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L'Opération esthétique - La traversée du mirroir: La traversée du miroir
L'Opération esthétique - La traversée du mirroir: La traversée du miroir
L'Opération esthétique - La traversée du mirroir: La traversée du miroir
Livre électronique566 pages8 heures

L'Opération esthétique - La traversée du mirroir: La traversée du miroir

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À propos de ce livre électronique

Avec son livre « L'Opération esthétique », surprenant de romantisme et de poésie mais dont chaque mot est vrai, Pierrette Dotrice a osé, pour la première fois, sonder le sujet des manipulations affectives et sexuelles au sein d'une clinique privée belge de chirurgie esthétique. Révélant des vérités explosives sur l'envers du miroir des apparences, la première édition du livre, mystérieusement étouffée en 2006, fit l'objet d'une procédure judiciaire intentée par l'auteure à la cour supérieure du Québec. Sans doute parce qu'il constitue le document le plus complet, puissant et osé à ce jour sur le culte des apparences et les relations adultères, couronné par un abus médical dont les répercussions sont comparables au viol ou à l’inceste. Plusieurs obstacles se sont donc dressés sur le chemin de l'auteure afin de la réduire au silence. Avec cette version e-book de « L'Opération esthétique », les lecteurs découvriront que la vérité refait toujours surface... et aussi que le livre électronique est une option merveilleuse et économique pour ceux qui osent éditer en-dehors des chemins balisés. « Mon cas est banal. Ce qui l’est moins, c’est que, cobaye d'une opération expérimentale, j’ai osé aller au bout du chemin, pour contraindre le chirurgien à réparer mon visage qu'il avait trépané comme un boucher. J'étais mobilisée, aussi, par cette question essentielle, publiquement étouffée : « Quel est l’enjeu réel de la chirurgie esthétique ? » Pour le savoir, il fallait carrément passer sur le billard, voire être prise en otage d’un chirurgien misogyne qui se retenait de « lacérer le visage de ses patientes avec son bistouri ». Ainsi, le livre part d’une blessure sociale, d’une blessure publique de l’image, oserais-je dire, sinon il n’y aurait pas eu de livre, et un autre témoin subtilement étranglé. Car dans cette clinique, j'étais la cinquième femme abusée. » Ce récit, premier du genre à joindre psychanalyse et chirurgie esthétique, constitue un merveilleux espoir pour les hommes et les femmes désireux d'ôter leurs masques, et de s’extraire de leurs jeux de séduct(u)eurs et de femmes fatales, racine même de la destruction sociale.
LangueFrançais
ÉditeurOser la vie
Date de sortie9 oct. 2014
ISBN9782924267066
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    Aperçu du livre

    L'Opération esthétique - La traversée du mirroir - Dotrice Pierrette

    coïncidences.

    TROISIÈME PARTIE

    L’Opération esthétique, ou la traversée du miroir

    Tu fabules, me disent les égarés. Ce qui ne manque de me stimuler : car La Fontaine, homme de vérités, fut seul à percer dans ce genre particulier.

    Mon psychanalyste m’assure que le Verbe fut à l’origine ; je prétends que le scalpel aussi. L’ordonnance de la psychanalyse est trop vieille ; il lui manque une donnée d’ordre esthétique, et spirituel. La psychanalyse guérit par les mots, mais ne dérouille pas les corps. Tandis que le scalpel restaure le caractère sacré de notre image qui, dévalorisée, fait perdre la foi. Corps et âme ne sont-ils pas liés dans un destin semblable ?

    Je cherche un druide à la serpe d’or, un chirurgien esthétique qui incarne son masculin super-rieur. Car pour moi, la chirurgie esthétique a un autre objet que l’image : elle a une vocation alchimique, que l’on néglige dans les ouvrages. La chirurgie esthétique peut servir l’amour en place du pouvoir ; rendre aux hommes et aux femmes leur moi véritable, leur noblesse d’esprit et leurs vrais désirs, au lieu des nez standards, des snobismes, et des Jaguars… La raison d’être véritable de la chirurgie esthétique serait-elle non l’image, mais la traversée du miroir ?

    La beauté, c’est ce qui est Vrai. Et le corps, temple de la beauté, n’oublie pas les outrages du passé, qu’il a parfois trop bien gravés. En m’Opérant la bouche, le chirurgien m’a ouverte à l’amour ; en m’Opérant les tempes, il m’a élargi la conscience. Enfin guidé par l’Esprit, le bistouri devient l’épée de la parole divine, tranchant les liens captifs de notre arbre généalogique.

    La psychiatrie devrait revoir sa relation à la mission créatrice et à l’ambition. Et sa position par rapport à ces impostures psychologiques se rapportant à la « réalité », à la pensée magique, au transfert, à la névrose obsessionnelle, à la dysmorphophobie, au tabou du passage à l’acte, au complexe de la star ou aux rêves prémonitoires. Les psys sont dangereux, parfois ; parce qu’au nom de la « raison », ils peuvent briser la vision : soit la force, sa sagesse et son exaltation.

    De La Fontaine, je saute à la fontanelle, ou au sixième sens (esthète) de L’Université Mixte du Troisième Millénaire. Je sais que cette fable-là deviendra réalité ; car la réalité est au-delà du visible. Et cette perception subtile, voyez-vous… c’est le geste chirurgical qui change tout. J’admets que mes idées ont, sans doute, dix ans d’avance. Ainsi j’aime participer, activement, à mes chirurgies, même si la responsabilisation du patient paraît étrange, voire gênante, pour une politique d’assistance. Dans un pays où la femme, pour survivre, doit encore être fatale ou soumise. Sans regret, je quitte cet enfer et ses tailleurs de pierres.

    CHAPITRE 1

    L’abus médical est découvert

    En rêve, je me vois étendue sur la table. Le Petit Prince me fait une piqûre dans le crâne. Il s’en va. L’infirmière est absente. Une fillette aux boucles blondes la remplace. Des gens viennent me saluer. J’attends l’intervention. Sur la table, je songe : l’infirmière va-t-elle s’éveiller à la spiritualité ? Le Petit Prince me fait signe de le suivre. En chemise, coiffée d’un turban, je l’accompagne dans un couloir menant à la salle d’opération. À voix basse, le Petit Prince me demande si j’ai envie de faire l’amour. Je réponds que oui. Je précise mes souhaits pour l’opération. Le Petit Prince me remercie de ne pas avoir été trop exigeante pour les détails. Nous arrivons devant un escalier à monter, derrière lequel se trouve la salle d’intervention. Avec foi je dis au Petit Prince : « Ce que tu feras sera bien. Si je dois mourir maintenant, je suis heureuse que ce soit avec toi. »

    Ce 16 août, à la clinique, je remets une lettre ouverte à l’infirmière, radieuse et toute bronzée de ses vacances, pour le Petit Prince chirurgien : « Si je ne puis réaliser la mission pour laquelle je suis née, je souhaite quitter ce monde avant de commencer à me détruire. Avec l’opération, je désire repartir de zéro, retrouver ma jeunesse volée, oser la vie professionnelle et affective que je mérite, en beauté et en santé. »

    — Le Docteur me demande de payer la clinique, non l’intervention, dis-je prudemment.

    L’infirmière paraît contrariée. Je précise :

    — N’oubliez pas que cette opération est une première en Belgique. Autrement dit, je sers de cobaye.

    Acculée, Clothilde reconnaît cette vérité.

    — C’est parce que vous êtes une femme exceptionnelle, me susurre-t-elle, flatteuse.

    — Nous sommes tous uniques, je vous le rappelle, dis-je, ignorant la belle parleuse.

    Très gentiment, Clothilde me pose les questions d’usage. Avec fierté, et un visible soulagement, l’infirmière arbore son alliance d’or sertie d’un gros diamant. J’observe avec curiosité ce témoin gênant de notre interaction tyrangulaire (je corrige : triangulaire). L’infirmière affiche une mine qui propose toutes les apparences de l’altruisme, et même, me semble-t-il, d’une reconnaissance tacite pour mon action tant fortuite que thérapeutique. Cette fois, je crois presque à l’image de paradis… Après les quelques questions d’usage, Clothilde me mène au petit lit.

    L’infirmière me tapote doucement le bras, et me sourit, dirait-on, de son âme candide. Surprise, je me laisse bercer par cette nouvelle tendresse, cette étonnante franchise, qui apaisent quelque peu mon appréhension. Car sans appel est, cette fois, ma décision : par cette dernière opération, je quitte, définitivement, une bancale et destructrice relation. Clothilde est complice de mon intuition. Et qui sait, d’une douleur commune, qui exigerait compensation ? Pour préparer l’intervention, je tente une relaxation.

    — Bonjour ! claironne le Petit Prince chirurgien, arrivé à pas de loup au pied du lit.

    — Hello ! dis-je, les yeux fermés, essayant, quelque peu, de dormir.

    Le Petit Prince me caresse la joue, longuement. Il m’embrasse sur le front. Un baiser délicat, comme un mois d’absence consacré à d’autres renaissants ébats. Déjà lointaine, je reste de marbre.

    — Comment vas-tu ?

    — Je vais très bien.

    — Mmm… j’ai reçu ton message, qui dit que tu veux quitter ce monde… reproche le maladroit.

    — Petit Prince, tu ne saisis pas. J’ai écrit : « Si je ne puis réaliser la mission pour laquelle je suis née, je souhaite quitter ce monde avant de commencer à me détruire. » C’est tout autre chose. Cela s’appelle une vocation.

    — Tu ne peux pas mourir ici, s’indigne le Petit Prince, méconnaissable et régressif.

    — Ce n’est pas toi qui décides…

    — Si, c’est moi qui décide ! rugit l’abruti, sans considération pour ma relaxation.

    — Soyons pratiques, dis-je. Si un problème survient — et c’est courant en chirurgie esthétique — j’aimerais que tu préviennes mon psychanalyste.

    — Je n’appellerai pas ton psychanalyste, rétorque le Petit Prince, soudain aigri. Ensuite, tu ne peux pas mourir, parce qu’alors mon nom fera la manchette des tabloïds.

    D’un coup, notre histoire perd son charme, sa signifiance, sa vérité, sa magie. Ébranlée, je reprends mes esprits :

    — Rassure-toi, Petit Prince : j’ai remis une décharge pour toi au psychanalyste. Tu n’es pas tout-puissant, comme tu crois. Tu es au service de ton art, et de forces supérieures.

    Contrarié, le Petit Prince embraye :

    — Pourquoi ne réalises-tu pas ta mission seule ?

    — Petit Prince, je t’ai expliqué longuement que pour le livre-magazine OSER la Vie, j’ai besoin du concours d’un partenaire audacieux et ambitieux. Tu sais que je me bats pour un partenariat à égalité. Que je ne vendrai pas mon âme à un financier.

    — Sur le marché, on croque ou on est croqué, enchaîne le goupil.

    — Tu n’as pas compris : mon combat est de prouver que l’homme et la femme restent des prédateurs, mais qu’ils peuvent tenter l’échange. Ce combat n’est pas vain, je crois.

    Mon ex amant, décidément, est de plus en plus déroutant. Tout à ses jeux de pouvoir, il s’applique à d’autres emprises.

    — Tu ne m’avais pas précisé qu’une chirurgienne avait tenté, auparavant, de poser des implants sur tes tempes, m’assène-t-il.

    — Je te l’ai pourtant signalé à plusieurs reprises.

    — Ce n’est pas vrai, ment le Petit Prince chirurgien.

    — Sur la tête de maman décédée, je te jure que oui. Je suis désolée que tu l’aies oublié.

    La dernière rixe est bien engagée… Mais cette fois, l’amour — trop fragile ? — s’est envolé.

    — Petit Prince, sois aimable, s’il te plaît. J’ai besoin de paix. Je voudrais voir la doctoresse avant d’être opérée.

    — Que veux-tu lui communiquer ? s’enquiert l’interrogateur, enfiévré.

    — Quelques mots, en particulier.

    — Tu ne la verras pas, tranche le Petit Prince, goguenard et fort, croit-il, de son pouvoir. La doctoresse est mon assistante, et elle est occupée à préparer la salle.

    Je choisis de me taire, face au cannibale.

    — As-tu peur de moi ? ose le goupil.

    — Du tout. (Je devine la question implicite : « As-tu peur du désir que tu as pour moi ? »)

    — Pourquoi donc ? se trahit le ladre, aux confins d’un sadomasochisme moral.

    — Sois gentil, Petit Prince, et calme-toi : je te rappelle que je vais être opérée… par toi !

    Le Petit Prince chirurgien semble attendre, de ma part, un encouragement qui ne vient pas.

    — Tu n’es pas femme facile, rage-t-il, dans l’impasse.

    — C’est une apparence qui, dirait-on, te dérange. Peut-être parce que je ne fais pas la pute. Parce que je ne suis pas ta proie.

    — Tu veux que je sorte ? Que je cesse de te parler ? insiste l’insolent.

    — J’ai besoin de calme, dis-je fermement. Tu es chirurgien, et je suis ta patiente. Et je te prie de prendre conscience que tu vas m’opérer dans un moment !

    Le Petit Prince sort. Dans le couloir, il pavoise vulgairement avec une stagiaire venue assister à l’intervention. J’assiste à cette vengeresse séduction.

    Qui sait, avais-je moins peur de l’opération que de l’éprouvante confrontation ? Je me souviens, comme dans le rêve, que le Petit Prince me fit une piqûre dans la tête. Et aussi que, suivant un songe précédent, où des colonnes roses promettaient de m’accueillir dans un monde aimant et différent, je quêtais l’attention de la doctoresse, détail qui provoquait la rage de mon ex-amant ; tandis que Clothilde veillait à ce que la perfusion, cette fois, ne tombe de mon bras. L’intervention se déroula paisiblement. Parée de mes implants, je repose à présent dans le lit blanc.

    * * *

    Le 18 août, un hématome laisse apparaître du sang dans l’œil droit. L’œil est gonflé, et fermé. Par précaution, je retourne à la clinique avec Corinne. Nous attendons, une heure, que le Petit Prince chirurgien ait terminé son lifting du jeudi. Le voici, tout bronzé, et fort démonstratif :

    — Ah ! Tu es venue avec ton amie ! (œillades coquines vers Corinne). Et, du coq à l’âne : « Puis-je lui parler de ton cas ? »

    — Bien entendu, dis-je. Corinne connaît ma vie. Mais examine d’abord mon œil droit.

    Le Petit Prince inspecte, touche, tapote. Il tranche, péremptoire :

    — C’est parfait. Tout est normal. Se rengorgeant : « J’ai réussi là où d’autres chirurgiens ont échoué. À ma connaissance, aucun chirurgien n’a encore pu poser des implants en silicone sous le muscle temporal. »

    — Ce qui signifie bien que je suis un cobaye… volontaire !

    — Je n’aime pas le terme « cobaye », renchérit le Petit Prince, soudain moins téméraire.

    — Appelons un « chat » un « chat », veux-tu ? Tu admets donc qu’il s’agit d’une expérimentation, ou d’un essai.

    — Ton psychanalyste m’a appelé hier, dévie le Petit Prince, décidément couard.

    — J’en suis fort aise. Voilà un vrai médecin, qui se soucie réellement du bien-être de ses patients.

    Le Petit Prince chirurgien conteste, humiliant :

    — Disons que ta souffrance est si intense que les médecins se préoccupent particulièrement de toi. Par exemple, moi, je désire tellement que tu sois heureuse… (œillade vers Corinne).

    Mentalement, je note qu’un médecin sachant soigner exploite peut-être moins ses patients, corporellement et psychiquement parlant. Notre histoire se termine salement.

    Là-dessus, le Petit Prince chirurgien se lance dans un discours exotérique, et se répand en arabesques sur les vertus de ses multiples techniques. Après un quart d’heure d’exposé, je suggère à Corinne de prendre congé : j’ai besoin de me reposer. Le Petit Prince serre la main de Corinne, et m’embrasse tendrement, avec un regard affable et langoureux dont il a, encore, le secret. En apparté, tel un boa, il s’enroule autour de moi, et me chuchote, inconscient :

    — Je voudrais que tu m’embrasses avec tout ton cœur… comme ça…

    Je me dégage et rétorque, glaciale :

    — Docteur, le cœur, comme le reste, ne se commande pas.

    — J’appelle Clothilde pour fixer notre prochain rendez-vous, bafouille le maladroit.

    Nous attendons un quart d’heure supplémentaire : car tout à son ivresse, le Petit Prince a oublié sa promesse. Enfin, l’infirmière paraît. Je propose de régler le solde de l’intervention, pour laquelle le Petit Prince avait décidé : « Tu ne paieras que la clinique. J’insiste : la chirurgie est gratuite. »

    Et là, coup de Trafalgar : rouge de convoitise, Clothilde me chuchote le « prix minime » qu’elle a fixé, et qui se trouve, soudain, quadruplé ! Il semble que l’infirmière se venge bassement, et que le Petit Prince m’ait menti à plusieurs reprises. De toutes part, maintenant, le jeu me paraît pourri. J’étais bien l’otage d’un couple de vampires hypocrites, qui s’abreuvent de leurs patients pour entretenir leur manipulatrice alchimie. Tandis que je vacille, le Petit Prince — à côté de sa Clothilde diabolique — s’empresse déjà auprès de Corinne, et recommence la duperie :

    — Toi non plus, tu n’as pas la forme, n’est-ce pas ? Comment va ta vie sentimentale ?

    Ouvrir l’œil et rester droit… Avant de partir, je lance un ultime regard au tableau impressionniste de la salle d’attente. Le dandy aux yeux morts s’absorbe dans ses pensées tristes, tandis que la femme blonde regarde implacablement vers le sol. Et que la rousse s’esquive, à droite…

    Toute l’après-midi, je vomis cette vérité qui, cette fois, se révèle dans son éclat : du Petit Prince chirurgien et de l’infirmière, de cette liaison triangulaire, je fus bien l’otage.

    * * *

    Le 21 août, je fis ces nouveaux rêves :

    Dans le premier, j’achetais une bougie en forme de femme pour déposer sur la tombe de maman.

    Dans le second, j’accompagnais, dans des hôtels, le Prince William d’Angleterre. Dans le troisième, je m’entretenais avec Jacques Salomé dans un village provençal. Perplexe quoique aimable, l’auteur hésitait à préfacer mon livre, qui, somme toute, torchait le nez à nombre de sujets encore tabous pour la quiétude matérielle des loups spirituels…

    « Votre atout, c’est que vous pouvez parler », avait avoué, dans la réalité, Jacques Salomé à mon ami François Notter. De ce propos, je fus outrée : quels spiritualistes s’opposent donc à la vérité ?

    Quant à Corinne, elle nous vit, toutes deux, dans un tunnel humide. Deux hommes sombres nous suivaient. Tandis qu’elle acceptait de faire l’amour avec l’un d’eux, je lui intimais : « Laisse tomber Corinne, nous n’avons plus besoin de ça. » Contrariée, Corinne m’emboîtait le pas, et nous arrivions sur un lieu désert, mais majestueux, tout baigné de lumière blanche.

    * * *

    Ce matin, je me lève avec appréhension. J’ai comme un poids au creux du ventre. Le deuil est, cette fois, vraiment à l’œuvre. Cet homme qui squattait ma vie et ma chair depuis près d’un an quitte peu à peu mon abdomen, telle une peau morte restée là longtemps, et maintenant extirpée trop vivement. Corinne me mène à la clinique. C’est chose certaine : Bonnie & Clyde ne se nourriront plus de ma substance. Car ce 18 août, je remets une lettre sévère au Petit Prince, dans laquelle je condense nos rendez-vous, mes tentatives pour échapper à ses avances, l’échec de notre projet d’écriture, et le prix fixé, initialement, pour la pose des implants.

    * * *

    Petit Prince chirurgien

    J’ai été surprise que Clothilde me demande un montant exorbitant pour l’intervention. En effet, nous avions convenu, depuis avril, d’un montant. de … qui ne serait pas majoré, d’autant que l’opération est expérimentale et que ses suites sont incertaines. (Suivent diverses dates commémorant nos accords).

    Tu sais que je ne suis pas une femme cupide, et que j’ai toujours été correcte envers toi, malgré les difficultés auxquelles j’ai été confrontées — dont notre relation, trouble-, à un moment où j’étais déjà fragilisée par des épreuves qui auraient terrassé d’autres patients. Néanmoins, j’ai trouvé la force de progresser avec intégrité dans un cheminement esthétique peu banal, tu en conviendras.

    Par exemple, et diversément :

    J’ai précisé mes enjeux dès le départ avec toi. Malgré tes encouragements, je ne t’ai jamais téléphoné. J’ai conscience du rôle positif que j’ai joué dans tes relations, parfois à mes dépens. J’ai l’intuition de t’avoir éclairé, discrètement et sur ta sollicitation, sur des problèmes que je pressens, et que par décence je n’ai jamais abordés bien qu’ils aient influé négativement sur notre liaison, dans laquelle je me suis sentie manipulée. J’ai subi de ta part des comparaisons indélicates, qui peuvent heurter une patiente moins avertie. À plusieurs reprises, j’ai tenté de m’éloigner de toi et d’écarter tes avances, car cette relation cachée, bien que sensuellement stimulante, ne me convenait plus. Je t’ai remis quelques courriers témoignant d’un recul de mon désir, que tu as pris goût à réactiver. J’ai patienté longuement pour cette dernière intervention, que peut-être tu postposais involontairement puisque, selon tes termes, « Tu devinais que tu ne me verrais plus ». J’ai effectué un travail considérable sur la chirurgie symbolique, que nous devions achever avec le psychanalyste, et qui reste en friche, faute d’humilité. Enfin, tu m’as remerciée d’avoir vu l’homme en toi plutôt que la façade, que d’autres adulent à tes dépens (« Avec toi, c’est pur », as-tu reconnu). Quant à moi, parmi autres choses positives, tu m’aides à me libérer, et à entrer dans la vie avec un visage neuf, dépouillé de séductions destructrices.

    En conclusion, je te demande d’être juste et de visualiser équitablement ce que nous nous sommes chacun apportés, amicalement, sur cet embryon de chemin commun. J’ai travaillé autant que toi à ces moments de construction, ou de destruction de ce qui n’est plus. Comme tu as pu en juger, je suis une femme vitale et passionnée, pas facile mais simple, qui a conscience de vivre à l’endroit dans un monde à l’envers et qui, à ses amis, demande seulement deux qualités, rares hélas : être vrais, et à leur place. Chez toi, je t’avoue que je ne reconnais pas ton vrai visage.

    Pierrette

    * * *

    Clothilde m’accueille chaleureusement, et m’invite à la suivre dans la chambrette. Contre toute attente, elle s’attarde. Je m’assieds au bord du lit.

    — Comment vous sentez-vous ? questionne l’infirmière.

    — Eh bien… Pour la première, fois, je perçois une libération, au creux, là…

    Je désigne mon ventre. L’infirmière touche mes tempes, avec précaution.

    — Les implants sont bien positionnés…

    — Oui, jusqu’ici je suis contente. Quoique l’implant gauche soit fort bas sur la tempe…

    Clothilde m’observe, hésitante. Son visage, apaisé par les vacances, affiche, décidément, une candeur que je lui connais peu. J’ai envie d’y croire. Mais, à juste titre je pense, je suis sur mes gardes.

    — Tant de gens ont si mal… soupire l’infirmière, dans un aveu troublant. Si mal de vivre dans ce monde…

    Surprise, j’entends l’écho du Petit Prince mondin.

    — Les gens sont mal par manque d’intégrité, dis-je.

    — Parce qu’ils n’osent pas être eux-mêmes… renchérit Clothilde.

    — C’est juste, Clothilde, très peu ont le courage d’être soi. Et s’enferment, dès lors, dans des relations cannibales…

    — Alors que l’on peut s’expliquer franchement, en tête à tête… risque l’infirmière, scolaire, et suivant, minutieusement, son propre itinéraire.

    Tout à coup, la fin de l’histoire m’apparaît, telle que je l’avais pressentie au début : « Rends-moi ma beauté, je te rendrai ta femme… » Il semble que Clothilde « briguant le mariage » était bien complice de notre accord d’âmes… Le mystère est là : l’infir-mère saura-t-elle devenir femme ? Au mieux, aurai-je guidé le Petit Prince vers son anima…

    — Pour l’argent, toussotte Clothilde, nous resterons au prix initialement convenu. Ce serait dommage de ne plus s’accorder, vous et le Docteur avez formé une équipe… Vous comprenez, c’est mon travail de fixer les prix. Lui, il est l’acteur de la clinique…

    J’observe l’infirmière, saisie. Soit Clothilde-Bonnie aime vraiment son Docteur, soit elle est parfaitement professionnelle, et complice d’un délit. Clothilde dissimule adroitement, comme à l’habitude. Elle soutient sa moitié avec une véhémence, une similitude et un goût des limites qui me confirme son sinistre objectif : empêcher (à tout prix !) le Petit Prince chirurgien de grandir. Pour ma part, je joue la carte de la franchise, et sors la lettre remise à mon ex-amant, que l’infirmière semble convoiter, et redouter aussi.

    — J’ai noté tous les accords que le Docteur a consentis, Clothilde. Avec les dates précises.

    — Je n’ai pas pu contrôler… vous et le Docteur vous êtes rencontrés en-dehors de la clinique… hasarde l’infirmière, qui tente de rester tranquille.

    Clothilde semble craindre une improbable révélation. Il va de soi que je ne vais pas lui dévoiler notre histoire, qui ne lui appartient d’ailleurs pas. Il est évident, aussi, que ma lettre a causé d’intestines turbulences. Soudain, j’expulse :

    — Clothilde, je veux que vous sachiez : j’ai horreur des mensonges.

    — Dans mon pays, on dit que ceux qui trichent sont un jour découverts, approuve l’infirmière. Tout comme nous n’avons qu’une parole lorsqu’il s’agit d’affaires… que nous dissocions bien de la vie privée. Elle ajoute, ennuyée : « Par ailleurs, en privé, nous sommes peut-être moins clairs… Chez nous, je vois tant de couples à problèmes… »

    L’infirmière m’apparaît, provisoirement, plus sympathique. Devançant ses questionnements, je m’entends déclarer :

    — Clothilde, vous avez des qualités que je ne possède pas, tout comme il m’est donné, probablement, ce qui vous fait défaut. Qui sait, l’amour est-il tissé de la somme de ces unicités…

    De cette pensée, l’infirmière semble ulcérée, et dévoile soudain une boudeuse avidité. Sa bouche gourmande se retrousse, comme pour aspirer un amour infini, et imaginé :

    — Je ne crois pas que l’amour puisse se diviser en rondelles… Elle fait le geste de couper.

    — Eh bien, je ne suis pas d’accord avec vous. Peut-être sommes-nous, au fond, polygames… et le mariage n’est-il qu’un acte de possession, une assurance de façade.

    Clothilde s’énerve, et rougit. Visiblement, j’ai touché sa boulimie, son point sensible.

    — L’amour, c’est laisser l’autre libre, se contredit-elle, telle une élève récitant sa leçon. Ajoutant, prisonnière du paradoxe des passions : « Mais je ne crois pas à l’abandon… »

    — Je partage votre avis, Clothilde. L’amour, c’est laisser l’autre libre d’aimer qui il a envie. Si nous voulons les choses avec le cœur, alors elles sont justes, et notre souhait a des chances d’être exaucé. Quand l’égoïsme, le contrôle, le pouvoir ou l’intérêt s’en mêlent, l’amour diminue en proportion. Il ne reste, dès lors, que la codépendance.

    — En fait, nous devrions être des adultes avec des cœurs d’enfant… murmure Clothilde, éclairée, un instant, d’une nouvelle transcendance.

    — Vous êtes peut-être trop adulte, et moi trop enfant… lorsque je quitte, par exemple, le Docteur en trépignant, souris-je. En quelque sorte, nous serions tous des handicapés des sentiments.

    Je me souviens de mon rêve, dans lequel je lui proposais une nouvelle image pour la salle d’attente. L’infirmière boudait ma proposition, qu’elle trouvait provocante.

    — Dans mon pays, on nous apprend à devenir trop polis, trop rigides… opine Clothilde.

    — C’est ainsi que l’on se construit une façade, opposée à ce que l’on est… Que beaucoup de femmes épousent un papa, et tant d’hommes une maman, et que ces couples-béquilles se retrouvent piégés dans des rôles fixes.

    L’infirmière tressaute.

    — J’ai connu des hommes, dans mon pays, me confie Clothilde. Je vois, notamment, encore un ami…

    — Je me rappelle, effectivement, que vous m’en aviez parlé, en apparté.

    — Ces hommes-là m’attiraient pour leur force et leur ambition, avoue l’infirmière. Mais avec eux, ce n’était pas de l’amour. L’amour, c’est…

    — Qui sait… Dans ce monde-ci, ne le saurons-nous peut-être jamais ?

    Un patient sonne. Clothilde s’esquive de la chambrette pour lui ouvrir la porte. Le cœur meurtri mais apaisé, je ressens quelque fierté d’avoir été au bout de notre commun projet : « Rends-moi ma beauté, je te rendrai ta femme. » Je devine que l’infirmière est soulagée : d’avoir, déjà, la traditionnelle bague au doigt. Ne serait-ce — et c’est probable — que pour le jour du mariage, de l’officielle mise en cage… qui sert, pourtant, ce paradoxe : la geôle délivre, parfois, les âmes qui s’égarent.

    Le Petit Prince vient ôter les premières agrafes. Remué par ma lettre, il n’en laisse toutefois rien paraître, si ce n’est une subtile absence de jeux de séduction, et un imperceptible malaise que je ne sais à quelle crainte attribuer : celle de perdre son infir-mère, ou celle de faire fausse route dans une vocation qui, probablement et de son propre aveu, n’est plus la sienne (« Quelle direction prendre ? » me demandait-il jadis, espérant quelque magie lui épargnant un choix évident. C’est alors que l’on se fourvoie dans les jeux de séduction et de pouvoir, qui nous bercent de l’illusion de nous emplir de l’autre pour combler un manque insupportable en soi). Tétanisé à l’idée d’être découvert, le Petit Prince s’active, scrupuleusement, à ôter les fils. Je me prends à envier sa feinte complicité avec Clothilde, me rappelant son hésitation, sincère celle-là, à prononcer ces mots graves : « ma femme ». Et la joie non feinte du Petit Prince lorsque le 16 juillet, une inconnue me prit pour son épouse… Quant à nous, cette fois, un mur de glace nous sépare. À l’extérieur, je me retrouve seule, infiniment seule, avec mon vide au ventre. Une douleur pareille, sans doute, à celle que m’a laissée maman en se suicidant. Une douleur que je ne contrôle plus, et dont le remède est, justement peut-être, l’absence de contrôle. Cette fois, je suis bien décidée à vivre mon histoire. Je commence par envoyer un mailing pour trouver un partenaire pour mon projet OSER la Vie. Puis j’absorbe un calmant, pour fuir la béance, maintenant infernale : de Clothilde et du Petit Prince, de Bonnie & Clyde et autres perversités de Marquis de Sade, il me faut, à jamais, quitter l’histoire. Vaincue par le mal, la Marquise trépasse. Hésitante, tâtonnante, je découvre, pas à pas, la femme neuve qui, déjà, la remplace.

    * * *

    Je rêve de cartes postales (souvenirs?) commémorant mes soirées avec le Petit Prince, qui commente, nostalgique : « Là encore, on avait passé une jolie soirée ensemble… » Ensuite, je me vois dans un grand lit, le Petit Prince à un bout, moi à l’autre, et, au centre, avec un jeu de Tarot, l’infir-mère nous séparant définitivement.

    * * *

    Le 25 août, je prends pour la dernière fois, je crois, le chemin de la clinique. Le Petit Prince doit procéder à l’extraction des derniers fils et agrafes. Dans mon cœur, notre idylle est, déjà, presque une « achieved business ». L’infirmière m’accueille avec un empressement peu coutumier. Son bras, passé autour de mon épaule, m’étreint en même temps qu’il semble m’expulser. « Alors, vous êtes bientôt partie, pour réaliser votre rêve ? » se trahit-elle, rouge d’hypocrisie et inquiète.

    « En effet, Clothilde, mon destin m’appelle. J’arriverai à mon objectif… sans tricher. »

    « Je croise les doigts pour vous », souffle l’infirmière, à la fois nerveuse et soulagée.

    Je les entends, le docteur et l’infirmière, les derniers acteurs de cette tragi-comédie qui, pour moi, touche à sa fin. Ils se parlent en allemand, tels deux complices complotant sur le dos de leurs patients. Il me paraît même percevoir un baiser furtif, attestant que les comédiens se renforcent mutuellement dans leur duperie.

    J’entreprends la lecture d’un article d’un magazine littéraire : La tentation du bonheur.

    Le Marquis de Sade y affirme : « Ce n’est pas dans la jouissance que consiste le bonheur, c’est dans le désir, c’est à briser les freins qu’on oppose à ce désir. Une chose essentielle à notre bonheur, c’est le plaisir de la comparaison, qui ne peut naître que du spectacle des malheureux. » À quoi Freud répond : « Nos possibilités de bonheur sont limitées par notre constitution. Il y a beaucoup moins de difficultés à faire l’expérience du malheur. » Et Flaubert, pessimiste lui aussi, de renchérir : « Être bête, égoïste et avoir une bonne santé, voilà les trois conditions voulues pour être heureux. Mais si la première vous manque, tout est perdu. » Quant à Oscar Wilde, il soutient : « Je n’ai jamais cherché le bonheur. Qui désire le bonheur ? J’ai cherché le plaisir. » Avis corroboré par Baudelaire : « Prenez-en gros comme une noix, remplissez-en une petite cuiller, et vous possédez le bonheur absolu, avec toutes ses ivresses. » Tandis que Rousseau objecte : « Ce n’est point par des plaisirs entassés qu’on est heureux, mais par un état permanent qui n’est point composé d’actes distincts. » Et enfin que Stendhal, plus spirituel, conclut : « Ne pas aimer quand on a reçu du ciel une âme faite pour l’amour, c’est se priver soi et autrui d’un grand bonheur. »

    Mais déjà, le Petit Prince chirurgien s’arc-boute devant moi, agressif, et dominant. Fidèle à ses dépendances, il est tout attente. Sans effort, je ne laisse paraître que mon calme intérieur, et le suis, sans crainte cette fois, dans la chambre.

    — La cicatrisation est stupéfiante, s’étonne le Petit Prince, ôtant les fils.

    — Ma motivation l’est aussi.

    — C’est la première fois que je constate une guérison aussi rapide.

    — S’il te plaît, veille bien à enlever tous les fils…

    — Pourquoi ? s’inquiète le Petit Prince chirurgien. On se verra encore, tout de même ? N’oublie pas les visites de contrôle…

    Pour lui, à l’évidence, notre histoire est une « unachieved business ». Le Petit Prince a manqué sa chance, et il le sait. Il se penche sur moi, plein de désir en suspens. Je dévie la conversation :

    — Sois plus doux, s’il te plaît.

    — Je suis toujours très doux, ment le Petit Prince, rageur, extirpant les agrafes avec une violence contenue. Il ajoute : « J’ai rencontré une patiente que tu pourrais peut-être aider. »

    Le Petit Prince me conte l’histoire d’une dame qui — synchronicité — lui a fait cadeau d’une Sainte Vierge pour sa salle d’opération. (« Mais je n’utilise pas ces trucs-là », parjure-t-il). En opérant la dame des seins, le Petit Prince lui découvrit une tumeur, qui heureusement put être endiguée. Le Petit Prince se lance alors dans une pantomime dont l’objet tient plus de prix et de considérations mutualistes que du combat de la patiente proprement dit. Je ne retrouve plus rien de lui dans ces caquets imbéciles.

    — Tu comprends, il faudrait dénoncer cette imposture fiscale dans une émission comme Autant Savoir. J’ai songé que, peut-être, comme tu connais des journalistes…

    — Tu sais pourtant que je navigue hors du système médiatique, et que mon défi est de lancer un produit qui voit avec le cœur dans une société aveugle. J’aiderais volontiers ta patiente dans ce combat personnel, pour autant que je sois en mesure de le faire !

    — Je ne te demande rien, s’enorgueille le Petit Prince. Mais je comprends…

    Comme d’habitude, il ne saisit pas, ou alors le temps d’un éclair, ou encore en surface.

    — Ai-je bien répondu à ta demande chirurgicale ? s’enquiert soudain le Petit Prince chirurgien, hésitant.

    — Tu es un excellent technicien, dis-je sincèrement.

    — Poursuis donc, ton avis peut m’éclairer, encourage l’impatient.

    — Mais tu ne sais aider tes patients que dans la mesure de ton propre cheminement.

    — Que veux-tu insinuer ?

    — Que tu n’as pas fait le voyage, Petit Prince.

    — Depuis vingt ans, mes patients me déclarent que je suis un bon psychologue ! affirme le Petit Prince avec une suffisance qui témoigne de son sentiment, exact celui-là : il passe sa vie à tricher.

    — Tu sais bien, Petit Prince, que les gens se satisfont de ce qu’on leur raconte. Mais un jour, il peut t’arriver de tomber sur une patiente dont la requête est plus profonde…

    — J’ai eu des patients plus dingues que toi ! vocifère le maladroit. Par exemple, un homme qui me demandait de lui poser des implants sous les pectoraux…

    — Il est vrai qu’avec ta chirurgie, tu prends des risques, Petit Prince. Je confirme que pour la technique, tu te surpasses. Il te manque la finesse… que l’on acquiert seulement avec le voyage.

    — Explique-moi.

    J’extrais un bic de mon sac, et esquisse une bouche sur un papier.

    — Voici ma bouche lorsque je suis venue te voir, il y a un an. (Je trace le pli d’amertume.) Je t’ai demandé de la dessiner à l’endroit, par un lifting conjugué de la bouche et du visage, que nous avons renforcé avec les implants pour modifier la morphologie. Il s’agissait, par un travail chirurgical, d’accompagner une guérison intérieure puisque cette amertume traduisait une jeunesse volée, un sadomasochisme moral et des jeux de pouvoir dont je voulais m’extirper.

    — Le pli d’amertume a disparu, triomphe le Petit Prince.

    — Oui, mais la bouche est tordue. Le coin gauche exprime un dégoût, dis-je vivement.

    — Techniquement, il n’était pas possible de procéder autrement, à moins de la relever encore…

    — Je ne conteste pas, Petit Prince. Je conçois que tu es allé au bout de tes limites, et que le travail de finesse — ou artistique, si tu préfères — doit maintenant débuter. Je vais demander à un maquilleur professionnel de pigmenter la bouche, et de la redessiner.

    — Nous faisons tout cela à la clinique, proteste le Petit Prince, vexé.

    — Tu es un bon technicien. Tu as accompli le gros œuvre. À présent, j’ai besoin d’un artiste, de quelqu’un qui va au bout d’une démarche. Qui gomme les aspérités, et adoucisse mon visage. Rappelle-toi : c’était l’enjeu même du livre, qui pour exister devrait s’écrire autrement qu’en surface.

    Soudain, je me tais, pudique.

    — Signifies-tu que je ne suis pas assez empathique ?

    — Ton intuition est surprenante, Petit Prince. Hélas, après, tu recules, tu abdiques…

    — Il est vrai que je prends du temps, que je rationnalise, que j’analyse…

    — Et que tu te noies dans des discours de surface pour cacher ton angoisse.

    — Que veux-tu dire par là ?

    — Qu’en fuyant ton intuition, tu reviens au mental, et que tu es alors à côté de la plaque. Comme tu me l’as confié un jour, tu n’oses pas aller au bout de toi.

    — J’ai pourtant rencontré ton psychanalyste ! Aucun chirurgien ne fait cette démarche !

    Mesquin, le Petit Prince glisse :

    — D’ailleurs, je t’ai caché ce qu’il m’a dit de toi…

    — Je n’ai pas cherché à savoir, Petit Prince. J’écoute mon cœur, qui seul me dicte les réponses. Je me fiche bien des jugements d’autrui, et de ce que vous vous êtes conté avec le psychanalyste.

    Par cette ultime tentative d’emprise, le docteur, à son insu, dévoile son envie. Nettement, je le sens et risque :

    — On est jaloux des autres lorsqu’on n’est pas à sa place. Dans notre monde, en fin de comptes, on reste seul, souviens-toi.

    — Ce n’est pas vrai, s’illusionne le Petit Prince, qui songe, sans doute, à sa fusionnelle moitié de pomme.

    Je pense : « Docteur Daimler, tu es vraiment un pantin désarticulé. Et tu as réintégré ton jeu d’aliénés. »

    — Peux-tu encore me dire ce que tu penses de moi ? hasarde le Petit Prince chirurgien.

    — Ce n’est pas mon travail… Mais puisque tu me le demandes, je trouve que tu manques d’humilité.

    — D’humilité ! tonne le Petit Prince. Il n’y a pas plus humble que moi !

    — Pourtant, nous n’avons connu que rapports de forces. Constamment, avec toi, je suis sur mes gardes.

    — Mais c’est toi qui provoques les rapports de force !

    Je me rappelle la douce soirée du 16 juillet dernier, et mon abnégation momentanée. Pour se dévoiler, me semble-t-il, il faut être deux, et non deux moitiés… J’ai un geste poli, quoique excédé :

    — Petit Prince, j’ai le sentiment que tu tournes autour du pot.

    Brusquement, l’infirmière vient interrompre la discussion. Autoritaire, elle scrute le lit, où le Petit Prince chirurgien et moi nous tenons décemment assis. Penaud, le Petit Prince se lève d’un bond, et trottine le long du couloir tel un chiot servile. Je le vois revenir avec un appareil photo : « Nous allons photographier tes implants. »

    Tandis que je prends la pose sur fond noir, le Petit Prince lâche, dans un rictus gêné : « Dans la chambrette, on entend tout ce qu’on dit… »

    Je songe, avec pitié : « Pauvre Petit Prince. Je crois décidément que, pour le reste de ta vie, tu resteras petit. »

    Mon ex-amant en est bien conscient. Je note que sa souffrance morale lancinante, qu’il tente de noyer dans un tourbillon de vains discours et de patients, égale ma douleur d’afficher une image qui, ce jour encore, ne me ressemble pas. Mais j’ai la foi : probablement retrouverai-je, Dieu sait comment, mon visage de femme enfant.

    Le Petit Prince me quitte sans au-revoir, comme il m’était apparu sans bonjour.

    « Clothilde arrive », lance-t-il, futile.

    À présent, j’embrasse l’infirmière. Un instant, je fixe intensément ses yeux bleu kitch et lui dis, à cœur ouvert et sans détour :

    — Clothilde, je vous souhaite tout le bonheur possible. Et surtout, de trouver l’amour.

    — Ah ! L’amour est la grande affaire de ma vie ! grimace l’infirmière, rougissant, dans un sourire gourmand qui traduit bien sa souffrance. Mais vos paroles me font plaisir !

    — À bientôt, Clothilde, dis-je, surprise de cette inconsciente méprise…

    J’aurais voulu prononcer, en effet, l’« au-revoir » définitif.

    D’un pas léger, je sors de la clinique. Dehors, synchrone, mon sac perd soudain son fermoir, et menace de vider son contenu. De ma bouche honnie, je ne suis pas encore quitte. Mais cette fois, je suis bien ouverte. Et mon passé, d’un seul coup, se déverse.

    Cette nuit, je rêve que le Petit Prince dévorant, en caleçon et chemise, me rédige une ordonnance, tandis que je scrute, en tenue sexy, ma bouche tordue dans le miroir. Inattendu et sournois, le désir est encore là.

    * * *

    Bruxelles, le 26 août 2000

    Ma chère Corinne

    Cette nuit, je t’ai vue en songe. « Je suis fourbue ! me disais-tu, alors que ton visage radieux exprimait une jouissance divine et absolue. J’ai deviné que tu faisais l’amour, jusqu’à plus faim, avec ton amant américain venu te visiter à Bruxelles cette semaine. Mais voici que mon pressentiment se confirme : à présent, tu m’appelles à l’aide.

    Hélas, ma chère Corinne, notre histoire est bien banale. Elle ressemble à des milliers d’autres histoires de séduct(u)eurs qui rencontrent une femme fatale, avec qui ils engagent un vain, et impitoyable combat. Je parle ici d’amour cannibale : c’est à dire que le séducteur et la femme fatale puisent, ensemble, ce dont ils ont besoin dans la substance de l’autre — le cas échéant, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de substance du tout. C’est ainsi que fonctionnent, encore, la plupart des couples liant des « parasites » affamés de symbiose, ou plutôt d’extorsion, de manipulation, de jeux de pouvoir, de possession, voire de dévoration mutuelle. Tel sera notre sort jusqu’à ce que nous en venions à cette sagesse : vivre notre vie, et non celle des autres… Comme dit le poète Julos Beaucarne, l’amour, c’est sans doute lorsque ton projet rencontre le projet de quelqu’un d’autre.

    Ma chère Corinne, tu as vécu, à peu près, et dans les mêmes temps, la coupure que j’ai expérimentée avec le Petit Prince chirurgien, sans y laisser mon âme néanmoins. Voyons ces ressemblances. Ton boy friend vit avec sa compagne depuis dix ans. Il te dit qu’il l’aime, mais c’est plutôt de l’attachement. Car l’amour est d’un autre ordre, je le pressens, et bien peu d’entre nous pourraient y prétendre. Soit. Comme le Petit Prince et Clothilde, ton amant vit une symbiose avec sa « moitié », c’est-à-dire que lui et sa compagne se sont clos dans des rôles figés. Or, c’est là que réside le danger, le poison mortel pour le couple. Car la survie psychologique de ton amant implique, impérativement, que sa moitié tienne le rôle qui, par un contrat tacite, lui est imparti. Ou encore que lui et sa femme s’amputent, par paresse, d’une partie d’eux-mêmes, et assignent leur partenaire à ce rôle manquant et pré-programmé. De sorte que, si ton amant veut sortir du carcan symbiotique, « sa femme » doit changer, elle aussi, et vice-versa. Et tu sais que l’être humain est, par nature, réfractaire au changement, et qu’il tentera toutes les astuces pour retarder ce moment. Tu le devines, c’est alors qu’intervient un troisième élément : la maîtresse. Parce que oui, chère Corinne, tu n’es… qu’un élément de régulation, ou de rééquilibrage du couple. C’est vilain, mais c’est ainsi : jusqu’à ce qu’une raison d’être plus authentique lui soit reconnue, la maîtresse aide l’amant à faire le point sur sa vie de couple, et souvent — l’espace de quelques semaines ou années, plus rarement — à lui donner un nouveau souffle.

    Bien sûr, Corinne, tu n’es pas une maîtresse ordinaire, sinon tu ne serais pas mon amie. Tu as, toi aussi, un corps neuf et des aptitudes spirituelles. Tu sais faire l’amour, et tu es une femme sauvage, telle que les hommes les apprécient : une femme sans compromis, de celles que l’on n’achète pas. Si l’on excepte le coût du ticket d’avion de ton amant, qui paie le prix pour te voir, tout comme la chirurgie que m’a offerte le Petit Prince. Ce dédommagement (dirons-nous) mis à part, il est donc sûr que l’on n’achète pas des maîtresses comme toi et moi. Le hic, c’est que ton amant et le Petit Prince s’imaginent encore, bien sincèrement, qu’ils nous acquerront avec quelques liards ou bobards. Parce que tant qu’ils ne se décident pas à changer et à découvrir l’amour en eux pour développer une vie sentimentale authentique, ils auront besoin de maîtresses. Pourquoi donc ne nous tromperaient-ils pas… puisqu’ils trompent bien « leurs femmes » ? ! Alors, oui, nous aurons ce privilège-là : ton amant et le Petit Prince s’exciteront longtemps en pensant à nos anciens ébats.Et peut-être même nous regretteront-ils leur vie entière, à moins qu’ils ne rencontrent — c’est probable — une maîtresse aussi appétissante, mais un peu plus complaisante.

    Ma chère Corinne, comme le Petit Prince, ton amant sait bien que tu es une chance à saisir. Une chance d’évolution, de spiritualité, de libération. Mais ces hommes-ci ont-ils, vraiment, envie de vivre libres ? De leurs compromis, ils retirent, encore, tant de secondaires bénéfices… Ne serait-ce qu’une reconnaissance sociale pour une occupation à laquelle, sans doute, ils ne croient pas. Et pour ce faux emploi-là, ils ont besoin de « leur femme »… Crois-tu vraiment avoir une chance de démanteler pareil traquenard ? « Je suis pris dans un étau », m’avouait le Petit Prince, en juin… car en dix ans, on peut édifier une montagne, fût-elle de façade. Qu’une chiquenaude, finalement (ou une maîtresse comme toi et moi), pourrait, sottement, déséquilibrer… Tu comprends donc que ces hommes-là ne sont pas prêts à laisser leur mensonge, leur rêve d’apparat, ni la femme qui participe à ce branlant édifice social. Ces Peter Pan désirent être « servis sur le plat », fût-il de résistance. Et toi, lucide et candide, tu leur proposes de tout lâcher : femme, persona, statut social, emploi… Mais de quel droit, Corinne, prétendre à cela ? Car si nous sommes des femmes libres, ou des « libertanes », nous n’avons pas à encourager le jeu de ces hommes-là, à moins de suivre, de leur couple, l’exemple irresponsable. Voilà, ma Corinne, un sujet à d’« ébats ». Je sais que ton chagrin est grand, au moins autant que celui de l’autre femme (soit l’officielle, qui devine bien ce qui se passe !), mais il te servira à retrouver ta voie, et sur celle-ci ton cocréateur, ou l’homme qui, vraiment, t’aimera.

    Ainsi, pour toi comme pour moi, voici les vraies questions : est-ce que je désire une liaison toxique, ou une relation « libertane » ? Est-ce qu’à une relation d’amour fluide, passionnante et intime, je préfère l’émotion amoureuse fixe, violente, passionnelle, puissante en intensité mais de durée limitée, comme celle que nous inspirent, semble-t-il, ton amant américain et le Petit Prince chirurgien ? Est-ce que je recherche une communion sporadique, ou une connivence, pleine et complice ? Est-ce que je veux continuer à aimer mal, obsessionnellement, et souffrir, comme dit Edgar Morin, d’amour égaré, trompé, trompeur ? Car tant que nous serons en colère, blessées, ou insatisfaites, nous attirerons à nous, fatalement, ces relations nuisibles, vampiriques, et vides de communication. Nous fascinerons ces victimes et bourreaux amputés, coupants, et destructeurs, et ferons fuir ceux qui, de toute leur âme, pourraient répondre à l’immense potentiel d’amour que nous pourrions leur dispenser. Parce que je suis convaincue que toi et moi sommes prêtes, aujourd’hui, à oser l’amour. Et que nous n’en pouvons plus d’osciller, comme ces couples de façade, entre la fusion et le repli (dans une coquille vide?), entre la chaleur étouffante de la mortelle symbiose et le froid corrosif de la mortifère distance.

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