DÉCODER VIRGIL
Le jour de la cérémonie, J’ÉTAIS ASSIS à quelques rangées de sa famille, à côté des artistes Arthur Jafa et Theaster Gates. C’était le 6 décembre, un lundi à midi et nous nous étions retrouvés dans l’atrium du musée d’Art contemporain de Chicago pour rendre hommage à “V” (ses collaborateurs l’appelaient ainsi), mort une semaine plus tôt d’un cancer du cœur, à l’âge de 41 ans. Avec des invités comme Rihanna, Frank Ocean, Drake, Bella Hadid ou encore les jeunes designers Kerby Jean-Raymond et Rhuigi Villaseñor, la cérémonie avait l’air du Met Gala, en beaucoup plus triste. Nous étions assis sur des chaises blanches et la salle, inondée de lumière, donnait sur la ville. Dehors, il faisait froid et le ciel nuageux était à l’image de l’ambiance qui régnait dans l’auditoire.
La commémoration a été inaugurée par un sermon du pasteur Rich Wilkerson Jr, qui avait célébré le mariage de Kim Kardashian et Ye (anciennement Kanye West). Rich avait rencontré V à l’époque où il était le directeur artistique de Ye. Quand V a été diagnostiqué en 2019, il est devenu une sorte de conseiller spirituel et, en tant que maître de la cérémonie, il a invité l’épouse de V à prononcer le premier éloge funèbre. Shannon Abloh portait une robe noire en soie dessinée par son défunt mari et affichant dans le dos le mot “woman”. Elle a été suivie au pupitre par des proches collaborateurs de son époux, à l’instar du créateur streetwear Don C, le DJ et producteur Benji B, l’architecte et écrivain Mahfuz Sultan et le rappeur Tyler, the Creator. Tous se sont remémoré les sacrifices faits par V pour faire vivre son art, les avions à répétition, les DJ sets à l’autre bout du monde, les conversations WhatsApp constantes ou encore son compte Instagram qu’il utilisait comme plateforme ouverte de création et grâce auquel il nous montrait comment “cracker” la culture. Tous étaient impressionnés par la constellation de créatifs que V avait réunie et qui exploraient grâce à lui de nouveaux territoires esthétiques. Et puis, tous ont pleuré cet immense potentiel gâché, disparu.
Moi aussi, j’ai pleuré. Cet office marquait la fin d’une époque: ces deux ans pendant lesquelles j’avais essayé de contenir dans une exposition l’œuvre de ce génie peu orthodoxe. V était si polyvalent et sa production était si prolifique que c’était presque mission impossible, mais je m’étais battu et acharné. J’avais essayé de percer à jour ce qui le motivait en tant qu’artiste, lui donnait du souffle ou le préoccupait. Cependant, c’est en
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