Les femmes les plus puissantes du Moyen Âge
Par Melissa Rank et Michael Rank
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À propos de ce livre électronique
L’idée d’une femme médiévale forte et puissante semble insolite. On imagine plutôt une demoiselle en détresse, enfermée dans une tour, attendant qu’un preu chevalier vienne la secourir. Dans l’imaginaire collectif, elle est affublée d’une sorte de cône de signalisation et n’a que trois options : devenir une reine docile, une femme au foyer servile, ou une sorcière (ce qui implique de terminer sur un bûcher).
Et si cette vision était complètement erronnée ?
En fait, de nombreuses femmes de caractère ont occupé des places de premier choix durant tout le Moyen Âge. Æthelflæd, par exemple, reine anglo-saxonne aux alentours de 900, combattit les Vikings et sauva l’Angleterre des invasions barbares. L’impératrice byzantine Théodora, elle, empêcha des dissidents de mettre à sac son empire et son mari de fuir lâchement la capitale. Quant à Catherine de Sienne, elle réussit à retransférer le Saint-Siège à Rome dans les années 1300, et à louvoyer dans les eaux troubles et machistes de la politique italienne. Jeanne d’Arc, enfin, changea le destin de la France durant la guerre de Cent Ans en prenant la tête de nombreux assauts contre les Anglais, elle, petite paysanne de 17 ans.
Dans cet ouvrage, nous découvrirons les vies des dix femmes les plus puissantes du Moyen Âge. D’Anne Comnène, première historienne, à Kösem, régente de l’Empire ottoman sous trois sultans, nous verrons comment ces femmes ont été aux premières loges du pouvoir à une époque où cela semblait inimaginable.
Nous verrons comment elles sont parvenues au sommet, pourquoi leurs actes sont encore admirables aujourd’hui, et à quel point leur influence a perduré dans leurs sociétés respectives après leur mort. Nous décrirons également le contexte historique dans lequel elles évoluaient, leur culture, ce qui les a freinées et ce qui les a aidées à s’élever.
Leurs histoires font encore sens aujourd’hui. Elles témoignent de la capacité des individus à réaliser des actes extraordinaires même sous de fortes contraintes sociales. Elles nous montrent aussi que le monde médiéval n’était pas aussi sombre qu’on ne le croit.
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Aperçu du livre
Les femmes les plus puissantes du Moyen Âge - Melissa Rank
Table des matières
––––––––
Introduction. Le beau sexe au temps de la captivité ?
1. L’impératrice Théodora (500-548). Prostituée du cirque et réformatrice d’un empire
2. Æthelflæd des Merciens (872-918). Accoucheuse de l’Angleterre et tueuse de Vikings
3. Anne Comnène (1083-1153). Érudite, historienne et victime royale du complexe d’Électre
4. Aliénor d’Aquitaine (1122-1204). Reine la plus riche d’Europe et fashionista officieuse de la deuxième croisade
5. Sainte Catherine de Sienne (1347-1380). Mystique semi-lettrée, conseillère de papes et dompteuse de la politique italienne
6. Marguerite Ire de Danemark (1353-1412). Unificatrice de la Scandinavie
7. Jeanne d’Arc (1412-1431). Pucelle d’Orléans et « hérétique » la plus meurtrière de l’Histoire
8. Isabelle Ire (1451-1504). Réformatrice, reine catholique et inquisitrice
9. Élisabeth Ire (1590-1651). Reine vierge et héraut de l’âge d’or de l’Angleterre
10. Kösem (1590-1651). Esclave de harem et régente de trois sultans
Conclusion. Une femme au pouvoir dans un monde d’hommes
À propos des auteurs
Introduction
Le beau sexe au temps de la captivité ?
––––––––
Nous connaissons tous ces histoires de femmes qui, en temps de guerre, ont repris les rênes des usines et des foyers habituellement dirigés par leurs époux. Pendant que monsieur est déployé à l’étranger pour empêcher un dictateur de conquérir le monde, madame doit assurer la gouvernance de la maison. Auparavant, ses besoins matériels étaient satisfaits grâce aux revenus de son époux ; dorénavant, la voilà seule en charge de la santé financière de sa famille. Elle se retrouve également responsable de nouvelles tâches comme les menues réparations et la supervision de travaux de rénovation de son foyer.
Sa bourse n’est pas sans fond ; elle doit donc, à terme, louer les chambres vides de son habitation et préparer les repas de leurs occupants. Les modestes revenus sont alloués à l’amélioration du mobilier ou à l’aménagement d’une chambre supplémentaire. Son affaire croît rapidement. Afin de prendre soin de sa clientèle, elle doit ensuite engager du personnel.
Avant même de s’en rendre compte, elle est devenue gérante d’un petit hôtel avec restaurant. Si sa propriété est située dans un endroit peu recommandable, elle se procure une arme pour protéger son bien. Elle prend quelques cours et devient une tireuse habile. Elle finit un jour par arrêter elle-même un criminel assez stupide pour mettre le pied dans son domaine.
Lorsque son mari rentre enfin du front, il s’attend à retrouver sa douce épouse affairée à ses tâches domestiques. Au lieu de cela, il se découvre une entrepreneuse avisée qui a fini par apprécier les bénéfices de l’enrichissement et de l’indépendance. Elle lui demande pourquoi elle n’a pas pu jouir de cette position plus tôt. Bientôt, elle rencontre d’autres femmes aspirant, comme elle, à une reconnaissance sociale. Elles s’organisent, et, après quelques années, font entendre leurs revendications.
Cette histoire vous rappelle celle des femmes qui se sont mobilisées entre la Seconde Guerre mondiale et les années 1960 ? Détrompez-vous : elle se passe vers 1400, en Angleterre. C’est là que vivait Margaret Paston de Norwich, une riche héritière gérante du château de Caister (comté de Norfolk). Son mari, Sir John Paston, avocat, passait plusieurs mois par an dans les tribunaux de Londres.
En son absence, Margaret supervisait son vaste domaine, organisait la défense du château, gérait la brasserie, la boulangerie et les étables, préparait des remèdes, veillait sur les malades, et arrangeait même les mariages de sa maisonnée. Lorsque, en 1448, Lord Moleyns, un rival politique, revendiqua une partie de ses terres, elle leva sa propre armée.
Elle écrivit à son mari pour lui demander de lui fournir des arcs, des flèches et des haches de guerre. Elle dut faire face à 1 000 hommes armés jusqu’aux dents qui s’étaient introduits dans la résidence fortifiée. Elle fut enlevée puis remise à sa famille une fois le différend résolu, mais elle avait fait preuve de sa force de caractère.
La plupart des gens ne s’attendent pas à découvrir ce genre d’histoire lorsqu’ils s’intéressent aux femmes du Moyen Âge. L’image qui vient spontanément à l’esprit est celle de la demoiselle en détresse, assise en haut d’une tour, une sorte de cône de signalisation posé sur la tête, attendant qu’un chevalier vienne l’arracher aux griffes de ses ravisseurs. Une fois libérée, la malheureuse subit un mariage forcé, élève des fils qui succéderont à son époux et ne pipe mot. Si elle ose s’affirmer, elle essuie le mépris des villageois, comme toute pécheresse qui exprime ses propres pensées. Si elle persiste à pécher, les prêtres la condamnent au bûcher après l’avoir accusée de sorcellerie, comme c’était la coutume en cet Âge des Ténèbres.
Quant à une femme de condition modeste, une paysanne, elle n’a aucun droit dans ce monde médiéval imaginaire. Les membres de sa communauté la voient comme du bétail, un bien que l’on peut acheter et vendre. Peu chaut aux rois et aux dirigeants religieux qu’elle soit battue, réduite en esclavage, torturée ou tuée. On la considère au mieux comme un élément nécessaire à la procréation, au pire comme un instrument du diable, un panneau indicateur ne renseignant que la route de la damnation.
Ces conceptions dominent l’idée que l’on se fait du Moyen Âge, et elles pourraient être convaincantes si elles ne relevaient pas presque entièrement de la fiction. Il est vrai que les femmes avaient moins de droits légaux et sociaux que les hommes à cette époque. Mais l’impression que la période s’étendant de 500 à 1500 est caractérisée par une stagnation à tous niveaux est directement liée à l’idéologie des historiens modernes et non à une quelconque vérité historique.
Le terme « Âge des Ténèbres » a été forgé à l’époque des Lumières par des érudits souhaitant prendre leurs distances avec un passé qu’ils considéraient comme moins civilisé. Les protestants, en particulier, recouraient à cette appellation pour dénoncer la corruption qui rongeait à l’époque l’Église catholique. Les papes étaient pour eux des rois païens qui gouvernaient par la superstition et l’hypocrisie morale, des dirigeants déraisonnables et barbares.
La vision plus romantique des femmes, des chevaliers, de la chevalerie et des tournois médiévaux provient du Romantisme, né en Europe occidentale. Au XIXe siècle, les costumes et les symboles médiévaux faisaient fureur. Les empereurs germaniques se déguisaient lors des réceptions publiques. Louis II de Bavière fit même construire en 1868 Neuschwanstein, le célèbre château de conte de fées qui a directement inspiré Disney. La Société Créative d’Anachronisme organise toujours des reconstitutions de vie médiévale directement inspirées de cette tendance romantique.
Déjà dans l’Angleterre victorienne, les plus fortunés rejouaient régulièrement des tournois. Les costumes médiévaux étaient particulièrement recherchés lors des soirées et bals masqués donnés par l’aristocratie. On organisait même des joutes. C’est à cette époque que la vision de la femme médiévale passive et patiente s’ancra dans l’inconscient collectif, toute moderne qu’elle fût. Cette femme mythique portait une robe d’époque, mais présentait toutes les vertus et caractéristiques d’une dame victorienne : pudeur, richesse, oisiveté et bienséance.
Nous devons la vision distordue de la femme du Moyen Âge que nous connaissons aujourd’hui au passage de cette figure par le prisme des idéaux victoriens. À cette époque, les anglaises n’avaient droit ni au vote ni à la propriété. Leur position sociale a donc fait émerger la figure de la dame mélancolique affublée d’un cône de signalisation, passant la journée à côté de sa fenêtre.
Il existe une autre représentation tout aussi erronée de la femme médiévale. Elle tient à l’une des erreurs les plus simplistes que l’on peut commettre lorsqu’on étudie l’Histoire : diviser ses acteurs en gentils et méchants, en imaginant ces derniers comme l’équivalent de contemporains englués dans le passé. Quant aux gentils, ce sont plutôt des visionnaires capables d’entrevoir le XXIe siècle. À leur époque, ils ont toujours fait de leur mieux pour pousser l’humanité dans la bonne direction, mais ils ont souvent été sanctionnés pour leur progressisme. Ils rêvaient d’égalité des droits, de démocratie constitutionnelle, de suffrage universel et de loi salariale juste pour les femmes. Les méchants, eux, voulaient purement empêcher les réformes, limiter les droits fondamentaux et endiguer l’inévitable marche du progrès. Assis dans leurs châteaux à se tortiller la moustache, ils complotaient pour maintenir une société rétrograde, voire passéiste. S’ils refusaient tout droit aux femmes, c’était par pure misogynie. Ils étaient donc, évidemment, les ancêtres des ennemis actuels de la civilisation, djihadistes du Moyen-Orient ou fondamentalistes américains.
Les historiens modernes, souhaitant accorder une plus grande place aux femmes, ont logiquement transformé les figures féminines les plus célèbres du Moyen Âge en féministes avant l’heure. Jeanne d’Arc aurait remis en question les normes de genre de son temps en portant, comme les hommes, une armure et les cheveux courts. Catherine de Sienne, elle, aurait défié le monde patriarcal de l’Église catholique en adressant des réprimandes épistolaires au pape. Anne Comnène, enfin, la première historienne, aurait rédigé sa propre histoire dans le seul but de garantir aux femmes une présence plus forte.
Dans une telle optique, ces femmes sont considérées comme des proto-féministes, précurseurs de celles qui défendraient ensuite leurs droits comme les suffragettes Susan B. Anthony et Carrie Chapman Catt. Elles semblent constituer les maillons d’une chaîne infinie qui relie la femme de l’Âge des Ténèbres, dont la situation était peu enviable, à celle du XXIe siècle, en position plus dominante. Cette vision entraîne la construction de récits dans lesquels les femmes puissantes des siècles antérieurs étaient de véritables femmes modernes vêtues de costumes médiévaux. Elles auraient simplement manqué de moyens pour balayer les inégalités législatives et sociales qu’elles subissaient.
Cependant, aucune de ces considérations ne transparaît de ce que nous connaissons des vies de ces femmes. Aucune de celles dont il sera question dans ce livre, ni aucune autre d’ailleurs, n’a jamais remis en question l’idée d’un monde patriarcal. Catherine de Sienne, si elle a réprimandé le pape, n’a jamais revendiqué l’accès des femmes à la prêtrise. Jeanne d’Arc était bien vêtue comme un homme sur le champ de bataille, mais, en prison, elle portait la robe, et elle interdisait aux autres femmes de la rejoindre au combat. Sa situation était, pour elle, unique, car elle avait répondu à l’appel de Dieu.
Même les reines les plus puissantes d’Europe n’ont jamais ambitionné la création d’une législation qui aurait assuré l’égalité des hommes et des femmes. On en veut pour preuve les positions d’Éléonore d’Aquitaine, l’une des plus grandes propriétaires terriennes d’Europe, ou de la reine Élisabeth Ire, qui a commandé des armées entières et mené à la mort des milliers de soldats. Même Marguerite Ire de Danemark, unificatrice de la Scandinavie, approuvait le système dans lequel elle ne pouvait exercer le pouvoir qu’à travers un parent mâle.
Ceci n’enlève cependant rien à la grandeur de leurs réalisations et de leurs actions. Même si elles ne tentaient pas de révolutionner le monde principalement masculin dans lequel elles évoluaient, elles n’étaient absolument pas des demoiselles en détresse. En réalité, beaucoup d’entre elles ont compté parmi les dirigeants