Fatidique Instant
Par José Casatejada
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À propos de ce livre électronique
De l'Aquitaine au Forez, entre mer et montagne, Joé découvre l'univers clos de l'hôpital. Il subit des examens, des implantations d'endoprothèses, participe à un stage de réadaptation. Devenir celui à qui l'on rend visite, représente pour lui une désespérance enrichissante.
Cette autofiction se construit autour des inquiétudes, des doutes, des rencontres, des espoirs, de la lutte d'un homme victime d'accident cardiovasculaire. Elle relate ce que chacun serait en mesure d'éprouver, d'escompter à la suite d'une circonstance aussi brutale et s'attache à démystifier les impacts du choc traumatique perçu. Joël Carpentier trouvera-t-il l'énergie de rapprendre à vivre, de marcher de nouveau vers ses rêves ?
José Casatejada
Né à Montbrison en 1949 (Loire), José CASATEJADA réside dans le Forez. Après des études techniques il intègre le monde industriel, de la micromécanique au nucléaire, de la tribologie à l'automobile. Parti du Puy-en-Velay, il s'engage sur le mythique chemin de Compostelle et marche jusqu'au bout de l'Europe. Cette expérience éveille en lui le besoin irrésistible d'aller par monts et par vaux à la rencontre des autres, de partager et d'écrire ses émotions.
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Aperçu du livre
Fatidique Instant - José Casatejada
Du même auteur
- VIA COMPOSTELA, Des monts du Velay à la Costa da Morte – Books on Demand, mars 2015.
A mes parents,
María et Mariano,
par qui bat mon cœur.
A mon épouse, Sylvie,
pour qui bat mon cœur.
Table
NOTE DE L’AUTEUR
VACANCES GIRONDINES
La forêt de la presqu’île du Cap Ferret
La piste cyclable du Porge
Le sentier du littoral d’Arès
L’HÔPITAL, ACTES PREMIERS
Les urgences
Bordeaux, premier séjour hospitalier
Patrice
Bordeaux, deuxième séjour hospitalier
L’ancien militaire
Bordeaux, troisième séjour hospitalier
ENTRE FOREZ ET AQUITAINE
Rentrer chez nous
Le rendez-vous
Le stage
L’activité physique
Retour à la nature
L’HÔPITAL, ACTES SECONDS
Bis repetita
Saint-Etienne, quatrième séjour hospitalier
Le diagnostic
Saint-Etienne, cinquième séjour hospitalier
LE PRINTEMPS
La confiance
Les bords de Loire
La vie continue
REMERCIEMENTS
NOTE DE L’AUTEUR
Il est des rencontres, éphémères ou durables, qui marquent nos esprits au fer rouge, y laissant des traces indélébiles. D’autres, agréables ou affligeantes, qui ouvrent les tiroirs verrouillés de nos mémoires sélectives, laissant surgir anges ou démons. D’autres encore, importunes, discrètes ou vitales, qui fissurent la gangue compacte de nos certitudes, laissant sourdre l’humilité du plus profond de nous-même.
Pour leurs rencontres inopinées et opportunes, au détour d’un chemin, sur un lit de douleur, dans une salle de cardio training, je témoigne ma gratitude à Christian, Patrick, Bruno, Fatiha, Françoise, Michelle, Franck, Jean-Marc, Lucien, Pasquale. Merci pour le partage de leurs chaleureuses paroles, l’écoute attentive des miennes, leurs silences forts comme des phrases, leur altruisme, leur solidarité, leur humanité. Cet ouvrage leur est dédié.
Pour leur professionnalisme et leur dévouement, dédié aussi de tout cœur à nos médecins généralistes, aux urgentistes, aux spécialistes et personnels soignants des Services d’Urgences et des Unités de Soins Intensifs Cardiologiques des hôpitaux et cliniques, aux personnels des Centres de Réadaptation Cardiaque, aux personnels des Services Ambulanciers, des Services Départementaux d’Incendie et de Secours des Sapeurs-Pompiers, des Services d’Aide Médicale d’Urgence.
Saint-Just – Saint-Rambert le 14 mars 2017
José Casatéjada
On a deux vies,
la seconde commence
le jour où l’on se rend compte
qu’on en a qu’une.
Confucius
VACANCES GIRONDINES
En ce matin du 14 janvier 2015, les rigueurs de l’hiver persistaient. Dans l’immense salle du gymnase, le groupe de séniors, auquel Joël Carpentier, alias Joé, était intégré, acheva les exercices d’étirements par les quadriceps et les muscles jumeaux de la jambe droite. Le coach s’écria : « Ce sera tout pour aujourd’hui, à la semaine prochaine ! » Disciplinés, hommes et femmes se dirigèrent vers leurs vestiaires respectifs.
Emmitouflé jusqu’aux oreilles, Joël poussa la porte et sortit, exposé à la bise glaciale. Le sexagénaire, cadre retraité de l’industrie automobile, se retourna et porta son regard sur le bâtiment omnisports. Il s’arrêta un instant, esquissa un sourire de satisfaction et, alerte, rejoignit son véhicule. Joël s’engouffra dans l’habitacle. Des bourrasques de vent agitèrent la voiture d’un perceptible balancement qui le berça. Assis sur le siège confortable, il allongea ses bras, posa ses mains côte à côte sur le bas du volant et le serra avec force. Son regard, figé sur les cimes défeuillées des arbres, s’abaissa sur le tableau de bord. Ses doigts relâchèrent leur étreinte. Sombrant dans la rêverie, Joël se remémora les mouvements du corps, des bras, des abdominaux, des jambes, des fessiers. Il venait de participer à la première séance de gymnastique douce d’une longue série. Cette gymnastique volontaire s’inscrivait dans la continuité d’un programme commencé il y a huit semaines, qui lui-même succédait à de vives recommandations. Ses pensées l’absorbèrent et l’entrainèrent dans un tourbillon inverse. Un vortex qui le propulsa en 2014, aux derniers mois de ses vacances d’été en Gironde.
La forêt de la presqu’île du Cap Ferret
Des étoiles scintillent encore. A l’est du Bassin d’Arcachon, l’aube teinte le ciel d’une clarté rosée. Le thermomètre affiche neuf degrés, température fraîche pour le lieu et la saison. Cela confirme les prévisions météorologiques de la veille et la promesse d’une journée magnifique. Insertion d’une fine tranche de satisfaction dans cet été pourri.
Sylvaine, mon épouse, me conduit au Cap Ferret d’où je reviendrai à pied. Le trajet s’étire à proximité des dunes océanes. Vingt-cinq kilomètres de terrain plat à parcourir sur pistes cyclables, chemins de grave et routes forestières. Un plaisir savouré sans modération, à maintes reprises. Sylvaine sort l’auto du jardin et la gare devant la maison. Je m’empresse de terminer les préparatifs, de déposer sac à dos, chaussures et bâtons de marche dans le coffre. Le moteur ronronne. Nous partons.
A Claouey, je tourne la tête en direction d’Andernos :
–– Le soleil se lève sur le Bassin, quelle merveille ces couleurs ! Arrête-toi, je vais les photographier.
–– Pas facile avec cette circulation.
Au port ostréicole de Piraillan, Sylvaine stationne le véhicule sur le bas-côté de la route. La vue est magnifique, mais, maintenant, les couleurs ternies estompent les contrastes. Par conséquent, pas de clichés. Nous repartons par la route côtière, traversons les charmants villages endormis du Canon et de La Vigne avant d’aboutir à un croisement. Sylvaine bifurque à droite, longe les rails de la voie du « Petit train du Cap Ferret » et s’arrête au parking, à l’orée de la forêt.
Empressé, j’ouvre le hayon, saisis les chaussures, m’assieds sur le rebord du coffre et les chausse, endosse le coupe-vent, attrape le sac à dos et le charge sur moi. Par des contorsions coordonnées et audacieuses, les bretelles se positionnent sur les épaules. Le sac prend place sur mon dos. J’ajuste la sangle pectorale et la ventrale, les boucle avec des « clac » et des « clic » sonores du plus bel effet. Sur un ton ironique, Sylvaine s’exclame :
–– Quelle maîtrise !
–– Tu as vu ? Trois ou quatre mouvements et hop, tout se met en place !
–– Quand comptes-tu rentrer ?
–– Vers quinze heures. Ne m’attendez pas pour déjeuner.
L’imminence du départ me réjouit. Les bâtons dans une main, la casquette sur la tête, j’embrasse Sylvaine et me dirige vers l’entrée de la piste. Elle monte dans la berline, lance le démarreur. En roulant dessus, les pneus crissent sur le sable du parking. Un dernier regard vers Sylvaine, un dernier sourire, un dernier signe de la main et je m’enfonce dans la pignada.
Une brise légère caresse mon visage, fraîche, parfumée de la senteur balsamique des pins à laquelle se mêle des effluves de chênes. Les chants d’oiseaux, rythmés par le grondement du ressac de l’Atlantique tout proche, animent d’une agréable symphonie la futaie qui m’entoure. Les rayons du soleil traversent les branches des conifères et se projettent en taches claires sur l’étroite bande de bitume sombre. Quel plaisir de marcher dans cette forêt par une journée idyllique ! Mon ardeur est telle que je dois ralentir la cadence de mes pas.
Selon mon habitude, je me reposerai au carrefour de Piraillan et me restaurerai à celui de Mailloulas. En cours de chemin, je devrais croiser Jean-Michel, mon beau-frère, qui roule à vélo. Depuis dix minutes, gaillard, j’avance sur le bord terreux lorsqu’une oppression ponctuelle surgit dans la poitrine. Aussitôt, j’envisage une déchirure intercostale, survenue en chargeant le sac sur mon dos. Je soulève les bretelles afin de diminuer la pression sur mes épaules. L’embarras disparait. Il reparait dès que cesse le soulagement. J’aspire l’air à grandes goulées. Le point subsiste. L’opération d’allègement renouvelée, je respire mieux. De façon concrète, la sensation se manifeste par une difficulté à inspirer. Quelle malchance de m’être blessé. J’aurais dû me contorsionner avec moins de vigueur. Trop de précipitation, trop de hâte. Cela va s’arrêter, cela doit s’arrêter.
Des joggeurs, des vététistes, des cyclistes me croisent ou me dépassent lançant des « Bonjour ! » enthousiastes auxquels répondent les miens, sans enthousiasme. Absorbé par mes réflexions, je marche à une cadence irrégulière. Je tente de les repousser en suivant du regard les traces fraîches des sangliers, en bordure. La nuit, les cochons retournent les aiguilles de pin, les feuilles et, avec leur groin, fouissent le sol à la recherche de nourriture, de vers, de glands. De profonds sillons marquent leurs passages.
La gêne se propage sous le haut du sternum. Je respire mieux et éprouve moins le besoin de soulager la pression sur les épaules. C’est certain, il s’agit d’une petite lésion intercostale. Au fur et à mesure que je progresse, une impression de malaise m’envahit. Une faiblesse diffuse court le long de mes avant-bras, se concentre au creux des coudes. Je baisse les bras et laisse trainer les bâtons sur le sol. Cette action génère une réaction immédiate de mieux-être. Je plie les bras afin d’utiliser les bâtons. De brefs picotements surgissent aux poignets. Tandis que je baisse de nouveau les bras, le mieux-être revient. Je plie de nouveau les bras, les picotements reparaissent.
Devant ces manifestations subites d’inconfort, une question germe dans mon esprit : se pourrait-il qu’il s’agisse d’un infarctus ? De toute évidence, non. A ma connaissance, une crise cardiaque attaque entre six heures et midi, dans le lit et préférentiellement le lundi ou bien à la suite d’un effort violent ou d’un accès de colère. Les individus se tordent de douleur, cloués sur place et dans l’impossibilité de réagir. Rien de comparable pour moi, la souffrance est tolérable.
Aucun risque, un cardiologue me suit depuis le décès de mon père. En février dernier, je l’ai consulté, tout était parfait. Mes réflexions n’empêchent pas l’inquiétude de croître. Sans conviction, je toussote pour conjurer le mal-être, me force à regarder autour de moi afin de chasser toute idée noire. Pas d’amélioration tangible. Comment réagir ? Téléphoner à Sylvaine ? Impossible de capter le réseau, ici, en pleine forêt. Revenir sur mes pas ? Je décide de poursuivre, sans argumentation fondée.
Jusque-là, le terrain plat favorisait la progression. A présent, une modeste pente aboutit à la route départementale. S’il s’agit de ce que je n’ose imaginer, la gravir générera un surcroît d’effort, un essoufflement anormal, voire une douleur. J’atteins le bas de la pente, non sans crainte. Avant de grimper, je m’autorise un « arrêt technique », en vue de me raisonner plus que par besoin naturel. Si je m’essouffle, j’aviserai en conséquence. Au croisement, j’obtiendrai de l’aide auprès des camping-cars qui stationnent à proximité. Afin de ne pas aggraver une éventuelle contusion aux côtes, je déboucle et dépose le sac avec précaution. Sans charge sur le dos, pas de gêne thoracique, respiration régulière. Le sac replacé sur le dos, je boucle les sangles. A mon grand étonnement, aucune perception singulière dans la poitrine.
Bravache, j’entreprends la grimpette. Le bruit sourd des bâtons sur le sol cadence mes pas. J’atteins le sommet sans essoufflement anormal, sans embarras, mais avec ce point diffus sous le sternum. L’absence de tout autre type de manifestation me tranquillise. Par contre, s’il existe une normalité en termes d’essoufflement, saurais-je différencier un essoufflement normal d’un essoufflement anormal ? Rien n’est moins sûr.
Convaincu de m’être blessé en plaçant le sac sur mon dos, je poursuis l’excursion. Sous l’ombre des pins, l’air frais, saturé d’odeurs de résine et d’humus, avive mon visage. L’entrée dans la forêt s’éloigne de moi. De moins en moins de personnes me croisent ou me dépassent. Soudain, un étourdissement furtif parcourt mes tempes. Tout semble s’apaiser lorsqu’une fatigue inhabituelle s’insinue en moi. L’inquiétude m’oppresse davantage.
Sur la piste en direction du Canon, les courses des joggeurs, des vététistes et des cyclistes, retrouvées avec satisfaction, me rassurent. La chaleur commence à piquer. Au sortir de la pineraie, la fatigue s’efface. Suit une parcelle où les forestiers ont procédé à une « coupe à blanc », à l’abattage de la totalité des arbres. Une autre pente accède à un monticule. J’ôte de nouveau le sac à dos avec précaution et prends place sur le banc rivé en bordure. Je respire l’air revigorant à plein poumons, pour me tester davantage que par nécessité. La côte gravie sans gêne ni embarras étrange, l’exploit se doit d’être relativisé. La dénivelée n’atteint que cinq à six mètres ! Pour autant, je ne suis pas au mieux de ma forme. Après dix à quinze minutes de repos, je m’équipe et repars vers le prochain carrefour.
A un détour, un chevreuil détale et s’enfonce dans la forêt. Surprenant, d’en apercevoir à cette heure avancée de la matinée. Alentour, le bourdonnement des insectes croît au fur et à mesure que la température s’élève. Bientôt, je devrais croiser Jean-Michel en provenance de Claouey. Dois-je lui révéler ce qui m’arrive ? Il ne s’agit que d’une compression diffuse, là, dans la poitrine. La route toute proche draine un flot incessant de véhicules vers les plages océanes. La proximité de la civilisation me réconforte. Un groupe à vélo se profile au loin. Lorsqu’il défile devant moi, je ne distingue pas Jean-Michel. Un cycliste arrive seul. Ce n’est pas lui. Par contre, le suivant, coiffé d’une casquette verte… C’est lui. Au fur et à mesure qu’il se rapproche, sa venue me procure un réel soulagement. Il s’arrête. Nous discutons de choses et d’autres, sans aborder le sujet qui me préoccupe. Que lui dirais-je ? « J’ai ressenti une légère douleur à la poitrine. » Et puis, il ne s’agit que d’une petite blessure intercostale, indolore.
Jean-Michel reprend sa course, moi la mienne sur une ancienne voie aménagée en route forestière. Construite par les troupes allemandes durant la seconde guerre mondiale, elle reliait entre eux les blockhaus érigés sur la côte aquitaine. Derrière moi,