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Le maire et sa communauté: Une sociologie politique des élus municipaux au Québec
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Le maire et sa communauté: Une sociologie politique des élus municipaux au Québec
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Le maire et sa communauté: Une sociologie politique des élus municipaux au Québec

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À propos de ce livre électronique

Si nous avons tous nos opinions et nos croyances concernant la politique municipale, en connaissons-nous réellement les rouages? Souvent discrète et méconnue, la réalité de l’activité politique des municipalités et des personnes qui les peuplent est fréquemment négligée.

Cet ouvrage vise à démystifier le rôle des mairesses et des maires dans les territoires et les communautés de la région du Bas-Saint-Laurent. Comme dans les autres régions, les municipalités y incarnent un espace politique singulier, fondé sur les liens de la vie quotidienne, mais aussi sur les particularités d’une « région-ressource ». Sans prétendre à l’exhaustivité empirique, ce travail cherche à mettre en lumière les pratiques effectives de la fonction des personnes élues dans « leurs » territoires. Les maires et mairesses, pivots de ces espaces politiques, agissent selon deux mécanismes principaux: le municipalisme pragmatique et l’agrégation territoriale des communautés, qui se combinent pour assurer l’intégration des communautés territoriales à la société québécoise.

S’appuyant sur l’enquête sociologique qualitative Renforcer le leadership territorial : vers une redéfinition du rôle des élus municipaux ?, cet ouvrage propose une analyse approfondie du pouvoir local. Il s’adresse à un large public intéressé par les enjeux territoriaux et le fonctionnement de leur communauté.
LangueFrançais
ÉditeurPresses de l'Université du Québec
Date de sortie26 févr. 2025
ISBN9782760561441
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    Aperçu du livre

    Le maire et sa communauté - Yann Fournis

    Introduction

    Omniprésente et invisible, la politique municipale est discrète. Et s’il en allait comme de la Lettre volée de Poe, d’autant moins visible qu’elle est là, posée en évidence dans un ordre à l’immobilité trompeuse ? À force d’avoir cherché du politique « ailleurs », hors des scènes légitimes du pouvoir, les recherches scientifiques récentes ont peut-être fini par laisser de côté ces territoires quotidiens du politique, où l’expression des demandes et intérêts passe moins par des voies formelles (partis politiques, organes institutionnels) que par des pratiques informelles et des significations discrètes. S’intéresser aux élus des municipalités du Québec est d’une pertinence évidente et relève simultanément d’une véritable gageure. La pertinence est évidente en ce que le monde municipal québécois est d’une densité remarquable au Canada : avec plus d’un millier de municipalités, le Québec est la province à l’encadrement municipal le plus vaste (Collin et al., 2003, p. 6), ce qui représente une classe politique loin d’être négligeable (estimée à environ 6000 personnes élues) (Breux et Parent, 2024). Or, ce monde municipal foisonnant est largement dominé en nombre par les petites municipalités : en 2020, le Québec compte 1131 municipalités, dont près de 94 % comptent moins de 25 000 habitants (et 88,5 % moins de 10 000). Certes, ces petites municipalités ne représentent qu’une minorité de la population (20,8 % pour les municipalités de moins de 10000 habitants et près de 32 % pour celles de moins de 25000 habitants), mais, outre que leur nombre est en soi remarquable, elles couvrent l’essentiel du territoire national occupé (voir tableau I.1 ). Bref, les petites municipalités représentent la majeure partie de l’encadrement institutionnel du territoire québécois.

    Cela rend d’autant moins compréhensible le fait que ces petites municipalités sont largement négligées : il reste étonnant de constater combien les municipalités sont ignorées (Baccigalupo, 1990) ou « sous-valorisées » (Divay, 2010) dans l’espace public, intellectuel et académique, comme si elles suscitaient un certain dédain pour « la petite politique » (Bérubé, 2017) et un monde municipal perçu comme « un agglomérat de petits fiefs pouvant régler, chacun à leur manière, leurs propres affaires » (Divay, 2019c, p. 69). Cette réalité est encore plus frappante si on ajoute le biais urbain des débats médiatiques et publics : la concentration de la population dans les plus grandes villes (en particulier la dizaine de plus de 100000 habitants) explique que leurs réalités soient plus connues, parce que cette tendance démographique a aussi suscité une concentration des grandes institutions structurant la vie collective (gouvernements, administrations, médias, universités, etc.). Pour autant, il est dommage de constater combien les études scientifiques ont peu documenté la vie municipale : les travaux restent assez rares et inégaux. D’un côté, ils démontrent une bonne connaissance de Montréal et plus généralement de la socioéconomie de certains territoires, mais une moins bonne compréhension d’autres territoires et d’autres dimensions (Bérubé et Bourbeau, 2016). D’un autre côté, les plus petites municipalités dans la ruralité, à l’autre bout du spectre municipal, sont souvent carrément ignorées par la recherche (sur les petites et moyennes villes : Bérubé, 2012) – reflet plus général sans doute d’un espace rural qui est désormais passé de mode et devenu « objet de recherche relativement délaissé », en France (Barone, 2010, p. 4 ; voir Mischi et Renahy, 2008) mais aussi au Québec.

    De leur côté, les analyses en matière de développement territorial et régional sont elles-mêmes un peu décevantes. Certes, les municipalités sont centrales dans les études régionales contemporaines, mais d’abord les plus grandes, ces villes « globales » ou « métropoles » qui sont censées incarner l’époque mêlant urbanisation et globalisation (les « epochal city »: Bell et Jayne, 2009). Et, ici, il faut bien constater que, sauf exception, les dynamiques politiques internes à la ville ne sont pas un objet très couru. De leur côté, les villes les plus petites sont encore moins étudiées, puisque la plupart des travaux scientifiques établissent une limite démographique assez haute (quasi toujours supérieure à 5 000 habitants… et allant jusqu’à 500 000 – voir Bell et Jayne, 2009 ; Wagner et Growe, 2021) au regard de la réalité démographique de la ruralité québécoise (le Bas-Saint-Laurent compte ainsi seulement 6 municipalités de plus de 5 000 habitants contre 74 de moins de 1 000 habitants sur 114 municipalités – voir infra). Et, encore, on trouvera peu de travaux insistant sur le rôle des processus politiques internes à la municipalité pour mettre en place des projets de développement territorial (mais voir Kaufmann et Wittwer, 2022).

    Certes, certaines pistes commencent à être tracées dans les bilans récents, en études régionales (sur les municipalités rurales canadiennes : Douglas, 2023) ou dans des disciplines connexes, sous certaines dimensions (en géographie : Pham, Biggar et Pottie-Sherman, 2024 ; Rajaonson et al., 2023 ; en travail social : Walmsley et Kading, 2018). De même, les analyses spatiales des petites et moyennes villes documentent efficacement le rôle stabilisateur des petits pôles urbains dans l’aménagement des territoires (Desjardins et Estèbe, 2019). Clermont Dugas rappelle ainsi que les noyaux villageois des régions-ressources du Québec sont initialement liés à une occupation du territoire dépendante des ressources (Dugas, 1981), mais que leur fonction est peut-être appelée à changer. De fait, les petits centres ruraux (entre 2 500 et 5 000 habitants) sont désormais aussi des « centres de services » qui assurent une distribution des services dans la ruralité environnante (Dugas, 2022). Par leur position particulière au sein de la hiérarchie urbaine québécoise (Bruneau, 2000), ils expliquent certainement une partie de la relative bonne santé des territoires ruraux québécois ( Jean et al., 2014). Pour autant, tous ces travaux des études régionales et territoriales sont d’autant plus éclairants qu’ils restent plutôt isolés, ce qui souligne le grand paradoxe de cette « petite urbanité » qui sera le cœur de notre étude : trop petite pour être vraiment urbaine, et trop urbaine pour incarner les petites communautés de la ruralité.

    Un autre facteur de cette cécité est sans doute la faible familiarité des observateurs avec des dynamiques politiques locales qui apparaissent souvent comme quelque peu exotiques au regard des canons de la démocratie libérale (voir Quesnel, 1986). Le premier trait qui frappe l’analyste est sans doute une forme d’apolitisme qui, comme l’ont noté Bhérer et Breux (2012), récuse le clivage droite-gauche au profit d’une solide rhétorique de refus du débat et de neutralité idéologique, qui conçoit la scène politique comme exclusivement organisée autour de la bonne gestion technique des enjeux municipaux. Se lit là le poids historique de la construction du pouvoir politique local dans les démocraties libérales anglo-américaines, où l’incorporation des masses dans une démocratie à niveaux multiples a fait du local le lieu d’un pouvoir plutôt faible et spécialisé (dans la fourniture de services) face à un État perçu comme instrumental (Heinelt et al., 2018, p. 54-55). Mais cela a aussi généré une scène politique propre dotée d’une grande autonomie et souvent d’un réel dynamisme communautaire (de la société civile) – dessinant une forme de « démocratie civique localiste » (Sellers et al., 2020). Dans une certaine mesure, le politique à l’échelle locale relève d’une sorte d’incarnation villageoise de « l’idylle rurale »: « l’apolitisme est en fait le reflet d’un idéal communautaire propre à l’échelle municipale, qui associe la démocratie à une forme consensuelle et harmonieuse de la vie en communauté » (Bhérer et Breux, 2012, p. 172), où il est de bon aloi de pratiquer une stratégie de préservation de l’ordre communautaire par l’intégration de tous.

    Certes, il faut bien constater que, si idylle il y a, elle relève de la Belle au bois dormant, tant les formes canoniques de la vie politique nationale semblent discrètes. La liste n’en finit plus des exceptions à la définition formelle (Quesnel, 1986) de la démocratie :

    • L’organisation de la vie municipale ne dispose pas des infrastructures formelles de base de l’animation d’un débat démocratique : au-delà de quelques grandes villes assez bien documentées, les partis politiques municipaux sont systématiquement absents (Mévellec et Tremblay, 2013), ce qui laisse le champ libre aux candidats indépendants (les équipes sont possibles dans les villes plus petites, mais rares), dans un débat où les enjeux municipaux sont perçus comme spécialisés, techniques, voire peu intéressants ou « banals » (Béland et al., 2017) – et en tout cas mal connus – (Breux et Couture, 2022 ; Breux et Vallette, 2020). Plus généralement, les mobilisations locales sont si rares que l’on ne peut que constater « une citoyenneté municipale pour le moins anémique » (Bérubé et Bourbeau, 2016, p. 39).

    • Le mécanisme central de la vie démocratique – les élections – est systématiquement désinvesti comme mécanisme d’attribution d’une légitimité démocratique : alors que la démocratisation complète du scrutin est très récente (l’abolition du suffrage censitaire date de la fin des années 1960), la participation électorale reste assez basse (avec des nuances cependant), et la compétition entre candidats est généralement peu poussée (dans les trois quarts des municipalités où il y a compétition, seulement deux candidats sont en lice et la marge victorieuse est de près de 25 %). Dans ce contexte, le fait que les élections par acclamation restent majoritaires (dans la moitié des municipalités) (Couture, 2015, p. 28-29) confirme que la démocratie municipale est, au mieux, singulière.

    • Le fonctionnement des organes du pouvoir municipaux se prête mal à un jeu équilibré (de type parlementaire) : le maire ne dispose d’aucune autorité décisive sur les membres du conseil municipal, parce que les candidats restent souvent indépendants d’un maire qui est généralement élu sur son seul nom (sans lien de subordination strict). En outre, le fonctionnement du conseil municipal aide peu : en dépit de son rôle de « véritable organe délibérant et souverain » de la municipalité (Baccigalupo, 1990, p. 179), son identité floue en l’absence de mécanismes collectifs formels en fait souvent une collection d’individualités qui le plus souvent ne compte ni majorité ni minorité et n’est pas régulée par le principe de responsabilité collective (de type ministériel). Le maire est par sa fonction réduit à un rôle d’intermédiaire, chargé de piloter des négociations permanentes et discrètes qui préparent les séances publiques du conseil (et les rendent assez formelles et peu décisives) (Baccigalupo, 1990, p. 179-180), ouvrant à une action qu’il ne pourra en outre pas entreprendre directement (sauf à risquer l’ingérence).

    Jamais la litote de Louise Quesnel n’a-t-elle donc été aussi saisissante : « il n’y a pas lieu de conclure en l’existence d’une gouverne politique respectueuse de tous les critères démocratiques » (Quesnel, 1986, p. 93). Et cela rend d’autant plus remarquables les perceptions démocratiques largement positives du municipal ou, mieux, l’ambivalence de cette idylle municipale : « objet de valorisation démocratique, la ville n’en demeure pas moins un espace politique plat » (Bhérer et Quesnel, 2006, p. 3), empreint de banalité et de neutralité, alors même que la proximité est censée avoir des vertus de décomplexification, de transparence, voire de consensus spontané.

    Au croisement de ces tendances se trouvent donc les élus municipaux – on ne s’étonnera pas qu’ils soient peu connus. Sous d’autres cieux, les élus sont l’objet d’études poussées. Sur un fond d’intérêt pour le « métier » des élus (Fontaine et Le Bart, 1994) – qui vient prolonger les travaux anciens sur les notables (Grémion, 1976 ; Kesselman, 1967) –, les travaux sont assez nombreux pour montrer le fort dynamisme des élus locaux. On pense à des études sur l’émergence de nouvelles compétences liées à des politiques de développement territorial (Douillet, 2003), sur la fabrication des politiques publiques (Douillet et Robert, 2007), mais aussi sur la pérennité de certains traits classiques du politique (la passion et le don de soi, les joutes et les affrontements, l’emprise et le contrôle, etc.) (Faure, 2016 ; Le Bart, 2017). Deux tendances nouvelles semblent motrices : la professionnalisation du métier (Cadiou, 2011 ; Le Bart, 2017) et sa collectivisation (avec l’essor des entourages) (Cadiou, 2015 ; Demazière et Le Lidec, 2008). Ailleurs, les élus locaux et les maires sont moins mis en valeur, au-delà d’une idéalisation assez répandue (Barber, 2013). Aux États-Unis, à côté de travaux très fournis sur certaines dimensions (raciales, notamment), les sciences sociales fournissent quelques enseignements (Svara, 1986 ; Yates, 1977) dans des portraits globaux qui privilégient généralement d’autres paramètres du pouvoir local. Citons, sans exhaustivité : les élites et leurs régimes (Dahl, 1961 ; Stone, 1989) ; les paramètres institutionnels (Taylor, 2019) ; l’élargissement de ces derniers aux processus informels (Trounstine, 2020). Au Canada, dans l’ensemble, la gouvernance locale est un objet relativement marginal (Taylor et Eidelman, 2010) qui se prête généralement à des approches assez globales (Graham et al., 1998 ; Higgins, 1986 ; Sancton, 2021 ; Tindal et al., 2017) où la figure du maire est généralement assez discrète – au point où l’on peut affirmer qu’il n’existe guère d’études poussées, au-delà de quelques travaux isolés (Graham, 2018 ; Sancton, 1994 ; Urbaniak, 2014).

    Enfin, pendant longtemps au Québec, les maires suscitent peu l’intérêt de la recherche. Certes, on trouvera ici ou là des travaux spécialisés rarissimes (Dansereau et Godbout, 1965 ; Lemieux, 1961) ou généralistes (consacrés aux élites [Falardeau, 1966] ou à une communauté locale [Miner, 2012 ; Moreux, 1982]). S’il est impossible de ne pas remarquer les maires, ceux-ci restent en marge de l’objet principal d’enquête. Et la cécité persiste de manière assez étonnante : alors même que le développement des territoires est l’objet d’une vaste mobilisation politique, sociale et intellectuelle à partir des années 1960, les municipalités et leurs édiles ne sont généralement pas considérés sérieusement (ainsi en est-il dans les travaux du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec [BAEQ] ou dans ceux de leurs critiques [Simard, 1979]). Il arrive même que, dans l’examen du rôle des élus dans le développement régional, les maires soient oubliés (Dugas, 1983, p. 159-165), ce qui témoigne d’une approche du développement territorial où les élus municipaux sont peu ou mal considérés. Cela dit, des travaux ont progressivement dégagé quelques pistes d’analyse, notamment en histoire (Bérubé, 2017 ; Bouchard et al., 1985) et surtout en science politique où, depuis quelques années, l’on a entrepris un chantier de recherche dynamique, reprenant les travaux panoptiques (Bhérer et Breux, 2012 ; Bhérer et Quesnel, 2006 ; Bourassa, 1968 ; Quesnel, 1986 ; Tardy, 2002) pour examiner d’autres facteurs et explorer des directions nouvelles (parmi d’autres : Breux et Couture, 2018 ; Caron de Montigny et al., 2022 ; Mévellec et Tremblay, 2016).

    Il n’empêche que tous ces travaux ou presque ne concernent pour la plupart que les villes les plus grandes – les études consacrées aux élus des petites municipalités (en particulier rurales) sont rares : à vrai dire, nous n’avons pas trouvé d’étude poussée consacrée spécifiquement aux maires des petites municipalités rurales du Québec. Plusieurs tendances se combinent pour expliquer le constat que la pratique quotidienne des maires et mairesses des petites municipalités a été peu examinée (Breux et Parent, 2024) – à commencer par le fait que l’objet apparaît lui-même comme peu attrayant et pas nécessairement très actuel. Le métier est assez ingrat. En effet, les élus travaillent beaucoup, pour un salaire peu élevé et pour peu de reconnaissance collective. Par ailleurs, le profil correspondant à cette vocation est connu : « l’élu municipal est un homme, blanc, d’une cinquantaine d’années, détenant un diplôme universitaire » (Breux, 2022, p. 105). La réalité générale d’une connaissance très lacunaire des élus locaux au Québec (à la nuance près qu’il existe quelques monographies) (Bérubé, 2017) se combine avec le désintérêt pour les élus dont font preuve les recherches scientifiques centrées sur la ruralité. En anthropologie (Moreux, 1969¹), en sociologie (Parent, 2015) ou en développement régional ( Jean, 2012), on inclut les élus dans l’étude d’un objet plus vaste où ils sont finalement assez peu importants, voire très dispensables (mais voir quand même Carrier et Côté, 2000). À cela s’ajoute le fait que la diversité au sein du monde municipal représente un certain tabou : les maires tendent généralement à considérer que la fonction est la même dans toutes les municipalités (Breux et Parent, 2024). Or, cette diversité est au moins triple. Elle renvoie d’abord à celle des municipalités. Leur taille plus ou moins grande introduit généralement des inflexions notables sur un canevas juridique commun, avec notamment les divergences liées à la Loi sur les cités et villes, à la Loi sur les élections et les référendums, etc., qui introduisent des règles spécifiques aux grandes villes. Mais cette diversité relève aussi d’un fonctionnement pouvant varier sensiblement : on comparera le portrait des élus qu’a brossé K. Graham (2018), et qui est concentré sur les maires des dix villes canadiennes les plus grandes et celui de Mévellec et Tremblay (2016), qui ouvrent le jeu aux élus locaux des villes québécoises les plus grandes. Enfin, cette diversité est liée à la mise à disposition de tout un appareillage administratif et technique radicalement différent selon la taille de la municipalité : peut-on vraiment comparer l’administration de Montréal, puissante, de par son histoire, en pouvoirs et en hommes (Dagenais, 2000), et celle des petites municipalités² ?

    C’est donc à combler une part de cette lacune qu’est consacré cet ouvrage, basé sur le pari que la vie municipale n’est pas (ou pas seulement) une version tronquée de la politique nationale ou une variante moins élaborée de la politique municipale des grandes villes. L’hypothèse qui s’est progressivement dégagée et qui n’était pas vraiment posée au départ (voir la méthodologie) est que la proximité est une caractéristique distinctive des petites municipalités parce qu’elle ouvre à une forme de sociabilité collective différente, qui renvoie à une construction par le bas d’une forme de vivre-ensemble assez globale pour teinter toutes les interactions de la vie politique au village (le proche revendiqué par les maires [Breux et Parent, 2024] ; la pression diffuse et multiforme qui pèse sur le maire [Breux et Parent, 2024 ; Catlla, 2014] ; les tensions communautaires grevant le développement [ Jean et Épenda Muteba Wa, 2004 ; Parent, 2015]). Alors que les travaux internationaux insistent souvent sur le délabrement contemporain des communautés rurales et de la ruralité (Guilluy, 2011 ; Wuthnow, 2018) et que les débats publics au Québec dramatisent volontiers la hantise historique de la disparition nationale, notre enquête a plutôt découvert, par l’intermédiaire de leurs élus, un monde de petites municipalités dynamiques et conscientes d’elles-mêmes où il fait bon vivre, en dépit de problèmes sérieux dont la liste n’en finirait plus (financement, équipement, exclusion, développement, etc.).

    Pour reprendre librement les propos de F. Parent et C. Le Bart, ce « Québec invisible » du local relie territoire, communauté et municipalité par le bas, en tissant des liens sociaux dans des territoires qui ne sont plus, ou plus seulement, des communautés allant de soi, dans le prolongement de liens familiaux et amicaux solides et autosuffisants. Cela fait donc trois mondes à appréhender ensemble.

    Le monde des municipalités : du pouvoir aux élus

    Une première entrée sur le pouvoir local privilégie les dynamiques politiques constitutives d’une gouvernance des territoires locaux. À bien des égards, il s’agit d’un angle prometteur, même s’il est remarquablement peu développé au Canada (Taylor et Eidelman, 2010) en comparaison avec les travaux en Europe (sur le pouvoir local et sa diversité, voir Denters et Rose, 2005 ; Goldsmith et Page, 2010 ; Page et Goldsmith, 1987) ou même aux États-Unis (sur le leadership des maires, voir Urbaniak, 2014 ; sur le pouvoir local, voir Trounstine, 2020). Cela posé, il y a malgré tout des travaux qui rappellent les grandes lignes de la structure du pouvoir local, souvent sous un angle juridique (Rioux et Rousseau, 2019) ou élargi à ses grands paramètres (Baccigalupo, 1990 ; Divay, 2010 ; Patsias, 2012). Il y a ici un constat préalable à toute étude du pouvoir local au Québec : si les municipalités viennent d’être reconnues au Québec comme un ordre du gouvernement, elles restent étroitement soumises au pouvoir provincial, d’un point de vue juridique (ce qui rappelle l’expression connue évoquant la municipalité comme « créature des provinces »), mais aussi d’un point de vue de politique publique (tant les compétences municipales sont enserrées dans le tissu dense des politiques provinciales).

    Les approches de science politique reprennent ces éléments pour les replacer dans le contexte du fédéralisme canadien et explorer la diversité des processus politiques qui font se mouvoir les paramètres

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