres majeurs qui s’intéressèrent directement à la culture populaire : l’Anglais Walter Sickert et l’Américain Edward Hopper.

    Sickert suivait sans s’en cacher l’exemple de Degas, peintre des divertissements populaires tels que le cirque et le café-concert, dans ses représentations de scènes de music hall et de stations balnéaires. Plus tard dans sa vie, il peignit une série de toiles d’après des photos de journaux, dont il imitait le grain et l’aspect flou presque autant qu’il en copiait le sujet. Quant à Hopper, avec la peinture qu’il fit de la solitude urbaine, de l’anomie et de l’aliénation, autant d’effets pervers de la société et de la culture de masse, s’inspire également de Degas (en particulier du tableau Au Café, dont il avait vu une reproduction dans un livre publié en 1924). Vers la fin de sa vie, avec Gens au soleil, il s’attaqua même au culte hédoniste du soleil qui était devenu un élément essentiel de la vie moderne.

    Les adeptes des bains de soleil représentés par Hopper dans Gens au soleil sont l’incarnation d’un phénomène culturel. Un autre artiste à avoir recouru à ce genre de symboles, même s’il le fit bien avant Hopper et de manière beaucoup plus acerbe, est Grant Wood, lequel, en 1930, peignit ce qui allait sans doute devenir son tableau le plus célèbre, Gothique américain. On y voit un fermier typique du Middle-West américain en bleu de travail et sa femme, vêtue de grossiers habits de laine, à ses côtés. Leur maison, une modeste habitation à fenêtre d’inspiration gothique, se dresse derrière eux. Ensemble ils incarnent les valeurs pieuses et puritaines de l’Amérique moyenne. De même, Wood réalisa en 1932 Les Filles de la révolution, où l’on peut voir trois redoutables matrones, membres de toute évidence de l’organisation néo-conservatrice des Filles de la Révolution Américaine, debout devant l’objet de leur adoration nationaliste, le Washington traversant le Delaware peint en 1851 par Emanuel Leutze. A l’instar de ses prédécesseurs Wilkie, Degas et Hopper, qui s’étaient intéressés avant lui aux milieux populaires, Wood représentait la vie quotidienne telle qu’elle était vraiment, et non telle qu’elle se reflétait indirectement à travers le prisme des médias. Les premiers artistes à s’être penchés sur les associations de ces médias et de la culture populaire de masse étaient sans aucun doute Georges Braque et Pablo Picasso. En 1911, Braque commença à peindre dans ses tableaux des lettres qui semblaient tracées au pochoir. Celles-ci évoquaient automatiquement la fabrication en série : de telles lettres ont en effet un côté très vulgaire, puisqu’on les trouve surtout sur des caisses et cartons d’emballage, où leur unique but est de permettre une identification rapide, à l’exclusion de tout raffinement esthétique. Quant à Picasso, ses œuvres des années 1912-13 incorporent des fragments de papier journal et de partitions de chansons populaires, ce qui constitue non seulement l’un des premiers exemples de collage dans l’histoire de l’art, mais a aussi créé des liens entre l’art et les médias.

    Grant Wood, American Gothic (Gothique américain), 1930. Huile sur planche, 73,6 x 60,5 cm. Art Institute of Chicago, Illinois.

    Pablo Picasso, Guitare, partition, verre, 1912. Papiers collés, gouache et fusain sur papier, 48 x 36,5 cm. Marion Koogler McNay Art Institute, San Antonio, Texas.

    Cette nouvelle technique artistique, dont Picasso fut le pionnier et qui s’illustre dans Guitare, partition, verre, conduisit de nombreux autres artistes tels que Georg Grosz, Paoul Hausmann et Kurt Schwitters à inclure photographies, schémas scientifiques, cartes, et autres matériaux dans leurs tableaux. Quelques unes de ces œuvres, dont un collage réalisé par Schwitters en 1947, utilisent même des images de bande dessinée. John Heartfield, autre artiste allemand, inventa un nouveau genre artistique, le photocollage, dans lequel une grande partie de l’œuvre est composée de fragments de journaux, ouvrant ainsi la porte à l’humanité toute entière.

    Au moment où, au début des années 1920, Heartfield se mettait à explorer ce nouveau territoire visuel en recyclant dans ses tableaux des matériaux préexistants, un peintre d’origine française, Marcel Duchamp, avait déjà réalisé plusieurs "ready-made, à savoir des sculptures créées à partir d’objets industriels fabriqués à grande échelle. Tantôt utilisés seuls, tantôt en conjonction avec d’autres, ces produits représentaient de nouvelles formes artistiques en même temps qu’ils symbolisaient certains aspects de la société industrielle. Le plus célèbre de ces ready-made" est sans doute Fontaine, créé en 1917, composé d’un simple urinoir en céramique acheté dans une quincaillerie. Duchamp avait l’intention de présenter son œuvre au public new-yorkais en 1917 lors d’une grande exposition dont il était l’un des organisateurs. L’attrait principal de cette exposition était son accès démocratique (chacune des plusieurs milliers d’œuvres reçues y était automatiquement exposée), ceci à une époque où la démocratie était un sujet des plus brûlants, les Etats-Unis étant sur le point d’entrer dans la Première Guerre mondiale. Duchamp et son urinoir au titre humoristique invitaient à réfléchir sur ce qui est le propre de l’homme – chacun, de par le monde, utilise un urinoir de temps à autre. Une œuvre, en somme, on ne peut plus démocratique.

    Duchamp disait (du moins au début) qu’il souhaitait, en exposant un tel objet, l’élever au rang d’objet d’art, et nous pousser à reconnaître la beauté inhérente aux articles fabriqués en série qui n’éveillent, d’ordinaire, aucun sentiment esthétique. C’était doublement rusé : même s’il est probable que Duchamp, qui n’accordait aucune valeur à sa Fontaine, l’ait détruite au début des années 1920, il est certain qu’elle fit parler de lui ; ce qui, à l’ère de la communication de masse, était d’une importance vitale pour un artiste. (Plus tard, pendant les années 1950, Duchamp nia avoir cherché à rendre cet objet trouvé agréable à l’oeil. En même temps, il en réalisa plusieurs répliques à l’intention de musées qui se disputaient cette œuvre si provocatrice à l’encontre de l’art. Duchamp, comme bien d’autres artistes avant et après lui, en récolta les fruits.) Somme toute, avec la Fontaine et autres "ready-made" de Duchamp, la distinction entre œuvre d’art comme objet artisanal et œuvre d’art comme article industriel se trouva définitivement abolie. De la même manière, la notion d’artiste se démocratisait : si un urinoir pouvait devenir Fontaine c’est une œuvre d’art parce je le proclame œuvre d’art – alors n’importe qui pouvait devenir artiste (beaucoup, d’ailleurs, ne s’en privèrent pas). C’est donc avec la Fontaine de Duchamp et ses autres "ready-made" que cette démocratisation qui est au coeur même de l’ère technologique moderne et de la culture de masse commença à s’engouffrer dans le domaine des arts plastiques. Pour le meilleur ou pour le pire, mais surtout pour le pire.

    Kurt Schwitters, For Käte (Pour Käte), 1947. Collage papier, 10,5 x 13 cm. Pasadena Art Museum, Pasadena, Californie.

    Marcel Duchamp, Fontaine, 1917. Photographie d’Alfred Steiglitz publiée dans The Blind Man, mai 1917. Collection de Louise et Walter Arensberg. Philadelphia Museum of Art, Pennsylvanie.

    Sans parler de la réflexion esthétique, du plaisir sensoriel et du scandale que provoqua l’objet de Duchamp en 1917 (et qu’il suscite encore au travers des répliques conservées dans les musées), la manière dont il a été créé en fait automatiquement un emblème de la fabrication en série au sens large. Ce procédé, selon lequel les objets acquièrent valeur d’emblèmes, est au coeur du Pop Art/Art de Masse, comme nous allons le voir. Fontaine, toutefois, n’était pas le seul précurseur dans ce domaine. A partir de la fin des années 1910, et sous l’influence directe des expériences cubistes de Picasso, de nombreux artistes se mirent à représenter des objets issus de la culture de masse, non pas pour démontrer leur habileté à imiter l’apparence des choses, mais bien pour exploiter l’aspect familier de tels objets pour en faire des emblèmes nationaux ou culturels. Prenons tout d’abord les emblèmes nationaux : en 1914-15 (c’est-à-dire pendant la Première Guerre mondiale), le peintre américain Marsden Hartley employa des drapeaux dans plusieurs de ses tableaux. Dans ses huiles, telles que son Portrait d’un officier allemand, son but était d’évoquer un personnage militaire, comme le titre de cette œuvre nous en informe. Les emblèmes culturels, eux, sont particulièrement apparents dans les œuvres de jeunesse du peintre américain Stuart Davis, lequel, aux alentours de 1924, réalisait des tableaux représentant ou incorporant des paquets de cigarettes Lucky Strike, des rubriques sportives tirées du Evening Journal, ou des flacons désodorisants pour salles de bains de la marque Odol. De même que chez Picasso, qui avait utilisé avant lui des paquets de cigarettes et des étiquettes de bouteilles de vin, l’imagerie de Davis évoque une culture du jetable. Au début des années 1950, le peintre allait revenir à cette même imagerie inspirée des médias : ses motifs abstraits et ses figures aux couleurs vives, qui rappellent le style tardif de Matisse, entremêlent slogans publicitaires, pancartes de supermarchés et autres exhortations à la consommation. De telles images ont fait de Davis le chef de file de toute une nouvelle génération d’artistes qui allaient s’intéresser à la culture de masse.

    Un autre artiste à s’être de plus en plus intéressé à la culture de masse était le peintre surréaliste Salvador Dalí. L’occupation de la France en 1940 l’avait poussé à s’enfuir aux Etats-Unis. Les huit années qu’il y passa l’affectèrent profondément, en raison du contact intensif qu’il y eut avec la culture de masse locale. Un aspect de cette culture, et non des moindres, auquel il fut exposé, est l’industrie du cinéma de Hollywood : il collabora à une séquence de film d’Alfred Hitchcock et réalisa un dessin animé pour Walt Disney (même si ce court métrage ne fut terminé et projeté qu’en 2003, plus de 13 ans après la mort du peintre). Dalí aimait tout particulièrement créer des dessins animés car il estimait que le genre reflétait la psychologie des masses. Les années que Dalí passa aux Etats-Unis le rendirent indéniablement plus populiste, plus conscient de la capacité des médias de communiquer à grande échelle, et plus sensible au pouvoir de l’argent. Il y retourna pratiquement chaque année à partir de 1948 puis, au milieu des années 1960, se lia non seulement d’amitié avec Andy Warhol, mais tourna même pour lui un film d’essai. Un peu plus tard, il réalisa un tableau plein d’humour à mi-chemin entre Surréalisme et Pop Art/Culture de Masse. Il s’agit de deux visages réunis : l’un était déjà très important dans l’œuvre de Warhol, alors que l’autre était sur le point de le devenir.

    Stuart Davis, Premiere (Première), 1957. Huile sur toile, 147 x 127 cm. Los Angeles County Museum of Art, Californie.

    Stuart Davis, Lucky Strike, 1924. Huile sur carton, 45,7 x 60,9 cm. Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian American Art Museum, Washington, D.C.

    Salvador Dalí, Mao/Marilyn, couverture du numéro de décembre 1971-janvier 1972 de l’édition française du magazine Vogue. Editions Condé Nast, Paris. Photo : Philippe Halsman.

    Les Premières Années du Pop Art en Angleterre

    A la fin des années 1940, un autre artiste profondément influencé par le Surréalisme anticipait clairement le Pop Art/Culture de Masse. C’était le sculpteur britannique Eduardo Paolozzi, qui allait par la suite devenir l’un des membres clés de l’Independent Group. En 1949, Paolozzi se lança dans une série de collages plein d’imagination et d’humour mêlant couvertures de magazines, publicités, photos de pin-up, etc. Il s’intéressait à toutes sortes d’images banales, même si, en 1971, il prit soin de définir son art de la manière suivante : Il m’est plus facile de m’identifier avec [la tradition du Surréalisme] que de me laisser décrire par le terme, inventé par d’autres, de ‘Pop’, qui me fait immédiatement penser à quelqu’un en train de plonger dans un tonneau de bouteilles de Coca-Cola. J’aime voir ce que je fais comme une extension du Surréalisme radical. Le Surréalisme était une exploration du subconscient ; or, à la fin des années 1940, cette partie du cerveau de Paolozzi n’avait eu aucune peine à absorber toutes sortes d’images issues de la culture populaire. Par la suite, au milieu des années 1950, il réalisa des collages très originaux à base de schémas de machines. Une fois de plus, ceux-ci préfiguraient l’art des années à venir. Paolozzi n’était pas le seul artiste en Grande-Bretagne à anticiper l’avenir. En 1956, le peintre Richard Hamilton créa une affiche intitulée Qu’est-ce qui peut bien rendre nos foyers d’aujourd’hui si différents, si sympathiques ?, composée de plusieurs images et objets qui allaient bientôt être exploités par ses successeurs. On y trouvait, entre autres, un grand nombre d’articles ménagers, y compris un poste de télévision émettant l’image d’un visage parfait et stéréotypé ; des photos banales de pin-up et d’hommes nus ou

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