Le Van
Par Valérie Hervy
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À propos de ce livre électronique
Bojan, un paysan serbe, a dû quitter sa ferme des plaines de Vojvodine pour gagner Paris. Travaillant au noir, il survit avec une dizaine de ses compatriotes. Il est venu en France dans l’espoir de retrouver sa fille Milena, séquestrée par son compagnon dans une caravane, dans la ville portuaire de Saint-Nazaire.
Pour la rejoindre, il achète et répare un vieux van trouvé dans une casse. Seulement, il a besoin d’aide et d’argent pour espérer la sauver. Pendant le braquage d’une supérette, le Serbe prend des otages qui vont l’assister dans sa fuite vers sa fille, vers l’océan. Ainsi, il emmène Germaine, une vieille dame, Isa, une étudiante un peu désœuvrée, et Simon, un jeune père avec son bébé.
De Paris à Saint-Nazaire, leurs aventures vont les sortir de la solitude et les révéler à eux-mêmes.
Valérie Hervy
Vivant dans la région nantaise, Valérie Hervy est formatrice en français. Pendant ses études de psychologie, elle travaille son mémoire de maîtrise sur l’écriture comme processus créatif. Après plusieurs ateliers d’écriture, elle commence à rédiger des nouvelles. Comme un artisan, elle aime le travail sur les mots, peaufinant les détails, remettant sans cesse son ouvrage. Elle s’inspire d’un regard croisé dans la rue, d’un objet posé sur la table ou de la lecture d’un fait divers. Ses histoires s’inscrivent dans notre époque et interrogent sur le monde qui nous entoure.
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Aperçu du livre
Le Van - Valérie Hervy
LE VAN
Valérie Hervy
Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords
Copyright 2016 Éditions Hélène Jacob
Smashwords Edition, License Notes
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© Éditions Hélène Jacob, 2016. Collection Littérature. Tous droits réservés.
ISBN : 978-2-37011-450-1
La solitude n’est qu’à Dieu.
Proverbe serbo-croate
1 – Les chromes
Sur le campement, l’aube blafarde s’est déjà évanouie depuis quelques heures ; un soleil encore frileux réchauffe doucement l’air et la terre. Dans la clarté opalescente de ce petit matin, l’ombre du van se dessine sur la toile de tente déchirée. D’infimes gouttes de rosée glissent le long des vitres avant de s’évaporer en traçant un léger sillon sur les portières. La couleur orange métallisée de la carrosserie et les chromes brillent sous la lumière. En ce jeudi 23 avril, Šansa est prêt, prêt pour le grand départ.
À une dizaine de mètres, Bojan s’étire lentement dans son sac de couchage. Sa main frissonnante tâtonne sur le sol à la recherche des clés de contact. Chaque jour, son premier regard est pour son cher véhicule. Il n’envisage pas de dormir loin de lui et a besoin de sentir sa présence à ses côtés. Le soir, il ne s’attarde jamais avec ses camarades sur le chantier, mais rentre pressé, ayant hâte de le retrouver. Le Combi Volkswagen, comme un trésor inestimable, est son bien le plus précieux, le seul qui lui reste après sa fille bien-aimée. Si quelqu’un s’approche, ne serait-ce qu’à une dizaine de mètres, il fronce les sourcils d’un air sévère et engage d’un geste ample le badaud à déguerpir au plus vite. Personne ne s’approche de son van sans son invitation.
Quand il le répare, l’ouvrier chantonne des comptines de son enfance qui lui reviennent en mémoire ou murmure des paroles tendres pour l’amadouer. Loin de l’ambiance oppressante du chantier, il a passé des heures à le remettre sur pied. Connaissant la mécanique, il n’a pas hésité à engloutir ses mains dans les entrailles du moteur, caressant l’espoir d’entendre des vrombissements réguliers quand les toussotements fébriles de la machine n’étaient pas de bon augure. Sous son regard perspicace, chaque pièce a été inspectée ou changée selon la nécessité. Pendant des heures, il a longuement savonné, lavé au Kärcher et lustré la carrosserie ; elle semble maintenant, malgré deux ou trois éraflures, presque neuve. Un matériel de camping, avec une glacière et un réchaud, est rangé dans les placards amovibles fixés derrière la banquette ; des couvertures et des duvets sont pliés sur la roue de secours. Bojan a même tracé Šansa au-dessus du feu arrière gauche : l’inscription indélébile lui portera bonheur, Šansa, la chance en serbe, car tous ses espoirs sont liés au véhicule.
Le Combi avait vécu une déjà longue histoire quand il a croisé sa route. Il était dans un piètre état, au fond d’une casse, coincé entre deux carcasses de voitures accidentées. Ses propriétaires précédents ne l’avaient pas épargné. Solide et résistant, il avait connu plusieurs existences. D’abord véhicule utilitaire pour une entreprise de plomberie, ses différents chauffeurs l’avaient souvent malmené, toujours pressés par la clientèle et les journées trop courtes. Il avait souffert pendant les interminables heures de bouchon du périphérique parisien et supporté bon gré mal gré le laisser-aller des ouvriers. Revendu une centaine d’euros, il avait ensuite avalé des kilomètres avec un jeune couple en mal d’aventures et de dépaysement. Il avait traversé l’Europe du Sud au gré des rencontres, des festivals de techno, dormant sur le bord des routes ou dans des campings bon marché. Après être tombé en panne au fin fond de la Toscane, le van fut abandonné dans une grange et les jeunes, dépités, rentrèrent en France sans lui. En payant le rapatriement, un oncle de la jeune fille en fit l’acquisition. Réparé, il devint ainsi le véhicule attitré de la petite famille pour partir chaque été à la mer ou à la campagne. Aménagé pour le camping, il avait sillonné les routes de France et de Navarre, affrontant bravement, sous les chaleurs estivales, les cols vertigineux des Pyrénées ou les falaises escarpées de Normandie. Malheureusement, le temps avait passé et le van était devenu un symbole révolu des années hippies. La famille avait préféré s’en séparer et acheter un camping-car plus spacieux et au goût du jour.
À la casse, on pensait récupérer deux ou trois pièces et se débarrasser du reste. À l’abandon, il demeurait remisé dans un coin, rouillant doucement sous les assauts du temps et de l’indifférence. Il ne semblait plus avoir une quelconque utilité, véhicule d’un autre âge sans options ni gadgets, sauf une antique radio qui grésillait désespérément. L’épave n’intéressait vraiment plus personne. Pourtant, le jour de sa visite, Bojan a ressenti un véritable coup de foudre pour la machine. Dès qu’il a aperçu le van, il a su que c’était lui et a sorti ses liasses de billets devant le ferrailleur étonné que l’on veuille encore d’un tel engin. Pendant la transaction, il le regardait avec des yeux émerveillés, son cœur battant la chamade, ému comme lors d’un premier rendez-vous amoureux. L’ouvrier en a fait le tour plusieurs fois, jaugeant la carrosserie, à l’affût du moindre défaut. Il s’est même assis de longues minutes sur le siège avant défoncé, caressant délicatement le volant et le tableau de bord. Il souriait presque heureux, goûtant le bonheur de celui qui a enfin trouvé un ami sur qui compter. Quand il l’a ramené au camp, certains de ses camarades ont émis des doutes sur son acquisition plutôt risquée, se moquant de son aspect délabré. Le Serbe a alors balayé sèchement leurs paroles d’un haussement d’épaules. On a le droit à plusieurs chances dans sa vie que l’on soit une machine, un animal ou un être humain et son Combi connaîtrait à nouveau les joies du bitume. La rencontre pour lui était inespérée, il allait effectuer son périple et son van l’accompagnerait.
Aujourd’hui, il est prêt à prendre la route et Bojan éprouve une certaine fierté. Même si le soleil invite à une douce torpeur, il veut encore contrôler le niveau d’huile, resserrer deux ou trois boulons et s’assurer de la présence des cartes routières dans la boîte à gants. Il doit effectuer les ultimes vérifications pour le départ. Le voyage sera périlleux et peut-être sans retour, comme lui rappelle le poids du Luger glissé dans son blouson. Pourtant, il garde foi en son véhicule. Šansa est son fidèle compagnon et ne le laissera pas tomber. Avec lui, il accomplira ce pour quoi il est venu dans ce pays.
Et le Serbe, qui ne croit qu’en sa bonne étoile, n’est pas un homme à donner sa confiance facilement.
2 – Bojan
Bojan habite sous une tente miteuse avec dix de ses compatriotes serbes. Les toiles crasseuses dessinent un arc de cercle sous le pont d’une route. Le béton les protège des gouttes de pluie froide qui tombent parfois sans discontinuer et transpercent les corps et les âmes. Les onze hommes vivent sous ces tissus sales et déchirés, à quelques encablures du chantier où ils travaillent au noir pour 20 € par jour. Le soir, ils partagent, au coin d’un brasero, leur maigre repas dans des gamelles rouillées. Ils se nourrissent de boîtes de conserve ou de soupes concentrées trouvées au supermarché du quartier. À la lueur du feu, les Serbes se racontent des souvenirs du pays, évoquent un passé empreint de nostalgie et maintenant révolu. Certaines nuits, on peut entendre leurs chants sur la route ; on sait alors que l’alcool et la musique les aident à supporter le froid, comme des baumes éphémères sur leurs existences d’exilés. Les plus jeunes se demandent pourquoi ils ont quitté le pays pour vivre cet enfer quotidien. Ils sont partis pour fuir la précarité, le chômage, mais la France n’est pas la terre d’asile tant espérée. En arrivant à Paris, ils avaient cru trouver facilement un bon travail et un petit logement dans lequel habiter décemment. Maintenant, sur le qui-vive, ils craignent à un moment ou un autre d’être arrêtés et expulsés sans ménagement, car pour la plupart, ils n’ont pas de titre de séjour. Trimant souvent plus de dix heures par jour sur le chantier d’un promoteur immobilier, les hommes restent tributaires d’un chef d’équipe qui, pour une raison ou une autre, peut décider un soir de ne pas les rétribuer.
Bojan s’est installé en janvier sur le campement. Il a passé plusieurs frontières, traversant la Croatie, la Slovénie, l’Autriche, l’Allemagne avant d’atteindre enfin la France. C’était son premier voyage loin de sa ferme de la région de Vojvodine. Sur la route, il s’asseyait toujours au fond du car, près d’une fenêtre, silhouette tassée se voulant la plus discrète possible. Les trois jours et trois nuits lui semblèrent interminables. À chaque arrêt, il avait peur qu’un douanier ne fouille ses bagages ou ne l’interroge sur son séjour en France. Le Serbe avait préparé son discours : il était venu dépenser ses économies pour visiter la plus belle ville du monde et son voyage ne devait durer qu’une semaine ou deux. Arrivé à Paris, son soulagement ne se prolongea guère, car, sorti de la gare routière, le paysan se sentit perdu, happé par la capitale et sa fourmilière de bruits, de passants toujours pressés. L’étranger s’est ainsi très vite réfugié dans les couloirs du métro, se nourrissant de sandwiches insipides et voyant fondre désespérément la cagnotte qu’il avait ramenée. Le soir, il dormait sur un banc en face d’un square tenant fermement les lanières de son sac à dos entre ses doigts gelés. Peu à peu, il a compris la nécessité de rencontrer des habitués du métro pour trouver du travail. Dans un français un peu académique, il a su tisser des liens avec des SDF qui l’ont aidé à se repérer. Par sa femme, Bojan avait appris la langue de Molière, surtout pour lui faire plaisir, ne sachant rien refuser à l’amour de sa vie. Avant de le connaître, Anna avait travaillé comme bonne à tout faire, pendant plusieurs mois, pour une riche famille d’industriels lyonnais, installée à Belgrade. Elle avait éprouvé une vraie ferveur pour cette langue si délicate et suivait d’une oreille attentive les cours du précepteur des deux enfants. Les années passant, elle avait transmis les mots qu’elle avait appris à son mari et à sa fille sans savoir que la France occuperait, plus tard, une place si importante dans leur vie.
Un soir, au repas du SAMU social, il avait rencontré un compatriote, Goran, qui lui avait proposé un travail au noir. Pas de question, pas de papier à fournir. « Tu montes les briques et surtout tu ne dis rien ». Depuis ce jour, il s’est installé sous une tente, rassuré de dormir au milieu d’autres étrangers. Paris n’est qu’une étape, il n’a pas l’intention de s’éterniser et doit à nouveau prendre la route. À 50 ans, l’homme n’envisage pas de mendier. Le travail au chantier lui permet de subsister, mais cette situation ne peut pas durer. Il ne parvient pas à trouver sa place dans la grande ville. Le bruit perpétuel de Paris, les odeurs fétides du campement et l’agitation des citadins le plongent dans une solitude d’exilé dont, même la présence de ses camarades, le soir, n’arrive pas à le distraire. Le campagnard pense tous les jours à sa ferme et à son lopin de terre qui l’attendent au pays. Les images de ses champs laissés à l’abandon et de ses vaches qui dorment à l’étable défilent souvent dans sa tête. Il appartient au silence et à la nature de la plaine de Vojvodine. Depuis qu’il est à Paris, il mange peu, fume des cigarettes roulées dans du mauvais tabac qui éraille sa voix et boit beaucoup trop, pour supporter le froid et par habitude. L’infect vin rouge, avalé par petites gorgées dans des bouteilles en plastique, ne le réchauffe pas et commence à faire dangereusement trembler son corps fatigué. Il n’aime pas l’homme qu’il devient : un clochard triste qui survit sous un pont. Pour son apparence et par hygiène, il veille à se laver aux douches municipales chaque semaine et prend soin de tailler sa moustache grisonnante comme il le fait depuis vingt ans. Il nettoie aussi son linge à la laverie quand ses chemises en laine et ses pantalons côtelés sont imprégnés de la sueur du chantier et de l’humidité poisseuse du campement. Pourtant, des rides épaisses se sont creusées sur son visage émacié, sa silhouette